En réunissant les deux blogueurs BD les plus célèbres de France, la Page Blanche est la super-production de ce début d’année. Et c’est franchement décevant.
Vous prenez le blogueur BD masculin le plus connu, Boulet, vous le mélangez avec la blogueuse girly la plus populaire, Pénélope Bagieu, qu’est-ce que ça donne? C’était un peu la question que je me posais en ouvrant “La Page Blanche”, la BD qu’ils viennent de publier en commun. Lui au scénario, elle au dessin, c’est la réunion de ce qui “marche le mieux” en BD ces dernières années. Un événement forcément intriguant, pour ne pas dire excitant.
La rencontre n’est d’ailleurs pas fortuite puisque c’est l’éditeur Guy Delcourt qui a imaginé ce tandem. A la tête d’une des plus grosses maisons françaises de BD, il réalise là un joli coup éditorial. Car Boulet et Bagieu sont plus que des auteurs lambda de BD: ce sont des des blogueurs à la force de frappe étonnante, avec chacun leurs milliers de fans sur Facebook et leurs followers sur Twitter. Du coup, avant même sa sortie et les critiques dans les journaux, “La Page Blanche” avait l’assurance de faire son petit chemin sur les réseaux sociaux, et elle n’a sans doute même pas besoin d’une couverture presse pour bien se vendre.
L’histoire donc: une jeune fille, Éloïse, se réveille un matin sur un banc, elle ne sait pas à où elle est ni qui elle est. Elle est devenue complètement amnésique. Heureusement, elle retrouve tout de même son adresse, rentre chez elle et essaye de découvrir son passé.
La perte de mémoire ne cache pas un lourd secret à la XIII. Au contraire, grâce à cette maladie, la jeune fille comprend qu’elle est une personne banale, qui toute sa vie a essayé de se forger sa propre culture mais qui n’a fait que consommer ce que tout le monde consomme, de Marc Lévy au dernier blockbuster américain. A travers elle, la BD critique donc une uniformisation des goûts culturels, incarnée notamment par le propre métier de cette jeune fille, vendeuse dans un grand magasin style Fnac.
L’hôpital, la charité, tout ça, tout ça…
J’espère également qu’en creux, les deux auteurs font également une critique de leur propre production, puisqu’en BD, ils incarnent justement le type d’ouvrage mis très en avant à la Fnac qui écrase des productions plus intéressantes à faible tirage.
Parce qu’au delà du synopsis, si les magazines féminins vont sans doute adorer, ce n’est pas génial. Le scénario, écrit par Boulet, manque d’aspérités. Une fois que l’on saisit l’enjeu, et on le comprend bien vite, on sait comment cela va se terminer. Boulet nous avait habitué à plus de profondeur. C’est amusant, plusieurs fois en lisant cette BD j’ai eu l’impression de lire le scénario d’un film américain: vous savez, le genre de films qui veut paraître intelligent et spirituel mais qui en fait fait de la philosophie de supermarché.
Cette impression est peut-être renforcée par le dessin de Pénélope Bagieu, dont les rondeurs et la naïveté ne sont pas forcément les plus appropriés pour raconter cette histoire. Probablement parce qu’à force de le voir utilisé pour vendre des quiches ou du maquillage, ce trait nous renvoie mentalement dans le super-marché que la “Page Blanche” voulait nous faire quitter. Non pas qu’il faille forcément un dessin charbonneux, underground et des “A” cerclés dans les marges pour critiquer l’uniformisation culturelle. Mais l’excès inverse fait bizarre aussi.
Au delà de la consécration de la “génération blog” que représente cette “Page Blanche”, j’ai été assez déçue. D’abord parce que je peux apprécier Boulet et Bagieu individuellement (si si, parfois), mais surtout parce que cette BD, qui se voudrait être une critique maligne de la société de consommation, en est en fait un pur produit. Et pas très malin, pour le coup.
