Tarzan, perdu dans la jungle des pixels et des bons sentiments

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Tarzan de Peter Yates. Avec Alexander Skarsgård, Margot Robbie, Christoph Waltz, Samuelk S. Jackson. Durée: 1h50. Sortie le 6 juillet.

Souvenez-vous au début de Vertigo d’Alfred Hitchcock, cet étrange effet de double mouvement à l’intérieur de l’image (un zoom avant en même temps qu’un travelling arrière). C’est un peu l’impression que fait ce Tarzan sorti de la naphtaline par le studio Warner.

Zoom avant: pas question de reconduire les clichés racistes et colonialistes des films des années 1930-40 (en fait quelques 40 titres entre 1918 et 1970, sans compter les dessins animés). Cette fois, il sera clair que les blancs mettaient alors (en ces temps lointains) en coupe réglée le continent africain pour satisfaire leur avidité. Cette fois, les Africains seront des individus différenciés et doués de raison et de sentiments. Cette fois, la nature sauvage aura droit à une réhabilitation en règle.

 Y compris dans le registre du récit d’aventures et la licence romanesque qui l’accompagne, ce nouveau Tarzan revendique une forme accrue de réalisme, loin des stéréotypes fondateurs. Ceux-ci sont d’ailleurs gentiment moqués dans les dialogues: l’histoire se passe après les aventures narrées par Edgar Rice Burroughs et filmées par W.S. Van Dyke, Richard Thorpe et consorts. Les bons vieux «Moi Tarzan, toi Jane» sont moqués par les personnages afin d’établir une complicité avec des spectateurs actuels non dupes.

Mais, travelling arrière, la condition pour filmer cet univers où l’Afrique, ses habitants, ses prédateurs, sa nature seraient plus «réelles» tient d’abord à un usage immodéré de l’imagerie digitale.

La grande majorité des films sont aujourd’hui tournés en numérique, là n’est pas la question. Mais avec ce Tarzan, l’image semble tellement saturée de pixels –bien plus que de héros, de lions ou de singes– que le film y perd des points sur le terrain du «réalisme» ou disons plutôt de présence. En terme d’artificialité, on se retrouve en fait plus loin qu’à l’époque de «jungleries» de la MGM.

Les décors d’alors étaient en carton-pâte et les baobabs peints en studio, mais le carton pâte et le stuc étaient finalement plus réels que cette vilaine bouillie numérique où sont noyés uniformément le méchant, les papillons ravissants et les féroces croco. Les acrobaties de Johnny Weissmuller, c’était du chiqué sans doute, mais l’ex-champion de natation était bien là, ces muscles étaient les siens, ce corps était le sien, il avait accompli ces gestes –et il en restait une trace qui aidait à partager (un peu) la croyance dans l’histoire. (…)

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Michael Cimino, voyage au bout d’un mythe

f33c684a-405a-11e5-9e52-f184256dd392Michael Cimino est mort le 2 juillet. Il semble qu’il était âgé de 77 ans, même si des informations contradictoires circulent sur sa date de naissance, ainsi que sur bien d’autres aspects de sa personnalité. Son très visible changement d’apparence avait même nourri des rumeurs sur un possible changement de sexe.

Michael Cimino restera comme le personnage incarnant à l’extrême le rise and fall, l’ascension et la chute de ce qu’on appelle le Nouvel Hollywood, avec deux films successifs, le triomphe de Voyage au bout de l’enfer (1978) et l’échec de La Porte du paradis (1980).

deniroRobert De Niro dans Voyage au bout de l’enfer

Le premier fait figure d’accomplissement, par sa puissance lyrique, la consécration qu’il offre –ou confirme– à une génération d’acteurs (Robert De Niro, Christopher Walken, Meryl Streep, John Savage), et la confrontation ouverte avec la défaite américaine au Vietnam par un film destiné au grand public.

