Chroniques Cannes 2011

Qu’est-ce qu’une sélection?

Introduction au Festival 2011

Woody d’ouverture, vertige du passé et double-fond

«Midnight in Paris», de Woody Allen, Sélection officielle, hors compétition.

La Guerre est acclamée

«La Guerre est déclarée», de Valérie Donzelli, Semaine critique.

Habemus Moretti

«Habemus Papam», de Nanni Moretti, compétion officielle

Les enfants trinquent

«Le gamin au vélo», de Jean-Pierre et Luc Dardenne, compétion officielle

Salut The Artist

«The Artist», de Michel Hazanavicius, compétition officielle

La secte Malick et le monde cinéma

Tree of Life de T. Malick (Compétition), Hors Satan de B. Dumont (Certain Regard), L’Apollonide (B.Bonello), Impardonnables (A. Téchiné)

Jour de grâce

Le Havre de Aki Kaurismaki (Compétition), Pater de Alain Cavalier (Compétition)

Biais d’actualité

” La Conquête” de X. Durringer (Hors compétition), “18 jours”, film collectif egyptien  (Hors compétition)

Une caméra libre à Téhéran

“Ceci n’est pas un film” de Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmabs (Hors compétition)

Festival expérience

“Le jour où il vient” de Hong Sang-soo, “Il étatit une fois en Anatolie” de Nuri Bilge Ceylan

Femmes de Cannes

“La Source des femmes” de Radu Mihileanu, “Les Bien-aimés” de Christophe Honoré

Baisers volés

Palmarès (triste) et bilan (joyeux)

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Cannes: cru classieux

 

La sélection officielle du 64e Festival de Cannes était confrontée à un effet d’annonce fragilisant: réputée d’emblée comme un «bon cru», elle risquait d’apparaître inévitablement comme en deçà d’un top niveau idéal, tout en courant le risque symétrique d’être accusée de se conforter avec des «valeurs sûres» si la sélection se concentrait sur les grands noms du cinéma mondial.

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Ce que le cinéma fait avec Internet

Ouvroir The Movie, by Chris Marker

Du 28 au 31 mars, La fémis, la grande école des métiers du cinéma, a organisé un séminaire destiné à tous les élèves de l’école et également ouvert au public, sur le thème «Ce que le cinéma fait avec Internet». Sont intervenues des personnalités représentatives de toutes les facettes de la relation complexe entre cinéma et internet. Nous avons réorganisé en 5 «chapitres» les extraits des huit séances qui ont composé ces rencontres, intégralement filmées par les élèves de l’école.

Si les enregistrements ne montrent guère que des « têtes qui parlent » (celles des intervenants qui se sont succédés à la tribune), ces textes comporteront des liens permettant de visionner certains des éléments auxquels il est fait référence.

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Chronique de la fin du monde

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Journal d’une demi-Berlinale, n°1

J’arrive au Festival de Berlin au milieu, pas possible de prétendre rendre compte de toute la manifestation. En plus j’arrive agacé : à Paris, j’ai reçu vingt invitations à des fêtes berlinoises, qui toutes avaient lieu entre le 10 et le 14. Cela faisait deux ans que je n’étais pas venu, je découvre que la montée en puissance du Marché du Film, qui ne se tient que durant les cinq premiers jours, a littéralement cassé en deux la Berlinale, et complètement atrophié sa deuxième partie. Tous les amis à qui j’avais proposé de se retrouver ici repartaient le lundi ou le mardi… Métaphore évidente (le marché vs la sélection artistique), mais surtout symbole de ce qui menace les manifestations en apparence les plus solides. En plus, il gèle à mur fendre.

Mais tout cela n’a très vite aucune importance. Première projection : un abîme de bonheur. Avec  Le Cheval de Turin, Béla Tarr déploie une parabole sublime et désespéré, une prophétie d’apocalypse qui explose lentement à l’intérieur de plans où ne figurent pourtant qu’un vieux paysan et sa fille, au cœur de la puszta hongroise battue par un vent de fin du monde. L’homme est peut-être le cocher qui, Piazza Alberto à Turin, battait ce cheval que Friedrich Nietzche prit dans ses bras pour un geste désespéré de refus de la terreur, le 3 janvier 1889, avant de sombrer dans une folie dont il ne sortirait que par la mort. Ou peut-être pas, là n’est pas l’important, mais dans la puissance de construction des plans, par la lumière et la durée. Une porte de grange, une flamme qui vacille, un puits à sec, des patates bouillies : chaque image se révèle peu à peu riche d’une puissance presqu’infinie.