Laureline Karaboudjan
Illustration: extrait de la couverture de La Page Blanche, DR.
lire le billetLe nouveau magazine de Fluide Glacial, Fluide Glamour, tente de séduire les femmes et les hommes par un magazine mêlant BD et thèmes sexys.
“On peut être féminine et poutrer du zombie.” Cette affirmation, sans doute l’une des plus féministes que j’ai pu entendre ces dernières années, a été prononcée par une jeune femme dans le documentaire Suck My Geek. Fluide Glamour, à sa manière, pose un peu la même question existentielle. “Fut une époque, Fluide Glacial avait un taux de testostérone suffisant pour terrasser le XV de France. (…) Les temps ont bien changé!” explicite l’éditorial de ce hors-série qui semble avoir vocation à devenir un périodique à part entière. Un magazine de BD pour filles ? Pourquoi pas.
Le magazine, dans l’espace déjà bien chargé des féminins, va donc chercher à se faire une place au soleil en misant sur ce qui est une vraie tendance depuis quelques années : les filles se mettent à la BD. Pour cela, il a fait appel à un nombre d’auteurs masculins et féminins confirmés, que ce soit pour la BD, Pénélope Bagieu, Dupuy et Berberian ou Riad Sattouf, que dans les textes, orientés sexy, grâce à Maiä Mazaurette du blog Sexactu ou la réalisatrice de porno Ovidie. A vrai dire, Fluide Glamour d’une façon ou d’une autre, ne parle presque que de sexe. Il parait que ça fait vendre.
Longtemps, il faut bien se l’avouer, la BD était un truc de mecs. Ils scénarisaient, ils dessinaient et ils étaient lus par des hommes. Je ne vais pas m’étendre sur les multiples témoignages de cette réalité à travers les œuvres, que ce soit dans la représentation de la femme dans la bande dessinée (quoique le diagnostic soit plus nuancé que « ils-ne-dessinaient-que-des-héroïnes-à gros-seins ») ou dans l’absence complète de vie sentimentale de certains héros, l’exemple le plus probant étant Tintin. Les héros de bande-dessinée classique transpirent la masculinité. D’un point de vue psychologique, ce sont de véritables projections fantasmatiques d’attributs supposés masculins, qu’il s’agisse de la force, du courage ou du goût de l’aventure. Pour schématiser, l’univers des auteurs de BD est traditionnellement plutôt un univers d’hommes frustrés qui projettent leurs manques sur des héros.
Mais, petit à petit, et c’est sans doute lié à l’acceptation de la culture geek en général (traditionnellement masculine), à laquelle la BD est assimilée, le public féminin du neuvième art s’est agrandi. Les filles lisent à présent des bande-dessinées en nombre, au point qu’un marché les visant explicitement s’est créé. Au Japon, ce sont les shojo destinés aux adolescentes, en France c’est la vague depuis quelques années des BD girly, portées par le succès du blog Pénélope Jolicoeur. L’auteur, Pénélope Bagieu, fait maintenant partie des plus grosses ventes en librairie et a essaimé toute une génération de dessinatrices qui reprennent à la fois le même graphisme et les mêmes recettes : de l’introspection (le terme est peut-être indulgent, certains parleront plutôt d’egotrip), des « tranches de vie » quotidienne façon Bénabar, et du vernis à ongle et des thermos de thé. Et le sexe, évidemment, comme dans Fraise et Chocolat d’Aurélia Aurita ou la série à succès Péchés Mignons scénarisée par Maïa Mazaurette. Des filles qu’on retrouve justement toutes dans Fluide Glamour.
Péchés mignons et transvulvation
Fluide Glamour tente donc de surfer sur ces succès en librairie et de les traduire à travers un magazine. Publier les nouvelles tendances de la bande-dessinée tout en étant orienté assez cul, c’est tout à fait dans la tradition de Glacial. Aussi, sur le principe, Fluide Glamour est une excellente idée. Chaque semaine, un nouveau magazine féminin sort et ils sont à chaque fois assez affligeants. Depuis Causette je pense, il n’y avait pas eu d’initiatives vraiment pertinentes. Forts du constat qu’il existe un nouveau public de bande-dessinée et d’un casting prestigieux, le coup n’est en plus pas trop risqué pour l’équipe de Fluide.
