Jean Moebius Giraud est mort

Créateur de Blueberry, fondateur de Métal Hurlant et auteur génial de science-fiction, un  géant de la bande-dessinée s’est éteint. Hommage à chaud.

Sur la route de Coronado, j’ai suivi la piste pour arriver au Fort Navajo. Un aigle solitaire me surplombait, menaçant, annonçant sans aucun doute un tonnerre à l’ouest. On me surnommait l’homme à l’étoile d’argent, je n’étais qu’un cavalier perdu.
Et pourtant face à ce général tête jaune surgissant sur son cheval de fer, il aurait fallu être un homme au poing d’acier qui cesse d’être obsédé par une hypothétique piste des Sioux et une encore plus imaginaire mine de l’Allemand perdu.

Certes, je valais 500 000 dollars, j’avais tué le spectre aux balles d’or et Chihuahua Pearl était amoureuse de moi, complètement Arizona love. Mais j’avais peur. Que le Bandard fou me propose une ballade pour un cercueil un peu trop prolongé. Que ces hors-la-loi d’Angel Face, d’Arzach et de John Watercolor et sa redingote qui tue m’entraîne dans un cauchemar blanc. Avec, toujours, cette question: l’homme est-il bon?

Depuis ma jeunesse, on me nomme Blueberry le Yankee. Je ne suis pas un major fatal mais j’ai les yeux du chat, qui me permet de voir, au loin, descendant la Mississippi River, le cavalier bleu, ce tueur de monde au nez cassé.

A la recherche de l’Incal noir et de lumière au lac des émeraudes, j’ai dû prendre une déviation avec John Difool qui venait de faire une double évasion. Grâce à notre longue marche, nous étions devenus les maîtres du temps, libérés de la complainte de l’homme programme, prêts à lancer notre dernière carte contre la tribu fantôme. «Tous des magiciens !» hurlait alors à raison Lord Darcy, «c’est dans les yeux», ajoutait-il, mais ce n’était qu’un tireur solitaire, ce qui est en bas sur l’étoile pour le monde et les jardins d’Edena.

Dans cette galaxie qui songe, ce qui est en haut, au bout de la piste, tel le cristal majeur, est le désintégré réintégré. Sur l’île de la licorne, il marche les nuits de l’étoile, attendant The Long Tomorrow, prêt à l’emporter, lui, ce surfer d’argent, vers la citadelle aveugle, avec une escale sur Pharagonescia.

Profitant des vacances du Major, ce prince impensable, il doit séduire la déesse des quatre royaumes, sur ordre de Washington, nom de code: mission Sherman. Elle détient le secret d’Aurelys, essentiel pour prévenir le retour du Jouk. L’homme à la Nouvelle-Orléans lui a pourtant bien dit: attention, ce sont des terres aléatoires, les immortels de Shinkara rôdent ! Et le seigneur d’Onyx préférera offrir en sacrifice à l’alligator blanc la folle du Sacré-Coeur plutôt que de tomber dans ce piège de l’irrationnel. Et Stel, le bon roi, n’est plus là pour nous protéger des griffes d’ange. Il a été remplacé par l’homme de Ciguri, le mauvais roi, que tout le monde surnomme Little Nemo.

Certes, je suis devenu Mister Blueberry, mais je suis dans la merde jusqu’au cou ! Les colts, fantômes et zombies font peser une terrifiante ombre sur Tomstone. J’entends le tonnerre au sud, c’est Géronimo l’Apache, revenu fou de la Sorbonne, prêt à rendre la frontière sanglante, dans la nuit noire. Il n’y a plus de nouveau rêve, plus de Sra, plus de réparateurs, plus d’aventuriers du trou blanc, juste de la poussière – Dust ! –  à OK Corral et un chasseur qui déprime.

A l’intérieur de Moebius, nous sommes tous des Icare, version irlandaise ou pas, des arpenteurs recensant la faune de mars. Pendant ce temps-là, Zaza et Moeb aiment Cherbourg, peut-être est-ce le principal.

