Cinéma: enfin un acte politique!

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Avancée importante au service de la diversité, l’accord sur les engagements de programmation et de diffusion signé à Cannes par l’ensemble des professionnels grâce à l’action des pouvoirs publics renoue avec une politique culturelle active dont on avait perdu le souvenir.

Pas très visible au milieu des fastes du tapis rouge, des débats cinéphiles et aussi de nombreuses autres annonces officielles de moindre portée, un accord important a été signé durant le Festival de Cannes. Il y a eu depuis des années tant de raisons de pointer le manque d’initiative forte des pouvoirs publics au service de l’intérêt commun dans ce secteur pour ne pas saluer l’événement.

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Paraphé  par l’ensemble des organisations de professionnels –réalisateurs, scénaristes[1], représentants des acteurs, producteurs, distributeurs et exploitants, des plus gros aux plus petits–, ce texte représente une avancée significative en matière de diversité de l’offre dans les salles, c’est-à-dire aussi de protection de la diversité des salles elles-mêmes.

Dans un contexte national où la négociation semble impossible, cet aboutissement d’une concertation n’a pas été sans heurts, notamment lors de la tentative de passer par la loi au début de l’année (il semble que l’intervention d’Audrey Azoulay ait alors permis de débloquer la situation), mais est d’autant plus remarquable. (…)

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Cinéma français: le feu au chateau

Ce serait un beau château d’apparence prospère, mais où couve un incendie. En apparence, le cinéma français se porte bien, il vient à nouveau d’annoncer une fréquentation record en ce début d’année, sa production est au plus haut, il gagne des prix dans les festivals, le monde entier lui envie son dynamisme et sa diversité. Et pourtant.

Tout cet agencement complexe et finalement fécond repose sur le pari, vieux comme Malraux, de la singularité du secteur (le cinéma ce n’est pas de la télé, pas du jeu vidéo, pas du multimédia) et son unité (aussi différents soient-ils, les blockbusters et les films d’auteur relèvent du même univers, la prospérité économique des uns et l’inventivité artistique des autres contribuent au bien commun).

Ce sont ces fondations qui sont de plus en plus remises en question. Et la guérilla politico-médiatique qui s’est allumée la semaine dernière en témoigne en même temps qu’elle risque de l’aggraver considérablement. Déjà bien présent, le risque d’une cassure du dispositif d’ensemble est de plus en plus menaçant.

L’affaire semble technique et financière, elle est politique, et artistique. Le projet de Loi relatif à la Liberté de Création, à l’Architecture et au Patrimoine vient de revenir en discussion à la Chambre des députés, porté désormais par Audrey Azoulay. Parmi de très nombreuses autres dispositions, ce projet avait en première lecture fait l’objet d’un amendement du gouvernement autorisant entre autres la mise en place d’une régulation dans l’accès aux films par les salles, et aux salles par les films. Supprimé par les sénateurs, cet amendement a été rétabli par le gouvernement jeudi 17 mars, mais sans la clause concernant cette possibilité de régulation.

Aussitôt, l’ensemble des représentants de la production et de la distribution indépendante s’est insurgé contre cette suppression, dénonçant le recul devant le lobbying des grands circuits.

L’affaire tombait d’autant plus mal que le lundi 21 débutait une vaste négociation entre professionnels sous l’égide des pouvoirs publics, précisément sur le volet distribution-exploitation, suite lointaine mais décisive de la concertation lancée en 2013 après les polémiques déclenchées par une déclaration du producteur Vincent Maraval.

Les protestataires –associations de réalisateurs, de producteurs et de distributeurs indépendants– ont claqué la porte de ces Assises du cinéma dès le début, déclarant n’avoir reçu aucune réponse satisfaisante du cabinet et du CNC. La SRF, syndicat des réalisateurs, a publié un communiqué intitulé «Consternés et en colère», dont le titre résume l’ambiance.

Quel est le débat? En apparence, c’est simple, les gros circuits et les gros distributeurs veulent pouvoir inonder le marché des produits les plus porteurs, tous les autres essaient d’endiguer cette tendance bien réelle, qui a déjà de facto mis en place un cinéma à deux vitesses, même si la régulation fait comme si ce n’était pas le cas, et dans une certaine mesure en compense les pires effets.

