
L'affiche officielle du Festival, une photo de Faye Dunaway, accrochée sur le Palais, le 9 mai. REUTERS/Eric Gaillard
MERCREDI 11 MAI, JOUR #1
Bon alors, elle est comment la sélection à Cannes cette année? Question récurrente, pour ne pas dire obsédante, depuis la mi-avril. Deux réponses (décevantes).
1) On n’en sait rien, on n’a pas vu les films. Tout ce que les uns et les autres pourront en dire se base sur des supputations, ou des généralités. Depuis que la critique existe, sa raison d’être est d’affirmer la prééminence des films pris un par un, et de la rencontre avec les films, sur… tout le reste : l’événementiel, le people, l’économie, la sociologie, la statistique.
A Cannes, plus encore qu’ailleurs, devrait primer cette expérience particulière, disons la promesse de cette expérience particulière qu’est la rencontre entre quelqu’un, vous, moi, chacun mais pas «tout le monde», et un film, ce film-là, et aucun autre fut-il du même réalisateur, du même pays, sur le même sujet.
2) Mais quelle sélection? De quoi parlez-vous? La singularité de Cannes, sa grande réussite, c’est d’avoir réussi à tisser solidement la présence de films (et de gens, et de métiers) extrêmement différents sinon antinomiques, des films qui ne s’aiment pas toujours entre eux, ne se parlent pas forcément entre eux (ou alors involontairement), des films qui ne sont ni libres ni égaux malgré la belle utopie proclamée un jour par André Bazin.
A Cannes, il y a à la fois 20 films, 45 films, 90 films et 500 films. C’est la coexistence de ces multiples modes de présence qui fait en grande partie Cannes. Et cet assemblage-là, personne ne le maîtrise entièrement, même s’il résulte en grande partie des choix d’une poignée de personnes, les sélectionneurs.
Il y a donc la compétition officielle, la sélection officielle, l’ensemble des sélections, et la totalité des films qui seront présentés à Cannes, notamment au Marché du film – à quoi on pourrait ajouter ceux qui grâce à Cannes deviendront réalité… dans le futur.
Sans oublier les programmes patrimoniaux, Cannes Classics et le Cinéma de la Plage, les séances pour les lycéens, les programmes spéciaux, les ateliers, les espaces voués à un thème ou à des échanges spécifiques… Et les sélections de dernière minute de films en écho à l’actualité, qu’il s’agisse du film collectif égyptien directement lié aux événements de la Place Tahir ou des réalisations des Iraniens Jafar Panahi et Mohammad Rassoulof.

LE VOYAGE DANS LA LUNE (France, 1902, 16’) de Georges Mélies. Restauration depuis le négatif par Lobster Films, la Fondation Groupama Gan et la Fondation Technicolor.
Et encore voudra-t-on bien se souvenir qu’il y a grave abus de langage puisque «film» veut dire ici «long métrage», mais qu’il y a autant et davantage de courts montrés sur la Croisette.
Bref, c’est le foutoir? Au contraire! C’est l’étonnante réussite du «biotope» cannois que de faire exister cette diversité, et de faire que globalement les films, et l’idée même du cinéma, en tire avantage. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas qui se feront manger dans l’histoire. Où est-il le monde où personne ne meurt, l’environnement qui ne prospère pas aussi sur la destruction de certains de ses composants?
Donc, comment est la sélection à Cannes cette année? Réponse : cannoise. Bon, d’accord, mais quand même, on peut «lire» quelque chose. On peut observer un groupe significatif et réduit, le plus construit, et celui qui offre le plus de repères. Puisqu’il faudrait quand même prendre acte que sur les quelques 90 longs-métrages en sélections, c’est à dire qui ont fait l’objet d’un choix par les responsables de la sélection officielle (compétition, Un certain regard, hors compétition), de la Quinzaine des réalisateurs, de la Semaine de la critique et de l’ACID, que parmi ces longs-métrages la très grande majorité sont des films de réalisateurs inconnus ou quasi, dont un grand nombre de premiers films.
Seule la compétition officielle fait la part belle aux célébrités, ce qui veut dire aussi que la présence de ces célébrités aide à donner de la visibilité aux autres. Son cet aspect stratégique, elle est supposée recevoir le renfort du «hors compétition», qui sert aussi à adresser des clins d’œil aux films de genre et au documentaire. Petite faiblesse, qui se confirme d’année en année, du côté de grandes productions: on peut parier que les responsables du Festival auraient été ravis de trouver un camarade de jeu aux Pirates des Caraïbes, mais que c’est à Hollywood qu’on se fait tirer l’oreille pour venir jouer dans une cour qui ne respecte pas les règles du big business.
