Une nouvelle série pour enfants met en scène le neveu de Gaston Lagaffe. Les fans enragent, moi pas.
Quel est le meilleur moyen de s’attirer les foudres des fans de BD? S’attaquer à un personnage mythique. En l’occurrence Gaston Lagaffe, le plus célèbre des personnages de Franquin. Depuis deux semaines, un projet de couverture circule sur le web et sème le trouble. On y voit un enfant aux traits et aux vêtements similaires à ceux du fameux gaffeur et en train de s’adonner à un de ses passe-temps préférés : le ballon sauteur. En arrière plan, on reconnaît, également sous des traits juvéniles, d’autres personnages de la série: Jules-de-chez-Smith-d’en-face, Mademoiselle Jeanne ou Prunelle, le supérieur colérique de Gaston Lagaffe.
Sous l’intitulé “Gastoon”, les éditions Marsu productions s’apprêtent en fait à lancer une série dérivée de l’oeuvre de Franquin. Ainsi que le titre “Gaffe au neveu” le laisse entendre, il s’agit des aventures du jeune neveu de Gaston Lagaffe, que l’on suppose aussi maladroit et tête-en-l’air que son oncle. Comme l’explique un responsable de la maison d’édition à Libération.fr, le “seul but est de valoriser l’univers de Franquin qui est un auteur qu’on adore et dont le travail nous inspire beaucoup de respect” le tout “dans un univers enfantin et d’écolier” destiné à toucher un public plus jeune que celui de la série originale.
Un projet vu d’un très mauvais oeil par les fans de Gaston Lagaffe, qui se déchaînent sur Twitter et autres blogs. “JE NE VEUX PAS LE SAVOIR, C’EST NON” fulmine cet inconditionnel sur son blog. “Combien de temps doit-on attendre avant de violer un cadavre?” se demande carrément cet autre fan sur son blog, estimant alors même que l’album n’est pas sorti que “Gastoon fait le minimum syndical et pompe à mort l’univers de Franquin, parce que c’est plus facile (mais bon, c’est peut-être adressé aux acheteurs des Blondes, donc on se met au niveau)”. Bref, comme prévu, haters gonna hate, à qui le rappeur Booba répondrait quelque chose du genre “si tu kiffes pas renoi tu lis pas et puis c’est tout”.
Stop ou encore?
Ce projet relance en tous cas l’éternel débat sur la seconde vie des héros de BD. D’un côté les tenants du repos absolu des héros à la mort de leur créateur. De l’autre ceux qui estiment qu’un héros peut continuer à vivre sous la plume et le crayons d’autres auteurs. Les exemples abondent des deux côtés. Le plus fameux héros figé, c’est probablement Tintin, dont Hergé a toujours dit qu’il refuserait que quelqu’un d’autre que lui puisse reprendre les aventures. Et de fait, au-delà même d’imaginer ne serait-ce qu’un instant une tentative de continuer la série, les éditions Moulinsart sont hyper pointilleuse sur la moindre utilisation de l’image de Tintin, n’hésitant pas à poursuivre en justice les auteurs de parodie.
A l’inverse, un personnage comme Spirou, pour reprendre un héros que Franquin lui-même a repris à son créateur, continue d’avoir des aventures. Certaines sont très réussies, comme les récents one-shot Le journal d’un ingénu et Le groom vert-de-gris, d’autres le sont moins, comme certains des derniers albums parus dans la série principale. D’autres grands héros ont été repris de la sorte, avec plus ou moins de bonheur, que l’on pense par exemple à Lucky Luke ou Blake et Mortimer. Et puis, s’il y a des exemples de bonnes suites par d’autres auteurs, il y a aussi des exemples de créateurs originaux qui sabordent tous seuls leur oeuvre. Typiquement : n’aurait-il pas mieux fallu qu’Astérix soit repris par d’autres auteurs plutôt que de subir ce qu’en fait Uderzo depuis 10 ans?
Concernant Gastoon, on pourra rétorquer qu’il ne s’agit pas de la suite d’une série existante mais d’un “produit dérivé”, expression employée à dessein pour souligner l’intérêt commercial de la chose. Quelque chose dans la lignée de Kid Lucky pour Lucky Luke, de Gnomes de Troy pour Lanfeust ou, surtout, du Petit Spirou pour Spirou. Ce dernier mérite qu’on s’arrête justement sur son cas. C’est l’exemple parfait d’une série dérivée d’un univers existant et qui a su acquérir son identité propre, détachée du grand frère et qui est, pour les plus jeunes générations, probablement plus connue aujourd’hui que la série originale. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour Gastoon? D’autant qu’un certain nombre d’ingrédients sont réunis: le cadre de la maison d’édition récipiendaire de la mémoire de Franquin, une équipe d’auteurs reconnus (Yann et le père et fils Léturgie) et un terrain fertile pour de nombreux gags.
Le risque de la muséification
Je ne dis pas que Gastoon sera forcément une bonne BD, cela sera même peut-être une daube commerciale. Je dis juste qu’avant de monter sur ses grandes bulles, il faut lui laisser sa chance et la lire. Ce débat est toutefois intéressant car il illustre une tendance à rechercher la muséification de la bande-dessinée francophone. En partant du principe que c’était mieux avant, on se refuse justement à aller de l’avant.