Un an avant l’autre grande œuvre inspirée par le même conflit, Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, Cimino insufflait une énergie épique, une émotion humaine et une électricité très contemporaine à ce récit pourtant extrêmement sombre. Et alors que les Majors compagnies avaient refusé de le produire, Universal se trouva fort bien d’avoir finalement choisi de le distribuer, le film étant un immense succès international rehaussé de quatre oscars, dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur.

Un autre Studio, United Artist, s’empresse alors d’accompagner Cimino sur un projet encore plus ambitieux, western aux dimensions de fresque, avec un casting haut de gamme  (dont Isabelle Huppert, aux côtés de Kris Kristofferson, Christopher Walken, Jeff Bridges, John Hurt, Brad Dourif, Joseph Cotten, Mickey Rourke…). Le film explose les budgets, et est proposé par le réalisateur dans une durée de plus de 5 heures, ramenée d’abord par le Studio à un peu moins de 4 heures, puis après un accueil calamiteux, à 2h30 en 1981.

porteparadis3Kris Kristofferson dans La Porte du paradis

C’est un échec critique (aux Etats-Unis) et commercial cinglant, qui mènera à l’absorption par la MGM aux mains du requin de la finance Kirk Kerkorian de United Artists – le Studio fondé jadis par Charles Chaplin, Douglas Fairbanks, David Griffith et Mary Pickford pour offrir davantage de liberté de créer aux artistes !

Que s’est-il passé? C’est tout un système qui a atteint ses limites, celui qui s’est mis en place durant les années 70 en cherchant –et souvent en trouvant– la cohabitation conflictuelle mais dynamique entre affirmation de regards d’auteur et exigence du grand spectacle.

Comme l’écrit le chroniqueur Peter Biskind, qui adopte le point de vue des producteurs, dans Le Nouvel Hollywood (Le Cherche-midi):

«La Porte du paradis fut victime d’un système qui aurait aussi bien pu être fatal au Convoi de la peur, à Apocalypse Now, à 1941 ou à Reds. Les “délires“ de Cimino ne furent pas pires que ceux de Friedkin, Coppola, Spielberg ou Beatty.»

Ce qui se joue à cette époque est en tout cas une violente reprise en main par les Studios, dont les dirigeants changent pratiquement tous à ce moment, et qui étouffent les velléités d’autonomie des créateurs, avec une violence telle qu’on peut se demander dans quelle mesure ils n’ont pas téléguidé cet échec. (…)

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“Midnight Special”: ouvrez la cage aux oiseaux (de feu)

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Midnight Special de Jeff Nichols avec Michael Shannon, Joel Edgerton, Kirsten Dunst, Adam Driver. Durée: 1h51. Sortie le 16 mars.

Il est amusant de voir la publicité annoncer avec le quatrième film de Jeff Nichols la révélation d’un nouveau Spielberg. Si le sens du spectacle cinématographique de l’auteur de Shotgun Stories, de Take Shelter et de Mud peut en effet être comparé à celui du signataire d’ET, c’est pour en faire un tout autre usage, voir pour affirmer un point de vue opposé et un désir de rupture.

Midnight Special est un conte à la morale assez simple: il faut que les enfants vivent leur vie, l’avenir leur appartient, les parents (et les autres pouvoirs, politiques, religieux, militaires, médiatiques) doivent accepter de les laisser un jour partir vivre leur vie. Soit l’exact contraire du message familialiste, de la prééminence des liens du sang et de l’appartenance à la cellule familiale, martelé sur tous les tons et, éventuellement, à grands renforts d’effets spéciaux par Spielberg.

Il est à cet égard légitime que le film porte le titre d’un song de Leadbelly, musicien noir qui a passé le plus clair de son temps dans un pénitencier près duquel passait ce train de minuit dont la lumière le faisait rêver de liberté. La liberté, dans un sens assez vague, est bien l’enjeu de la fuite dans la nuit de Roy, le père, aidé du policier passé dans le camp opposé Lucas, plus tard rejoints par la mère, Sarah et par Paul, un analyste de la NSA (le seul personnage spielbregien de l’affaire, mais dans un emploi très différent) pour amener le garçon de 8 ans, Alton, à sa mystérieuse destination malgré la mobilisation de la puissance et de la violence des autorités de tout poil.