Dans un communiqué où elle félicite la ministre d’avoir supprimé le paragraphe concernant le contrôle de la programmation, la FNDF (qui regroupe Gaumont, Pathé, UGC, MK2, les filiales françaises de majors américaines…) insiste sur des effets selon elle dangereux de la version initiale de l’amendement.

Se posant elle aussi en défenseur de la diversité, elle affirme que «de tels engagements de diffusion auraient porté bien entendu en priorité sur les films les plus demandés par les exploitants: films commerciaux et films art et essai dits porteurs, et auraient donc eu pour effet de réduire plus encore l’accès au marché des films de la diversité en augmentant gravement les difficultés de programmation de l’ensemble des TPE de notre secteur.»

Cet argument repose sur la demande massive de films à fort potentiel par de nombreux cinémas, et pas seulement par les grands circuits. De fait, les indépendants ne sont pas tous du même côté: les salles indépendantes sont dans leur grande majorité les premières à se battre pour obtenir lesdits «films porteurs». Comme ce fut le cas lors de la sortie du dernier épisode de Star Wars. Elles contribuent ainsi à la concentration sur quelques titres au détriment de tous les autres, et ce alors qu’elles ont particulièrement vocation (dûment subventionnée) à assurer la diversité des offres. (…)

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Screening Room, MovieSwap… Comment verrons-nous les films demain (et lesquels)?

De nouvelles initiatives émergent pour offrir des alternatives à la salle ou aux canaux de diffusion classique. Mais à quel prix pour la création cinématographique?

C’est la très vieille histoire du ceci tuera-t-il cela? De nouveaux modes d’accès aux films existent et se développent, ce dont il y a lieu de se réjouir. Selon la manière dont ils existeront, ils participeront à un essor général ou bouleverseront, voire bousilleront le secteur. Guerre de titans à Hollywood ou start-up parisienne, les modes de diffusion des films tels qu’en eux-mêmes les réseaux numériques les changent ne cessent de créer des remous. Mutations inévitables et éventuellement désirables, avidité pour le profit immédiat, défense de positions acquises, certaines légitimes et d’autres moins, considération ou pas pour la singularité des objets dont il est question: deux initiatives, l’une aux États-Unis et l’autre en France mettent en scène la recomposition des forces et  des pratiques liées à la rencontre entre des films (pas tous) et des publics (pas le public).

 

1.Screening room Le grand bond en avant

À Los Angeles, l’affaire se met en place autour d’une initiative de l’entrepreneur Sean Parker (1), tech guru lié à l’expansion de Facebook et cofondateur du service d’abonnement musical en ligne Napster. Son nouveau projet, conçu avec le producteur Prem Akkaraju, également venu du monde musical (SFX Entertainment) s’appelle Screening Room. Il vise à offrir la possibilité de voir les films en ligne au moment même où ils sortent en salles, pulvérisant ainsi la «chronologie des médias» qui, pour être moins encadrée aux États-Unis qu’en France, y existe néanmoins, en tout cas pour garder une fenêtre d’exclusivité aux salles.

D’autres initiatives avaient tenté de remettre ce statuquo en question. Mais qu’elles émanent d’un cinéaste indépendant comme Steven Soderbergh ou d’énormes entreprises comme Netflix, elles ont toutes été vite enterrées par les grands circuits de multiplexes. Le modèle proposé par Screening Room ambitionne de passer outre, avec deux armes principales, la technologie et l’argent. La technologie, ce serait un système antipiratage extrêmement sophistiqué. Surtout, l’accès aux films via Screening Room serait très cher: 50 dollars la séance (en plus de la location du superdécodeur à 150 dollars) avec une fenêtre d’accès de 48 heures comme pour les films loués. Et, astuce, une part significative du droit d’accès acquitté par le spectateur en ligne serait reversée aux salles.