Je peux comprendre les réflexions inconscientes qui doivent traverser certains auteurs et lecteurs. La BD a mis tellement de temps à acquérir ses lettres de noblesse – et encore pour beaucoup cela reste réservé aux enfants – qu’ils s’arquent-boutent sur les grands totems sacrés auxquels on ne pourrait plus toucher, pensant sans doute ainsi protéger et légitimer le neuvième art. Ils oublient alors que la BD est aussi, et doit rester, populaire et proche des enfants, et qu’une oeuvre comme Gastoon est sans doute le meilleur moyen de permettre à des gamins d’entrer dans l’univers du héros flemmard, comme le Petit Spirou l’est pour Spirou. C’est peut-être le meilleur moyen de préserver la mémoire de Gaston Lagaffe.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait du projet de couverture de Gastoon, DR.
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Pourquoi il ne faut pas attendre grand chose du film Lucky Luke
Autant le dire tout de suite : je n’ai pas vu le nouveau Lucky Luke et j’ai au moins une chance sur deux de me planter avec un titre pareil. Parce que Lucky Luke sera peut-être vraiment bien, parce que Jean Dujardin, parce que teasing péchu, belle affiche, tout ça, tout ça. N’empêche, si on regarde empiriquement les adaptations de bandes dessinées, a fortiori francophones, au cinéma, il y a de bonnes raisons d’avoir peur. De “Blueberry” à “Michel Vaillant” en passant par… “les Dalton”, justement, nombreux sont les films tirés de BD que l’on a bien vite oubliés. Peut-être pour mieux rouvrir les albums originaux. De fait, que la qualité soit là ou pas, la bande dessinée est depuis longtemps adaptée au cinéma. C’est le cas depuis longtemps, dès les années 1930 avec “Bécassine”, beaucoup dans les années 1960 avec par exemple “Tintin et le Mystère de la Toison d’Or” (encore un bon navet, d’ailleurs), mais depuis une décennie, le nombre d’adaptations s’est considérablement accru, qu’il s’agisse des comics américains ou des bandes dessinées européennes. Pourquoi fait-on autant de films tirés de bandes dessinées, surtout s’ils sont souvent mauvais ?
Par essence, et on ne le répètera jamais assez, la bande dessinée c’est traditionnellement de l’action, de l’aventure, des personnages hauts en couleurs et tout ce qui s’en suit. Autant d’ingrédients qu’exploite aussi le cinéma et qui permet donc des passerelles évidentes. Surtout, le cinéma et la bande dessinée sont deux arts de figuration narrative séquentielle. Leur mode de construction est très similaire et les correspondances sont nombreuses. Les deux sont circonscrits à un cadre, avec un notion de plan, de composition, de photographie (on parlera plutôt de couleur en BD, mais l’idée est la même). La proximité entre la bande dessinée est le cinéma tient d’ailleurs dans un seul objet : le storyboard. D’ailleurs on en a vu certains sortir en librairie au rayon BD. Yves Alion, rédacteur en chef du magazine “Storyboard”, dans un entretien à ActuaBD, nuançait à peine : “S’il s’approche de la bande dessinée, le storyboard ne s’y confond pas. Parce qu’il ne s’embarrasse pas de phylactères et qu’il admet une certaine discontinuité dans la narration. Et pourtant… “.
lire le billetPourquoi tant de salamalecs au procès Clearstream? Sarkozy l’a dit, ils sont coupables et en BD, les procès, ça va parfois beaucoup plus vite.
Ah le procès Clearstream! Un Président en exercice et un ancien Premier ministre face-à-face dans un duel à mort, une société luxembourgeoise sulfureuse et une bande de seconds couteaux présumés tous plus archétypiques les uns que les autres: des ingrédients parfaits pour tout amateur de bande dessinée. Tiens, d’ailleurs, à propos des possibles conjurés de l’affaire Clearstream, il m’amuse beaucoup de voir, dans tel éditorial ou tel commentaire, revenir l’expression de «Pieds Nickelés», en référence aux fameux filous dessinés au début du XXème siècle par Louis Forton. «L’affaire des affaires» en elle-même a d’ailleurs déjà été portée en planches par Denis Robert, Yan Lindingre et Laurent Astier, mais pas son procès.
Peut-être verra-t-on une suite consacrée au jugement. Car cela fait bien longtemps que le neuvième art s’intéresse aux tribunaux, aux robes des procureurs et aux effets de manche des avocats. Le procès est pourtant un espace clos si difficile à raconter. Bien sûr, au théâtre c’est très facile, car entre une scène et un tribunal, les analogies sont nombreuses. La bande dessinée, c’est avant tout le mouvement, les changements de lieu, l’action! Comment s’enferme-t-elle alors entre les quatre murs d’une salle d’audience?
Procès Papon et Touvier
A vrai dire, les dessinateurs squattent les bancs des tribunaux depuis longtemps: c’est même dans ces lieux que le dessin de presse a acquis historiquement ses lettres de noblesse. Puisqu’il est interdit de prendre des clichés ou de filmer les séances, les dessinateurs de presse sont encore très utilisés dans les salles d’audience pour retranscrire graphiquement les procès. Dans le sillon de cette tradition, la bande dessinée s’est fait, à de nombreuses reprises, témoignage historique ou reportage de grands procès.
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