Jean «Moebius» Giraud est donc décédé. Dans mille galaxies et au fin fond de l’ouest américain, on pleure sa mort aujourd’hui. Je reviendrai sans doute en début de semaine prochaine plus longuement sur son oeuvre, je voulais juste, ici, à chaud, réagir sur sa mort avec un texte reprenant les titres de tous ses albums. J’espère qu’ils ont eu pour vous un effet madeleine de Proust, cela permet aussi de prendre conscience de la très grande production de cet auteur. Globalement, dans le déroulé de ce texte, j’ai respecté l’ordre de production de ses albums. Rien qu’avec les titres, on reconnaît les périodes plus Giraud que Moebius, et inversement.

Laureline Karaboudjan

llustration : dessin de Moebius extrait du livre d’illustrations Venise Céleste, DR.

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10 bonnes raisons d’arrêter de fumer

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Le porte-monnaie ou les poumons ne sont pas les arguments les plus évidents

Si vous fumez, la nouvelle n’a pas pu vous échapper. Le prix des paquets de cigarettes a augmenté d’encore 30 centimes d’euros, ce qui fait une hausse de 85% en dix ans. Les arguments habituels sont convoqués pour justifier cette nouvelle envolée des prix : traiter un problème de santé publique en dissuadant les fumeurs par le porte-monnaie et/ou renflouer les caisses de l’Etat qui en a bien besoin. Comme je suis une jeune fille (presque toujours) responsable, voilà dix exemples pour vous convaincre d’arrêter de fumer.

Donner un bon exemple à la jeunesse

(Lucky Luke)

C’est évidemment l’exemple le plus célèbre : le poor lonesome cowboy a remplacé, en 1983, son inséparable cigarette par un innocent brin d’herbe. Toux rauque? Explosion du prix du tabac à rouler? Pas du tout! Si Lucky Luke a perdu l’habitude de fumer, c’est qu’il s’est exporté aux Etats-Unis, adapté en dessins-animés. Tout comme il ne fallait pas montrer des Mexicains en train de dormir ou des Chinois tenir une blanchisserie par précaution anti-préjugés,  la clope du bec de Lucky a du être retirée pour préserver la brave jeunesse américaine. Du coup, par souci de cohérence, Morris a appliqué cette contrainte du Lucky de dessin-animé au Lucky de bande-dessinée. Dommage car, comme le confiait l’auteur à Cinergie.be, la cigarette ajoutait du cachet au cowboy: «Charles Dupuis, le directeur, m’avait recommandé de créer un héros sans défaut, sous prétexte que les enfants s’identifiaient à lui. Mais j’ai vite constaté qu’un tel personnage devient rapidement ennuyeux, c’est pourquoi j’ai fait fumer Lucky Luke, j’aimais le dessiner rouler ses cigarettes d’une seule main».

Eviter de se brûler la barbe (entre autres désagréments)

(Le capitaine Haddock)

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Parmi les grands fumeurs de la bande-dessinée, le capitaine Haddock est un incontournable. N’hésitant jamais à s’allumer une bonne pipe, il est aussi l’illustration parfaite des dangers du tabac. Que de fois où sa passion nicotinée lui a été dommageable. A la fin de l’Affaire Tournesol, par exemple. Après une aventure mouvementée en territoire bordure, le capitaine s’accorde une bouffée de tabac. Mais alors qu’il approche une allumette de sa pipe, le professeur Tournesol a une révélation : les micro-films de son invention convoitée par des espions Bordures mal-intentionnés doivent être détruits par le feu. Et le génial distrait de porter les micro-films à l’allumette du capitaine Haddock. PSCH! Le capitaine, tout colère, s’en tire avec une barbe brûlée. Rappelons aussi les mésaventures d’Archibald Haddock avec les cigares piégés de l’impossible Abdallah. Quand on vous dit que c’est dangereux de fumer des pétards…

Oublier la femme de sa vie

(Blueberry)

Les fumeurs le savent bien: le tabac peut agir comme une véritable madeleine de Proust et nous rappeler personnes et moments particuliers. C’est sûrement ce qui arrive à Blueberry quand il s’allume une clope. Comment ne pas repenser à la femme de sa vie, aux baisers orageux, puisque la belle Chihuahua Pearl est également une grande fumeuse. En couverture de l’album qui la fait apparaître dans la vie du lieutenant Blueberry, elle s’affiche cigarillo aux lèvres. Peut-être que s’il avait arrêté la cibiche, le beau-gosse de western aurait pu plus facilement faire son deuil de la showgirl. Du coup, j’ai envie de conseiller la même chose à Mattéo, le héros de Gibrat. S’il veut oublier la belle russe qui lui fait du gringue dans le deuxième tome de ses aventures (qui vient de sortir et qui est très bien), il devrait peut-être s’arrêter de fumer. Car, pour sûr, la nicotine lui rappellera trop les pipes de Léa.