Erika JanosJanos Derzsi et Erika Bok dans Le Cheval de Turin de Béla Tarr

C’est comme regarder un portrait de Rembrandt ou une nature morte de Van Gogh, lorsqu’on a bien vu que cela représente un bonhomme avec le nez comme ci et la moustache comme ça, ou une paire de chaussures avec des talons comme ci et des lacets comme ça, il devient possible de pénétrer dans le tableau, de l’habiter, de l’investir d’une rêverie sensuelle, personnelle, sans limite. Parce que dans chacune de ces images il y a l’univers – comme dans toute véritable image, mais les véritables images sont rares, alors que les imageries sont légion. C’est très simple d’entrer dans les images immensément ouvertes et pleines à la fois de Béla Tarr, c’est l’opération la moins intellectuelle qui soit, même si on sait bien que peu de gens sont disponibles à cette aventure, et préfèrent que tout reste bien visible à la surface –  « comme les vieilles putes qui portent tout en devanture » disait Léo Ferré.

Dans Le Cheval de Turin, il y a du vent dans la plaine, le père handicapé et sa fille mangent des pommes de terre, le cheval lui ne mange plus, des Tsiganes enfiévrés viennent et puis s’en vont. Ça dure 146 minutes, c’est le temps qu’il faut.  Eh oui !  Vous êtes pressés ? N’allez pas au cinéma, allez au fast food.

C’est somptueux, et absolument tragique. Tragique ne veut pas dire sinistre, au contraire. Lorsque le battement intime des êtres et des choses, la vibration intérieure de ce qui fait vivre et mourir sont ainsi rendus sensibles, la puissance vertigineuse des images (images sonores, ô combien, même si taiseuses) submerge d’un torrent d’émotions à la fois inhabituelles et si proches, si humaines. La beauté n’est pas triste, jamais. Elle peut être terrible. Les spectateurs de Damnation (1982), de Satantango (1994), des Harmonies Werkmeister (2000) et de L’Homme de Londres (2007) le savent, Béla Tarr ne porte pas, n’a jamais porté sur le monde un regard optimiste. Ce n’est pas ce qui se passe dans son pays depuis que le populiste nationaliste raciste Victor Orban a pris le pouvoir qui risque de le mettre de meilleure humeur. La presse européenne a parlé de ce qu’Orban est en train de faire à la presse hongroise, la presse s’intéresse volontiers à ce qui arrive à la presse. Elle n’a pas dit un mot de la lettre signée par tous les grands cinéastes hongrois pour alerter sur la destruction méthodique perpétrée par les nouvelles autorités.

Voici cette lettre :

Aux amis du cinéma hongrois

La culture est un droit humain élémentaire. Le cinéma hongrois est une composante à part entier de la culture européenne. Les films hongrois parlent du peuple hongrois, de la culture hongroise, d’une manière unique et originale. Ces œuvres emploient un langage artistique particulier pour transmettre au monde ce qu’est notre pays, ce que nous sommes. Détruire cela c’est détruire la culture.

Cela ne peut pas être justifié par le « réalisme économique », une vision faussée de la situation financière, une idéologie politique ou un point de vue subjectif.

Le gouvernement hongrois a décidé qu’à la place de structure démocratiquement gérée par les professionnels du cinéma qui a garanti le pluralisme de la production jusqu’à aujourd’hui, une seule personne nommée par lui aurait désormais tout pouvoir de décision. A nos yeux cette décision menace la diversité du cinéma hongrois.

Nous, cinéastes hongrois, décidés à rester fidèles à notre vocation et désireux de pouvoir continuer à travailler au mieux de nos capacités artistiques, demandons à chacun de soutenir le pluralisme du cinéma hongrois.

Budapest, le 10 janvier 2011.

Signé : Ildikó Enyedi, Benedek Fliegauf, Szabolcs Hajdú, Miklós Jancsó, Ágnes Kocsis, Márta Mészáros, Kornél Mundruczó, György Pálfi, Béla Tarr.