La seule existence d’un tel projet, à ce niveau financier, témoigne de l’importance de l’appétence immédiate d’un public nombreux et disposant de ressources pour les nouveautés hollywoodiennes –on pourrait écrire: témoigne de l’efficacité du marketing, la véritable industrie principale de Hollywood. Et le projet de Parker et Akkaraju a considérablement attiré l’attention lorsqu’il a reçu le soutien des quelques uns des réalisateurs les plus cotés, Steven Spielberg, JJ. Abrams, Peter Jackson, Martin Scorsese, Ron Howard, Taylor Hackford, etc., tous saluant une initiative susceptible d’élargir le public, et prenant des actions dans la start-up.

Ce sont les 500 salles indépendantes de la Art House Convergence qui sont les premières montées au créneau contre un projet qui, de fait, tendait à augmenter encore le poids du mainstream déjà archi-dominant aux États-Unis. Du coup, on aura été bien content d’apprendre l’existence de cet organisme, d’ordinaire fort discret. Prudents, les grands studios ont attendu pour se prononcer que leurs –encore?– indispensables partenaires, les grands circuits, réagissent.

Ce qui fut fait le 16 mars, avec une condamnation en bonne et due forme de la Nato (National Association of Theatre Owners) (…)

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Face à l’afflux de nouveaux films, le piège mortel de l’e-cinéma

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Petit à petit, l’e-cinema fait son nid. À mesure que les semaines passent, on voit se multiplier les annonces de films sortant directement sur les plateformes VOD ou S-VOD. L’offensive est menée par les deux grands promoteurs du système en France que sont TF1 Video et Wild Bunch. Et, avec un autre modèle de diffusion, par l’américain Netflix, qui vient d’acheter les droits de distribution d’Aloha de Cameron Crowe après s’être offert la comédie St Vincent ou la trilogie The Disappearance of Eleanor Rigby avec Jessica Chastain.

Wild Bunch avait frappé un grand coup l’an passé avec le très remarqué Bienvenue à New York d’Abel Ferrara, avec Gérard Depardieu en Dominique Strauss-Kahn, film médiocre mais opération promotionnelle réussie à laquelle le Festival de Cannes 2014 avait servi de rampe de lancement.

À la différence de la VOD classique, même s’il utilise les mêmes plateformes de diffusion, le e-cinema désigne des films qui sont distribués directement en ligne, sans être passés par la salle ni par la télévision.

Le grand nettoyage?

Depuis le coup d’éclat du Ferrara, aucun des titres n’a beaucoup attiré l’attention. Il est possible que l’offre de films de genre, dont un slasher signé d’un petit maître de l’horreur, Elie Roth (Green Inferno, annoncé pour le 16 octobre), et une comédie horrifique des Australiens Taika Waititi et Jemaine Clement (Vampires en toute intimité, le 30 octobre), améliorent les scores, malgré un tarif, 6,99€, qui reste peu attractif –sauf si on regarde à plusieurs. Ce qui mène à s’interroger sur les effets du dispositif, s’il trouve à se pérenniser.

À terme, il ne s’agira plus seulement de trouver un débouché à quelques produits atypiques laissés de côté par un marché qui, pour le reste, continuerait de fonctionner de la même manière. Bien au contraire, le risque est considérable que le e-cinéma se transforme en arme fatale d’un grand nettoyage, dont il y a tout lieu de s’inquiéter.

Le lancement de l’e-cinéma en France est présenté par ses promoteurs comme une solution à un problème grave, qui possède la caractéristique d’être nié par l’ensemble de la profession: trop de films sortent sur les écrans français (663 nouveautés en 2014). Cet embouteillage calamiteux est aggravé par l’occupation d’un nombre trop élevés d’écrans pour les films présumés «porteurs», ou dont les distributeurs sont assez puissants pour imposer des vastes combinaisons y compris pour des ratages manifestes.

Le tabou du trop de sorties

Un tel déferlement, avec presque tous les mercredis quinze nouveautés ou plus, éjecte mécaniquement les films de la semaine précédente qui avaient besoin de temps pour s’installer, ou simplement qui ne bénéficiaient pas d’une publicité massive au moment d’atteindre les écrans. Ces nouveautés elles-mêmes, à l’exception de 2 ou 3 titres valorisés par le marketing ou la critique, se font de l’ombre et se détruisent les uns les autres. Ils sortent en salles et puis sortent des salles sans que pratiquement personne s’en soit rendu compte.(…)

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Vincent Bolloré futur grand rival de Netflix?

