CANNES, jour 7#: Le Havre de Aki Kaurismaki (Compétition), Pater de Alain Cavalier (Compétition),
André Wilms, cireur et seigneur, Valjean d’aujourd’hui, et Darroussin, Javert au grand coeur
A mi-parcours, on peut sans hésiter déclarer que l’année 2011 est un bon cru cannois. Qu’est-ce qu’un bon cru cannois ? Essentiellement le fait que c’est ainsi que le Festival est ressenti. Formidablement riche et extrêmement inégale, telle est l’offre de cette cession, que l’on prenne en compte la compétition ou l’ensemble des sélections. Le lundi avait été surchargé, avec le pachyderme mystique Tree of Life et une incroyable flottille de films français, Bonello, Téchiné, Dumont dont on a parlé, auxquels on aurait pu ajouter le très beau En ville de Valérie Mréjen et Bertrand Schefer à la Quinzaine, l’épatant Little Princess d’Eva Ionesco à la Semaine de la critique. A ces risques de trop plein aura succédé ce mardi le bienheureux équilibre offert par deux films en compétition, deux moments de pure joie, aussi différents qu’également capable de satisfaire quiconque aime le cinéma.
Soit, par ordre de découverte, d’abord Le Havre, le nouveau film d’Aki Kaurismaki. Vous connaissez ses films ? Disons alors seulement que celui-ci est une sorte d’épure parfaite de ce qu’il travaille depuis exactement 30 ans. Vous ne les connaissez pas ? Le Havre est une comédie méticuleuse portée par l’amour des humains et l’exigence du respect des principes élémentaires du vivre ensemble, exaltée par un art de la mise en scène dont l’apparente simplicité vibre immensément des puissances de l’art du cinéma. Vous pouvez relire la phrase depuis le début, je persiste et signe.
Histoire ô combien, hélas, européenne – celle de la traque des plus pauvres, noirs et basanés de surcroît, dans une ville plutôt pauvre d’un pays riche. Histoire de solidarité, de connivence humaine, brossée grâces aux miraculeuses vertus d’un brechtisme sec, pour la plus grande joie d’un public qui rit de bon cœur à cette pantomime politique, comédie musicale parlée à la gloire de ceux qui ont décidé de ne pas accepter l’indignité. On en parle pas trop, de ces dizaines de milliers de gens qui, notamment dans les réseaux RESF, prennent de véritables risques pour soustraire à la police française des gens à qui on inflige le déni des principes sur lesquels est fondée la République française. Aucun film ne l’avait encore raconté, c’est fait et bien fait. A la fin, le cerisier était en fleur. Oui, celui-là, celui du Temps des cerises, dont la plus belle interprétation connue est aussi dan un film d’Aki K. (Juha).
Ce fut notre bonheur du matin. Notre bonheur de l’après-midi s’appelle Pater, film d’Alain Cavalier (et aussi de Vincent Lindon). Voilà 15 ans au moins qu’Alain Cavalier, résolument hors des sentiers battus du cinéma, pose toutes les bonnes questions du cinéma. Cette fois-ci, il fait encore un pas, que dis-je ?, un bond, un saut périlleux, un saut de l’ange vers un vertige de fiction. C’était le cirque, au Palais, pour la projection unique accordée à ce film en compétition, quand tous les autres ont droit à trois séances. Mais après, quelle joie ! Quel azymutage dézingué des repères du vrai et du faux, dans un film tourné il y a plusieurs mois qui sait parler en direct de ce qui arrive à DSK, dans un film où le réalisateur accomplit ce geste inouï de tendre la caméra à son acteur pour poursuivre le plan – juste et bouleversante continuation de ce que Cavalier interroge, par sa pratique, depuis Le Répondeur et La Rencontre.
Le Président Cavalier et son premier ministre Lindon
Monsieur le Président de la République française Alain C nomme premier ministre monsieur Vincent L. Un seul projet, un seul programme : l‘égalité. Egalité sociale, égalité des rapports entre filmeur et filmé. Enfin n’exagérons pas : une réduction de l’inégalité structurelle qui fait notre société de merde. Oui : de merde. Nous voici bien près de l’ami Aki de ce matin, bien que par des voies toutes différentes. La générosité, l‘intelligence, le refus d’accepter la diktat politicien comme celui du spectacle – et l’intime certitude que c’est le même, cet ordre du monde qui fonde la terreur, la misère et l’oppression.
Larrons en foire, Cavalier, Lindon et une poignée d’acolytes jouent à saute-mouton sur les codes du système de la Ve République et du cinéma, traversent et retraversent en tous sens les apparences avec une sincérité et une vigueur ludique qui semblent aller en augmentant, tandis qu’un chat tigré franchit portes et fenêtres, s’étire et s’indiffère. A la fin de la séance, il a fallu flanquer finir par dehors un public qui n’en finissait plus d’applaudir sans fin, dans un état de gratitude heureuse et troublée, riant beaucoup pleurant un peu – sauf Lindon, qui lui pleurait beaucoup, d’une liesse émue qu’il fut un privilège de partager.
Qu’elle euphorie communicative ! ce texte réjouissant annonçant une très bonne nouvelle déchire la chape de plomb qui nous enferme en ce moment. Égalité dit-il mais Liberté perçu loin de Cannes. Merci de dire ainsi le bonheur du cinéma.
Euphorie communicative en effet…
Beaucoup de plaisir à lire vos articles, et celui-ci en particulier, qui montre votre plaisir à parler des cinéastes qui inventent, qui proposent, même avec la plus grande modestie de moyens. Le cinéma est là, finalement, et son travail se fait encore aujourd’hui et continuera tant que des hommes éprouveront besoin de remettre scène le monde dans lequel ils vivent. La trajectoire d’Alain Cavalier dans le cinéma français est un cas unique et absolument exemplaire, quant à Kaurismaki, cinéaste sorti de nulle part, son point de vue et son attention sur l’humanité n’a pas bougé depuis La petite fille aux allumettes, et c’est ce qui fait le prix de son oeuvre.
Vivement ces films en salles !