De tous ces protagonistes, chacun typé d’une manière originale et assez ambivalente, à commencer par Michael Shannon déjà remarquable dans Take Shelter, la mère remarquablement sous-jouée par Kirsten Dunst est certainement la figure la plus singulière, dans un contexte où la pulsion animale de l’amour maternel est une loi quasi-absolue du scénario du cinéma mainstream contemporain, et son surjeu la règle de la part de toutes les actrices recrutées pour cet emploi.

Le seul protagoniste sans grand intérêt, être fonctionnel plutôt que fictionnel, est Alton, qui est moins un enfant qu’une idée. Si le film cherche à susciter l’identification, c’est avec les adultes qui l’entourent. Comme si Midnight Special n’avait pas à savoir, et encore moins à rendre partageable, ce dont cet enjeu de liberté, et de manière douloureuse, est porteur.

La liberté, c’est aussi celle que se donne Jeff Nichols, et celle qu’il offre à ses spectateurs –là aussi tout à fait à rebours du cinéma dont Spielberg est la figure exemplaire. Pas de manipulation du récit, mais une organisation lacunaire des informations qui laisse ouvertes de multiples hypothèses quant aux motivations des personnages et à la succession des événements. L’accès à des indices disséminés comme les repères d’une «plus grande image», qui ne sera jamais montrée, propose un rapport à la fois ouvert et codé à la fiction, d’un effet très heureux. (…)

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La pompe à vide de «The Revenant»

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The Revenant  d’Alejandro Gonzales Iñarritu, avec Leonardo DiCaprio, Tom Hardy, Will Poulter. Durée: 2h35. Sortie le 24 février 2016.

Réglons tout de suite l’aspect le moins intéressant de The Revenant, la «performance» de Leonardo DiCaprio destinée à lui faire obtenir un Oscar. Elle est entièrement conforme à ce qui est prévu dans ce cas de figure, succession de grimaces et de contorsions, dans la boue, dans la neige, dans les fleuves glacés, même dans un cheval mort. C’est une idée bien misérable du travail des acteurs, et bien méprisante des acteurs eux-mêmes, a fortiori des très bons acteurs comme Leonardo DiCaprio, que d’être sommés de se livrer à pareil numéro pour mériter une consécration.

Pour le reste, The Revenant est un film aussi antipathique qu’intéressant. Antipathique est la manière dont tout, absolument tout –les actions, les sentiments, les idées, les paysages, les sons– est asséné comme coup de massue au spectateur. L’insistance, la triple dose, la surenchère d’effets est l’idée même que se fait Iñarritu (Birdman…) de la mise en scène –en quoi il est parfaitement en phase avec une époque où règne le quantitatif, où le «toujours plus» reste la loi dominante telle que le marché l’a établi pour toutes les relations humaines, où l’emprise sur le cerveau des autres demeure le but ultime de la production, sous influence écrasante de la publicité.

The Revenant raconte une histoire en elle-même très intéressante, et inspirée d’un fait réel, mais le raconte stupidement –pas par bêtise, mais par volonté délibérée d’être stupide. C’est-à-dire d’être du côté du surjeu, du passage en force, du «coup», de la mise raflée. C’est ici que le film commence à devenir quand même intéressant, pour ce qu’il n’est pas.

