Le privé félin revient après cinq ans d’absence. Cinq ans après que Katrina a frappé la Nouvelle Orléans aussi. Un retour avec et sans fanfares.
Enfin ! Blacksad, le chat noir au museau blanc, le détective privé cynique, amusé et désabusé, est revenu. Après cinq longues années d’attente. Car la série des espagnols Diaz Canales et Guarnido est clairement l’une des plus marquantes de la dernière décennie. Je l’avais d’ailleurs placée deuxième de mon Top 50 des meilleures BD des années 2000 – 2010, tant les trois premiers opus étaient graphiquement et scénaristiquement maîtrisés. Et, en ce qui concerne Blacksad, le succès commercial a même surpassé le succès critique. Alors, forcément, j’attendais avec impatience le quatrième tome de la série qui vient de sortir. Malheureusement, ma première impression de lecture est mi-figue, mi-raisin.
Après la côte Est dans les deux premiers albums, puis la Californie, Blacksad pose ses valises à la Nouvelle-Orléans. Quand on connaît l’importance du jazz dans la série, le choix n’est pas anodin et l’intrigue tourne évidemment autour de la musique. Un producteur vieillissant engage Blacksad pour retrouver la trace d’un de ses musiciens mythiques qui a disparu. L’occasion de passer en revue les clichés traditionnels sur la ville, depuis les cérémonies vaudou jusqu’au grand carnaval. Mais l’album évoque aussi la plus récente catastrophe de Katrina, évidemment en creux, puisque l’histoire est censée se dérouler dans les années 1950. La couverture est un très bon exemple: toute bleue, on y voit Blacksad en train de couler, inconscient, dans de l’eau. Couplée au titre L’enfer, le silence, la couverture fait forcémment penser, métaphoriquement, à Katrina. L’enfer, quand la tempête s’est abattue sur la ville et qu’elle l’a réduite, momentanément, au silence.
Réjouissant
L’enfer, le silence est un bon album de bande-dessinée. Ca se lit vite, ça se lit bien. J’ai pris grand plaisir à retrouver les personnages de la série. Blacksad n’a pas perdu son attitude ombrageuse et son petit sourire narquois qui se transforme une moue dubitative. A l’instar de Canardo, autre détective privé animalier à la peau sombre, Blacksad est un vrai caractère et c’est ce qui fait, comme tout bon personnage de polar, qu’on s’y attache. Le sidekick Weekly, la fouine fouineuse (il est journaliste), est un peu plus en retrait dans cet album, mais jouit de quelques scènes vraiment burlesques. Comme ce passage où, contre toute attente, il est dragué par une super-nana dans un bar et qu’il perçoit une conversation essentielle pour l’enquête. Après une grimace hilarante où il gémit un “Je dois m’en alleeeeer”, il file avertir Blacksad, la mort dans l’âme.
Plus généralement, Juanjo Guarnido réussit toujours aussi bien à rendre ses personnages très expressifs, un des piliers du succès de la série. Rarement personnages de BD zoomorphiques n’ont été aussi humains que sous le trait du dessinateur espagnol. Il faut croire que l’école Disney, ça a du bon. Tant qu’à distribuer les bons points, la mise en couleurs reste également une réussite. Le travail à l’aquarelle prend tout son sens sur certaines planches, comme lorsque Blacksad déjeune avec un des personnages de l’histoire sous un arbre. L’ombrage délicat dispensé par les feuilles de l’arbre est détaillé en autant de petites touches grisées qui viennent se poser sur la scène. Du travail d’orfèvre.
Les couleurs sont toujours le moyen pour Guarnido de rendre des ambiances particulières, et ce quatrième opus n’échappe pas à la règle. Certaines double-pages font penser à de véritables tableaux tant leur construction et la cohérence chromatique sont grandes. Cet album est orange quand on y évoque des cérémonies vaudou, vert quand on y traîne dans un bar interlope, gris quand on se bat dans des chambres miteuses… Le passage le plus marquant, de ce point de vue, est constitué des planches 36 et 37. Seule double page dépourvue de marge, on y voit Blacksad sombrer dans l’eau (l’image reprise en couverture), puis un délire visuel hallucinatoire composé d’animaux torturés puis une composition reprenant les personnages principaux de l’album, avant de s’arrêter sur l’un d’entre-eux, en plein shoot d’héroïne. Est-ce que Blacksad a vu tout cela, en train de sombrer inconscient dans les eaux du golfe de Louisianne, ou est-ce qu’il s’agit du camé de l’album? Le flou est très bien entretenu. D’un point de vue des couleurs, on opère un passage violent de pages à dominante de bleu à un espace où le rouge est roi. Cohérent, maîtrisé.