Cette lettre a pour l’instant reçu le soutien des artistes et professionnels dont les noms suivent :Theo Angelopoulos (Grèce), Olivier Assayas (France), Bertrand Bonello (France), , Frédéric Boyer (France), Leon Cakoff (Brésil),  Alfonso Cuaron (Mexique), Luc et Jean-Pierre Dardenne (Belgique), Arnaud Desplechin (France), Jacques Doillon (France), Marion Döring (Allemagne), Atom Egoyan (Canada), Amat Escalante (Mexique), Jean-Michel Frodon (France), John Gianvito (USA), Erika et Ulrich Gregor (Allemagne), Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (Liban), Michael Haneke (Autriche), Alejandro Hartmann (Argentina), Shozo Ichiyama (Japon), Jim Jarmush (USA), Aki Kaurismaki (Finlande), Stella Kavadatou (Grèce), Vassilis Konstandopoulos (Grèce), Mia Hansen-Love (France), Wojciech Marczewski (Pologne), Cristian Mungiu (Roumanie), Celina Murga (Argentine), Olivier Père (Suisse), Timothy et Stephen Quay (Grande Bretagne), Carlos Reygadas (Mexique), Arturo Ripstein (Mexique), Daniel Rosenfeld (Argentine), Gus van Sant (USA), Uli M Schueppel (Allememagne), Ulrich Seidl (Autriche), Hanna Schygulla (France), Tilda Swinton (Grande Bretagne), Juan Villegas (Argentine), Peter Watkins (Grande Breyagne), Andrzej Wajda (Pologne).

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Renaissance à Nantes, requiem en Chine

Gesher 1

Vous allez me prendre pour un sadique, mais c’est un spectacle dont je ne me lasse pas : une foule de gens de tous âges attendant par un froid polaire, de bon matin ou dans le soir qui vient. C’est qu’eux-mêmes ne se plaignent pas du tout, ils sont même d’une singulière bonne humeur, ces Nantais que j’ai vus, séance après séance, faire la queue pour ne pas manquer un documentaire colombien ou un premier film iranien. Et leur engouement est le plus rassurant symptôme d’une possible renaissance du Festival des 3 Continents, événement qui occupa une place importante dans l’histoire du cinéma moderne, mais semblait menacé sinon de disparaître, du moins de s’effacer dans une grisaille plus froide et triste que le grésil qui s’abat sur les environs de la place Graslin.

Petit flashback :  au début des années 80, le Festival, né en 1978 dans les derniers soubresaut des mouvements tiers-mondistes, joue un rôle essentiel dans la découverte en France et dans tout l’Occident de l’émergence de cinématographies qui vont changer l’apparence même de la planète cinéma. Les fondateurs de la manifestation, les frères Alain et Philippe Jalladeau, jouent un rôle reconnu ici par ceux qui s’intéressent au sujet, mais deviennent de véritables personnalités de Taipei à Bogota et à Casablanca, de Bamako à Alma-Ata et à Manille, de Mexico à Seoul et à Trivandrum. Ça fait du monde.

Ça fait un monde. Ça fait aussi beaucoup de films, beaucoup de styles, de couleurs, de musiques, de rythmes, des visages différents. Beaucoup de réalisateurs, mais également beaucoup de spectateurs, à Nantes même où, année après année et notamment grâce à une bonne politique avec le monde enseignant, un public considérable se construit, se renforce et se stabilise.

Pourtant, une vingtaine d’années plus tard, les choses n’allaient franchement plus si bien. Le F3C se retrouvait au milieu des années 2000 en danger sinon de mort, du moins de marginalisation. En raison de trois crises nouées, toutes significatives au-delà du cas particulier de cette manifestation. 1) Le F3C avait été victime de son succès, les plus grands festivals du monde se disputaient désormais les cinéastes qu’ils avaient avec quelques rares autres (Rotterdam, Fribourg, Locarno, Pesaro) permis de révéler, rivalisaient de séduction pour être ceux qui découvriraient les nouveaux Kiarostami, Hou Hsiao-hsien,  Souleyman Cissé, Hugo Santiago, Darejan Omirbaiev, Hong Sang-soo, Jia Zhang-ke, etc. Tant mieux si, confirmés ou émergents, les films venus de ces régions étaient devenus des must ! Sauf qu’il devenait de plus en plus difficile à la manifestation nantaise de jouer son rôle de tête chercheuse face à une concurrence si nombreuse et souvent plus puissante. 2) la fécondité de la planète cinéma avait évolué, et parmi les fameux « trois continents », si l’Asie aurait justifié à elle seule d’organiser dix festivals (ce qui se fit, et davantage), on se lamentait de ne trouver parfois qu’un film africain, et très peu de latino-américains regardables. 3) le F3C avait vieilli, rien de plus normal, et d’abord sa paire de directeurs, irremplaçables et devant être remplacés. Ça se passa aussi mal que possible. Ça arrive souvent, pas que dans le cinéma ni que dans les festivals.

Entre mutations planétaires et clochemerles affectifs et administratifs, on était mal parti. 2008 fut chaotique, 2009 calamiteux.  Il semble, au vu de l’édition qui s’est tenue du 23 au 30 novembre, qu’on se trouve au contraire à nouveau sur une bonne voie, en tout cas qui inspire l’espoir.

