Réussir son coup d’Etat latino-américain

AlcazarCastro(2)
Dites Amérique Latine et immédiatement tout un tas de clichés affluent: le football, les gros cigares, le carnaval, les transsexuels, le tango, Che Guevara… Mais à l’amateur de BD, un cliché résonne plus que d’autres: le coup d’Etat. L’actualité en Equateur, la tentative de la police et d’une partie de l’armée de renverser Rafael Correa, les gesticulations de Chavez et l’embarras des Etats-Unis ont furieusement un air de déjà-vu. Pas vraiment besoin de lire les articles. Dans les grandes lignes, cela se passe toujours de la même manière avec des acteurs connus, appréciés et attachants. En fait, il suffit de relire quelques BD (ou de jouer à Junta) pour tout comprendre à la géopolitique locale. Et pour réussir son propre putsch. Pour ce faire, je vous ai dressé une petite liste des ingrédients indispensables…

Un pouvoir illégitime

En France, on le sait bien, on ne fait pas une révolution juste pour le plaisir. Il faut que le pouvoir central ait poussé la populace à bout. En Amérique latine, il y a du soleil et malgré ce qu’en pense Aznavour, la misère n’en est pas moins pénible. Au contraire, soleil et Corona ont vite fait de transformer le pays en poudrière. L’envie vient rapidement de renverser les dictateurs qui passent dans de grosses voitures, le cigare aux lèvres. Le maître entre tous est l’infâme Tapioca, qui officie dans le San Theodoros et n’a de cesse d’échanger son pouvoir avec le général Alcazar. Ce dernier ressemble par certains traits à Fidel Castro. Les lecteurs pointilleux sur les dates argueront que l’ami Fidel n’avait que onze ans au moment de la parution de «L’Oreille Cassée» mais Hergé était visionnaire comme à son habitude, voilà tout (et plus sérieusement pour «Tintin et Les Picaros», le physique du général change, il s’amincit et se rapproche du Cubain). Tapioca peut évoquer Batista, que le Líder Máximo renversa en 1959. Même menton porté vers l’avant, même calvitie naissante. Bon, Mussolini aussi ressemble ça, mais ce n’est pas la question.

SpirouDictatChez Spirou, évoquons le Général Zantas (derrière lequel se cache l’immonde Zantafio, le cousin de Fantasio), qui fut, comme beaucoup d’autres dictateurs de bande-dessinée, un héros de la révolution avant d’être corrompu par l’exercice du pouvoir. Dans un autre genre, l’excellent Marée Noire, un épisode des aventures de Canardo, nous livre le personnage du dictateur Colibarès. Il représente un autre archétype du dictateur sud-américain: celui du vieux croulant qui fuit de partout à la manière d’Augusto Pinochet. Le dictateur est donc soit un jeune ambitieux ou un vieux despote prêt à tout pour mourir au pouvoir. Quoiqu’il en soit, il est sans scrupules.

La puissance extérieure

Les petits pays latino-américains ne laissent que très rarement indifférents les grandes puissances. Les Etats-Unis ont longtemps considéré l’Amérique latine comme leur chasse gardée et les auteurs de BD l’ont bien compris. Encore aujourd’hui, les manipulations américaines alimentent les fantasmes. Dans XIII, une bonne partie de la série est centrée sur les agissements de la NSA dans le petit pays du Costa Verde tant et si bien qu’à la fin on a parfois un peu de mal à voir qui l’Oncle Sam soutient vraiment. Mais on sait une chose: les Etats-Unis sont méchants. Alors bien sûr, parfois c’est pour sauver le monde. Ainsi, dans le tome 34 de Buck Danny, «L’Alerte Atomique», notre aviateur préféré est chargé d’infiltrer un groupe rebelle du petit Etat de Mantegua. Les rebelles menés par Diaz se sont emparés d’un missile atomique et comptent bien l’utiliser. Une sympathique disgression scénaristique de 1967 sur la crise des missiles de Cuba de 1962. Sauf que là, contrairement à l’histoire cubaine, Diaz ne parvient pas à renverser pas le gouvernement soutenu par les Etats-Unis d’Amérique.

CanardoDepuis l‘échec de la première construction du canal de Panama, la France regarde d’un air détaché, très ce-n’est-pas-moi-qui-était-à-Fachoda-mais-la-Belgique-si-si-je-vous-jure, ce qui se passe en Amérique latine. A ma connaissance, il n’y a que dans les aventures de Canardo où il y a des interactions entre l’Hexagone et une de ces petites républiques bananières. Dans Marée Noire, les rebelles prennent directement à partie le gouvernement français en expliquant que s’ils n’acceptent pas de libérer Colibarès, ils provoqueront une marée noire sur les côtes françaises. Au début de l’été, cela fait mauvais genre. Problème, notre vieux croulant de dictateur est un «ami de la France», comme l’explique un sosie de Charles Pasqua à notre président. A noter que c’est plus une histoire françafricaine, mais les auteurs français semblent rechigner à s’approprier sur un mode comique les relations entre la France et ses anciennes colonies. Détourner l’histoire en Amérique latine est un bon moyen de ne pas trop titiller les sensibilités de chacun.

Et puis, bien sûr, il y a la Bordurie. L’état balkanique inspire directement le régime tapioquiste, qui reprend l’emblème célèbre de la moustache de Plekszy-Glasz. De plus, la Bordurie soutient ouvertement le régime de Tapioca en dépêchant à ses côtés l’odieux colonel Sponsz, déjà aperçu dans «L’Affaire Tournesol». Dans la réalité les processus géopolitiques sont souvent bien plus compliqués: le Nicaragua soutient le Honduras dans sa guerre contre le Guatemala qui lui-même est soutenu par le Salvador… Bizarrement, ces jeux diplomatiques complexes sont assez peu évoqués en BD.