Dans la réalisation, je suis moins convaincue… Passons sur les textes rapidement, puisque ce n’est pas vraiment mon domaine. Il y en a de très nombreux de la journaliste Maïa Mazaurette, que je lis régulièrement sur son blog, mais là ses articles ne sont pas très intéressants, trop courts, pas très bien écrits. Rédiger deux pages sur le fait de ne pas avoir réussi à entrer dans une soirée fétichiste, c’est marrant sur un blog, mais, et là je vais faire ma rabat-joie, au prix du papier, c’est un peu dommage. La meilleure idée du magazine reste pour moi l’article d’Ovidie sur Larry Flint. Sauf qu’à mon avis cela reste plus un sujet qui intéressera les hommes et, dans la réalisation, ce n’est pas formidable non plus.
Pour la BD, pareil, il y a à boire et à manger. J’ai vraiment apprécié celle de Margaux Motin et Pacco, en dépit des fautes d’orthographe qui l’émaillent. Neuf pages sur des démons sexuels qui vont être envoyés sur terre, à la fin, on a juste envie de savoir la suite, donc c’est réussi. Celle de Sibylline et de Vince sur le voyage d’un point G à un autre point G par transvulvation (oui, vous imaginez bien) est de bonne facture, et rappelle les bonne heures de Glacial. Et je dois avouer que j’ai affiché dans mes toilettes le poster de Pascal Brutal par Riad Sattouf… De l’autre coté, les strips extraits de Péchés Mignons, dessinés par Arthur de Pins, ne m’ont pas plu du tout. Je les trouve à la fois sans intérêt et globalement vulgaires. J’ai demandé à des garçons si ce n’était pas mon sur-moi féministe qui parlait, mais non, eux aussi ils sont du même avis. Osons-le, c’est un peu beauf. Au delà du dessin qui me gène et m’empêche d’aller beaucoup plus loin, les gags sont quelconques. Peut-être suis-je dure dans la critique, mais pour 4,90€ une demi-BD, on est en droit, à mon avis, d’être exigeante.
A bas la BD de filles
Et puis, je dois bien avouer que j’ai globalement un problème avec la bande-dessinée genrée, qu’elle se revendique « BD pour filles » ou « BD pour garçons ». L’écueil évident de cette approche artistique c’est de tomber dans le cliché et la caricature. En l’occurrence, pour toute la vague de BD de filles que j’ai évoquée plus haut et dont Fluide Glamour est une sorte de compilation, c’est de vouloir nous faire croire que « la femme » se résume à une habitante de Paris intra-muros qui passe son temps à se faire les ongles de pied en envoyant des SMS avec son iPod vissé sur les oreilles. Tout ça me donne envie de ressortir mes vieux Agrippine, de Brétécher, qui d’ailleurs ne se revendique pas « BD de fille ». Pour moi, il y a simplement de bonnes ou de mauvaises BD, voilà tout.
Résumons: l’idée de Fluide Glamour est bonne et je les encourage à continuer. Mais, à leur place, je serai encore plus exigeante dans la qualité des textes et des BDs. Je comprends tout à fait la volonté de créer un magazine plus mixte que vraiment féminin, acheté finalement par l’homme comme une bonne excuse – “Tu vois chérie, je ne lis plus ces machos de Fluide“, mais ce n’est pas une raison pour tomber dans la facilité: c’est à dire demander aux quatre ou cinq femmes connues capables de dessiner et de parler de sexe à la va-vite. Creusez-vous la tête, cherchez d’autres auteurs, allez plus loin mesdemoiselles de Fluide Glacial. Vous le pouvez !
Amis lecteurs, peut-être suis-je trop dure, qu’en pensez-vous ?
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait de Péchés Mignons, DR
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