Effets secondaires ou effet de loupe ?
On avait annoncé la mis en place d’un dispositif sans précédent de surveillance de la campagne nationale de vaccination. Et force est bien aujourd’hui de constater que ce dispositif fonctionne ; avec toutes les conséquences que l’on peut désormais imaginer sur la poursuite de la campagne. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps, bulletin n°2 du 13 novembre 2009, accessible en ligne, pdf gratuit) vient ainsi de publier son dernier bilan. Nous apprenons ainsi qu’entre le 21 octobre et le 10 novembre 2009, environ 100 000 doses du vaccin antigrippal administré sous la marque Pandremix. Cette vaccination a concerné les personnes volontaires membres des personnels de santé, médico-sociaux et de secours des établissements hospitaliers.
L’’Afssaps explique avoir eu connaissance de 91 signalements d’ « effets indésirables » adressés par les professionnels de santé. Cette agence prend soin de rappeler que tout événement indésirable observé après l’administration du vaccin peut être lié à une autre cause (comme certaines affections de la personne vaccinée…). « Par conséquent, l’analyse de la causalité nécessite d’avoir toutes les informations disponibles afin de permettre d’évaluer le rôle propre du vaccin lui-même » ajoute-t-elle.
Détaillons. La majorité des cas rapportés (91.0%) a été « d’intensité bénigne à modérée ». Toutefois quatre d’entre eux ont nécessité une hospitalisation. Les cinq cas restants jugés médicalement significatifs n’ont nécessité qu’une simple surveillance, et leur évolution a été rapidement favorable (3 cas de malaise associé à une augmentation de la pression sanguine, 1 cas de sensation vertigineuse et 1 cas de douleur intense au site d’injection)
Au total l’Afssaps a recensé 82 signalements d’effets indésirables « non graves », correspondant à un total de 230 réactions indésirables survenues dans les heures suivant la vaccination. Elles sont classées en trois groupes. Tout d’abord les
« réactions au site d’injection » (douleur, induration, œdème). Ensuite les « réactions allergiques » (érythème, urticaire général ou urticaire localisé). Enfin les « réactions générales » (fièvre, maux de tête, fatigue, syndrome grippal). Signalons encore un cas de conjonctivite bilatérale, un cas d’hématome au niveau de la cheville et un cas de saignement du nez, tous d’évolution favorable, ont été signalés. « L’imputabilité de ces cas au vaccin est douteuse » souligne l’Afssaps.
Les quatre notifications d’effets « graves » 1 concernent : deux affections neurologiques, une réaction allergique et une affection respiratoire. Citons l’Afssaps.
Il s’agit :
. d’un homme de 34 ans avec des antécédents de troubles neurologiques à type de paresthésies notamment engourdissement des membres inférieurs ; douze années avant la vaccination par Pandemrix, a présenté des signes cliniques comparables trois jours après l’injection du vaccin. Les résultats préliminaires issus des examens neurologiques suggèrent une deuxième poussée de démyélinisation centrale. Cependant, les résultats des examens en cours sont nécessaires pour établir la cause. A l’heure actuelle, l’état du patient toujours hospitalisé s’améliore.
. d’une femme de 37 ans sans antécédents médicaux particuliers a présenté des paresthésies (fourmillements, troubles de sensibilité), ascendantes des pieds jusqu’au cou et irradiant vers les membres supérieurs, 6 jours après la vaccination par Pandemrix. Une régression des signes cliniques après échanges plasmatiques en hôpital de jour a permis son retour à domicile. Un diagnostic de syndrome de Guillain-Barré de forme modérée est suspecté. Cependant, les résultats des examens en cours sont nécessaires pour établir la cause. Il s’agit d’une maladie rare dont l’incidence annuelle est d’environ 2,8 cas pour 100 000 habitants par an. On estime qu’en France 1 700 patients sont hospitalisés chaque année pour un syndrome de Guillain-Barré. Ce risque augmente lorsqu’on est atteint de la grippe.
. d’une réaction allergique à type d’oedème de Quincke est survenue dans les minutes suivant la vaccination chez une femme de 26 ans sans aucun antécédent personnel ou familial d’allergie. Son état s’améliore sans aucune séquelle sous traitement adapté.