Gibrat

Conserver un physique avenant

(Emily Flake)

Il n’y a pas que le cancer du poumon comme dommage physique que le tabac peut provoquer. Cheveux cassants, dents jaunies, ongles abîmés sont des maux qui arrivent beaucoup plus sûrement (et sont heureusement moins graves) qu’un cancer. Cet aspect pour le moins peu glamour de la cigarette est évoqué dans la bande-dessinée d’Emily Flake Elles ne vont pas se fumer toutes seules. L’auteur n’hésite pas à dessiner ses lèvres abîmées par la clope, ni ses poumons goudronnés d’ailleurs. Toujours au rayon des désagréments physiques, l’auteure évoque aussi la fameuse toux consécutive à une trop grosse consommation de cigarettes. Et de souligner que s’ils font semblant, tous les fumeurs connaissent ce “côté obscur de la romance“.

Ne pas se faire censurer par la RATP

(Zep)

Qu’on se le dise, la cigarette est mal vue dans les couloirs du métro parisien. Sfar en sait quelque chose, lui qui a vu l’affiche de son film Gainsbourg Vie Héroïque interdite par la RATP, la régie des transports parisiens. Même si l’auteur du Chat du Rabbin avait pris soin de ne pas mettre  de cigarette sur l’affiche, son héros avait l’outrecuidance d’y laisser s’échapper quelques volutes de sa bouche. Alors vous imaginez bien que quand Zep a fait fumer plusieurs personnages sur son affiche pour le festival d’Angoulême, ce n’est pas passé du tout. Du coup, le dessinateur de Titeuf a du retirer leur tabac à Mortimer, Blueberry, Gros Dégueulasse ou encore Lucky Luke.

Pouvoir faire du sport

(Monsieur Mégot)

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Autre grand fumeur de la bande dessinée, le bien nommé Monsieur Mégot, professeur de sport du Petit Spirou. C’est une publicité anti-tabac à lui tout seul. Hygiène douteuse, irascibilité et surtout physique ravagé sont intimement liés à la clope chez ce personnage au nom sans équivoque. On ne compte plus les cases où Monsieur Mégot, parce qu’une jolie fille passe aux alentours, se sent l’envie de réaliser une démonstration sportive et où il est rattrapé par ses poumons encrassés. Kof, kof, kof!

Ne pas intoxiquer le bébé

(Monsieur Jean)

Le héros de Dupuy et Berbérian, Monsieur Jean, est un sacré fumeur aussi. Comme beaucoup de monde, il saisit l’occasion d’une naissance pour arrêter de fumer, dans l’album Un certain équilibre. Pour éviter d’intoxiquer sa fille bébé, il laisse sa cigarette de côté. Mais évidemment, tout cela ne dure qu’un temps. Le jeune père se met assez rapidement en quête d’une nourrice, et l’une des candidates fume énormément. Mais comme il est sympa, Monsieur Jean fait pareil pour «la mettre à l’aise». Ah, l’hypocrisie de la nicotine…

Eviter de laisser traîner des indices

(Les espions bordures)

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On trouve une autre bonne raison d’arrêter de fumer dans l’Affaire Tournesol, du moins quand on est un espion bordure. Cela permet de ne pas laisser traîner d’indices partout. Au début de l’album, un triste sire en vareuse et chapeau gris s’enfuit du laboratoire du professeur Tournesol sans que Tintin ni Haddock ne parviennent à l’arrêter. Tout juste lui déchirent-ils une poche de manteau, d’où tombe une clé et… un paquet de cigarettes. C’est sur celui-ci qu’est inscrit le nom de l’hôtel de Genève où le professeur Tournesol à ses habitudes et où Tintin, fleurant le danger, se rend sans tarder. En Suisse à présent, chez le professeur Toppolino qui a été ligoté par  un inconnu, Tintin retrouve dans un cendrier des mégots de cigarette de la même marque (мацедониа) que le paquet de Moulinsart. C’est alors plus que le début d’une piste dans cet excellent album aux parfums de guerre froide.