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Le vigoureux interventionnisme de Vincent Bolloré, patron de la maison-mère Vivendi,  vis-à-vis de Canal + a beaucoup attiré l’attention ces derniers jours: l’agitation suscitée par la menace sur les Guignols, la refonte annoncée du Grand Journal, l’éviction de Rodolphe Belmer, directeur général de C+, et l’annonce du départ de son président Bertrand Meheut en ont scandé la chronique. L’ensemble des ces initiatives s’inscrit dans un contexte plus vaste.

Mercredi 24 juin, Vivendi annonçait sa montée au capital du principal opérateur italien de télécom, Telecom Italia, à hauteur 15%, devenant ainsi l’actionnaire majoritaire. Au passage, la société française récupère aussi le contrôle d’un opérateur de téléphone mobile brésilien, TIM Brasil. Cette opération est estimée à 1,4 milliard d’euros par Les Echos. Les observateurs financiers européens évaluent –plutôt de manière favorable– les bénéfices que le groupe de Vincent Bolloré est susceptible de tirer de ce retour dans les télécom après s’y être massivement désengagé, en vendant notamment SFR. Mais l’enjeu le plus significatif pourrait bien être ailleurs. (…)

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Pourquoi Amazon se lance dans la production de films par le cinéma indépendant

On s’est focalisé sur la façon dont l’entreprise de Jeff Bezos pouvait bouleverser la chronologie des médias, mais ce n’est pas là l’essentiel.

imagesLe producteur “indie” Ted Hope

Comme souvent, l’affaire aura été prise par le petit bout de la lorgnette. Quand le géant de la vente en ligne Amazon se lance dans la production de longs métrages de cinéma, l’attention se polarise sur une question qui, sans être anodine, n’en est pas moins secondaire: la trop fameuse «chronologie des médias».

Lundi 19 janvier, la firme de Jeff Bezos annonce la création de sa filiale Amazon Original Movies dans le cadre de l’entité de «production de contenus» Amazon Studios. Aussitôt, l’essentiel des commentaire interroge les possibles bouleversements dans l’écart qui est alors annoncé entre les sorties en salles et la mise en ligne: huit semaines. Cette durée est inférieure à l’usage établi aux Etats-Unis, à savoir trois mois pour les films de majors. Où on se souvient que, contrairement à ce qui est souvent suggéré, des règles de fait sinon toujours de droit s’imposent à la diffusion des œuvres en Amérique aussi. C’est un modus vivendi entre les grands circuits de salles et les majors hollywoodiennes qui fixe là-bas ce délai de 90 jours, et comme le souligne le média corporatif de Hollywood, Variety, la stratégie d’Amazon n’est pas de nature à le remettre en cause.

C’est d’autant moins le cas qu’Amazon, qui ne manque certes pas de moyens financiers ni de possibilité de lever des fonds, choisit une approche apparemment modeste pour passer à la production de cinéma. La firme fait appel à un producteur indépendant très reconnu, Ted Hope, dont le nom est associé au succès (dont il n’est que partiellement responsable) de Tigre et dragon, mais qui a initié avec son ancienne société Good Machine, de concert avec son complice d’alors James Schamus, de nombreux films d’auteur signés Ang Lee, Jim Jarmusch, Hal Hartley, Todd Solondz, Claire Denis, Alejandro Gonzales Iñarritu…

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Fleur Pellerin: politique culturelle ou algorithmes de recommandation?