. d’une femme de 30 ans, avec des antécédents médicaux d’allergie aux poils de chat, a présenté un tableau clinique associant bronchospasme (spasme des bronches), dyspnée (essoufflement), fièvre et urticaire le soir même de la vaccination par Pandemrix. Son état s’améliore sous traitement adapté.
Pour l’Afssaps la plupart des cas déclarés au système de pharmacovigilance correspondent à des effets attendus de ce vaccin. « Deux des quatre cas graves, concernant des affections neurologiques, font partie des catégories d’effets indésirables identifiés dans le plan de gestion des risques européen et national des vaccins H1N1. Aussi, les effets indésirables portés à la connaissance de l’Afssaps à la date du 10 novembre 2009 ne remettent pas en cause la balance bénéfice-risque du Pandemrix ».
Que conclure ? Que c’est sans aucun doute ici un remarquable travail de transparence en matière de politique sanitaire ; un travail qui, s’il avait été mené en son temps aurait peut-être permis de prévenir la bien triste affaire du vaccin contre l’hépatite virale B (en France ou celle de la vaccination contre la rougeole en Grande Bretagne). Mais comment ne pas penser que cette même transparence aura immanquablement des effets potentiellement négatifs en termes d’ « adhésion » de la population au dispositif d’immunisation gratuit et non obligatoire qu’on lui propose ? Et on a parfois le sentiment que cette même transparence peut prendre une sorte de dimension contagieuse, s’apparenter à une forme de puits sans fond. De ce point de vue le traitement de l’affaire, désormais célèbre du premier cas observé ici de syndrome de Guillain et Barré (qui nous aidera à faire un jour l’historique et le descriptif de ce syndrome entré en quelques jours dans le langage commun ? ) est exemplaire. Les autorités sanitaires annoncent dans la soirée du jeudi 12 novembre l’existence de ce cas. Le lendemain plusieurs médias radiophoniques reprochent à Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de « sembler faire marche arrière » en indiquant au Sénat que le lien de causalité n’est pas établi, que la relation entre vaccin et syndrome était même contestée et que ce syndrome était sans doute dû à un état grippal que la personne avait avant la vaccination. Ainsi ce vaccin protègerait même contre le syndrome de Guillain et Barré. Où est donc la « marche arrière » ? Et les autorités sanitaires d’être cette fois accusée d’avoir annoncé beaucoup trop vite l’existence de ce syndrome avant d’avoir fait la pleine lumière… Et les mêmes autorités d’être accusées de se tirer une balle dans le pied en péchant par excès de transparence…
Interrogé sur le grill des ondes, le Pr Didier Houssin directeur général de la santé : « Il est très important dans ce domaine de dire tout ce que l’on sait en sachant que bien souvent on a pas mal d’ignorance. Un cas de ce type était déjà public puisqu’il est survenu dans un établissement de santé. L’information était déjà connue et il était bien préférable de dire ce que l’on savait plutôt que de donner le sentiment que l’on cachait quelque chose. Le lien avec la vaccination n’est pas démontré mais il était important de donner connaissance de cet événement à l’ensemble des Français. Survenir « après » cela ne veut pas dire survenir « à cause de ». Vous allez avoir bientôt des gens qui vont mourir brutalement de mort subite, des femmes qui vont avorter, des grossesses qui ne vont pas aller à terme …. Et un certain nombre de ces personnes auront eu quelques jours ou quelques semaines avant une vaccination. La question bien évidemment ne manquera pas de se poser d’un possible lien. C’est tout le travail de l’Afssaps que d’analyser tous ces cas. »
Oui mais revenons sur le cas du syndrome de Guillain et Barré. La journaliste : « Oui mais si ce syndrome est dû au fait que la personne avait un syndrome grippal pourquoi l’a-t-on vaccinée alors que l’on ne doit pas vacciner les personnes présentant les symptômes d’un syndrome grippal ? » Le Pr Didier Houssin : « Oui vous avez raison, c’est un point qui mérite d’être souligné. Mais il peut y avoir parfois des syndromes grippaux qui débutent sans manifestations cliniques très importantes et que la vaccination soit faite alors que les signes ne se sont pas manifestés. Mais là encore ce n’est qu’une explication car la grippe n’est pas la seule en cause. » Pout finir le directeur général de la santé dira que l’on estime, avec le recul, que probablement « un cas de ce type de syndrome sur un million » peut être dû à la vaccination.
