En BD, Villepin serait pendu

Procès

Pourquoi tant de salamalecs au procès Clearstream? Sarkozy l’a dit, ils sont coupables et en BD, les procès, ça va parfois beaucoup plus vite.

Ah le procès Clearstream! Un Président en exercice et un ancien Premier ministre face-à-face dans un duel à mort, une société luxembourgeoise sulfureuse et une bande de seconds couteaux présumés tous plus archétypiques les uns que les autres: des ingrédients parfaits pour tout amateur de bande dessinée. Tiens, d’ailleurs, à propos des possibles conjurés de l’affaire Clearstream, il m’amuse beaucoup de voir, dans tel éditorial ou tel commentaire, revenir l’expression de «Pieds Nickelés», en référence aux fameux filous dessinés au début du XXème siècle par Louis Forton. «L’affaire des affaires» en elle-même a d’ailleurs déjà été portée en planches par Denis Robert, Yan Lindingre et Laurent Astier, mais pas son procès.

Peut-être verra-t-on une suite consacrée au jugement. Car cela fait bien longtemps que le neuvième art s’intéresse aux tribunaux, aux robes des procureurs et aux effets de manche des avocats. Le procès est pourtant un espace clos si difficile à raconter. Bien sûr, au théâtre c’est très facile, car entre une scène et un tribunal, les analogies sont nombreuses. La bande dessinée, c’est avant tout le mouvement, les changements de lieu, l’action! Comment s’enferme-t-elle alors entre les quatre murs d’une salle d’audience?

Procès Papon et Touvier

A vrai dire, les dessinateurs squattent les bancs des tribunaux depuis longtemps: c’est même dans ces lieux que le dessin de presse a acquis historiquement ses lettres de noblesse. Puisqu’il est interdit de prendre des clichés ou de filmer les séances, les dessinateurs de presse sont encore très utilisés dans les salles d’audience pour retranscrire graphiquement les procès. Dans le sillon de cette tradition, la bande dessinée s’est fait, à de nombreuses reprises, témoignage historique ou reportage de grands procès.

Dans les années 1990, Charlie Hebdo a publié deux albums consacrées aux procès Touvier et Papon. Si le procès de Klaus Barbie avait pu être filmé, ceux de l’ancien chef de la milice lyonnaise et de l’ancien préfet non. Les deux bandes dessinées de Riss permettent ainsi de garder malgré tout une trace vivante, picturale, de ces moments. Autre dessinateur officiant dans les colonnes de Charlie, Tignous a publié l’an dernier «Le Procès Colonna», une bande dessinée qui retranscrit, comme son nom l’indique, les audiences du berger de Cargèse condamné pour le meurtre du préfet Erignac. Au «scénario», un journaliste: Dominique Paganelli, fondateur des Cahiers du Football et ex-rédacteur en chef de l’émission Ripostes. Le souci du détail et la maîtrise graphique de l’ouvrage lui ont d’ailleurs valu de remporter le prix France Info de la bande dessinée d’actualité et de reportage.

Sfar et les caricatures de Mahomet

Quand un procès touche directement au monde du dessin, évidemment, il est retranscrit aussi en bande dessinée. C’est le cas du procès des caricatures de Mahomet, croqué par Joann Sfar, l’auteur du «Chat du Rabbin». Dans «Greffier», un de ses nombreux carnets, le dessinateur compile toutes les notes et croquis qu’il a réalisés le 7 et le 8 février 2007 pendant le procès. L’ouvrage, intéressant à plusieurs titres, est l’oeuvre d’un dessinateur clairement classé dans la catégorie des purs auteurs de bédé et non des dessinateurs de presse ou des caricaturistes.

Son oeuvre est très majoritairement dominée par la fiction, que l’on pense à la série des «Donjon» dont il est co-auteur avec Lewis Trondheim ou à «Klezmer». Aussi, le voir s’essayer à la chronique judiciaire est forcément un peu intrigant. C’est peut être justement parce que Sfar vient de la fiction que son compte-rendu de procès s’écarte des productions habituelles. Il ne prétend à aucune «objectivité» dans son carnet: il est du côté de Charlie, ne cache pas son admiration pour Philippe Val ou Richard Malka, l’avocat du journal, et nous fait partager ses propres réflexions sur l’affaire. Le procès prend d’autant plus de chair sous les pinceaux à aquarelle de l’auteur. On n’est pas encore dans la fiction, mais on n’est plus dans le récit strictement factuel.

