Peut-on aimer la BD et être féminine et sexy ?

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Le nouveau magazine de Fluide Glacial, Fluide Glamour, tente de séduire les femmes et les hommes par un magazine mêlant BD et thèmes sexys.

On peut être féminine et poutrer du zombie.” Cette affirmation, sans doute l’une des plus féministes que j’ai pu entendre ces dernières années, a été prononcée par une jeune femme dans le documentaire Suck My Geek. Fluide Glamour, à sa manière, pose un peu la même question existentielle. “Fut une époque, Fluide Glacial avait un taux de testostérone suffisant pour terrasser le XV de France. (…) Les temps ont bien changé!” explicite l’éditorial de ce hors-série qui semble avoir vocation à devenir un périodique à part entière. Un magazine de BD pour filles ? Pourquoi pas.

Le magazine, dans l’espace déjà bien chargé des féminins, va donc chercher à se faire une place au soleil en misant sur ce qui est une vraie tendance depuis quelques années : les filles se mettent à la BD. Pour cela, il a fait appel à un nombre d’auteurs masculins et féminins confirmés, que ce soit pour la BD, Pénélope Bagieu, Dupuy et Berberian ou Riad Sattouf, que dans les textes, orientés sexy, grâce à Maiä Mazaurette du blog Sexactu ou la réalisatrice de porno Ovidie. A vrai dire, Fluide Glamour d’une façon ou d’une autre, ne parle presque que de sexe. Il parait que ça fait vendre.

Longtemps, il faut bien se l’avouer, la BD était un truc de mecs. Ils scénarisaient, ils dessinaient et ils étaient lus par des hommes. Je ne vais pas m’étendre sur les multiples témoignages de cette réalité à travers les œuvres, que ce soit dans la représentation de la femme dans la bande dessinée (quoique le diagnostic soit plus nuancé que « ils-ne-dessinaient-que-des-héroïnes-à gros-seins ») ou dans l’absence complète de vie sentimentale de certains héros, l’exemple le plus probant étant Tintin. Les héros de bande-dessinée classique transpirent la masculinité. D’un point de vue psychologique, ce sont de véritables projections fantasmatiques d’attributs supposés masculins, qu’il s’agisse de la force, du courage ou du goût de l’aventure. Pour schématiser, l’univers des auteurs de BD est traditionnellement plutôt un univers d’hommes frustrés qui projettent leurs manques sur des héros.

Mais, petit à petit, et c’est sans doute lié à l’acceptation de la culture geek en général (traditionnellement masculine), à laquelle la BD est assimilée, le public féminin du neuvième art s’est agrandi. Les filles lisent à présent des bande-dessinées en nombre, au point qu’un marché les visant explicitement s’est créé. Au Japon, ce sont les shojo destinés aux adolescentes, en France c’est la vague depuis quelques années des BD girly, portées par le succès du blog Pénélope Jolicoeur. L’auteur, Pénélope Bagieu, fait maintenant partie des plus grosses ventes en librairie et a essaimé toute une génération de dessinatrices qui reprennent à la fois le même graphisme et les mêmes recettes : de l’introspection (le terme est peut-être indulgent, certains parleront plutôt d’egotrip), des « tranches de vie » quotidienne façon Bénabar, et du vernis à ongle et des thermos de thé. Et le sexe, évidemment, comme dans Fraise et Chocolat d’Aurélia Aurita ou la série à succès Péchés Mignons scénarisée par Maïa Mazaurette. Des filles qu’on retrouve justement toutes dans Fluide Glamour.

Péchés mignons et transvulvation

Fluide Glamour tente donc de surfer sur ces succès en librairie et de les traduire à travers un magazine. Publier les nouvelles tendances de la bande-dessinée tout en étant orienté assez cul, c’est tout à fait dans la tradition de Glacial. Aussi, sur le principe, Fluide Glamour est une excellente idée. Chaque semaine, un nouveau magazine féminin sort et ils sont à chaque fois assez affligeants. Depuis Causette je pense, il n’y avait pas eu d’initiatives vraiment pertinentes. Forts du constat qu’il existe un nouveau public de bande-dessinée et d’un casting prestigieux, le coup n’est en plus pas trop risqué pour l’équipe de Fluide.

Dans la réalisation, je suis moins convaincue… Passons sur les textes rapidement, puisque ce n’est pas vraiment mon domaine. Il y en a de très nombreux de la journaliste Maïa Mazaurette, que je lis régulièrement sur son blog, mais là ses articles ne sont pas très intéressants, trop courts, pas très bien écrits. Rédiger deux pages sur le fait de ne pas avoir réussi à entrer dans une soirée fétichiste, c’est marrant sur un blog, mais, et là je vais faire ma rabat-joie, au prix du papier, c’est un peu dommage. La meilleure idée du magazine reste pour moi l’article d’Ovidie sur Larry Flint. Sauf qu’à mon avis cela reste plus un sujet qui intéressera les hommes et, dans la réalisation, ce n’est pas formidable non plus.