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Parce qu’on n’est pas tous des super-héros

(Wolverine)

De nombreux super-héros fument, ou plutôt fumaient. Avant de subir les foudres des conventions américaines sur la prévention de la jeunesse des dangers du tabac, Nick Fury, le boss du SHIELD, ou J. Jonah Jameson, le patron du Daily Bugle, s’envoyaient souvent un bon cigare. On peut aussi citer le Comédien dans Watchmen, autre fumeur de havanes. Un bon article d’ActuaBD consacré au tabac dans la bande dessinée nous apprend qu’un seul super-héros Marvel a encore le droit de fumer aujoud’hui. Il s’agit de Wolverine, parce que, tenez vous bien, “son super-pouvoir autoguérissant le protège contre les maladies liées au tabagisme“. Fumeurs, vous savez ce qu’il vous reste à faire: arrêtez les patchs et courez voir le professeur Xavier!

Rester au sec

(Gaston Lagaffe)

Encore un grand héros de bande-dessinée qui a commencé fumeur avant de laisser la clope de côté. Gaston Lagaffe s’affichait sans vergogne la clope au bec dans les premiers albums. La cigarette venait renforcer son image de jeune “travailleur” nonchalant. Et puis, il a laissé de côté la vilaine cigarette pour devenir un ami des bêtes et de l’environnement. Il est même carrément devenu anti-tabac au point de devancer les mesures d’interdiction de fumer au bureau. Ainsi dans l’album numéro 17 qui compile toutes sortes de gag, il met au point un “système anti-tabac”. Il s’agit en fait de régler le détecteur de fumée des bureaux Dupuis en mode très sensible, ce qui a pour effet d’arroser tout fumeur parmi ses collègues. «Je sais, je sais, mais un jour vous direz: «Merci, cher Gaston Lagaffe! Rien qu’en modifiant le réglage du système anti-incendie, vous avez sauvé nos p’tits poumons des ravages de l’affreux tabac!», explique-t-il, hilare, à ses collègues en colère.

Laureline Karaboudjan

Illustration : Lucky Luke, DR.

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Top 50 : les meilleures BD des années 2000 (de 40 à 31).

Voici venu le deuxième volet de mon top 50 des meilleures BD de la décennie. On se rapproche doucement de la tête du peloton, avec les BD classées de la 40ème à la 31ème place, après celles de 50 à 41.

40. Les années Spoutnik, Bip bip (Baru) – 2002

Troisième opus de la tétralogie des années Spoutnik, Bip bip est sans conteste le plus drôle. Dans un bourg industriel, agité depuis déjà deux albums par des affrontements de gamins dignes de la Guerre des Boutons, le Spoutnik débarque. Du moins, la fête que le Parti (le seul, l’unique) organise pour célébrer le lancement du sattelite. Alors les enfants rangent leurs panoplies d’indiens et s’affairent pour construire une fusée tintinesque et faire plaisir au délégué venu spécialement de Moscou. Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes. Baru, si.

39. La grippe coloniale, Le retour d’Ulysse (Appollo, Serge Huo-Chao-Si) – Vents d’Ouest – 2004

Vous vous rappelez du Chikungunia qui a sévi dans l’île de la Réunion il y a quelques années? Et bien c’était une blague à côté de la grippe espagnole. Il n’y avait aucune raison que la maladie parvienne jusqu’aux pentes du Piton de la Fournaise, si ce n’est le retour au pays des soldats engagés dans la Première Guerre Mondiale en Europe. En l’occurrence celui de Grondin, Évariste, Camille et Voltaire, quatre amis vétérans et autant de classes sociales, de portraits et d’histoires. Une seule question: pourquoi il n’y a toujours pas de deuxième album?

38. Walking Dead, Days Gone Bye (Robert Kirkman, Tony Moore) – Image comics – 2003

Les vampires ont beau crâner au cinéma, en comics ce sont plutôt les zombies qui sont à la mode: la série Walking Dead est sans conteste un des cartons de la décennie. Pourtant, à première vue, rien de neuf sous le soleil. Un monde post-apocalyptique où errent une poignée de survivants, on l’a déjà lu dans Y The Last Man (autre excellente série qui aurait pu figurer dans ce top). Des hordes de zombies affamés de chair humaine, on connaît bien depuis les films de Romero. Un survivant qui se réveille d’un coma dans un hôpital vide, c’est 28 jours plus tard. Oui mais ça fonctionne quand même, justement parce que les meilleures recettes ont été réunies pour un cocktail sans failles. Et comme c’est mené tambour battant, on lit ça en haletant.