La mise en place d’une nouvelle équipe pilotée par Sandrine Butteau et Jérôme Baron laisse augurer du juste changement sans reniement qui pourrait résoudre l’aspect local de la crise, pour peu que les finances entretemps gravement compromises puissent être rétablies. Il faut d’autant plus le souhaiter que la situation d’ensemble relégitime dans une large mesure la nécessité d’une telle manifestation, comme l’a montré sa programmation. On a vu en effet apparaître une flopée de films intéressants, et dans certains cas passionnants, qui ne trouveront pas place dans les programmations vedettes des grands festivals internationaux. Et on a vu se confirmer une tendance lourde de ces dernières années, l’efflorescence de films de grande qualité en provenance de la quasi-totalité de l’Amérique latine, sans que l’offre asiatique faiblisse pour autant. Il est certain que le « troisième », l’Afrique, continue de rester très en retrait, raison de plus pour ne pas laisser tomber. Argentine, Brésil et Mexique bien sûr, mais aussi Pérou (le très beau Octubre sort en France en janvier), Paraguay (deux films !), Chili, République dominicaine, Cuba… Une manifestation comme le F3C est, avec d’autres, indispensable pour observer ce phénomène massif, qui est évidemment en phase avec les évolutions sociopolitiques du continent lui-même. Pour trier aussi, en termes de qualité mais d’abord de spécificités locales et nationales, parmi cet afflux désormais massif de films latinos.

The DitchThe Ditch de Wang Bing

Parmi les films asiatiqu3es, avec cette année une attention particulière à la Chine, se dégageait clairement un film extrêmement impressionnant, l’évocation du « goulag » chinois dans le désert de Gobi à la fin des années 50, Le Fossé. Réalisé par Wang Bing, auteur d’un immense documentaire qui a marqué le début des années 2000, A l’Ouest des rails, mais aussi de He Feng-ming, chronique d’une femme chinoise, bouleversant témoignage sur ces années noires dont l’évocation demeure interdite en Chine, le film est une des plus justes et émouvantes réponses à l’éternelle question de la représentation de la douleur extrême à l’écran. Requiem incarné, chant funèbre aux victimes oubliées qui par centaines de milliers périrent dans le glacial Nord-Ouest chinois, Le Fossé fait du même mouvement travail d’histoire, travail de deuil, travail de sens et d’émotion.

Le film (déjà présenté au Festival de Venise) est un peu hors norme, au sein d’une sélection qui a permis de découvrir aussi bien un très beau poème aux déshérités d’une ville pétrolière d’Iran (Gesher de Vahid Vakili Far, la photo en tête d’article), un très dynamique jeune auteur japonais (Tetsuya Mariko avec Yellow Kid), le toujours vivace cinéma malaisien (Tiger Factory) et thaïlandais (Mundane History), l’émotion d’une enquête très personnelle menée par la Paraguayenne Renate Costa (Cuchillo de palo), un intrigant récit d’initiation ourdi par le Taïwanais Chung Mong-hong (The Fourth Portrait), la beauté comme outil documentaire chez le Colombien Nicolas Rincon Gille (Los Abarazos del Rio)… La qualité de ce travail de découverte prend tout son sens et toute sa puissance dans sa capacité retrouvée à susciter la curiosité et souvent l’enthousiasme de ce public qui reste la plus belle réussite du Festival. Un festival que l’état paradoxal du cinéma, plus fécond que jamais mais en pleine dérive d’exclusion du « non mainstream », rend d’une nécessité au moins aussi urgente qu’à l’époque de sa création.

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Intelligence d’un festival

-films-vie_cachee_de_nos_genes

-films-ras_nucleaireJe reçois souvent des invitations à participer à des festivals, fréquemment comme membre d’un jury. J’y réponds de mon mieux, tant je suis convaincu de l’importance de ces manifestations, notamment des « petits festivals » qui irriguent, en France particulièrement, un riche tissu de relations entre spectateurs et films. Mais souvent je dois refuser, pour des problèmes d’emploi du temps. Lorsque j’ai reçu l’invitation à présider le jury du Festival « A nous de voir » d’Oullins, près de Lyon, j’ai pourtant accepté, aussi au titre de mon activité de rédacteur en chef du site artsciencefactory puisque le thème du festival est le “film de science”.