Contrairement à ce qu’on répète ici et là (y compris sur Wikipedia), il n’est en aucun cas un western. (…)

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«Les Huit Salopards», bavardage à l’Ouest

jackson_uneLes Huit Salopards de Quentin Tarantino. Avec Samuel L. Jackson, Kurt Russel, Jennifer Jason Leigh, Walton Goggins, Demian Bichir, Tim Roth, Michael Madsen, Bruce Dern. Durée: 3h07 | Sortie le 7 janvier

Les Huit Salopards, à défaut d’être une considérable réussite, offre un bon point d’observation de l’ensemble du parcours de son auteur. Il ne fait aucun doute que Quentin Tarantino est une personnalité marquante du cinéma actuel. Comme les autres cinéastes bénéficiant d’une telle reconnaissance, il le doit à son talent, ou au moins disons à un niveau élevé d’efficacité de ses réalisations.

Mais en outre, plus que la plupart des autres cinéastes de premier plan, il le doit aussi à ce que lui-même et ses films incarnent certaines caractéristiques de l’époque: un rapport fétichiste aux imageries, une capacité à louvoyer entre 1er, 2e et 10e degré, un grand sens du geste hypervisible, une décontraction séduisante envers les codes, tous les codes, y compris moraux. A la fois une intelligence et un instinct de son temps, qui ont fait de Tarantino un personnage. Soit une configuration bien différente de ce qu’on a appelé jadis un auteur. Une part du souci possible dans ce cas étant qu’il devienne même le personnage principal de certains de ses films.

De son parcours riche en autres interventions, déclarations, contributions à d’autres productions signées par lui ou d’autres, il est résulté à ce jour huit longs métrages de cinéma. Si les caractéristiques énoncées plus haut ont assuré la gloire du réalisateur, ces films traduisent l’ambivalence extrême qu’elles sont susceptibles d’engendrer dès lors que la question n’est plus en terme de «culte», de clin d’œil, de virtuosité (sur ce plan là, Tarantino ne déçoit jamais), mais en termes de mise en scène, en terme de cinéma.

A cet égard, le premier film, Reservoir Dogs (1992), embrassait déjà la totalité des hypothèses et des contradictions dont le réalisateur était porteur. Il ne cessait d’y sauter allègrement de l’invention sensible de nouvelles puissances de la mise en scène, y compris en s’appuyant sur sa cinéphilie encyclopédique (et ce dès la scène d’ouverture défiant avec succès Martin Scorsese sur le terrain même de Mean Streets et des Affranchis) à des «coups» racoleurs et rusés.

Avec un brio incontestable, il en déploiera toute la panoplie avec le deuxième film, Pulp Fiction, Palme d’or 1994 de l’habileté ludique et complaisante, drogue douce hilarante infiniment rassurante dans sa manière de choisir les gags et gadgets au plus loin de la vie. Volte-face ensuite avec Jackie Brown, qui atteste des mêmes savoir-faire de réalisation mais cette fois inscrits dans une double histoire bien réelle, à la fois celle du cinéma et celle des Etats-Unis– soit bien davantage que la seule histoire du cinéma américain.

Tarantino sait à merveille jouer les cancres surdoués, mais tout cela –l’arnaque funky comme l’amour des histoires, des personnages et du monde qu’ils aident à mieux percevoir– est en tout cas sérieux pour lui. Qu’on ne s’y trompe pas, il est et a toujours été un réalisateur très sérieux– y compris sinon surtout lorsqu’il semble faire le pitre ou le sale gosse avec les jouets sulfureux de la culture bis.

On le constatera à l’extrême avec le double-film brillantissime et parfaitement sans intérêt Kill Bill, déclaration d’amour vaine à une idée d’ailleurs fausse du cinéma classique d’arts martiaux réduit à une série de signes visuels et d’imagerie à épingler aux murs d’une chambre d’ado, et déploiement d’une intrigue aussi niaise que bavarde mais dopée à mort par des clips au graphisme d’enfer et le sex-appeal de ses vedettes.