Pour la BD, pareil, il y a à boire et à manger. J’ai vraiment apprécié celle de Margaux Motin et Pacco, en dépit des fautes d’orthographe qui l’émaillent. Neuf pages sur des démons sexuels qui vont être envoyés sur terre, à la fin, on a juste envie de savoir la suite, donc c’est réussi. Celle de Sibylline et de Vince sur le voyage d’un point G à un autre point G par transvulvation (oui, vous imaginez bien) est de bonne facture, et rappelle les bonne heures de Glacial. Et je dois avouer que j’ai affiché dans mes toilettes le poster de Pascal Brutal par Riad Sattouf… De l’autre coté, les strips extraits de Péchés Mignons, dessinés par Arthur de Pins, ne m’ont pas plu du tout. Je les trouve à la fois sans intérêt et globalement vulgaires. J’ai demandé à des garçons si ce n’était pas mon sur-moi féministe qui parlait, mais non, eux aussi ils sont du même avis. Osons-le, c’est un peu beauf. Au delà du dessin qui me gène et m’empêche d’aller beaucoup plus loin, les gags sont quelconques.  Peut-être suis-je dure dans la critique, mais pour 4,90€ une demi-BD, on est en droit, à mon avis, d’être exigeante.

A bas la BD de filles

Et puis, je dois bien avouer que j’ai globalement un problème avec la bande-dessinée genrée, qu’elle se revendique « BD pour filles » ou « BD pour garçons ». L’écueil évident de cette approche artistique c’est de tomber dans le cliché et la caricature. En l’occurrence, pour toute la vague de BD de filles que j’ai évoquée plus haut et dont Fluide Glamour est une sorte de compilation, c’est de vouloir nous faire croire que « la femme » se résume à une habitante de Paris intra-muros qui passe son temps à se faire les ongles de pied en envoyant des SMS avec son iPod vissé sur les oreilles. Tout ça me donne envie de ressortir mes vieux Agrippine, de Brétécher, qui d’ailleurs ne se revendique pas « BD de fille ». Pour moi, il y a simplement de bonnes ou de mauvaises BD, voilà tout.

Résumons: l’idée de Fluide Glamour est bonne et je les encourage à continuer. Mais, à leur place, je serai encore plus exigeante dans la qualité des textes et des BDs. Je comprends tout à fait la volonté de créer un magazine plus mixte que vraiment féminin, acheté finalement par l’homme comme une bonne excuse – “Tu vois chérie, je ne lis plus ces machos de Fluide“, mais ce n’est pas une raison pour tomber dans la facilité: c’est à dire demander aux quatre ou cinq femmes connues capables de dessiner et de parler de sexe à la va-vite. Creusez-vous la tête, cherchez d’autres auteurs, allez plus loin mesdemoiselles de Fluide Glacial. Vous le pouvez !

Amis lecteurs, peut-être suis-je trop dure, qu’en pensez-vous ?
Laureline Karaboudjan

Illustration : Extrait de Péchés Mignons, DR

10 commentaires pour “Peut-on aimer la BD et être féminine et sexy ?”

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par itebarbbarra. itebarbbarra a dit: Peut-on aimer la BD et être féminine et sexy ? – Slate.fr: Slate.frPeut-on aimer la BD et être féminine et sexy ?S… http://bit.ly/bNZ1B1 […]

  2. Bonjour,

    D’accord avec votre conclusion. Merci pour cet article.
    Mais pourquoi ne pas mettre un (e) à auteur lorsque c’est une dame ?

    Sinon par ici il y a plein de jeunes auteures de BD talentueuses :
    http://www.manolosanctis.com
    http://www.manolosanctis.com/bd/934/princesse-suplex
    http://www.manolosanctis.com/roman-graphique/278/la-peur-du-loup

  3. Globalement d’accord avec la critique du magazine.
    Fluide Glamour, d’ailleurs n’est pas le seul, en bande dessinée franco-belge, ces derniers temps à revendiquer une identité féminine pour promouvoir ses publications. Bizarre, mais peut-être est-ce le pendant de ce qui se vend, parallèlement en littérature, une façon de récupérer la vague ChickLit… Ou d’interpeller les lecteurs (trices) de blogs, lesquels blogs ont la réputation (erronnée) d’être plutôt un média féminin… Ou encore de cuisiner sauce franco-belge, le principe des mangas, genre ultra-cloisonné. Perso, je doute un peu qu’il y ait en presse un public genre-acheteuse-de-magazine-féminin qui ait envie d’acheter d’un magazine BD, parce que ce n’est vraiment pas la même chose, et que, justement, si elles ont envie de lire de la bande dessinée (qui leur plait ou leur ressemble) il y a les blogs pour ça. Se définiront-elles assez “lectrice de BD” pour débourser le prix (pas donné) d’un magazine BD, je ne crois pas. (Ou peut-être en version IPhone…)

