Mieux que Sarkozy ou Merkel, le héros vintage de Pif Gadget est le vrai rempart contre la faillite européenne.
Ce n’est pas compliqué de mélanger actualité et BD quand le quotidien est fait d’évènements proprement romanesques (et il y en a eu beaucoup cette année) comme les révolutions arabes, l’affaire Strauss-Kahn ou encore la mort de Ben Laden. Mais lorsqu’il s’agit de traiter de la crise des dettes souveraines, c’est bien différent… J’avais écrit, il y a tout juste un an, un billet sur la manière dont la crise économique (déjà elle) avait influencé des BDs récentes, du Petit Spirou à Largo Winch. Mais si le trader est devenu une figure reconnue, il en va autrement d’institutions comme Moody’s et Standard & Poor’s, le triple A ou la banque centrale européenne, qui restent bien difficile à incarner.
Heureusement, voilà Dicentim! Sa bouille vous est peut-être familière, particulièrement si vous avez eu la chance d’avoir des parents communistes : le personnage officiait dans Pif Gadget, aux côtés de Placid et Muzo ou de Rahan. Il s’appelle Dicentim, car notre personnage est un petit franc. Ce n’est que l’exemple le plus visible de l’humour potache et un peu naïf cher à la publication.
Une des autres caractéristiques fortes de Pif, c’était le lien fort que le journal entretenait avec ses lecteurs. A travers ses gadgets devenus mythiques bien sûr (voir le blog de cet aficionado qui essaie de retrouver tous les sapins Pif) mais aussi via des concours divers. En errant sur Internet, je suis tombée sur cet autre blog d’un lecteur assidu, plus précisément consacré au personnage de Dicentim. Et au milieu de ce site très fouillé, une page est consacrée à un concours un peu particulier, lancé par le magazine en 1985. “«Jacques Kamb en mars 1985 a réalisé dans le n°833 (2071) de Pif-Gadget un jeu concours qui connut un “franc” succès du nom de « Coince les bulles ! » avec la série de Dicentim. Le but du jeu est de remplir de texte à l’intérieur des phylactères (ou bulles) et de faire son propre scénario à partir de la planche volontairement vide de Jacques Kamb déjà en images», nous explique ainsi le blogueur.
Quel rapport avec la crise de la dette souveraine me direz-vous? Hé bien en tombant sur la planche vierge, je me suis dit qu’elle était assez appropriée pour traiter de ce sujet surtout que Dicentim avait accompagné au début des années 2000 le changement de monnaie en devenant Dicentim d’euro.
Aussi je me suis moi-même prêtée au jeu du remplissage, et voici le résultat:
Oui, je sais, c’est un peu consternant… Pour ma défense, je dirais que j’ai voulu rendre hommage à l’humour incertain de la série. Et on pourrait débattre de l’idée que la seule solution pour nous sortir de la crise soit que la BCE fasse marcher la planche à billets (je t’attends Eric Le Boucher). L’exercice du détournement est en tous cas assez amusant et recouvre une portée bien plus large q’un simple concours de Pif Gadget. C’est une des disciplines phares de l’OuBaPo (l’Ouvroir de Bande-dessinée Potentielle) qu’affectionnaient déjà les situationnistes (voir par exemple ici).
Dans sa thèse La bande dessinée et son double, Jean-Christophe Menu décrit remarquablement l’intérêt de travailler autour d’oeuvres de BD existantes, à la fois pour en comprendre la construction autant que pour l’intérêt de la re-création (et de la récréation). A propos d’un de ses détournements, il écrit qu’ “il s’agit d’un plaisir primaire de réappropriation, une joie anarchiste et purement primitive“. Mélanger des grandes considérations économiques avec une planche enfantine comme celle de Dicentim (et en celà rendre hommage à son nom) m’a procuré exactement ce plaisir là.
Laureline Karaboudjan
Illustration de une: extrait d’une planche de Dicentim par Jacques Kamb, DR.
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