Un triomphe du vide. Dont nul autre que Quentin Tarantino produira juste après la mise en question avec un de ses films les plus passionnants, les plus complexes, les plus abstraits, Boulevard de la mort. Poussant à l’extrême tous les curseurs, la rapport aux mythologies iconiques, au sexe, à la vitesse, à la mort y deviennent des formes matérialisées pour un dépeçage critique radical. Ici l’énergie joueuse renforce la virulence, explosant romanesque et psychologie jusqu’aux limites du non-figuratif par les chemins de l’hyperréalisme. Une opération warholienne de grande envergure, à peu près sans équivalent dans le cinéma, en tous cas depuis le Godard des années 1965-1967.

S’en suivent deux très bons films d’histoire politique contemporaine, mettant en œuvre les thèses du précédent dans le contexte de films de genre, un film de guerre, Inglourious Basterds, et un western, Django Unchained. (…)

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Retour affectif et subjectif sur l’année 2015 sur grand écran

sans_titre-1_3 aDerrière une production hollywoodienne décevante, l’Asie, l’Amérique du Sud et l’Europe, France en tête, se sont réparti les productions les plus passionnantes de l’année.

Les Top 10, c’est un peu trop mécanique, réducteur. Mais ne pas revenir sur ce qu’on a aimé, et aimé aimer au cours d’une année, c’est se priver de remettre en perspective ce qui arrive dans le cinéma, au-delà des enthousiasmes au coup par coup. En toute subjectivité, voici donc un survol des films de l’année –c’est-à-dire des films sortis en salles, en France en 2015 (The Assassin de Hou Hsiao-hsien, annoncé pour mars 2016, n’y figure donc pas, sauf que bien sûr je viens de le mentionner ;).

1.L’Asie toujours féconde

Outre, donc, le cas HHH, c’est à nouveau d’Extrême-Orient que serons venues les propositions les plus riches et les plus stimulantes: de Chine avec Au-delà des montagnes de Jia Zhang-ke, du Japon avec Vers l’autre rive de Kiyoshi Kurosawa, de Corée avec Hill of Freedom de Hong Sang-soo, de Thaïlande avec Cemetery of Splendour d’Apichatpong Weerasethakul. En Orient toujours, mais moins extrême, il faut y ajouter Taxi Téhéran de l’Iranien Jafar Panahi. Encore ne mentionne-t-on ici que le meilleur du meilleur, signé de grands noms du cinéma contemporain.

À leurs côtés, beaucoup d’autres, de moindre magnitude, dont de nombreux jeunes, participent à la vitalité de ces cinémas à la fois fort différents et traversés de multiples échos qui renvoient les uns aux autres. S’il fallait leur trouver un point commun, ce serait leur capacité à prendre en charge le monde réel, et ses mutations les plus actuelles, par des moyens ouverts à toutes les aventures de la fiction, et souvent du fantastique.

2.Pauvre Amérique

Si les productions hollywoodiennes dominent plus que jamais le marché mondial, et ne cessent de battre des nouveaux records grâce aux progrès… du marketing, exemplairement avec le septième épisode de Star Wars, il faut admettre que l’offre cinématographique en provenance des États-Unis aura été, sur le plan artistique, singulièrement pauvre cette année. Un seul film issu de la grande industrie s’impose par son invention plastique et narrative, Mad Max: Fury Road, qui témoigne à lui seul qu’à partir de recettes convenues il est possible d’inventer.

Tout à fait à l’autre bout de l’arc économique, on doit signaler deux très «petits films d’auteur», de jeunes auteurs qui, curieusement, ont tous deux des patronymes d’origine asiatique, Chloé Zhao avec Les Chansons que mes frères m’ont apprises et Patrick Wang avec Les Secrets des autres. Ne pas oublier le remarquable documentaire Citizenfour de Laura Poitras consacré à l’affaire Snowden. Allez, ajoutons le très fréquentable Le Pont des espions de Steven Spielberg, et le plaisant Au cœur de l’océan de Ron Howard.

3.L’autre Amérique, qui monte

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«Star Wars: le réveil de la force», un tout petit film pour un gigantesque phénomène

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Star Wars, épisode VII: le réveil de la force de J.J. Abrams, avec Daisy Ridley, John Boyega, Oscar Isaac, Adam Driver, Harrison Ford, Carrie Fisher, Mark Hamill. Durée: 2h15. Sortie: le mercredi 16 décembre 2015.

