Comment gérer une prise d’otages ?

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En bande-dessinée, on se fait prendre en otage encore plus souvent que dans le Sahel.

Depuis la semaine dernière, l’enlèvement de cinq Français au nord du Niger fait la une des journaux. Travaillant pour Satom ou Areva, deux compagnies françaises, ils sont gardés en otage par Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). En bande-dessinée, les prises d’otage sont monnaies courante. Heureusement, en BD, les prises d’otages finissent souvent bien. Petit manuel de la prise d’otage à travers quelques albums de ma bibliothèque.

  • Choisir sa victime

Évidemment, la plupart des malfaiteurs ne prennent pas en otage n’importe qui. Il faut que la personne soit le plus importante possible : un riche ou un politique ou un ami du héros que l’on veut piéger. La prise d’otage est l’un des ressorts de narration préférés de Van Hamme pour Largo Winch. Le milliardaire est souvent menacé voire capturé. Quand ce n’est pas lui, ce sont ses amis: le meilleur moyen pour l’énerver et le faire repartir sur les routes, comme dans l’album, Largo Winch et la Forteresse de Makiling. La situation est un peu particulière puisque la prise d’otage est «officielle», menée par le régime birman, tout comme le San Theodoros emprisonne La Castafiore dans Tintin et les Picaros.

A contrario, Largo Winch n’hésite pas non plus à menacer ses ennemis, comme dans Dutch Connection où il détourne un avion. Car en BD, la prise d’otages n’est pas forcément l’apanage des méchants. Dans le tome 12 de XIII, le Jugement, le général Carrington va ainsi emprisonner dans une base militaire secrète le président américain Walter Sheridan, qu’il accuse d’avoir formenté le complot qui a mené à l’assassinat de son propre frère et ancien président, William Sheridan. Prendre un otage le premier des Américains, même si c’est pour faire éclater la vérité, il faut oser!

  • Conserver son autorité

En BD, les prises d’otages sont prétexte à explorer les relations entre prisonnier et geôlier, souvent à des fins comiques. L’un des motifs les plus évidents, c’est l’inversion de la relation entre l’otage, censé avoir peur et être dominé, et son gardien, censé être dominant et inquiétant. Dans Astérix en Hispanie, le petit Pépé, le fils du chef Soupalognon y Crouton, ne se laisse pas du tout impressionner par ses kidnappeurs. Au contraire, il donne énormément de fil à retordre aux Romains chargés de l’emmener en Armorique. Colérique au possible et tout à fait déterminé dans ses actes, il menace de se suicider par auto-étouffement dès qu’on n’accède pas à ses demandes. Problème: ses gardiens ont pour mission de le conserver en vie puisqu’il sert de monnaie d’échange. Complètement irascible, Pépé n’hésite pas non plus à mordre ceux qui l’approchent ou à se débattre avec vigueur. C’est l’archétype du sale gosse, un otage particulièrement ingérable et donc très drôle.

Autre sale gosse légendaire pris en otage, qui a probablement inspiré Goscinny et Uderzo pour Pépé: l’Abdallah créé par Hergé. Dans Tintin au pays de l’Or Noir, le Docteur Müller enlève le fils de Mohammed Ben Kalish Ezab, l’émir du Khemmed. Mais le petit prince en babouches est infect et joue des tours pendables à son ravisseur. On s’en rend compte lorsque Tintin espionne le Docteur Müller, sortant tout juste de sa cache souterraine où il garde captif le jeune garçon. Le ravisseur éternue, et on comprend vite que c’est parce que cette “petite peste” d’Adallah a utilisé de la poudre à éternuer, que Müller a réussi à lui subtiliser en échange d’un paire de patins à roulettes. Visiblement agacé et sans grande prise sur la situation, le geôlier subit là encore la loi de son captif. C’est d’autant plus drôle que Pépé et Abdallah sont des enfants, en théorie plus vulnérables.

