«Viva la Libertà!»: (pas) la belle époque

Roberto Andò nous livre un film sur la politique italienne à l’image de l’Italie d’aujourd’hui: stagnante. Malheureusement.

viva-libertaToni Servillo dans Viva la liberta : Enrico ou Giovanni?

Viva la Libertà! de Roberto Andò avec Toni Servillo, Valerio Mastandrea, Valeria Bruni Tedeschi | Durée: 1h34

Il s’appelle Enrico Oliveri, on trouverait sans mal le nom de ceux qu’il représente à l’écran: tous ces dirigeants de centre-gauche italiens qui, avec des réussites diverses liées surtout à des arrangements ou à des concours de circonstances, ont incarné l’opposition politicienne à Berlusconi. Il n’est pas vieux, Enrico Oliveri, mais il est fatigué. Et puis, il est lié par des alliances, des promesses, la routine du parti, celle des médias, marqué par le passé et le manque d’idée sur l’avenir. Mais les élections approchent. Un jour qu’il monte à une tribune, une de plus, il se retrouve incapable de rien dire. Dans le public, une femme l’insulte, lui crie qu’il est le fossoyeur de tous les espoirs d’un monde moins pire. La nuit suivante, toujours sans rien dire à personne, il plie bagage et quitte Rome pour se réfugier à Paris, chez une ancienne amoureuse. Panique au QG du parti.

Seulement voilà qu’Enrico avait un double, un vrai jumeau, Giovanni. Giovanni n’est ni fatigué, ni triste, ni muet. Il est fou. C’est un philosophe qui vient tout juste de sortir de l’asile. Et que croyez-vous qu’il advint? Les apparatchiks remplacèrent l’absent par son double, et celui-ci, réjouissant mélange d’irrévérence farfelue et de vraie sagesse indifférente à la raison des puissants, souleva l’enthousiasme des foules, redonna espoir au peuple, rouvrit les portes de l’avenir.

C’est une fable, n’est-ce pas.

Une fable qui se veut progressiste sur le plan politique, et qui entend renouer avec une certaine veine du cinéma politique italien. Cette fable, Roberto Andò l’a d’abord écrite, sous forme d’un roman, Il trono vuoto (Le Trône vide) devenu un bestseller. Il l’adapte au cinéma en s’appuyant sur le jeu hyper efficace de Toni Servillo, qui s’en donne à cœur joie dans le double rôle d’Enrico qui fait la gueule et Giovanni qui rit. (…)

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Cannes, jour 12: questions après le palmarès

Nanni Moretti a-t-il favorisé les films distribués par la société qui distribue également ses propres réalisations en France?

Le soupçon s’est répandu comme trainée de poudre: Nanni Moretti, président du jury du 65e festival de Cannes, aurait favorisé les films distribués par la société qui distribue également ses propres réalisations en France, Le Pacte.

Cinq des sept récompenses attribuées par le jury de la compétition officielle des longs métrages vont en effet à des films distribués en France, et donc présentés à Cannes, par cette société: le Grand Prix du Jury à Reality de Matteo Garrone, le Prix de la mise en scène à Post Tenebra Lux de Carlos Reygadas, le Prix de la meilleure actrice partagé entre les deux interprètes de Au-delà des collines de Cristian Mungiu, le Prix du scénario attribué au même Cristian Mungiu, le Prix du jury décerné à La Part des anges de Ken Loach.

Rien ne permet d’affirmer pour autant qu’il y a eu une magouille. Personnellement j’ai même l’intime conviction du contraire. S’il faut pourtant prêter attention à ce phénomène, c’est qu’il traduit en l’exagérant un phénomène bien réel, celui de la concentration entre les mains d’un petit nombre de sociétés.

Au reproche récurrent de sélectionner trop souvent les mêmes réalisateurs, reproche auquel s’ajoute cette année celui de primer aussi toujours les mêmes (les cinq cinéastes récompensés ont déjà été lauréats à Cannes, Haneke, Mungiu et Loach ont déjà eu une Palme d’or, Reygadas et Garrone avaient déjà reçu le même prix que celui qui leur a été décerné le 27 mai au soir), s’ajoute le sentiment de la prévalence de quelques sociétés, détentrices des films les plus volontiers choisis par les sélectionneurs.

On peut s’épargner ici les théories du complot et les accusations sans preuve de connivences illicites, pour prendre acte du phénomène dans son caractère objectif. Il s’agit en effet d’un risque pour le Festival lui-même, c’est-à-dire pour le cinéma.