37. Palaces (Simon Hureau) – Ego comme X – 2003

Les carnets de voyage, c’est toujours un peu facile. On dessine des curiosités lointaines, sans forcément de talent, on se laisse aller à quelques réflexions à l’emporte-pièce sur l’exotisme et la richesse des différences, et hop, on remplit le contrat. Sauf que quand Simon Hureau va au Cambodge, il dessine principalement des hôtels abandonnés transformés par les Khmers rouges en lieux de détention, torture et exécution. Alors on lui pardonne quand il dessine un peu Angkor, et encore, sous un jour inquiétant, très différent des clichés habituels. Un album tout en nuances, qui met profondément mal à l’aise.

36. Klezmer, Conquête de l’Est (Johan Sfar) – Gallimard – 2005

Grands espaces, brigands qui assassinent et mettent le feu à des diligences, loi du plus fort, musique et tord-boyaux: ce n’est pas le Far West mais l’Est Lointain, celui des steppes ukrainiennes. Dans le froid, un groupe de musique klezmer se forme, comme se rassembleraient les sept mercenaires pour une ultime razzia. Il y a le jeune maestro juif peureux et le gros gitan qui raconte si bien les histoires, le fier pianiste et la sublime chanteuse. Et on les suit dans leur conquête de l’Est, à grands coups d’archet et de vocalises. Comme la vodka, les chansons en yiddish réchauffent le coeur. Les aquarelles de Sfar aussi.

35. Blueberry, Dust (Jean Giraud) – Dargaud – 2005

Il faut parfois rendre à César ce qui est à César, et à Blueberry son trésor mexicain. Là où Lucky Luke plonge à chaque épisode dans des abysses de médiocrité, Blueberry continue de me surprendre. Et son aspect, dans le cycle Mister Blueberry, de vieux crooner tendance western spaghetti, a tout pour séduire. Comme dans tous les films de Sergio Leone, la distribution autour de Blueberry est peuplée de personnages charismatiques, entre la belle Doree Malone, le psychopathe, les frères Earp ou Doc Hollyday. N’oublions pas de nous moquer des familles Clanton et McLaury. Et puis, si le courage vous en dit, allez marcher dans la forêt à la recherche de Géronimo. Là, face au vieux et sage guerrier, mettez-vous à genoux et inclinez-vous.

34. Lanfeust, La bête fabuleuse (Arleston-Tarquin) – Soleil – 2000

Oui Lanfeust et Soleil c’est commercial (bouh, caca). Oui, Lanfeust des Etoiles, c’est énervant. Mais la première saga sur le Monde de Troy reste dans les mémoires de très nombreux lecteurs. Le tome 8, magré sa couverture horrible, sonne la fin de l’aventure et celle d’une époque. Celle de l’âge d’or de Harry Potter, de Warhammer, du Seigneur des Anneaux en films, des geeks et geekettes qui n’étaient pas encore chics, vivaient cachés mais déjà heureux. Celle où l’on mélangeait tous les contes et les légendes possibles et où cela fonctionnait. Après, plus rien ne sera comme avant. Lanfeust ne sera plus puceau, Cixi continuera de nous énerver, Hébus sera à jamais le gros nounours rigolo de service. Mais, alors que les pétaures se sont cachés pour mourir, un monde a été créé avec ses Dieux, ses légendes, ses blagues vaseuses, ses pouvoirs magiques, ses trolls. Le combat est terminé. Enfin un peu de repos? Non car il faudra repartir ailleurs dans des aventures sans grand intérêt, sauf celui de remplir le compte en banque du club de rugby de Toulon, ce qui n’est déjà pas si mal.

33. Les petits ruisseaux (Pascal Rabaté) – Futuropolis – 2006

Quand je serai vieille, j’aimerais bien ressembler aux personnages de Rabaté dans Les Petits ruisseaux. J’irais à la pêche parce que je sais que c’est là que se niche la vraie vie. Je continuerais à chercher l’amour, en dépit de tout ce que la vie m’aura appris sur son compte. J’aurais encore des désirs charnels, que j’assouvirais très simplement. J’attendrais la mort le sourire aux lèvres, dans un petit village de province, sereinement. Je serais une jeune ridée, une vieille débridée, croquant dans la vie jusqu’au trognon.