  • Affronter le syndrome de Stockholm

A l’inverse, les relations entre gardiens et prisonniers peuvent être cordiales. C’est le fameux syndrome de Stockholm. Le deuxième tome de la série Commando Colonial, intitulé Le loup gris de la Désolation, offre un bon exemple de ces liens ambigus qui peuvent surgir. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les deux agents alliés Antoine de Robillard et Maurice Rivière sont faits prisonniers en plein Océan Indien par un sous-marin allemand. Enfermés à fond de cale, les deux Français sont une monnaie d’échange utile pour le capitaine du sous-marin. Dans ce huis clos, l’un des deux va sympathiser avec le commandant allemand. Un peu comme dans la Grande Illusion, le chef-d’oeuvre de Jean Renoir. Antoine de Robillard parle la langue de Goethe, ce qui aide à se rapprocher de capitaine du sous-marin, alors que Maurice Rivière ne maîtrise aucunement l’Allemand. Mais ce n’est pas la seule explication au fait que Robillard fraternise quand Rivière bougonne, puisqu’on découvre que le capitaine parle français. Ce qui fait le rapprochement entre Robillard et l’allemand Lothar-Günther Buchheim, c’est une certaine proximité sociale. A l’inverse, si Rivière reste hermétique à tout sentiment amical, c’est qu’il s’ancre à des principes bien définis qui veulent qu’on ne fraternise pas avec un ennemi, surtout quand il porte un uniforme nazi. A mesure que l’amitié entre Buchheim et Robillard progresse, le resentiment de Rivière grandit…

Le syndrome de Stockholm, c’est encore mieux avec un peu de tension sexuelle. Dans le tome 2 de Pour l’empire, intitulé Les Femmes, récemment paru, de Merwan et Vivès, les légionnaires chargés de découvrir le nouveau monde doivent affronter une tribu matriarcale. Ces Amazones vivent comme des mantes religieuses, se faisant engrosser par des hommes avant de les tuer impitoyablement. Finalement, l’un des légionnaires capture l’une d’elle. Chat sauvage, elle fera tout pour s’échapper, alors que lui, clairement, la désire. Sans oublier les autres qui sont bien tentés de sortir leurs engins.

  • Opérer la libération

Quatre situations se présentent: ou les otages sont executés, ou les preneurs d’otages décident de les libérer, ou quelqu’un vient libérer les otages ou bien, enfin, ils se libèrent tous seuls. En BD, c’est généralement ces deux derniers cas qui retiennent l’attention des auteurs. Mais, évidemment, rien ne se passe simplement.

Ainsi dans Tintin au Pays de l’Or Noir, le jeune reporter parvient tant bien que mal jusqu’à la cellule où le petit Abdallah est gardé prisonnier. Mais au moment de partir, le bambin répond tout de go “Nan, j’retourne pas chez mon père… Moi je m’amuse ici, moi !… Et puis lâche moi, j’reste ici, na !” avant de claquer la porte au nez de Tintin. Quand il lui rouvre, c’est pour l’asperger d’eau, ce qui permet à un brigand que Tintin avait neutralisé de tenter de désarmer le héros. Puis Abdallah n’en fait qu’à sa tête et décide de jouer au train, ce qui permet au Docteur Müller de lui remettre la main dessus.

Dans l’album Outlaw des Tuniques Bleues, le caporal Blutch et le sergent Chesterfield sont retenus prisonniers par un bandit mexicain. Ce dernier leur donne une chance inestimable de s’échapper en leur demandant de faire fonctionner une Gatling qu’il a dérobée à l’armée américaine. Après avoir assommé un garde mais s’être faits repérés par un autre, les deux héros utilisent la mitrailleuse qu’ils ont réussi à réparer pour arroser à tout va. Malheureusement, l’engin s’enraye et ils sont repris. Finalement, c’est la cavalerie (qui arrive toujours un peu tard, mais qui vient tout de même) qui les libère.

La libération par ses propres moyens, sans aide de l’extérieur, reste tout de même très rare. Les compères du Commando Colonial attirent l’attention d’un hydravion anglais pour pouvoir se libérer tout comme dans Vol 714 pour Sidney, Tintin parvient à se libérer de ses liens grâce Milou. Sortir le héros de ce genre de mauvais pas est l’une des tâches classiques des sidekicks, de Robin à Idéfix.

La plupart s’en sortent toutefois et espérons que ce sera le cas pour les otages français dans la vraie vie. Je ne vois, en BD, qu’un seul cas d’otages malchancheux à répétion: Cindy, la poupée de Carole, la sœur de Kid Paddle. Elle est régulièrement capturée par ce dernier pour ses expériences avec ses amis. Malheureusement pour elle, elle finit souvent la tête coupée ou fondue après quelques dérapages…

Laureline Karaboudjan

Illustration : Extrait d’Astérix en Hispanie, DR.

Un commentaire pour “Comment gérer une prise d’otages ?”

  1. C’est marrant, je n’avais jamais fait le rapprochement entre Pepe et Abdallah. Pourtant, la ressemblance semble évidente maintenant.

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