notre-exception-culturelle-est-remise-en-cause-par-la-diversite-des-offres-photo-jeremie-blancfeneDu 16 au 18 octobre ont eu lieu les 24e Rencontres cinématographiques de Dijon, officieux sommet des professionnels français du cinéma organisé chaque année par l’ARP (Société civile Auteurs Réalisateurs Producteurs). Comme il est d’usage, les travaux ont été clos par un discours de la ministre de la culture et de la communication, Fleur Pellerin faisant pour l’occasion sa première grande intervention publique dans ce milieu –même si elle s’était déjà exprimé notamment lors du Congrès des exploitants, le 1er octobre. Au cours de son intervention à Dijon, la ministre a sacrifié aux quelques formules de rhétorique qu’exige sa fonction en pareille circonstance, et proposé quelques commentaires sur les –importants– dossiers techniques actuellement en débat. Mais elle a surtout dévoilé de manière plus explicite son approche de son propre rôle et de celui de son ministère, selon une vision qui est d’ailleurs loin de concerner le seul cinéma.

«L’attention est la ressource rare et pas les contenus»

Préférant systématiquement le mot «contenu» à celui d’«œuvre» ou «film», celle qui a avoué récemment ne plus lire depuis deux ans que des dépêches et articles de lois –pas de romans– a affirmé avec énergie et assurance une conception entièrement fondée sur l’économie et la technologie. Révélant à cette occasion qu’elle travaille depuis plus d’un an avec Jean Tirole, qui venait juste de recevoir le prix Nobel d’économie, elle a insisté sur certaines des caractéristiques essentielles de la circulation des films aujourd’hui. Et, plus généralement, de la relation aux œuvres, enfin aux contenus, dans un contexte de surabondance de l’offre.

S’inscrivant en effet dans le cadre de référence des théories de l’économie de l’attention, celles-là même sur lesquelles Patrick Le Lay et son «temps de cerveau disponible» avait fâcheusement… attiré l’attention, Madame Pellerin a résumé sa perception de la situation par la formule «L’attention est la ressource rare et pas les contenus». La rareté aujourd’hui n’est plus l’offre, mais le temps disponible et la capacité de chacun à s’intéresser, à découvrir, à «aller vers». L’enjeu est à l’évidence réel, et capital, mais il passe entièrement sous silence la singularité des objets englobés par le mot «contenus». La question posée à nouveaux frais est à la fois centrale et, dans le domaine culturel, insuffisante: elle ne devrait jamais être formulée indépendamment de ce qui fait la spécificité de ces fameux contenus.

Il serait absurde de refuser cette approche en bloc. L’ancienne ministre déléguée chargée des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique connaît très bien les nouveaux mécanismes de diffusion et de promotion des produits liés aux technologies numériques et notamment celles du Net. Cette connaissance est stratégique, et peut permettre de reformuler les conditions, notamment par l’action publique, pour faire vivre le rapport dynamique à la création et à l’accès aux œuvres dans le contexte actuels. Mais les réponses esquissées par la ministre sont plus problématiques.

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Comment Netflix veut faire sortir les films des salles de cinéma

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L’idée même de film encerclée par les géants du Net

Peu après son arrivée en France, annoncée comme susceptible de ravager l’organisation de la diffusion des films telle qu’elle fonctionne ici, Netflix, seule grande puissance mondiale de la diffusion (légale) de films et de produits audiovisuels en ligne vient d’annoncer deux projets qui ont fait l’effet de coups de tonnerre à Hollywood.

Le premier, le plus médiatisé mais pas forcément le plus significatif, concerne la production par la firme de Los Gatos (Californie), associée au producteur le plus médiatique du cinéma américain, Harvey Weinstein, d’une suite à Tigre et dragon –en VO: Crouching Tiger Hidden Dragon 2: The Green Destiny. On y retrouvera Michelle Yeoh cette fois accompagnée de Harry Shum Jr. et Donnie Yen, et dirigés par Yuen Wo-ping, éminente figure des scènes d’arts martiaux, qui avait dirigé les combats dans le n°1 réalisé par Ang Lee.

Que Netflix devienne producteur de longs métrages n’est pas un scoop, ce qui l’est davantage est la décision de sortir le film directement en VOD et sur les écrans des salles IMAX, à l’exclusion de toutes les autres. Cette exclusion des salles classiques a déclenché une rare réaction commune des grands circuits de multiplexes aux Etats-Unis: les quatre principaux, AMC, Regal, Cinemark et Carmike, ont immédiatement fait savoir qu’ils n’accueilleraient pas le film dans leurs Imax, ce qui anéantit pratiquement la présence du film dans ce cadre.