Star Wars, épisode VII: le réveil de la force n’est pas conçu pour des spectateurs, mais pour des fans. Si le phénomène appuyé sur cette forme particulière d’addiction que désigne le mot «fan» n’est bien sûr pas nouveau au cinéma, il n’a assurément jamais atteint ce degré –y compris avec les autres épisodes de la franchise créée par George Lucas. Plus encore que les précédents ou des entreprises comparables, ce septième épisode est entièrement conçu pour répondre aux attentes de gens qui se réjouissent et s’entre-congratulent de relever de cette dénomination, «fan».

Un mot dont on peut s’étonner qu’il soit massivement revendiqué à tout bout de champ, dans le langage courant et sur les réseaux sociaux en particulier. Que cela se produise à une époque où le mot dont il est issu, «fanatique», soit de son côté –obscur, OK– devenu la qualification par excellence du Mal a pour le moins de quoi intriguer. Être fan est par définition un acquiescement, sinon une soumission volontaire. On est en droit de ne pas trouver cette posture particulièrement estimable.

Si on considère que, d’une manière générale, les films sont faits pour les spectateurs, Star Wars, épisode VII: le réveil de la force n’est donc pas un film. C’est un concept destiné à la fois à satisfaire les fans, à démultiplier leur fanatisme, et à l’étendre à de nouveaux adeptes. La sortie mondiale de ce sommet de l’addiction régressive s’apparente à une sorte de Nutella-party planétaire, mais aux enjeux financiers conséquents, puisqu’il s’agit de justifier les 4 milliards de dollars investis par Disney dans le rachat de Lucasfilm.

C’est plutôt bien parti pour eux, et pas seulement parce que depuis des semaines les médias en rajoutent à l’infini autour d’un film qu’ils n’ont pas vu et que la quasi-totalité des salles de cinéma a joué des coudes pour pouvoir le présenter. Le long métrage réalisé par J.J. Abrams répond au-delà du prévisible au cahier des charges, grâce à un intéressant tour de passe-passe: il ne comporte absolument aucune idée nouvelle, aucune invention narrative ou visuelle.

De fait, dès lors qu’on ne cherche plus à attirer des spectateurs mais à satisfaire et multiplier des fans, il est tout aussi nécessaire d’entourer le film de mystère avant sa sortie que de ne surtout rien faire qui risque de s’écarter du déjà-connu-et-aimé durant la projection. Il s’agit uniquement (mais ce n’est pas si simple) d’alimenter une forme de satisfaction entièrement basée sur la conformité au modèle qu’on a appris à adorer.

Bien sûr, il y a dès lors une forme d’humour à enjoindre solennellement les uns et les autres, à commencer par les journalistes, de ne pas révéler ce qui se passe d’inédit et de surprenant dans cet épisode. Pour la bonne raison qu’il ne s’y passe que de l’archi-prévisible, un réagencement bien rythmé d’éléments tous déjà vus (et revus) dans les épisodes précédents.

Ni sur le plan du récit, ni sur celui des effets visuels, ni sur celui des idées Le Réveil de la force ne comporte la moindre innovation –à l’exception, soyons juste, d’une péripétie inattendue, et qu’on ne révélera évidemment pas. Triomphe absolu du marketing ayant fait disparaître jusqu’à l’idée même du scénario, qui plus est retenant ses coups pour laisser l’espace des deux autres épisodes annoncés, ce nouveau carreau de la tablette de chocolat au lait Star Wars se déguste donc en confiance, avec le confort du politiquement correct (une femme et un noir se portent en première ligne du combat pour le Bien) et la désinvolture médiatico-postmoderne cool conforme à l’esprit du temps –un génocide perpétré a droit dans le film à autant de temps et de considération qu’un massacre de masse au Burundi sur les chaînes de télévision populaires.