Des amis plus spécialisés que moi m’ont confirmé la qualité du travail qui s’y faisait, j’ai constaté qu’y avaient été plusieurs fois primés de jeunes réalisateurs que je tiens parmi les meilleurs aujourd’hui dans l’approche du domaine scientifique par les moyens du cinéma, Mathias Théry et Etienne Chaillou… Bref, j’ai accepté.

Mais je me suis étonné auprès de la déléguée générale du Festival, Pascale Bazin, du programme qu’elle m’avait communiqué : une journée pour voir les films, une journée pour délibérer. D’ordinaire, la délibération prend entre une heure et deux heures et demi, quand c’est compliqué, avec beaucoup de films. Là, on avait 8 films, dont 7 de moins d’une heure. Elle m’a répondu que je verrai bien, mais qu’elle croyait cette durée utile. J’ai vu.

J’ai vu d’abord que j’étais le seul « spécialiste du cinéma » (hum…) du jury. Autour de moi, des pointures, mais venus d’autres domaines : la neurobiologiste Catherine Vidal, les sociologues Alain Kaufmann et Dominique Cardon, le philosophe des sciences Jean-Michel Besnier, l’historien Denis Peschanski. Donc on a regardé les films ensemble, je n’en parlerai pas ici en détail, ce n’est pas le sujet de cette chronique. Disons seulement qu’ils étaient d’une extraordinaire diversité dans leurs thèmes (le clonage et l’épigénétique, les suites d’une expédition anthropologique dans le Pacifique Sud, le risque nucléaire quand EDF confie l’entretien des centrales à des sous-traitants, la collecte quotidienne de données par des amateurs pour Météo-France, les effets du néolibéralisme sur le traitement des troubles psychiatriques graves, le portrait de l’inventeur du LSD…), tout aussi divers par leur distance à un sujet scientifique, leur style et leur ton.

Le lendemain, surprise : au moment de se réunir pour choisir le lauréat, un micro est installé bien en évidence, qui va enregistrer nos débats, auxquels assistera (sans jamais intervenir) la déléguée générale du Festival. Après quelques considérations sur l’œil de Moscou qui nous surveille, commencent des délibérations qui vont justifier amplement et le temps qui leur est imparti, et la présence du micro, destiné à les restituer au moins pour l’équipe qui organise le festival. Commence en effet, grâce à l’acuité des regards différents portés sur les mêmes films, la production d’un ensemble de réflexions, à la fois sur les sujets évoqués par les films et sur les capacités du cinéma à aborder ces enjeux, d’une richesse qui me paraît supérieure à celle des films eux-mêmes. Ça prendra une bonne partie de la journée, et il fallait bien ça, ce sera d’ailleurs complété par une conversation entre notre jury et un autre composé d’étudiants en cinéma et d’étudiants en sciences, conversation elle aussi fort instructive.

Je prends conscience de la richesse que pourrait, que devrait représenter une discussion de jury, dès lors que le but premier n’est ni d’imposer un candidat ni d’en finir au plus vite avec cette tâche protocolaire. Sans doute la composition de ce jury-là était elle exceptionnelle, mais il y aurait de toute façon beaucoup mieux à faire que ce qui se pratique d’ordinaire. A mesure que le temps passe, j’éprouve un sentiment de gratitude, à l’égard de  mes co-jurés qui, défendant des films que je n’aime guère, y voient des choses qu’ils savent rendre passionnantes, à l’égard de l’organisation du Festival qui, par le choix des films et des jurés mais aussi la construction de cette durée, a rendu cette situation possible, et à l’égard du cinéma lui-même, décidément infiniment fécond, même quand, à mes yeux, il est pauvrement représenté dans des productions pour la plupart formatées pour une diffusion télé qui est leur seule chance de viabilité économique. A la fin, nous ne savons toujours pas ce que veut dire “film de science”, mais nous sommes nettement plus au clair sur nos attentes et nos exigences vis-à-vis des films pris un par un.

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Une image de La Pieuvre de Laetita Carton

Et vous savez quoi ? Au terme de cette longue conversation, c’est bel et bien la réalisation qui relève le plus directement du geste cinématographique, la seule d’ailleurs qui dure 1h30, vers laquelle converge la très grande majorité des suffrages. Il s’agit d’un premier long métrage d’une jeune femme de 33 ans, Laetitia Carton, intitulé La Pieuvre. Avec un impressionnant mélange de courage, de sensibilité et de précision, elle y décrit sa propre existence au sein de sa famille soumise à l’omniprésence d’une maladie atroce, la chorée de Huntington, qui a emporté un grand nombre des siens, frappe de ses terribles symptômes plusieurs autres, et la menace elle aussi.  Aussi pudique qu’émouvant, le film est une éclatante expression de la capacité du cinéma à construire une compréhension à la fois de ce que fait une maladie et des processus individuels et collectifs de multiples natures qu’elle est susceptible de déclencher, à l’échelle d’une famille comme de la collectivité.

