J’ai toujours rêvé d’être hôtesse de l’air

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L’actualité, terrible dernièrement, résonne parfois particulièrement aux oreilles de l’amateur de bandes dessinées. Les unes consacrées au «mystère du vol AF447» qui s’est abîmé entre Rio et Paris, rappellent immanquablement le tout aussi mystérieux «Vol 747 pour Sydney» de Tintin. Le jour même, partout, on a pu lire ou entendre que «le vol AF447 ne répondait plus». Comment, en restant chez Hergé, ne pas penser au fameux album de Jo, Zette et Joko «Le Manitoba ne répond plus», tout paquebot que soit le Manitoba? Et cette histoire d’avion qui “disparaît”, n’est-ce pas le funeste écho de «Mickey et le Triangle des Bermudes?» Il faut dire que les catastrophes aériennes ne manquent pas en bande dessinée.

Dans certains genres, c’est même un passage obligé. Il n’étonnera ainsi personne qu’on trouve des crashs aériens dans tout Buck Danny, la série d’aviation militaire de Dupuis, ou chez son pendant Dargaud, Tanguy et Laverdure. Forcément: on se mitraille et on s’envoie des missiles copieusement à plusieurs milliers de pieds du sol dans chacun des albums. Mais les histoires de pilotes n’ont pas l’apanage des tragédies du ciel. Dans la bande dessinée d’aventure en général, c’est aussi un développement scénaristique récurrent. Quand on mène la dangereuse vie de playboy-milliardaire de Largo Winch, on prend souvent des avions. Pourtant, ce n’est pas un avion dans lequel il se trouve qui explose dans le tome 6 de ses aventures, «Dutch Connection». Au contraire: après avoir pris connaissance d’un trafic de drogue au sein du groupe W qu’il dirige, Largo Winch arrive à la conclusion que la tête du cartel se trouve dans un avion, qu’il décide tout simplement de faire exploser. Jean Van Hamme, le scénariste de Largo Winch qui signe aussi XIII, où il faudra souvent tous les talents de pilote du Major Jones pour éviter la catastrophe, semble affectionner le crash aérien. Il en fait même le point de départ d’une Histoire sans héros. Dans cette oeuvre magistrale, qui rappelle «Sa Majesté des Mouches», les survivants du vol CORAIR CR 512 Brasilia-Panama, écrasé en pleine forêt amazonienne, ne peuvent compter que sur eux-mêmes dans l’attente d’hypothétiques secours.

Parce que «Lost» n’a rien inventé, citons aussi «Natacha hôtesse de l’air» où les avions de ligne sont les cadres principaux de ses aventures. Les voyages se passent rarement sans encombre, l’épisode le plus mémorable étant celui de l’île d’Outre-Monde. Un dément met le feu à l’avion du vol Bardaf au départ de Sydney, l’obligeant à amerrir. Heureusement, les passagers sont sain et saufs et se retrouvent sur une île déserte où, de Robinson Crusoé aux conquistadors espagnols en passant par les soldats japonais et King Kong, les références s’entremêlent.


Si elle peut constituer un bon début, la catastrophe aérienne est aussi un ressort dramatique classique pour une fin. La dernière page du comic américain, avec ses publications périodiques, est traditionnellement dévolue à un twist final destiné à entretenir le suspense jusqu’au mois suivant. Souvent, il s’agit de savoir si le héros a survécu au drame, sans que le lecteur ne soit vraiment dupe. Le flou qui peut entourer une catastrophe aérienne permet aussi des retcons (pour retroactive continuity), c’est-à-dire le changement de faits établis dans de précédents opus d’une série, fréquents dans les comics. L’un des plus célèbres implique justement un accident d’avion. Plus ou moins abandonné depuis la fin des années 1940, le personnage du mythique Captain America revient à la vie dans le quatrième numéro des Vengeurs de mars 1964. Les lecteurs l’avaient quitté essayant de désamorcer, avec son coéquipier Bucky, un avion sans pilote bourré d’explosifs aux derniers jours de la Seconde Guerre Mondiale. L’avion finit par exploser et les deux héros semblent périr. Il suffira pourtant à Stan Lee, le scénariste, d’expliquer que, tombé dans l’Atlantique Nord, Steve Rogers (le vrai nom du Captain) a en fait passé plusieurs décennies congelé dans un bloc de glace avant d’être trouvé par les Vengeurs et réanimé. On apprendra encore plus tard, en 2005, que Bucky a lui été retrouvé par un sous-marin soviétique et transformé progressivement en un tueur cybernétique au service du KGB.

De fait, il est très rare que les héros de bande dessinée, ou leurs proches, ou même leurs pires ennemis, périssent dans un accident d’avion. C’est peut être ce que s’est dit Tintin avant d’entreprendre des recherches désespérées, et pourtant couronnées du succès, en vue de trouver Tchang après le crash de son avion au Tibet. Le reporter est d’ailleurs le spécialiste pour se sortir des situations aériennes les plus périlleuses. Dans le «Sceptre d’Ottokar», il atterrit dans une botte de foin après que son parachute a refusé de s’ouvrir dans le ciel syldave. Dans «Les Cigares du Pharaon», il survit à un crash en pleine forêt indienne. Dans «Le Crabe aux Pinces d’Or», c’est dans le désert qu’il s’écrase, ressortant bien vivant de l’appareil. Dans «L’Etoile Mystérieuse», il va sauver en plein vol Milou, perdu sur une aile d’hydravion. Il y a toutefois une évolution dans l’oeuvre d’Hergé. Si dans les premiers albums, Tintin se sort de situations complètement rocambolesques en plein vol, les conséquences de ses péripéties aériennes se font plus réalistes avec le temps. Dans «Coke en Stock», son Boeing atterrit de justesse en plein désert. Même scénario dans «Vol 714», où l’atterrissage de l’avion du milliardaire Carreidas est loin d’être serein. Jusqu’au crash du Tibet, donc, qui ne laisse qu’un seul survivant.

Laureline Karaboudjan

Illustration Natacha, Walthéry / natacha-comics.com

Un commentaire pour “J’ai toujours rêvé d’être hôtesse de l’air”

  1. […] Les vacances chez les grands-parents, c’était bien à 13 ans et vous n’êtes pas du genre à vous la jouer farniente sur la plage dans le Sud: ce n’est pas assez bien pour vous. Vous aimeriez bien partir loin, dans un pays exotique, ne serait-ce que pour les histoires –le «je suis allé à Katmandou et j’ai été pris dans une manif’ d’étudiants maoïstes» marche toujours très bien en soirée au retour– mais ce n’est plus dans votre budget. Surtout avec l’euro qui n’en finit pas de baisser. En plus, en ce moment, les avions n’arrêtent pas de s’écraser alors… […]

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