Pourtant, si c’était un film, Star Wars, épisode VII: le réveil de la force serait plutôt plaisant –du genre vieux copain aux histoires un peu usées, mais qu’on retrouve avec affection. (…)

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“Au cœur de l’océan”, croisière de genre

aucoeurdelocean-milAu cœur de l’océan, de Ron Howard, avec Chris Hemsworth, Benjamin Walker, Cillian Murphy, Ben Whishaw. Durée : 2h01. Sortie le 9 décembre.

Bon d’accord, cette semaine vous irez voir Star Wars, puisqu’il semble que ce soit obligé – obligé par un réseau très complexe d’injonctions et de séductions, mais obligé. Il reste que, y compris dans le registre de la distraction, du film d’aventure, il y aura, mais si mais si, une vie après. Et même en l’occurrence une vie avant, puisque le film de Ron Howard est déjà sorti.

Ron Howard a commis un nombre considérable de mauvais films, dont les très nuls Apollo 13 et Da Vinci Code. Là, il est chargé de porter à l’écran l’adaptation d’un livre de Nathaniel Philbrick paru en France, et dans le  Livre de poche, sous le titre explicite La Véritable Histoire de Moby Dick : le naufrage de l’Essex qui inspira Herman Melville.

Il s’agit d’un roman, inspiré de faits réels, le naufrage de 1820 et le fait que Melville eut connaissance de son récit, publié dans la presse américaine à l’époque.

Et de manière plutôt inattendue, cela fait une réussite de cinéma, un bon et vrai film d’aventure, clair et net, porté par un souffle qui doit beaucoup à sa vitesse de narration, à l’absence de superstar, à un récit simple mais pas simpliste. Comme il convient, le film comporte quelques séquences spectaculaires, cela fait partie du genre, tout en effets spéciaux numériques, cela fait partie de l’époque, mais qui trouvent leur juste place et leur juste rythme dans le déroulement général de l’action.

Par un soir d’hiver pluvieux, un homme frappa à la vitre de la pauvre maison d’un vieux marin de Nantucket. Ça commence plutôt comme du Stevenson, mais ce visiteur du soir n’est autre que Herman Melville, qui s’en vient recueillir le témoignage du dernier survivant du naufrage du baleinier Essex. L’essentiel du film sera la narration du loup de mer jusqu’alors refermé sur ses secrets sinistres.

Au cœur de l’océan cingle dès lors hardiment vers un certain nombre de situations-types de tout récit d’aventure en haute mer, l’affrontement entre le marin aguerri mais de basse extraction et l’aristocrate arrogant offrant une tension dramatique que relaie la rencontre avec le monstre des mers, cachalot géant et déterminé à régler leur compte aux prédateurs humains. Le film réussit ainsi à tisser ensemble péripéties humaines, affrontement avec la nature et interrogation sur le Mal (dont le cétacé est peut-être le symbole, certainement pas le seul représentant).

Ces événements nourriront le projet de fiction de l’écrivain qui les recueille, mais le film lui-même ajoute des éléments de réflexion sur la violence extrême dans la quête des ressources prélevée sur la nature (l’huile de baleine comme carburant à la veille de la découverte de premiers puits de pétrole aux Etats-Unis) qui ne joueront aucune part dans l’épopée métaphysique que sera l’œuvre de Melville, non plus qu’il utilisera les épisodes de naufragés poussés aux dernières limites de l’humanité pour survivre.

Le scénario croise à proximité des poncifs du genre, offre son comptant de tempête, d’effets de coque fendant fièrement les flots et de catastrophes maritimes, il ne manque pas de scander les « amener les huniers dans les bas-voiles » et « affalez les perroquets » qui sont comme les formules magiques des films d’aventure en mer. Mais il y injecte des variantes, notamment dans la caractérisation des personnages, qui empêchent le récit de s’encalminer dans la simple répétition de recettes.