Image 4La soirée du palmarès achèvera de consacrer cette évidence, celle du talent d’une jeune cinéaste comme de la richesse possible de l’interaction entre enjeux cinématographiques et scientifiques : avant notre propre récompense, le prix du public et le prix du Jury jeune ira… à La Pieuvre de Laetitia Carton.

Au générique, il est indiqué que le film a été coproduit par FR3, ce qui lui promet une diffusion sur la chaine. Mais après la proclamation des résultats, la réalisatrice nous apprendra que FR3 ne manifeste aucun empressement à le diffuser. «Trop personnel », trop direct… Mes collègues du jury sont outrés, des portables bien intentionnés jaillissent pour appeler quelqu’un d’influent qui mettrait un terme à cette bêtise et à cette injustice. Pendant les délibérations du jury, j’avais essayé, pas toujours avec succès, de mettre en évidence les effets délétères du formatage télévisuel sur des projets qui, souvent, possédaient d’autres potentialités, celles du cinéma. Le cinéma où, je l’espère, on pourra un jour prochain voir La Pieuvre… avant qu’il passe (aussi) à la télé.

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Tokyo: menaces sur le ciné-environnement

DSC_0595.JPG_cmyk 2Les trois stars du Festival de Tokyo, Catherine Deneuve, le tapis vert et la Prius “écolo” promue par le sponsor Toyota.

C’est un événement bizarre, dont les faiblesses sont aussi instructives que les accomplissements. Labellisé comme un festival de première catégorie, à l’égal de Cannes, Venise ou Berlin, le TIFF (Tokyo International Film Festival), dont la 23e édition se tient du 23 au 31 octobre, est une entreprise considérable mais largement inefficace, malgré l’importance des moyens mis en œuvre. En Asie, son influence est très inférieure au festival le plus important, celui de Pusan en Corée, et la qualité de sa programmation n’approche pas celle du Festival de Hong Kong, d’autres festivals coréens plus pointus mais exigeants comme à Jeonju et au Cindi de Séoul, ou le très bon quoiqu’infiniment moins riche Filmex, à Tokyo même un mois plus tard.

C’est que le TIFF est exemplaire d’un mauvais agencement entre exigence artistique, ancrage dans les réalités de l’économie et articulation aux intérêts politiques locaux et nationaux – combinaison qui, lorsqu’elle fonctionne bien, est le socle même d’un festival efficace, c’est à dire à la fois d’une manifestation qui produit des effets significatifs, pour les films, pour les professionnels du cinéma, pour le cinéma en général, pour le tourisme local, pour la reconnaissance de la ville ou du pays organisateur. Ce qui fait, en ce cas, pas mal de retombées de diverses natures.

D’autres gros festivals sont victimes d’héritages bureaucratiques qui les plombent inexorablement – par exemple Shanghai, Moscou ou Le Caire. Le TIFF est lui victime d’une relation incestueuse avec l’industrie du spectacle : entièrement contrôlé par les Majors japonaises et américaines, ne disposant pas de sa propre équipe mais dépendant des employés des studios mis à disposition pour l’occasion, jusqu’à son président, Tom Yoda, patron de la dynamique société de production et de distribution Gaga, il est utilisé prioritairement comme vitrine pour le lancement des produits commerciaux de fin d’année. Installé dans le quartier chic, et pas du tout culturel ni cinéphile de Roppongi,  le TIFF n’est pas un rendez-vous dans l’agenda des personnalités culturelles qui comptent. Il ne l’est pas non plus chez les grandes pointures du cinéma mondial, et contraint de ne présenter en compétition que des inédits dans d’autres manifestations, il peine à attirer grandes stars et films de première magnitude : entre Venise ou Toronto en septembre et Pusan début octobre, d’autres destinations se taillent chaque année la part du lion.

Une des rares vedettes à avoir fait le voyage cette année, Catherine Deneuve, n’était là que parce que Potiche de François Ozon sort aussitôt, et que le distributeur japonais était prêt à un gros effort pour profiter des retombées médiatiques de la venue de la star française. Mais du coup, le Festival de Tokyo en est réduit à mettre l’accent sur des gadgets extra-cinématographiques, le plus visible ayant été le remplacement du traditionnel tapis rouge par un green carpet inlassablement mis en avant, symbole d’un engagement en faveur de l’environnement droit sorti de la gamberge d’un cabinet de communication. La nature ne s’y pas trompée: un typhon a obligé à avancer en catastrophe l’annonce du palmarès.

