Le hentai sous surveillance

Hentai
La ville de Tokyo va interdire aux moins de 18 ans les mangas avec des scènes sexuelles jugées trop violentes. Un véritable tournant.

De la culotte aperçues sous la jupe plissée d’une innocente collégienne jusqu’à l’orgie la plus perverse impliquant, à tout hasard, une pieuvre (dans la grande tradition d’Hokusai), la bande-dessinée et les films d’animation japonais regorgent de représentation sexuelles. Parce qu’elles sont très variées, ces évocations rendent parfois assez difficile de distinguer une oeuvre “friponne”, d’un manga “osé” voire complètement pornographique (que l’on désigne sous le terme d’hentai, “perversion” en japonais). Et puis, comme l’explique Agnès Giard, auteur de L’imaginaire érotique au Japon, “dans tous les cas, c’est kawai, c’est-à-dire mignon. Les Japonais rendent tout mignon, même le hardcore”. Bref, dur de faire le tri…

C’est pourtant ce que la municipalité de Tokyo s’apprête à faire dès l’an prochain. Les élus de la capitale nippone ont adopté, le 15 décembre dernier, une réglementation limitant aux plus de 18 ans les mangas et animations où sont représentées des scènes de sexe jugées trop violentes. Le texte prévoit un meilleur contrôle de la vente et la location de mangas et d’animes où figurent notamment des incestes, des viols, des actes sexuels avec des enfants ou autres scènes jugées exagérément obscènes. Et, donc, la ville de Tokyo s’est arrogée la tâche de désigner quelles oeuvres seront interdites à la vente au jeune public.

Malgré les promesses de “tenir compte de la valeur artistique”, la décision a évidemment déclenché la fureur des éditeurs. En début de mois, dix des principales maisons d’édition nippones qui s’opposent à ces restrictions ont publié un communiqué commun menaçant de ne pas participer au salon annuel Tokyo Anime Fair, la vitrine de l’animation japonaise. Les dessinateurs se joignent également à la fronde, estimant qu’il en va de leur liberté d’expression.

Changement de mentalité

Le lecteur européen ne s’en rend peut-être pas compte, mais c’est un véritable coup de tonnerre au Japon. Si elles choquent au-delà des frontières de l’archipel, les scènes pédo-pornographiques (par exemple les Lolicon) sont non seulement acceptées mais protégées par la loi au Japon. La loi japonaise écarte ainsi les mangas et l’illustration en règle générale du champ des images pédophiles dont la diffusion est prohibée.

Dans son ouvrage, Agnès Giard explique que l’érotisme pré-pubère ou tout juste adolescent est une composante majeure de la culture japonaise. Elle cite ainsi Takashi Tanaka, un scénariste de jeux vidéos érotiques : “Les jeunes adultes veulent du sexe avec du romantisme, des histoires d’amour à l’école et des héroïnes mignonnes, à l’aspect enfantin, parce que cela les rassure de voir une jeune fille fragile, inachevée. Les Japonais ont d’ailleurs toujours aimé les jeunes filles inachevées”. Et note que le goût pour les femmes “en devenir” est très ancien au Japon. “En Japonais, le verbe « devenir » occupe la place royale dévolue au verbe « être » dans notre langue” remarque Alain Rocher dans son introduction à l’autobiographie de Dame Nijo (Splendeur et misères d’une favorite), que cite Agnès Giard. Le livre en question est consacré à Nijo, favorite de l’Empereur au XIIIème siècle alors qu’elle n’avait que 13 ans. Il l’appelait Agako, “mon enfant”, en témoignage de son affection, et cela ne choquait personne: à l’époque, on pouvait épouser une fille à 14 ans selon le mode de calcul japonais (12-13 ans selon notre mode de calcul occidental).

Dans ce panorama, Agnès Giard fait de l’écolière à jupe plissée la suite logique de cette tradition pour l’érotisme pré-pubère. Elle explique d’ailleurs qu’elle est née en avril 1984 avec une série de dessins animés grand public – Crime Lemon – dont le premier épisode – Be my baby – provoque un véritable scandale. Il faut dire que l’épisode raconte l’histoire d’un jeune et beau garçon qui tombe amoureux de sa sœur, une petite fille de 11 ans… “Les scènes d’inceste, très érotiques, suscitent à l’époque de vives protestations de la part des associations de parents, explique Agnès Giard dans son livre. Mais son succès propulse l’image de l’écolière en tête des fantasmes au Japon. Vêtue d’une jupe plissée bleue marine, d’un chemisier à col marin et de soquettes blanches montants jusqu’aux genoux, elle apparaît désormais dans une énorme majorité de productions érotiques qui mettent en scène son initiation à toute la gamme des pratiques sexuelles”.

Le fait que la première collectivité locale du pays prenne ainsi position pour freiner la diffusion de ces oeuvres est significatif d’un changement des mentalités. Comme souvent, c’est un faits-divers sordide qui a servi de déclencheur. Début 2005, Kaoru Kobayashi,coupable d’avoir kidnappé, violé et tué une fillette de 7 ans, justifie ses actes lors de son procès par l’influence d’un dessin animé pornographique qu’il a vu étant lycéen. La ministre Seiko Noda, membre du PLD, le parti de droite au pouvoir déclare alors: “Je crois que l’animation pornographique, bien qu’il s’agisse de fiction, est un problème que nous ne pouvons plus ignorer”. Dès lors, la guerre aux dessins est déclarée.

Laureline Karaboudjan

Illustration : Extrait d’un manga hentai, DR.

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En BD, Villepin serait pendu

Procès

Pourquoi tant de salamalecs au procès Clearstream? Sarkozy l’a dit, ils sont coupables et en BD, les procès, ça va parfois beaucoup plus vite.

Ah le procès Clearstream! Un Président en exercice et un ancien Premier ministre face-à-face dans un duel à mort, une société luxembourgeoise sulfureuse et une bande de seconds couteaux présumés tous plus archétypiques les uns que les autres: des ingrédients parfaits pour tout amateur de bande dessinée. Tiens, d’ailleurs, à propos des possibles conjurés de l’affaire Clearstream, il m’amuse beaucoup de voir, dans tel éditorial ou tel commentaire, revenir l’expression de «Pieds Nickelés», en référence aux fameux filous dessinés au début du XXème siècle par Louis Forton. «L’affaire des affaires» en elle-même a d’ailleurs déjà été portée en planches par Denis Robert, Yan Lindingre et Laurent Astier, mais pas son procès.

Peut-être verra-t-on une suite consacrée au jugement. Car cela fait bien longtemps que le neuvième art s’intéresse aux tribunaux, aux robes des procureurs et aux effets de manche des avocats. Le procès est pourtant un espace clos si difficile à raconter. Bien sûr, au théâtre c’est très facile, car entre une scène et un tribunal, les analogies sont nombreuses. La bande dessinée, c’est avant tout le mouvement, les changements de lieu, l’action! Comment s’enferme-t-elle alors entre les quatre murs d’une salle d’audience?

Procès Papon et Touvier

A vrai dire, les dessinateurs squattent les bancs des tribunaux depuis longtemps: c’est même dans ces lieux que le dessin de presse a acquis historiquement ses lettres de noblesse. Puisqu’il est interdit de prendre des clichés ou de filmer les séances, les dessinateurs de presse sont encore très utilisés dans les salles d’audience pour retranscrire graphiquement les procès. Dans le sillon de cette tradition, la bande dessinée s’est fait, à de nombreuses reprises, témoignage historique ou reportage de grands procès.

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