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Cannes jour 11: un palmarès de vieillards

Inégal, ayant suscité des agacements parfois injustes ou exagérés, mais riche aussi de véritables découvertes, le 65e Festival de Cannes s’est terminé avec un palmarès déprimant. On a dit ici qu’Amour, le film de Michael Haneke, ne manque pas de qualités, cela ne change rien à l’impression de parti pris académique qui émane d’une liste de récompenses caractérisée également par son incohérence. De même le brave Ken Loach avec son gentil La Part des Anges n’a-t-il rien à faire là, ni peut-être même en sélection, quand bien même on aura plaisir à voir le film à sa sortie. Carlos Reygadas mérite, lui, un prix de la mise en scène (pour Post Tenebras Lux) mais celui-ci est inaudible dans un tel contexte, quand tous les autres films récompensées, à l’exception d’Au-delà des collines de Cristian Mungiu, patauge dans les conventions d’un cinéma blanchi sous le harnais.

C’est un triste signal qui est envoyé par ce palmarès, celui d’un conformisme vieillot qui tend à accréditer davantage une idée déjà répandue, et en partie injuste, selon laquelle le premier Festival du monde serait aussi le lieu de re-consécration en boucle des mêmes vieilles gloires.  Moretti (Moretti! aiuto!) et ses complices ont rendu un bien mauvais service à Cannes, et au cinéma, en ne laissant filtrer aucun rayon de nouveauté, aucun souffle de vivacité ni d’originalité à l’heure de la distribution des prix.

Un goût amer

Moi qui écris cela, je vais à Cannes depuis exactement 30 ans. Autant dire que j’en ai vu d’autres, question palmarès qui énervent et qui attristent. Si celui-ci laisse un goût particulièrement amer, c’est qu’il existait de multiples possibilités au sein de cette sélection de saluer des idées neuves de cinéma. Et que le jury n’en a saisi aucune. Etant bien entendu qu’il ne s’agit évidemment pas d’un problème d’âge, au sens de l’état civil des réalisateurs, mais de conformisme et de fatigue artistique.

Parmi les 22 films de la compétition, on a déjà clairement revendiqué la prééminence qui aurait dû être accordée à deux grands films signés de deux grands auteurs modernes, Leos Carax pour Holy Motors et David Cronenberg pour Cosmopolis. Pour Carax, les jurés avaient en outre l’opportunité de rendre sa place légitime à un grand artiste après plus de 10 ans de bannissement. Et même si la beauté du film parle pour elle-même, c’est une véritable occasion manquée, un total manque de panache. Mais outre ces deux-là…

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La tangente papale

On le connaît depuis… Je veux dire on le reconnaît depuis, allez, 45 ans et plus : Le Mépris, Jean-Luc Godard, Brigitte Bardot… Il n’a pas tellement changé, Michel Piccoli, il a pris de l’âge bien sûr mais avec lui, c’est ce qui demeure qui compte surtout. Et c’est pour cela qu’on est si frappé lorsqu’on le distingue, cardinal tout de rouge vêtu parmi une horde de cardinaux. Parce que le voilà, pour une fois, en costume, un costume qui ne lui va pas, justement parce qu’il s’impose, insiste, définit, circonscrit. Voilà qu’il a l’air déguisé, lui qui semblait ne jamais l’être. Et ce sera encore pire lorsqu’à l’issue d’une hilarante et très précise reconstitution d’élection papale, c’est lui qui a la surprise générale, surtout la sienne, est élu pape pour succéder à Jean Paul II. C’est-à-dire quand l’ami Michel endosse les attributs ultracodés du saint Père. Frisson où se mêle grotesque et tristesse.

HABEMUS PAPAM de Nanni Moretti – Bande annonce -…

C’est évidemment burlesque, un conclave avec tous ces vieux messieurs compassés vêtus de grandes robes rouges qui votent en silence tandis que se trament en sourdine complots et manœuvres, c’est burlesque et effrayant. Moretti le filme donc comme c’est, sans se moquer ni en rajouter. Jamais, de tout son film, il ne se moquera – sauf, un peu, de son propre personnage, celui du psychanalyste convoqué et bientôt séquestré  au Vatican, pour essayer de débloquer ce Pape appelé à régner, et qui ne veut pas.

Araignée ? Pourquoi pas libellule ou papillon?, comme dit la vieille blague qui trouve là une étrange illustration, bien qu’elle ne puisse exister en italien ni aucune autre langue. Car le cardinal Piccoli ne veut pas, mais pas du tout devenir le pape Piccoli. En fait il est clair qu’il ne voulait pas, ou plus, être cardinal non plus. En un mot comme en cent, ça le déprime – pas au sens superficiel mais à celui de dépression, dans toute sa gravité.

Il refuse d’apparaître au balcon de Saint Pierre. Urbi, orbi et in media, la foule des fidèles s’interroge sur l’identité du souverain pontife,  c’est le souk, la curie s’arrache les calottes et se cherche des crosses, avant d’aller chercher, donc, le  «meilleur des psychanalystes», Nanni lui-même.