Décevant
Maintenant, tournons-nous vers le négatif. Comme je l’ai écrit, L’enfer, le silence est bon album de bande-dessinée. Ce n’est, malheureusement, pas un excellent album. Or avec Blacksad, on nous a habitué au très bon, à ce que chaque album devienne le meilleur de l’année, ce qui n’est pas du tout le cas ici.
Le scénario n’est pas très bien ficelé. Il y a toujours eu chez Blacksad une certaine légèreté. Les histoires se terminent parfois un chouïa vite, notamment le premier opus. Mais, là, on a l’impression que l’histoire se règle en trois pages sur la fin, sans que les lecteurs aient eu le temps de se faire leur propre opinion. Un bon polar n’est pas un polar où l’on découvre la solution à l’avance, mais au moins un scénario, où l’on “monte” au fil des pages. C’est à dire que l’on saisit l’ampleur des différentes ramifications et que l’on dénoue les différentes ficelles. Là, soit c’est très obscur, soit les ficelles sont vraiment grosses. Quand Blacksad est jeté à l’eau (attention spoiler, ne pas lire les prochaine lignes si vous ne voulez pas voir des moments clés de l’intrigue dévoilés) il est sauvé par un inconnu, sorti de nulle part, et qui disparaît à nouveau dans la pénombre. Un autre chat, son ange gardien. Les apparitions oniriques ne font pas partie de l’univers de cette bande-dessinée, cela tombe un peu comme un cheveu sur la soupe. Après, est-ce que c’est une première annonce, est-ce que l’on reverra cet ange gardien? Je ne sais pas. Cette scène également est sans doute la métaphore la plus évidente de Katrina. Blacksad est submergé par les eaux, tout comme la Nouvelle-Orléans l’a été au moment du cyclone. Et, alors que la ville n’a pas été sauvée, une apparition a secouru le chat. Si l’on pousse la métaphore plus loin, cela voudrait donc dire que la Nouvelle-Orléans n’aurait pas pu se sauver par elle-même ou l’Etat, mais par un choix divin. Dieu a envoyé un ange pour sauver Blacksad mais n’a pas voulu lever le petit doigt pour la ville du jazz. Mais c’est peut-être pousser loin l’interprétation.
Du côté des dialogues, la déception est parfois également au rendez-vous. Les répliques sont un peu plus faciles, parfois plates. Prenons un exemple:
«Je ne te demande pas de m’embaucher Carl. Tout ce que je veux, c’est que tu me laisses jouer cette nuit!»
«Seb. Je t’apprécie et personne ne t’admire plus que moi, mais la dernière fois, tu étais si défoncé que tu n’étais pas capable d’enchaîner deux notes…»
«Je vais bien maintenant! Je veux présenter ma dernière chanson… La meilleure que j’ai jamais composée»
Dans combien de films ou de livres avez-vous déjà entendu ou lu cette réplique? Pas très original… Les dialogues, parfois en mode automatique, ne permettent donc pas aux personnages de prendre de l’ampleur. Du coup, on ne s’attache pas. Hormis Blacksad et Weekly, les héros récurrents, les autres sont en dessous des précédents albums. Seul peut-être un hippopotame détective répond à nos attentes.
Quelques défauts dans le scénario donc, mais aussi dans les dessins, malgré mes compliments plus haut. Certaines cases paraissent avoir été réalisées à la va-vite. Guarnido semble avoir été légèrement dépassé par l’aspect coloré de la Nouvelle-Orléans. Et la série nous avait tellement habitué à la perfection que l’on reste un peu surpris devant les défauts de telle ou telle case, que l’on aurait pas remarqué si cela avait été dans une autre BD.