Ces circuits possèdent également de nombreuses installations à l’étranger, où la même réponse sera sans doute apportée. En France la question ne se pose même pas, le film ne pouvant juridiquement pas être distribué dans les salles Imax. Quant à la Chine, enjeu commercial majeur pour Hollywood, il n’est pas certain que le film y soit même autorisé. La Chine (où le premier Tigre et dragon, qui n’y a guère eut de succès, est par ailleurs considéré comme un ersatz un peu lourd) est aussi un des grands pays où Netflix n’opère pas– ou pas encore.

Bref, à l’arrivée, c’est pratiquement sur Netflix seulement que The Green Destiny sera visible. L’affaire a suscité de très vigoureuses réactions à Hollywood, les Studios et les grands circuits de salles s’y opposant tandis qu’une partie des professionnels plaide pour cette mutation accompagnant les évolutions des pratiques de consommation, notamment des jeunes générations.

Les journées professionnelles du cinéma français, qui se tiennent du 16 au 18 octobre à Dijon à l’invitation de l’ARP (Société civile des Auteurs Réalisateurs Producteurs), ne vont pas manquer de rappeler qui si la «chronologie des médias», qui organise l’ordre et la durée de la diffusion des films sur les différents supports, a besoin d’être revue pour s’adapter aux technologies et aux usages, cela doit se faire de manière concertée et encadrée, et pas à l’aide de coups de force comme vient de le faire Netflix.

L’affaire mobilise en réalité deux enjeux distincts. Le premier est économique. La filière cinéma a vu son chiffre d’affaires global baisser régulièrement depuis l’arrivée des services en lignes. Légaux ou pas, ils taillent des croupières à ce qui avait été de 1985 à 2005 le secteur financièrement le plus dynamique, la vidéo physique– VHS puis DVD.

A l’échelle française, c’était la conclusion la plus évidente de l’étude concernant le cinéma présentée dans le cadre du séminaire «L’audiovisuel, enjeu économique» organisé par le CSA le 2 octobre.  (…)

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Les salles de cinéma ne vont pas mourir

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Les prophètes de malheur sont en pleine forme. A vrai dire, ils n’auront jamais désarmé. Depuis que Louis Lumière a déclaré que le cinématographe était une invention sans avenir au moment même où avec son frère Auguste ils le rendaient techniquement possible, depuis que, le jour même de la première projection publique et payante du 28 décembre 1895, le père Lumière, Antoine, décourageait un spectateur enthousiaste nommé Georges Méliès qui voulait acheter cet appareil extraordinaire en lui disant qu’il ne pourrait que le ruiner, les annonces funestes n’ont cessé d’accompagner un art qui se porte pourtant très bien.

C’est ce qui fait le cœur du cinéma, la salle, qui est aujourd’hui la principale cible de nouvelles prédictions fatales. Après bien d’autres raisons, ce serait l’arrivée de serveurs de films en ligne, Netflix en tête, qui en signerait la condamnation à mort. A ces Cassandre incapables de penser les transformations autrement qu’en termes de substitution vient d’être adressé un vigoureux démenti. Leur auteur n’est pas exactement un cinéphile rétrograde les yeux fixés sur un passé aussi glorieux qu’inexorablement révolu. Et ce plaidoyer n’est pas non plus paru dans l’avant dernier numéro d’une revue des catacombes.

Signataire notamment de la trilogie The Dark Knight et de l’extraordinaire Inception, Christopher Nolan est l’exemple de ces grands créateurs de cinéma capables de vivre au cœur du système industriel hollywoodien tout en faisant vivre une idée ambitieuse des puissances du cinéma pour raconter et comprendre le monde contemporain. Dans le Wall Street Journal daté du 7 juillet, il fait paraître une tribune intitulée «Les films du futur continueront d’attirer les gens dans les cinémas». Dans le seul langage que comprennent les lecteurs de cette publication, celui de la rentabilité financière, il explique par le menu combien la salle est une installation d’avenir, avec toutes les raisons de continuer d’inventer des réponses désirables pour un public payant.