SSMP (Sa Sainteté Michel Piccoli) se retrouve devant une autre psy, à qui elle dit la vérité. Quand elle lui demande son métier, il répond: acteur. Dès lors, la scène est en place, la cité côté jardin et la Curie côté cour, SSMP peut prendre la poudre d’escampette et papillonner dans une Rome où nul ne le connaît, où il croisera une troupe d’acteurs qui répètent Tchekhov – lui aussi connaît La Mouette par cœur.

Le spectacle, les apparences, les croyances, la fabrication d’un substitut du Pape pour abuser les cardinaux sur la gravité de la situation, l’invention par le psy d’une coupe du monde de volley entre représentants épiscopaux des cinq continents, les vertiges de la croyance, croyance et adhésion pas plus (ni moins) légitime dans le sport que la science ou la religion ou la politique. Mais ne comptez pas plus sur Nanni Moretti pour une sage dénonciation en trois points des vilénies de l’illusion face aux vertus du «réel» (sic) que pour un pamphlet anticlérical.

Ce qui est en jeu ici, avec une joyeuse virtuosité au-dessus des abimes, c’est l’angoisse d’agir, le trouble qui creuse de l’intérieur, dans ce monde saturé de représentations, de sommations à paraître et à comparaitre, d’habillages, celui qui sous l’effet d’un choc inattendu soudain ne se sent relever d’aucune définition. On songe au personnage que jouait Moretti dans Palombella Rossa, quand il giflait la journaliste avide de définition et trend explicatif. Mais Moretti ne gifle plus personne, il sait bien que ça ne sert à rien, et se défie des défoulements.

Dans Habemus papam, le fait que la place assignée soit un des titres les plus élevés que connaissent l’humanité ne sert qu’à renforcer et à dramatiser un processus qui concerne chacun. Puisque Habemus papam n’est évidemment pas un film sur le Pape, ou sur l’Eglise, ou sur la religion. Ce n’est même pas, ou pas principalement un film sur le spectacle ou le métier de cinéaste. C’est un film avec les humains, et leur difficulté de l’être, humain.

Deux figures littéraires habitent ce film étincelant de drôlerie, mais hanté d’une très sombre et profonde mélancolie. La figure de Tchekhov bien sûr, dans le théâtre duquel finiront par entrer cardinaux et religieuses, en une cauchemardesque procession de fantômes droit sortis d’un film de morts-vivants (les bons films, ceux de Romero, où il y a malgré tout de la tendresse pour ces pauvres cadavres en souffrance).

Mais surtout la figure de Bartleby, le personnage du roman de Herman Melville qui «would prefer not to», qui «préfèrerait ne pas». Figure décisive et infiniment troublante du personnage de fiction qui se dérobe à l’impératif de l’action, être mythologique qui passionna Deleuze et Agamben en ce que, avec son impavide «j’aimerais mieux pas», il porte la critique passive mais efficace de toute une morale omniprésente qui a façonné nos sociétés depuis des siècles. Logiquement, le cardinal joué par Michel Piccoli s’appelle Melville.

NB: ce texte a été publié sur le blog “Cannes” de Slate.fr  lors de la présentation du film au Festival.

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Chroniques Cannes 2011

Qu’est-ce qu’une sélection?

Introduction au Festival 2011

Woody d’ouverture, vertige du passé et double-fond

«Midnight in Paris», de Woody Allen, Sélection officielle, hors compétition.

La Guerre est acclamée

«La Guerre est déclarée», de Valérie Donzelli, Semaine critique.

Habemus Moretti

«Habemus Papam», de Nanni Moretti, compétion officielle

Les enfants trinquent

«Le gamin au vélo», de Jean-Pierre et Luc Dardenne, compétion officielle

Salut The Artist

«The Artist», de Michel Hazanavicius, compétition officielle

La secte Malick et le monde cinéma

Tree of Life de T. Malick (Compétition), Hors Satan de B. Dumont (Certain Regard), L’Apollonide (B.Bonello), Impardonnables (A. Téchiné)

Jour de grâce

Le Havre de Aki Kaurismaki (Compétition), Pater de Alain Cavalier (Compétition)

Biais d’actualité

” La Conquête” de X. Durringer (Hors compétition), “18 jours”, film collectif egyptien  (Hors compétition)

Une caméra libre à Téhéran

“Ceci n’est pas un film” de Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmabs (Hors compétition)

Festival expérience

“Le jour où il vient” de Hong Sang-soo, “Il étatit une fois en Anatolie” de Nuri Bilge Ceylan

Femmes de Cannes

“La Source des femmes” de Radu Mihileanu, “Les Bien-aimés” de Christophe Honoré

Baisers volés

Palmarès (triste) et bilan (joyeux)

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