Cette faiblesse du Festival est clairement à rapprocher d’un phénomène auquel un séminaire, afin d’analyser les causes d’une diminution présentée comme aussi massive que regrettable de la présence des films européens sur les écrans japonais, diminution considérée comme un marqueur de la baisse d’une diversité culturelle sur les écrans japonais. Or en se penchant attentivement sur les statistiques, on découvrait une situation fort différente. D’abord il apparaissait que l’assimilation entre diversité d’origine géographique et diversité culturelle était largement factice. La première n’est pas menacée, la seconde, si, et gravement.

Côté nationalités des films, le Japon se caractérise d’abord par la domination de ses propres productions (448 films sur un total de 762 en 2009, et 57% des recettes), ce qui est plutôt un signe de santé, ensuite par la stabilité de la présence américaine. Le phénomène nouveau, et irréprochable sur le plan culturel, est la montée en puissance des productions asiatiques non-japonaises, avec désormais une centaine de titres chaque année dont la moitié venue de Corée du Sud.

Image 2Le nombre de films distribués chaque année au Japon, répartis entre films japonais et étrangers. En 2009, 170 films américains, 55 coréens, 41 français. (Source: UniJapan)

Cela réduit la part des Européens, un peu en valeur absolue, beaucoup en pourcentage, mais du point de vue de l’offre au public il n’y a aucune raison de s’en offusquer. Parmi les films européens, les productions françaises continuent de tenir, sur les tableaux d’Unifrance, le haut du pavé avec plus du tiers du total. Encore faut-il savoir si on parle du nombre de films, qui témoigne d’un réel dynamisme, ou du nombre d’entrées, où on constate un tout autre phénomène : l’immense majorité des spectateurs sont pour des films qui ne sont « français » que sur les documents officiels. Ce sont en fait soit des productions d’origine indiscernable pour le public japonais, exemplairement le documentaire Océans (distribué par Gaga) qui fait en ce moment un triomphe, soit des films d’action hollywoodiens produits sous pavillon tricolore, en général par Luc Besson, comme Transporteur ou Taken.

Le vrai critère, autrement difficile à mettre en œuvre que le nom du pays figurant sur le bordereau de distribution, concerne donc la nature des films. Et à cet égard on constate bien une chute de la diversité de l’offre, notamment sous l’effet de l’essor des multiplexes qui éliminent les salles proposant des films différents. Avant même les grands cinéastes européens, ce sont les auteurs japonais qui sont les premières victimes de ce phénomène : les Shinji Aoyama, Kiyoshi Kurosawa, Naomi Kawase, Nobuhiro Suwa ont de plus en plus de mal à tourner, et à trouver une exposition décente pour leurs films. Il est évident que le phénomène affecte, aussi, les auteurs étrangers, notamment européens, mais c’est moins une question de nationalité que d’ouverture à une diversité de styles et de tonalités.

Et il est clair que, parmi d’autres facteurs, le fait que le plus grand festival du pays, le TIFF, soit incapable de jouer son rôle de mise en avant d’œuvres proposant des alternatives fortes aux blockbusters est une des causes majeures de cet état de fait. C’est aussi le symptôme le plus visible d’un environnement hostile à l’art du cinéma, environnement auquel contribuent aussi chaines de télévision, grands médias, dirigeants économiques et décideurs politiques. Plutôt que son « écologie » de convenance, purement publicitaire, le TIFF ferait mieux de se préoccuper de l’écosystème cinématographique, qui le concerne bien plus. La biodiversité du cinéma au Japon en a un besoin urgent.

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Memory of a Burning Tree de Sherman Ong et Hi-So d’Aditya Assarat.

Même en milieu hostile il arrive qu’apparaissent des formes de vie inattendues. Malgré l’absence de grandes œuvres à Tokyo on y pouvait découvrir ici et là quelques réalisations dignes d’attention. Parmi elles, il fut possible de repérer une poignée d’œuvres significatives de la fécondité actuelle de l’Asie du Sud-Est. Ainsi du très beau Memory of a Burning Tree du singapourien Sherman Ong, intrigante collision Sud-Sud où un jeune cinéaste formé au réalisme méditatif asiatique installe sa caméra dans une métropole africaine, Dar-Es-Salam. Ainsi du troublant Hi-So du thaïlandais Aditya Assarat, belle histoire d’amour et de cinéma hantée par la mémoire du Tsunami. Ainsi du délicatement brutal Tiger Factory du malaisien Woo Ming-jin, ironique, sensuel et désespéré.

