Ringards les cow-boys? Détrompez-vous: ils reviennent en force dans la BD pour nous raconter notre société actuelle
Parmi le foisonnement de BD existantes, il est un genre que j’ai toujours apprécié: le western. Parce qu’entre Lucky Luke, les Tuniques Bleues, Chick Bill puis Blueberry, les séries classiques se déroulant dans l’ouest sauvage sont nombreuses. Elles sont donc une porte d’entrée dans le neuvième art assez évidente quand on est gamine.
Ces dernières années, j’ai pu apprécier le retour sous le soleil de nouvelles excellentes séries. Même si c’est un genre en apparence de série B, des auteurs réputés s’en emparent. Dernier exemple, la BD récemment parue de Trondheim et Mathieu Bonhomme, Texas Cowboys, au départ publiée en supplément gratuit accolé au Journal de Spirou. The best wild west stories published comme le vend la couverture. L’histoire reprend les codes du genre: un patelin sans foi ni loi, des braqueurs de banque, un vieil alcoolo, un jeune journaliste venu de Boston. Et ça marche ! Parce qu’il y a une manière de raconter qui, elle, est définitivement moderne et parce qu’il y a des personnages en plus qu’on ne voyait pas dans Pilote, comme cette joueuse de poker qui poignarde tous les hommes qu’elle rencontre.
Dans le même temps, le dernier tome de la série Lincoln est également dans les rayons. Si cet album se déroulant dans la torpeur de l’hiver est plutôt décevant, ça n’enlève rien à la qualité générale de cette série qui réussit à produire un comédie décalée à base d’alcool et de conflit permanent entre le bien et le mal.
(Gus, Blain)
Si on remonte un peu dans le temps, on trouve également Gus de Blain. “On ne dessine pas les westerns de la même façon avant et après Blain”, l’encense son pote Riad Sattouf, mais il n’a pas complètement tort. Avec son bandit romantique obsessionel, Blain a su apporter peut-être en premier dans le western tous les codes de la nouvelle bande-dessinée. Un rythme rapide, un véritable jeu sur les cases qui n’hésitent pas à supprimer les dialogues sur plusieurs pages et des bad-boys comme héros.
On retrouve à chaque fois l’influence du cinéma. Dans Texas Cowboys, on croit parfois entendre la musique de Sergio Leone dans certaines scènes silencieuses. Les auteurs de BD ont été nourris aux fils américains, ils ne s’en cachent pas et tant mieux. D’ailleurs, plus généralement, on voit nombre de grands auteurs se réapproprier des gens classés série B. Je pense par exemple à l’excellent Lorna de Brüno avec ses scènes toutes droit d’un Tarantino, où, en introduction, un bel homme sortant du désert rencontre une belle blonde devant sa caravane. Puis, il se transforme en monstre et la dévore. Normal.
(Lorna, Brüno)
Le western, genre d’aujourd’hui
(Lincoln, Jouvray and family)
Mais le retour en grâce du western ne tient pas qu’au plaisir simple de faire un album de série B. L’ouest sauvage est aussi une excellente métaphore de notre société actuelle. Perte de repère, individualisme, alcoolisme, dissolution des moeurs, intolérance, perte d’influence des institutions régaliennes, police, justice, on retrouve concentré en une ville toutes les peurs inconscientes qui touchent le quidam moyen en 2012. Dans Texas Cowboys, l’image caricaturale de l’Ouest vu par le rédacteur en chef d’un journal de lBoston peut faire penser à un producteur de Zone interdite envoyant une équipe de télévision en banlieue. Et la rebélion permanente de Lincoln contre Dieu et le Diable nous rappelle qu’il devient de plus en plus compliqué d’échapper à ses devoirs et à un certain politiquement correct à moins de s’enfoncer dans les bois pour vivre comme un ermite.
(Texas Cowboys, Mathieu Bonhomme, Lewis Trondheim)
La manière dont l’on dessine l’Ouest dépend des époques. Dans Chick Bill, dont le premier épisode paraît en 1954, l’Ouest est synonyme d’espoir, les gentils gagnent à la fin et même l’indien est sympa et apprend à lire. Un peu pareil dans Lucky Luke. Si les premiers albums sont assez violents (pas mal de gens meurent), par la suite notre cow-boy construit le chemin de fer, le télégraphe, un pont, aide des gens à coloniser des endroits inhabités, etc. Toutes ces étapes positives peuvent être vues comme une métaphore de la reconstruction de la Belgique et l’Europe. Le parti pris pour les indiens de Blueberry dans les années 70 correspond à une période favorable à la décolonasation, aux tiers-monde, aux droits des peuples opprimés.
Aujourd’hui, dans le western actuel, personne n’est vraiment gentil ou pas, il n’y a plus de morale et que ce soient Lincoln, Gus, Blueberry sur la fin ou notre jeune journaliste dans Texas Cowboys, les héros sont souvent des personnages un peu perdus. Alors que le western devait être une étape d’initiation vers un futur meilleur, actuellement, au bout de la piste, les héros se rendent compte qu’il n’y a pas de réponse. Il faut, du coup, recommander à boire.
Laureline Karaboudjan
Illustration de une, Texas Cowboys
L’une des toutes meilleures bd que j’ai récemment pu découvrir est un western : Ethan Ringler.
Formidable.
A ajouter à la liste. 🙂
Dans les années 50, chaque publication française ou belge pour la jeunesse devait avoir “son” western (comme “sa” série de SF, etc). Les films de John Ford étaient alors au faîte de leur popularité. Ces BD étaient donc généralement réalistes. C’était le temps de Jerry Spring, par Jijé.