    Bon, en même temps, on a tellement répété, jusqu’ici que les femmes-dans-la-BD (un animal qui n’est plus tellement rare) produisaient des oeuvres forcément plus sensibles, plus émotionnelles, plus intimistes etc, etc… Bref, l’arrivée de quelques nouveaux lieux communs ça fera un peu de changement.
    Par contre, si je puis me permettre, le titre de l’article “Peut-on aimer la Bd et être féminine et sexy” est un poil putassier…

  4. Pourquoi ne pas mettre de (e) à auteur quand c’est une fille ?? C’est parce que le féminin de “auteur” est “auteur”… C’est un code typographique, tout comme pour nombre d’autres mots (et dans les deux sens). C’est un choix éditorial, et certaines auteurs préfèrent. D’autres se battent pour leur e. Je préfère perso sans le e.

  5. Fluide Glacial était beauf et vulgaire, des traits associés par habitude à l’homme (la femme se devant d’être gracieus et aérienne)
    Peut-être Mme Karaboudjan êtes vous encore trop engoncée dans cette idéologie conservatrice pour voir que proposer à des femmes des contenus beaufs et grossiers est une progression en soi (une continuation de l’excellent sexactu en somme=

  6. Je viens de publier une réponse circonstanciée à cet article.
    Pour moi, Laureline, vous développez là un brûlot anti-clivage Hommes-Femmes qui ne fait que servir la cause.

    Je vous laisse en découvrir le développement :
    http://whispering.blogspirit.com/archive/2010/05/02/bd-db-et-tutti-quanti.html#comments

  7. @Nferlut Le titre de l’article est un écho à sa première phrase. Mais certes, c’est un titre qui fait cliquer… ^^

    @Otolia Je n’ai jamais dit que la femme se devait d’être gracieuse et aérienne. Au contraire, je récuse les clichés féminins que propagent les auteurs femmes de BD publiées dans Fluide Glamour. Quant à savoir si “proposer à des femmes des contenus beaufs et grossiers est une progression en soi”, je me permets de ne pas partager votre opinion (et me demande ce qu’en aurait pensé Louise Michel).

    @Linlith Comme Otolia, avez vous bien lu mon article? Ce que vous critiquez dans votre billet, c’est Fluide Glamour : l’illustration de une en est extraite, l’édito également, Vous critiquez Aurélia Aurita, je le fais également.Vous dîtes que vous n’avez pas eu besoin d’attendre Fluide Glamour pour lire Fluide Glacial, je ne dis pas autre chose. En fait, il semblerait que nous soyons d’accord, vous ne croyez pas?

  8. Oui, la BD doit conquérir un public féminin! Moins de vulgarité et plus de glamour! Voilà la recette!

    Bons baisers de Tauride
    Emilienne

  9. […] un bon article (au titre légèrement racoleur) sur son blog Des Bulles Carrées, Laureline Karaboudjan décrypte le nouveau magazine Fluide Glamour et donne son avis sur le […]

  10. Eh oui Laureline… Tu es victime, comme bien d’autres ailleurs de la lecture moderne, trop rapide pour être (oui, oui, ‘être’ tout court).
    http://www.theatlantic.com/magazine/archive/2008/07/is-google-making-us-stupid/6868/

    Mais entre nous, un français sur 10 alimente son blog, pour qu’on le lise, qu’on sache qu’il existe, qu’il sait écrire, qu’il s’intéresse à des choses passionnantes et qu’il a cette fine intelligence, cette précision horlogère de la pensée qui donne à sa perception réelle du monde la vitesse d’un escargot suisse en vacance.
    (on peut remplacer il par elle pour les gender fellows)

    Un magazine de plus… de BD… Féminine… Et si on écrivait ça :

    Encore des chômeurs structurels qui ont trouvé un truc à faire, une niche, pour avoir de quoi se nourrir, se vêtir, s’abriter et même se payer une entrée pour un film français qui analyse ce qu’ils ont au milieu du ventre (non pas le nombril, ils l’ont déjà fait. Le grain de beauté à côté…)

    Il y a culture et culture… Faut-il vraiment toute cette masse de m.rd. pour sortir une quête de l’oiseau du temps ?

    Par ma chandelle verte !

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