Se moquant au passage de son collègue Tarantino qui n’a rien trouvé de mieux que de déclarer que le cinéma disparaitrait avec l’utilisation de la pellicule (sic), Nolan pense, ou en tout cas s’exprime selon les critères en vigueur dans son monde, celui du grand spectacle et des blockbusters. L’essentiel de son argumentaire est parfaitement transposable à d’autres formes de cinéma. Mieux: il vaut pour le cinéma dans son ensemble, au-delà des gigantesques différences, voire des antagonismes violents qui séparent une idée du cinéma représentée par, disons, Transformers VI et le prochain film d’Alain Cavalier ou de Naomi Kawase.

C’est pourquoi le plaidoyer de l’auteur de The Dark Knight est si significatif. Il trouve écho dans un projet tellement sans commune mesure qu’il semble appartenir à un autre monde, mais qui en fait est une autre façon de travailler le même sujet. Une élève du département distribution/exploitation de La fémis, Agnès Salson, et son compagnon Mikael Arnal ont entrepris un tour de France des salles indépendantes. Après un échantillonnage un peu partout dans le pays (Saint-Ouen, Dijon, Bayonne, Paris 5e, Romainville, Orléans, Saint-Etienne…), ils ont mis en place un parcours organisé sur la route duquel ils se sont lancés le 12 juillet, et dont ils publient chaque jour la récolte.

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Cinéma français: trois victoires et un chantier

cinemafrancaisSur la signature de la convention collective comme sur les négociations transatlantiques et les systèmes d’aide nationaux à la production, le secteur a remporté en 2013 des succès qui ne doivent pas masquer le problème auquel il est confronté: celui du «toujours plus».

L’année 2013 aura été marquée par trois grands combats qui ont animé le cinéma français: un combat en interne et deux vis-à-vis d’adversaires extérieurs.

Le premier concerne la signature de la convention collective, les deux autres le refus d’inclure la culture et l’audiovisuel dans les négociations transatlantiques dites TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) et la tentative de Bruxelles de remettre en cause les systèmes d’aide nationaux à la production lors de la rédaction de sa nouvelle réglementation (que la Commission européenne nomme «communication»).

Ces trois combats ont donné lieu à une intense mobilisation et se terminent par ce qu’on peut considérer comme des victoires. D’importants aménagements au projet initial de convention collective ont éliminé une grande partie des inquiétudes suscitées par la formulation initiale; grâce à l’engagement au plus haut niveau des autorités françaises, le périmètre des négociations TTIP a été modifié; l’UE vient finalement de publier sa «communication» dans des termes d’où a disparu l’essentiel de ce qui inquiétait les professionnels et les responsables du ministère de la culture et du CNC —ainsi que les parties concernées dans le reste de l’Europe, mais il est clair que c’est l’activisme français qui a été décisif pour infléchir le projet idéologique ultralibéral des commissaires européens.

Dans chaque cas, une étude fine montrerait que ces constats de victoire mériteraient d’être nuancés, mais ils n’en sont pas moins exacts pour l’essentiel. Et ils attestent à nouveau de l’impressionnant pouvoir de mobilisation de la communauté cinématographique, qui comprend à la fois les différents secteur professionnels et les pouvoirs publics directement concernés, même s’ils ne jouent pas exactement selon les mêmes règles —à cet égard, le fait que les techniciens, seuls bénéficiaires de la première convention collective, se soient retrouvés de fait en opposition avec le reste de la profession est un grave «dommage collatéral» qui ne restera pas sans effet.

Mais surtout, ce triple heureux résultat ne doit pas masquer l’existence d’un véritable problème de fond à l’intérieur même de ce cinéma français si prompt et si adroit à se mobiliser contre des dangers immédiats.

Cette même année s’est ouverte sur une polémique déclenchée par le producteur et distributeur Vincent Maraval, polémique dont le retentissement inattendu aura tenu à ce qu’il cristallisait des inquiétudes, des blocages et des dérives qui n’ont, eux, pas disparu.

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