Le reproche a été fait à Treme, la nouvelle série de David Simon, le créateur de The Wire. Voulant tellement rendre hommage à la ville de la Nouvelle-Orléans, la série semble parfois passéiste, voire complaisante, dans les premiers épisodes, manquant de tous les rebondissements habituels. Comme si elle n’osait pas bousculer une ville qui a déjà tellement souffert, alors que The Wire n’épargnait pas du tout Baltimore. Je pense que l’on peut adresser le même reproche au dernier Blacksad, qui ne cache pas non plus sa volonté d’hommage. Ainsi, dans les remerciements, il est précisé: «Et finalement, puisse être ce livre un hommage à la ville magique de la Nouvelle-Orléans. Sa musique et son âme imprègnent chaque recoin de cette histoire».
L’enfer, le silence reste un bon album, peut-être juste que j’en attendais un peu trop. Si vous avez déjà les trois premiers, complétez votre collection. Si vous ne connaissez pas encore cette série, ruez-vous plutôt sur les précédents opus.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait de la couverture de L’enfer, le silence , DR
la suite…
Je partage cette impression mitigée, même si le dessin m’enchante toujours autant…
En page 9 (dernière case, en bas à droite), petit clin d’œil de la BD au roman avec l’apparition de Ignatius J. Reilly, l’anti-héros du roman de John Kennedy Toole, La conspiration des imbéciles, qui a pour cadre La Nouvelle-Orléans.
Assez d’accord avec cette critique, quoique je serai moins sévère. Le dessin est toujours aussi magnifique. Mais j’ai été surpris par le découpage de l’histoire, complètement éclatée en petites séquences sans continuité chronologique. A la réflexion, il s’agit peut-être pour Guarnido de refléter dans cette juxtaposition d’ambiances et de couleurs les confettis du carnaval et l’effervescence de la Nouvelle-Orléans.
La déception vient effectivement surtout du scénario et des personnages, trop peu approfondis pour beaucoup d’entre eux, alors que les tomes précédents étaient remplis de personnalités marquantes, même parmi les seconds couteaux. Mais il faut souligner aussi, à cet égard, que ce tome ne comporte pas de personnage féminin important, alors que c’était le cas des précédents.
Fondamentalement, l’ambiance festive et colorée de la Nouvelle-Orléans rend l’histoire moins âpre, moins lourde, moins poignante, que celles des précédents albums. D’autant que Blacksad n’y est pas impliqué sentimentalement, comme il l’était dans le premier et le troisième opus.
Bref, si ce tome est en retrait des précédents, c’est principalement du fait de son scénario… et c’est peut-être aussi pour ça qu’il a mis tant de temps à arriver.
Quant au “mystère de l’ange gardien”, la double page interne de la couverture, en toute fin d’album, en dévoile déjà beaucoup.
Pour l’instant, je n’ai lu que les trois premiers tomes, qui sont tous très bons (gros coup de cœur pour le second pour ma part).
Je serai peut être moins exigeant au vu de cette critique mitigée.
[…] nominés à ce genre de prix comme le Spirou de Trondheim, le Tome 4 de Blacksad (chroniqué ici) ou Chagall de Sfar. Perte de vitesse ou volonté délibérée de changement de la part du jury? Il […]
Rendez-vous le SAMEDI 15 JANVIER à 13H15 sur FRANCE 2 pour un aperçu de la Nouvelle-Orléans à travers le regard de ses musiciens.
http://www.dailymotion.com/video/xgj3jv_trombone-connection-glen-david-andrews-revert-peanuts_news
Bonjour, je me permets de vous contacter après avoir vu que vous parliez de la série Blacksad. J’appartiens à une asso de jeu de rôles grandeur nature et nous allons organiser une animation de type soirée enquête inspirée de cet univers le 2 juillet dans un club de jazz de Lyon. J’aurais voulu savoir si vous accepteriez d’en parler autour de vous.Pour en savoir plus, vous pouvez jeter un oeil sur neverlandgn.e-monsite.com. Merci beaucoup et à bientôt, je l’espère !
Audrey, organisatrice pour Neverland