32. La Brigade Chimérique, vol 1 (Serge Lehman, Fabrice Colin, Gess, Céline Bessonneau) – L’Atalante – 2009

Ne serait-ce que parce qu’elle est rare, l’initiative de faire du comic français est à saluer. Mais la Brigade Chimérique ne se réduit pas à une simple tentative croquer des super-héros à la sauce européenne. C’est une uchronie au scénario précis dans le Paris troublé de la fin des années 1930. Dans les rues de la capitale, le Nyctalope essaye de faire régner l’ordre mais se chiffonne tout le temps avec l’Institut du Radium, géré par la fille de Marie Curie, véritable fabrique à héros modifiés par la super-science. A Berlin, le Dr Mabuse  règne en maître, comptant sur Gog et la Phalange, ses alliés italien et espagnol, pour mener à bien son étrange projet de ville au coeur des Alpes autrichiennes: Metropolis. Les références culturelles abondent, sont entremêlées et pourtant tout est très cohérent. Je savais bien que la Deuxième Guerre Mondiale n’était qu’une affaire de super-héros!

31. Le Grimoire des Dieux (Serge Le Tendre, Régis Loisel, Mohamed Aouamri) – Dargaud – 2007

La quête de l’Oiseau du Temps est la plus grande série de fantasy des années 80. Je crois que si je ne m’étais pas appelée Laureline, cela aurait été Pelisse ou Mara, des noms des deux femmes fatales de cet univers. Puis, après le tome 4, plus rien jusqu’à début 98 et l’Ami Javin, début d’un nouveau cycle, qui raconte la jeunesse des héros. Il aura fallu 9 ans de plus pour avoir la suite, le Grimoire des Dieux. Malgré le temps très long entre les épisodes, le plaisir est là à chaque fois. L’histoire tient toujours, le dessin ne vieillit pas. Les personnages, incertains, en plein construction, hésitant parfois entre leur destin et une vie facile, sont attachants. J’attends avec impatience la suite, la piste du Rige, qui devrait faire écho à mon album préféré de la série, le tome 3 intitulé le Rige. En espérant qu’il arrive dans moins de dix ans.