La justice est aveugle, Daredevil aussi

Le tribunal peut justement être lieu de fiction, et nombreuses sont les séries à faire apparaître, à un moment, le temple de la justice comme toile de fond de leurs aventures. La bande dessinée américaine, notamment, en fait un lieu de prédilection. Mais il n’y a rien d’étonnant à cela: aux Etats-Unis, le monde judiciaire est déjà très présent au cinéma ou dans les séries télévisées, et les audiences peuvent être filmées (remember O. J. Simpson). Le tribunal, c’est par exemple un lieu souvent parcouru par les super-héros, que ce soient les justiciers (dé)masqués ou les super-vilains qui passent à la barre. Impossible ici de ne pas évoquer Daredevil, alias Matt Murdoch, brillant avocat à la ville. Comme la justice, Matt Murdoch/Daredevil est aveugle. Le personnage représente aussi les deux faces du concept de la justice: en tant que stricte émanation du droit des hommes lorsqu’il est avocat ou comme droit «naturel» la nuit, dans son costume rouge.

Dans cette tension entre justice légale et justice naturelle, Daredevil est un peu l’Antigone des comics américains. Plus joyeux, Donald Duck et les personnages de Disney dans leur ensemble, que j’aime beaucoup, sont des habitués des procès, une ficelle aisée pour lancer une histoire ou la terminer. Un comic complet est même consacrée aux rapports entre les tribunaux et les frères Rapetou (coupables, forcément coupables). Ces derniers, qui en ont marre d’être éternellement condamnés, apprennent en prison le livre des lois par coeur et découvrent toutes les failles juridiques qui n’ont jamais été abrogées. Mais on reste dans la littérature jeunesse et loin des exploits de nos fiscalistes spécialistes en niches fiscales, les frères Rapetou se contentent de manger des sandwiches et de voler des perruques poudrées.

Les BD francophones qui évoluent dans l’univers américain n’échappent pas à la récurrence du procès. La possibilité de se retrouver devant une cour martiale militaire est une menace récurrente dans les Tuniques Bleues. Les deux héros, Cornélius et Blutch y échappent parfois de peu grâce à la mansuétude du Général Alexander. Le juge est aussi un personnage souvent présents dans les aventures de Chick Bill. Longue barbe blanche, souvent râleur, il est l’un des symboles de la conquête de l’Ouest, avec le shérif, le cow boy, le blanchisseur chinois et le tenancier de bar. A tel point que Morris et Goscinny ont consacré un album entier de Lucky Luke à la gloire d’un des plus célèbres, le juge Roy Bean. «A l’Ouest du Pécos, je suis la loi» et il tient justice dans son saloon, condamnant pour un oui ou pour un non, même s’il ne sait pas lire. La phrase récurrente est «qu’on le pende». La justice est rapide et exécutive, comme l’aime Ségolène Royal. Notre cow-boy solitaire tentera bien lui opposer un autre juge, mais il sera encore plus cruel, nous rappelant que ce n’est jamais la loi qui rend les hommes bons.

Qui peut rendre la justice? Qui est légitime? Daredevil la nuit ou le juge alcoolique? Dans «XIII», cette question est une des trames du scénario. Même si le héros est le gentil et veut faire le bien/rétablir la vérité, il se retrouve rarement du côté de ceux qui détiennent la loi. Comment agir alors pour toujours s’assurer qu’il sera pardonné?

Dans le tome 12 de la série, le Jugement, le Général Carrington, ancien chef d’Etat-Major des armées, XIII et les autres, commettront l’impensable: kidnapper le président des Etats-Unis et le juger dans une base militaire abandonnée. Pour tenter de remplacer la loi défaillante. Dans les dernières pages de l’album, on se croirait vraiment au cinéma en train de regarder un bon film américain conspirationniste à gros budget. Walter Sheridan, le président, joue son rôle jusqu’au bout et la Mangouste, le tueur à gages, mérite sans conteste l’oscar du meilleur second rôle. Après cette épisode magistral, la série s’enlisera petit à petit.

Enfin, pour de la bande dessinée strictement française et consacrée aux tribunaux, on peut se tourner vers… Richard Malka. Il est en effet scénariste de deux séries qui ont pour cadre le monde judiciaire: “L’Ordre de Cicéron” et “Section Financière“. La première œuvre raconte l’affrontement historique de deux cabinets d’avocats imaginaires, Steiner et De Veyrac, dans une grande fresque familiale qui est un peu à la justice ce que sont les “Maîtres de l’Orge” à l’industrie de la bière. La seconde dresse le portrait d’une brigade financière qui s’attaque à la criminalité en col blanc internationale. Deux séries qui rencontrent une certain succès, servies par l’expertise de Malka en matière judiciaire. Alors peut-être qu’il trouvera matière dans le procès Clearstream à un album dans l’une ou l’autre de ses séries!

Laureline Karaboudjan

Image de une: DR, L’Ordre de Cicéron, dessin de Paul Gillon

2 commentaires pour “En BD, Villepin serait pendu”

  1. […] le cadre de ses chroniques thématiques sur son blog Des Bulles carrées (chez Slate.fr), Laureline Karaboudjan évoque cette semaine la bande dessinée judiciaire, ou en […]

  2. […] traite. A l’occasion du procès de… Dominique de Villepin, j’avais fait une chronique sur le monde de la justice en bande dessinée. J’y évoquais notamment Greffier, un carnet que Joann Sfar a réalisé sur le procès des […]

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