Jean-Yves Nau
(1) D’une manière générale le suivi national de pharmacovigilance renforcé repose sur la notification des événements indésirables médicamenteux par les professionnels de santé au réseau national des 31 centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) et aux laboratoires pharmaceutiques. Ainsi tout médecin, chirurgien-dentiste, pharmacien ou sage-femme ayant constaté un effet indésirable grave ou inattendu susceptible d’être dû à un médicament, qu’il l’ait ou non prescrit, doit en faire la déclaration immédiate au CRPV. Tout autre professionnel de santé (personnel soignant) peut aussi signaler de tels événements. Dans le contexte particulier de la pandémie, l’Afssaps a également prévu que les patients, s’ils le souhaitaient, puissent déclarer eux-mêmes des événements indésirables qu’ils suspectent d’être liés à la vaccination H1N1 au moyen d’un formulaire de déclaration téléchargeable, disponible sur son site (pdf en ligne).
Doutes sur le bénéfice et Bénéfices du doute
Les dispositifs de vigilance sanitaires ont toujours été mis en place à la suite de crises sanitaires. Et c’est après la survenue de phocomélies (absence ou raccourcissement de la racine des membres) chez les nouveaux nés de femmes ayant pris de la thalidomide que le concept de pharmacovigilance s’est progressivement mis en place dans les différents pays développés (recommandation de l’OMS, dès 1962, un an après l’identification du drame). Ajoutons ici que c’est après l’affaire dite des syndromes de Guillain et Barré (en 1976 aux Etats-Unis) que le concept de vaccinovigilance a complété le dispositif de sécurité sanitaire ; ou encore que c’est après l’affaire du sang contaminé que les dispositifs d’hémovigilance ont été installés en France. De la même manière en 2003 la crise de canicule en France a contribué à renforcer la veille sanitaire.
Tous ces dispositifs de vigilance reposent principalement sur la déclaration spontanée d’événements indésirables. La première difficulté est de déterminer la relation causale entre l’événement et la prise du produit de santé (médicaments, vaccins, produits dérivés du sang, etc…). Nous y reviendrons plus bas.
La deuxième difficulté est de déterminer la fréquence de survenue de ces événements, car le degré de sous-notification n’est jamais connu avec précision. Un exemple (réel) : je me suis fait vacciner récemment contre la grippe H1N1pdm au sein de l’hôpital qui m’emploie. La vérité est qu’au bout de quelques heures j’ai eu sacrément mal au point d’injection (le muscle deltoïde de l’épaule gauche) ; au point que la douleur m’a empêché de bien dormir deux nuits de suite. Mais je ne l’ai déclaré à personne. On ne peut donc pas mesurer la fréquence des phénomènes sur les registres de déclarations d’effets indésirables, notamment les phénomènes bénins. On peut en revanche penser qu’on sait mieux approcher la réalité pour les phénomènes plus graves et plus rares comme les bronchospasmes, les œdèmes de Quincke ou les syndromes de Guillain et Barré.
La troisième difficulté, la plus importante, est la réévaluation du rapport entre les bénéfices et les risques du vaccin. En effet, ce rapport n’en est pas un, au sens mathématique du terme (notre co-auteur-blogueur, Jean Rabat en sera fort marri). On ne sait pas dire par exemple « lorsque ce rapport est supérieur à 2,5 alors le produit mérite sa place dans la pharmacopée ». On ne sait seulement même pas calculer ce « rapport ». D’une part on ignore ce qui est au numérateur (comment quantifier les bénéfices de la vaccination pour le patient ?), et d’autre part comment décider du dénominateur (comment additionner les douleurs au point d’injection avec les bronchospasmes et les syndromes de Guillain et Barré ?).