Laureline Karaboudjan

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Poor lonesome cowboy

LuckyLuke

Pourquoi il ne faut pas attendre grand chose du film Lucky Luke

Bon, d’accord, j’ai au moins une chance sur deux de me planter avec un titre pareil. Parce que Lucky Luke sera peut-être vraiment bien, parce que Jean Dujardin, parce que teasing péchu, belle affiche, tout ça, tout ça. N’empêche, si on regarde empiriquement les adaptations de bandes dessinées, a fortiori francophones, au cinéma, il y a de bonnes raisons d’avoir peur. De “Blueberry” à “Michel Vaillant” en passant par… “les Dalton”, justement, nombreux sont les films tirés de BD que l’on a bien vite oubliés. Peut-être pour mieux rouvrir les albums originaux d’ailleurs. De fait, que la qualité soit là ou pas, la bande dessinée est depuis longtemps adaptée au cinéma. C’est le cas dès les années 1960, avec par exemple “Tintin et le Mystère de la Toison d’Or” (encore un bon navet, d’ailleurs), mais depuis une décennie, le nombre d’adaptations s’est considérablement accru, qu’il s’agisse des comics américains ou des bandes dessinées européennes. Pourquoi fait-on autant de films tirés de bandes dessinées, surtout s’ils sont souvent mauvais ?
Par essence, et on ne le répètera jamais assez, la bande dessinée c’est traditionnellement de l’action, de l’aventure, des personnages hauts en couleurs et tout ce qui s’en suit. Autant d’ingrédients qu’exploite aussi le cinéma et qui permet donc des passerelles évidentes. Surtout, le cinéma et la bande dessinée sont deux arts de figuration narrative séquentielle. Leur mode de construction est très similaire et les correspondances sont nombreuses. Les deux sont circonscrits à un cadre, avec un notion de plan, de composition, de photographie (on parlera plutôt de couleur en BD, mais l’idée est la même). La proximité entre la bande dessinée est le cinéma tient d’ailleurs dans un seul objet : le storyboard. D’ailleurs on en a vu certains sortir en librairie au rayon BD. Yves Alion, rédacteur en chef du magazine “Storyboard”, dans un entretien à ActuaBD, nuançait à peine : “S’il s’approche de la bande dessinée, le storyboard ne s’y confond pas. Parce qu’il ne s’embarrasse pas de phylactères et qu’il admet une certaine discontinuité dans la narration. Et pourtant… “.
L’association du cinéma et de la bande dessinée s’exprime dans ces auteurs/dessinateurs de BD qui décident un jour de se frotter de façon plus ou moin ponctuelle au cinéma. Moebius en bossant sur les décors du “Cinquième élément” reste dans un rôle encore assez proche de ses qualifications de dessinateur. Enki Bilal, un des auteurs de bandes dessinées les plus célèbres auprès du grand public, est également réalisateur de trois films (“Bunker Palace Hotel”, “Tykho Moon” et “Immortel, ad vitam”). Plus récemment, on a vu Riad Sattouf, l’auteur -entre autres- de la série des “Pascal Brutal”, réaliser “Les Beaux Gosses”, librement inspiré de son “Retour au collège”. Le résultat est d’ailleurs à la hauteur. Joann Sfar, un pote de Sattouf
Si on adapte des bandes dessinées en films, c’est aussi (surtout ?) pour des raisons purement mercantiles. Un film est un produit et comme tout produit, il est sujet au calcul coût/bénéfice escompté. Si la deuxième variable dépasse assez largement la première, il y a de fortes chances pour que le film se fasse. Et pour estimer cette deuxième variable, il est un indice assez pertinent en matière d’adaptations cinématographiques d’oeuvres littéraires : les ventes en librairie. Quand une BD fait un carton en librairie, c’est une garantie de succès d’exploitation sur d’autres supports, dont le cinéma. Pour prendre des exemples français, Persepolis -dont l’adaptation cinématographique est par ailleurs réussie- ne serait jamais sorti dans les salles obscures si la bande dessinée de Marjane Satrapi n’avait connu un fort succès en albums. Si le Chat du Rabbin de Joann Sfar est en train d’être porté à l’écran, c’est pour la même raison : TROUVER LE CHIFFRE d’albums de la série ont été vendus en France.
Comme la bande dessinée peut-être utilisée comme un storyboard, elle est facile à adapter. Trop facile, peut être. Certains films tirés de comics américains reprennent ainsi exactement les mêmes plans que dans les oeuvres originales. Il en va ainsi de la première scène de Watchmen ou de quasimment l’intégralité du film 300, dans lequel certaines compositions sont du coup empreintes d’une certaine platitude (car en restant collées à la bande dessinée, elles n’exploitent pas la profondeur de champ qu’offre l’image filmée). Le souci de la fidélité, de l’exactitude, existe pour contenter les fans de l’oeuvre originale. Or, non seulement on ne fait pas une adaptation de BD pour la seule niche des bédéphiles, mais en plus l’intérêt du film devient très relatif. Trop souvent on est en droit de se demander quel est la valeur ajoutée qu’apporte le cinéma par rapport à la BD, hormis de lui adjoindre une bande son.
Un autre problème majeur posé par l’adaptation en films de cases dessinées, c’est celui de l’interprétation. Il y a cette anecdote célèbre de l’enfant qui, un jour, s’est plaint à Hergé des adaptations de Tintin en film parce qu’il trouvait que le capitaine Haddock n’avait pas la bonne voix. Pas la voix que l’enfant s’était construite à la lecture des albums du reporter belge. Une des différences majeures entre le cinéma et la bande-dessinée, et qui vaut encore plus avec la littérature, c’est que le premier donne beaucoup plus à voir et à entendre à ses spectateurs que les seconds, qui font plus appel à leur imagination. Ne serait-ce que pour reconstituer mentalement, dans le cas de la BD, les cases manquantes entre les cases figurées sur le papier. Ou les voix des personnages. Ou leurs traits « réalistes » derrière les caricatures. Dans ce dernier cas, l’exemple d’Astérix est assez frappant. Vouloir faire jouer le petit gaulois à gros nez par un acteur n’est pas cette même caricature à gros nez, ça sonne forcémment faux. Ca n’est pas vraiment Astérix.
De ce point de vue, il y a un certain écart entre la qualité des adaptations en films et celles en dessins animés des bandes dessinées. Les deuxièmes sont évidement plus souvent réussies que les premières, car elles permettent d’éviter les écueils d’interprétation. Même si Jean Dujardin fait peut être un très bon Lucky Luke et Michael Youn un Billy the Kid correct. Enfin, mieux qu’en Iznogoud quoi…
Alors c’est quoi une bonne adaptation de bande dessinée au cinéma ? C’est ne pas hésiter à se détacher des planches et à se s’approprier le film pour en faire autre chose que de mettre en mouvements les images originales. C’est assumer son esthétique de réalisateur et de relire la bande dessinée à l’aune de celle-ci. Parfois ça marche (les deux Batman de Tim Burton), parfois ça ne marche pas (Blueberry de Jan Kounen), mais au moins il y a eu une tentative. C’est apporter son propre univers et essayer de le rendre compatible à la bande dessinée adaptée. Si l’Astérix d’Alain Chabat s’en sort mieux que les deux autres films, c’est parce que l’ex-Nul en a fait son propre film, avec ses références et son humour, quitte à reléguer les deux héros au second plan.
Il ne faut pas désespérer du marriage entre bande dessinée et cinéma. Comme le rappelait la défunte revue BANG dans son numéro 2, le lien entre les deux existe depuis toujours et « les relations entre BD et cinéma ne forment qu’un long va-et-vien, comme un aller-retour permanent, sans qu’il y ait une nette transposition de l’un à l’autre ». La BD doit autant au ciné que le ciné à la BD. Il n’y a qu’à voir, pour conclure avec Lucky Luke, la gallerie de portraits d’acteurs que recèlent les albums dessinés par Morris. Lee Van Clif en chasseur de primes, en est un exemple parmi tant d’autres. Aussi, pour le meilleur comme pour le pire, il faut se réjouir des ponts dressés entre cinéma et bande dessinée, car à l’intersection des deux, c’est l’imaginaire qui progresse.
Laureline Karaboudjan