Et ce d’autant mieux qu’il ne repose pas sur un star système qui aurait été ici une pesanteur – pas évident de reconnaître en Chris Hemsworth, bon acteur comme il le montrait déjà dans le dernier Michael Mann, le Dieu Thor de la sage Marvel. Avec comme toile de fond l’enquête de Melville pour écrire Moby-Dick, Au cœur de l’océan offre aussi sans insister un aperçu du travail de fiction lui-même, une manière de raconter comment un événement  dramatique peut devenir un récit, voire une des plus grandes œuvres littéraires jamais crées.    

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«Seul sur Mars», check-list pour un vol (plus ou moins) habité

Seulsurmars5Seul sur Mars de Ridley Scott, avec Matt Damon, Chiwetel Eliofor, Jessica Chastain, Jeff Daniels. Durée : 2h21. Sortie le 21 octobre.

Deux modèles étendent leur ombre, ombre de taille très inégale, sur ce séjour martien. L’un relève du réflexe pavlovien des grands studios hollywoodiens (décliner dès que possible une formule qui a marché), l’autre de l’inscription dans une longue tradition culturelle (adapter à un contexte contemporain un récit fondateur et largement connu, conçu dans un tout autre contexte). Le nouveau film de Ridley Scott s’inscrit donc en orbite croisée autour de Gravity et de Robinson Crusoé.

Du second, il conserve un peu du côté matériel, technique, quotidien. Dès lors que l’astronaute et botaniste Mark Watney est laissé pour mort sur la planète rouge par l’équipage dont il faisait partie, contraint de fuir devant une tempête, la description des techniques de survie, le bricolage créatif fournissent les meilleures scènes du film.

On y retrouve le plaisir principal du roman de Defoe (ou de L’Ile mystérieuse de Jules Verne), une histoire de garçon plutôt, de boyscout avec son Manuel des Castors Juniors et seulement un canif et trois allumettes dans la poche pour réanimer un monde vivable. Le visage, le corps et le jeu à la fois enfantin et viril, sans aucune sophistication, de Matt Damon conviennent parfaitement à la tâche.

Mais, pas plus que Gravity de surfaite mémoire, Seul sur Mars n’ose tenir le pari de la solitude. Du moins, immense avantage sur son prédecesseur, les retours sur terre destinés à meubler ne sont plus dévolus au crétinisme familialiste. Le contrepoint terrestre de l’aventure se joue entièrement chez les responsables de la Nasa, et ceux auxquels ils doivent rendre des compte (et demander de l’argent): les politiques et le public.

Bien que mise en œuvre de manière singulièrement naïve, pour ne pas dire bébête, la tension entre action et émission d’information fabrique le véritable et intéressant ressort du film.

Coté terre, la question est dédoublée en «on fait quoi?» (une nouvelle fusée? un vol cargo pour envoyer de la nourriture? une alliance avec les Chinois? le changement de trajectoire de l’équipage sur le chemin du retour?) et «on dit quoi?», «on raconte quoi?» (aux dirigeants, aux publics –traités ouvertement comme une masse de veaux– aux partenaires mi-ennemis mi-alliés de l’étranger, et à Mark Watney himself, bloqué à mille miles de toute terre habitée, mais relié par un fil de com).

Cette double question est symétrique de celle qui se pose au personnage principal, elle aussi divisée entre «je fais quoi?» (pour faire pousser des patates sur Mars et traverser un désert rouge plus vaste que toute l’œuvre de Michelangelo Antonioni) et «je sais quoi?». Et ça, ça fait un scénario qui tourne, la mécanique de Seul sur Mars.

Scénario intéressant, aussi, par sa manière de jouer sur une autre limite. Le titre est lourd de malentendu. Assurément Watney est seul sur sa planète, pas de Vendredi en perspective, ni d’E.T., ni expérience de l’«autre» ni utopie d’un monde plus grand et plus riche que ce que nous en savons. (…)

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