Des soutiens solides

En BD comme dans la vraie vie, pour réussir un coup d’Etat, il faut un certain nombre d’atouts dans sa manche. Evidemment, quand on a l’armée avec soi, ça marche toujours mieux (comme la prise de pouvoir par l’infâme Général Ortiz au Costa Verde). A défaut de l’armée régulière, il faut au moins s’assurer le soutien d’une bande de guérilleros prêts à en découdre. A ce titre, les Picaros sont la parfaite incarnation des combattants de la jungle. Leur problème, c’est qu’ils sont à mi-chemin entre les FARC et les Alcooliques Anonymes, depuis que la stratégie contre-révolutionnaire tapioquiste consiste à larguer des cargaisons de whisky dans la jungle. Dans la vraie vie, les techniques employées sont souvent plus violentes. Dans l’Oreille Cassée, le général Alcazar avait déjà pris le pouvoir à la tête d’une même troupe de guérilleros. La bande dessinée de 1937 nous offre d’ailleurs un bel éventail de figures typiques impliquées dans des coups d’Etat. On trouve ainsi une société secrète aux penchants terroristes, un marchand d’armes (directement inspiré de Basil Zaharoff) ou encore l’influence de compagnies pétrolières. Le tout dans une trame historique qui rappelle le conflit du Chaco, entre la Bolivie et le Paraguay, contemporain de l’oeuvre.

Un bon plan

Une fois que les conditions sont réunies, c’est le moment de faire le coup de feu et tant qu’à faire, autant avoir un bon plan. Le prix de l’originalité revient sans conteste aux Picaros, qui profitent du traditionnel carnaval de février pour se déguiser en Joyeux Turlurons et pénétrer ainsi en toute impunité dans Tapiocapolis. Il est intéressant de remarquer que, dans Tintin, la prise de pouvoir est aussi, à chaque fois, une affaire de timing. On peut ainsi faire un parallèle entre «L’Oreille Cassée», où Tintin est sauvé in extremis de la fusillade par la révolution d’Alcazar, et les Picaros, où ce sont les Dupondt qui échappent de peu au peloton d’exécution grace au coup d’Etat. Ils auront quand même le temps de prononcer une phrase historique.

L’étranger intrépide

XIIUne figure émerge pourtant parmi les autres, celle de l’étranger intrépide (qui, en BD, est très souvent le

héros). Tintin se retrouve ainsi directement impliqué dans les deux prises de pouvoir du général Alcazar, dans «L’Oreille Cassée» et «Les Picaros». Comme souvent, la première fois, ça tient un peu du hasard. Complètement ivre (ça ne lui arrive que trois fois dans toute l’œuvre hergéenne) au moment du coup d’Etat, Tintin déclare son adhésion au général Alcazar (et aux pommes de terre frites par la même occasion). Cela lui vaut d’être porté en triomphe par le peuple en armes, puis d’être nommé auprès du futur lider maximo du San Theodoros. Le jeune étranger qui devient figure emblématique d’une révolution, ça ne vous rappelle rien? Mais, pour sûr, le Hergé des années 30 n’aurait pas soupçonné le parallèle.

Quand Tintin revient faire le révolutionnaire au San Theodoros, c’est de manière beaucoup plus construite et active. C’est paradoxalement dans ce dernier album de la série qu’il fait sa vraie crise d’adolescence: au début de l’aventure, il fait de la mobylette et porte un pattes-d’eph. Et donc, en bon ado des années 70, profite de la première occasion pour aller faire la révolution en Amérique centrale. Il devient un allié objectif du général Alcazar dans sa prise de pouvoir, tout en veillant constamment à ce que la révolution se déroule sans effusion de sang.

Kelly Brian, El Cascador, XIII, appelez-le comme vous voulez, sombrera lui aussi dans les méandres de la révolution sudaméricaine. L’idéologie de Tintin, à part d’agir pour le bien est assez floue. Celle du révolutionnaire de Van Hamme est d’un plus grand romantisme, teinté de lutte anti-capitaliste et, sans doute aussi parfois, d’éxécutions arbitraires. Bien sûr, la plus grande motivation — au-delà de la démocratie — reste la femme. Dans une révolution qui se respecte, il y a toujours une belle femme. Canardo ne déroge pas à la règle, Kelly Brian non plus qui en viendra même à épouser la fille de la révolution, la belle Maria de Los Santos, futur présidente du Costa Verde. Elles sont brunes et idéalistes, évidemment. Quand les blondes (ici et ici), au contraire, incarnent souvent les intérêts supérieurs du capitalisme. Même un siècle plus tôt, le cow-boy Lincoln a rencontré dans le dernier tome de sa série une jeune révolutionnaire mexicaine au caractère bien trempé mais au minois si joli. Espérons que dans le prochain tome, il en tombe amoureux. Il est fort probable qu’ils s’aiment, que la révolte réussisse, qu’elle prenne le pouvoir, et que lui, toujours grognon, reprenne la route, cow-boy solitaire.

Laureline Karaboudjan

Un commentaire pour “Réussir son coup d’Etat latino-américain”

  1. […] Réussir son coup d’état sud-américain en BD. Rappelez-vous, l’été dernier, un coup d’état a secoué le Honduras. J’en ai profité pour élaborer une petite méthode du coup d’état parfait en Amérique Latine en me basant sur les innombrables bandes-dessinées qui mettent en scène de tels événements. […]

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