Le plus simple que l’on pourrait tenter de faire serait de mettre dans les deux termes du rapport des fréquences de décès (décès évités par la vaccination versus décès suspectés d’être dus à la vaccination). Encore faudrait-il les connaître, et ce n’est pas le cas (aujourd’hui), ni pour le numérateur, ni pour le dénominateur. Et puis, nous ne fonctionnons pas avec un rationnel purement mathématique ou épidémiologique. Fort heureusement peut-être, d’ailleurs. Ainsi, quand bien même nous expliquerait-on avec précision que l’on a 100 fois moins de risque de mourir en se faisant vacciner que sans vaccin, le seul fait de savoir que l’on risque, avec le vaccin, une maladie neurologique inconnue et un peu mythique comme le syndrome de Guillain et Barré peut suffire à nous en détourner.
Il faut en outre compter ici avec de nombreux autres paramètres : peur de la piqûre (cela n’a rien d’insultant de dire que certains de nos concitoyens ont peur de la piqûre ; on m’a reproché un jour d’avoir dit que bon nombre de personnels soignants avaient peur de la piqûre : or c’est un fait, ce n’est pas un jugement) ; refus quasi « militant » d’un vaccin dont on nous aurait trop rabattu les oreilles ; ou encore je ne sais quels motifs conscients ou inconscients (qui ne sont pas moins ou plus nobles, mais qui sont). La mathématique fournit un éclairage. Elle n’est pas la Lumière de toutes nos actions, loin de là. D’autres déterminants entrent en jeu dans notre processus complexe de décision. Ils mériteraient d’ailleurs d’être davantage explorés par les sciences sociales.
Revenons un instant à la détermination du lien causal. Lorsqu’une réaction allergique (urticaire, bronchospasme, œdème de Quincke, crise d’asthme, choc anaphylactique) survient dans les heures après l’injection vaccinale, la relation causale prête peu à discussion. S’il n’y a pas eu absorption concurrente d’une substance allergisante connue, on peut dire avec une forte probabilité de certitude que le vaccin est en « cause ». Lorsqu’il s’agit d’une douleur au point d’injection, d’une réaction locale, si aucune piqûre de moustique ne vient interférer dans l’histoire, sous nos latitudes et à pareille époque de l’année, on peut aussi signer la relation de « cause à effet ». Pour toutes les autres notifications d’effets indésirables on entre dans les brouillards de la causalité incertaine. Un cancer du poumon qui serait détecté le lendemain de l’injection verrait bien sûr rejeter le lien de causalité par tous les cancérologues qui diraient qu’il faut du temps pour une tumeur de se développer et qu’une nuit n’y suffit pas. Que dire d’une maladie neurologique survenant trois jours après l’injection vaccinale ? Une maladie dont on ignore tout des mécanismes de survenue, de l’origine, y compris en dehors de toute vaccination ? Une maladie qui n’a rien de spécifique de la vaccination, car aucune maladie n’est « spécifique » de la vaccination anti-grippale. C’est alors formidablement difficile.
Attention cependant. Dire qu’il est difficile de déterminer le lien de cause à effet, ne doit pas laisser sous-entendre, d’un revers de main, que toutes ces réactions ne sont pas d’origine vaccinale. Elles peuvent l’être. Ce sont des médecins français qui les premiers ont signalé des tendinites liées à un antibiotique (de la famille des fluoroquinolones). Qui aurait pu croire qu’un antibiotique aurait pu causer des dommages à l’un des endroits les moins vascularisé du corps humain (les tendons), et selon un processus qui s’apparente davantage aux traumatismes des sportifs qu’à une réaction indésirable médicamenteuse ? Eh bien, aujourd’hui, plus personne ne doute, dans la communauté médicale internationale que les fluoroquinolones sont des antibiotiques qui peuvent entraîner des tendinites ; voire mêmes des ruptures du tendon d’Achille, tout à fait spectaculaires et invalidantes. Donc, si le plus souvent les dispositifs de pharmacovigilance, ou de vaccinovigilance ne permettent pas à coup sûr de déterminer que tel événement est lié à tel produit, ce sont néanmoins des éléments concourant à la sécurité sanitaire destinés le cas échéant à tirer précocemment la sonnette d’alarme. Ils permettent la détection de cas graves et inattendus. Lorsque les effets rapportés sont graves mais attendus, ils permettent éventuellement la détection de leur augmentation, bien que ce soit là un exercice plus difficile encore. Ils contribuent à un meilleur pilotage de la politique vaccinale à l’échelon national et international.
Antoine Flahault
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