Les studios savent qu’aujourd’hui la venue de leurs blockbusters et de leurs stars rapportent plus au Festival qu’à leurs produits (et leur coûte une fortune). Heureusement qu’il y a le-film-sur-Sarkozy et le-film-sur-Bollywood pour donner du grain à moudre à ceux qui ne s’intéressent pas particulièrement à la beauté des films – ils sont légion à Cannes, c’est dommage mais c’est comme ça.
Mais revenons à la compétition officielle (à laquelle on peut à bon droit adjoindre les films d’ouverture et de clôture). Il semble que cette année propose une épure assez parfaite d’une composition qui s’apparente à l’ordonnancement d’un festin et pas à l’étalage d’un self-service. Sur la foi du statut des réalisateurs (et pas, il faut le redire, de ce que seront les films), il est possible de dessiner une carte composée de quatre régions, même si les frontières entre elles peuvent être floues.
«Grands auteurs», «auteurs ascendants» et «mavericks»
La première, la plus grande avec 8 titres sur 21, est celle des «Grands Auteurs», ces signatures confirmées qui ne figurent pas par hasard au sommet de la reconnaissance artistique mondiale depuis des années : Woody Allen, Pedro Almodovar, Nuri Bilge Ceylan, Jean-Pierre et Luc Dardenne, Aki Kaurismaki, Terrence Malick, Nanni Moretti et Lars von Trier. Trois détenteurs de Palme d’or (les Dardenne – 2 fois –, Moretti et Lars von Trier), deux Américains, une présence forte et diversifiée de l’Europe, pas de Français, pas d’Asiatiques. En cherchant dans les autres sélections, on trouverait trois autres «Grands Auteurs» français, André Téchiné, Bruno Dumont et Robert Guédiguian, et un autre américain, Gus Van Sant. Sur une centaine de titres, ce n’est pas énorme.
THE TREE OF LIFE de Terrence Malick – CANNES 2011 par Vernoris
Deuxième «région», celle des «Auteurs Ascendants», réalisateurs déjà repérés sans avoir atteint la consécration des précédents, cinéastes déjà bien connus des cinéphiles sans avoir conquis une reconnaissance au-delà de ce cercle, et qui font partie des possibles grandes figures de l’art du cinéma à l’avenir: Bertrand Bonello, Naomi Kawase, Lynne Ramsay, Paolo Sorrentino – Christophe Honoré se situant sur la frontière entre ces deux territoires.
Figurent ensuite ceux qu’on pourrait appeler les Mavericks, à la fois connus et marginaux, qu’il est réjouissant de retrouver en compétition, eux qui occupent une place importante depuis longtemps, mais pour des publics restreints: Alain Cavalier et Takeshi Miike.
Enfin les «Découvertes», cinéastes peu ou pas apparus jusqu’à présent sur le radar des festivals: les débutants Julia Leigh et Markus Schleinzer bien sûr, mais aussi Joseph Cedar, Maïwenn, Nicolas Winding Refn, et des réalisateurs mieux repérés sur les cimes du box-office que du côté de la reconnaissance cinéphile, Michel Hazanavicius et Radu Mihaileanu. Soit, quantitativement, le deuxième groupe le plus important, qui équilibre celui des cinéastes consacrés et assure que, y compris en compétition, une redistribution des cartes est possible. Autant pour l’accusation récurrente d’un festival des «valeurs sûres».
Evidemment la mise en œuvre de cet assemblage change chaque année, en fonction de l’offre de films, et permet d’autres hypothèses, notamment pour ce qui concerne les origines géographiques. Mais sur la longue durée, cet équilibre entre célébrités festivalières et diverses autres positions sur l’échelle de la reconnaissance se retrouve. C’est lui qui, pour une bonne part, assure la possibilité pour Cannes de tenir son rang, le premier.
Jean-Michel Frodon
Carla Bruni au cinéma!!!…Qui vivra, verra sous la “présidence” Sarkozy. Pas d’autres commentaires si ce n’est vivement avril 2012
Well, all things considered…
[…] Qu’est-ce qu’une sélection? […]