Autant le dire tout de suite : je n’ai pas vu le nouveau Lucky Luke et j’ai au moins une chance sur deux de me planter avec un titre pareil. Parce que Lucky Luke sera peut-être vraiment bien, parce que Jean Dujardin, parce que teasing péchu, belle affiche, tout ça, tout ça. N’empêche, si on regarde empiriquement les adaptations de bandes dessinées, a fortiori francophones, au cinéma, il y a de bonnes raisons d’avoir peur. De “Blueberry” à “Michel Vaillant” en passant par… “les Dalton”, justement, nombreux sont les films tirés de BD que l’on a bien vite oubliés. Peut-être pour mieux rouvrir les albums originaux. De fait, que la qualité soit là ou pas, la bande dessinée est depuis longtemps adaptée au cinéma. C’est le cas depuis longtemps, dès les années 1930 avec “Bécassine”, beaucoup dans les années 1960 avec par exemple “Tintin et le Mystère de la Toison d’Or” (encore un bon navet, d’ailleurs), mais depuis une décennie, le nombre d’adaptations s’est considérablement accru, qu’il s’agisse des comics américains ou des bandes dessinées européennes. Pourquoi fait-on autant de films tirés de bandes dessinées, surtout s’ils sont souvent mauvais ?

Par essence, et on ne le répètera jamais assez, la bande dessinée c’est traditionnellement de l’action, de l’aventure, des personnages hauts en couleurs et tout ce qui s’en suit. Autant d’ingrédients qu’exploite aussi le cinéma et qui permet donc des passerelles évidentes. Surtout, le cinéma et la bande dessinée sont deux arts de figuration narrative séquentielle. Leur mode de construction est très similaire et les correspondances sont nombreuses. Les deux sont circonscrits à un cadre, avec un notion de plan, de composition, de photographie (on parlera plutôt de couleur en BD, mais l’idée est la même). La proximité entre la bande dessinée est le cinéma tient d’ailleurs dans un seul objet : le storyboard. D’ailleurs on en a vu certains sortir en librairie au rayon BD. Yves Alion, rédacteur en chef du magazine “Storyboard”, dans un entretien à ActuaBD, nuançait à peine : “S’il s’approche de la bande dessinée, le storyboard ne s’y confond pas. Parce qu’il ne s’embarrasse pas de phylactères et qu’il admet une certaine discontinuité dans la narration. Et pourtant… “.

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