442_Main 2442, Live with Honor, Die with Dignity de Junichi Suzuki

Ou encore, loin de l’art du cinéma mais néanmoins d’une force incontestable, le documentaire de Junichi Suzuki 442, Live with Honor, Die with Dignity, consacré au régiment le plus décoré de l’histoire de l’armée des Etats-Unis. Composée d’Américains d’origine japonaise, cette unité formée dans les camps d’internements où furent brutalement (et illégalement) enfermés les descendants de japonais après Pearl Harbour  fut utilisée pour les pires missions durant la Deuxième Guerre mondiale, de Montecassino à Dachau en passant par la bataille des Vosges. Ces Américains-là, qui avaient vécu comme une iniquité d’être déchus de leur nationalité, gagnèrent au prix de sacrifices incroyables le droit à ce commentaire du Président Truman le jour de la dissolution du 442e : « vous n’avez pas seulement combattu l’ennemi, vous avez combattu les préjugés. Et vous avez vaincu. » Les survivants, très vieux, très japonais et hyper-américains qui témoignent dans le film sont d’étonnants et complexes personnages, couturés de cicatrices, de traumatismes, de contradictions et de constructions idéologiques. On regrette seulement que réalisation et commentaire ne leur réservent que la plus conventionnelle des places.

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Locarno Experience

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Sur la scène et sur l’écran de la Piazza grande, Olivier Père, italianophone habile et programmateur inspiré

Vétéran du genre (il en est à sa 63e édition), le Festival de Locarno qui se tient du 4 au 14 août a la particularité d’être le premier sous la direction artistique d’Olivier Père, auparavant responsable de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, à laquelle il a redonné dynamisme et rigueur. Pas besoin de passer très longtemps sur la rive du Lac Majeur pour comprendre que le nouveau direttore a d’ores et déjà gagné son pari. Servi par une météo bienveillante – donnée importante dans une manifestation dont le climax quotidien est la projection en plein air sur l’écran géant de la Piazza grande devant 9000 spectateurs – le déroulement des opérations se fait dans une ambiance chaleureuse et assidue, un public toujours aussi nombreux se pressant dans les salles.

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Chaque soir face à lui-même, le public du Festival

Ce public est à la fois la chance et le souci du programmateur : véritable trésor constitué au cours des éditions précédentes, il est suffisamment disparate pour que le choix de ce qui lui sera montré constitue un véritable casse-tête. Si des cinéphiles exigeants convergent chaque été de toute l’Europe vers Locarno, on y trouve aussi en grand nombre estivants en famille, professionnels aux intérêts divergents, et riches résidents permanents ou temporaires d’une des régions les plus huppées du monde. A ce défi, Olivier Père a répondu par la vigoureuse revendication de son ambition, appuyée sur quelques habiletés tactiques. La plus visible de celles-ci aura été le choix, cinéphiliquement irréprochable, d’une intégrale Lubitsch : bonheur intact de découvrir ou revoir une œuvre portée par la finesse et l’élégance, véritable opportunité pour beaucoup de découvrir les films réalisés en Allemagne avant l’émigration à Hollywood en 1923, base de repli rassurante face à certaines propositions dans les autres programmes susceptibles de déconcerter les festivaliers timorés.

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Après le thé, Jia-Zhang-ke recevra une statuette dorée à l’image du félin fétiche de la manifestation, et l’admiration sincère de tous les amoureux du cinéma

Autre choix tactique judicieux, la distribution de statuettes honorifiques et autres titres, selon un assemblage à même d’envoyer d’utiles signaux diplomatiques : aux Suisses avec un Léopard d’or à Alain Tanner, aux toujours entreprenants voisins italiens avec un autre à Francesco Rosi, en gage de reconduction du lien traditionnel avec les cinémas asiatiques en rendant un vif hommage à Jia Zhang-ke et en dédiant les journées de bourse aux projets aux cinématographies d’Asie centrale, sans oublier un petit salut au jeune cinéma d’auteur français en la personne de Chiara Mastroianni.  En outre, il a été fort remarqué qu’Olivier Père effectuait toutes ses présentations en italien, contrant ainsi le soupçon toujours très présent, surtout chez les Suisses alémaniques et les Tessinois, contre l’impérialisme culturel français.

Tout aussi adroit aura été la création d’un lieu pour noctambules, boîte de nuit à ciel ouvert qui s’est aussi révélée espace convivial où croiser sans restrictions beaucoup de personnalités invitées, rapidement devenues des habitué(e)s.

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Rubber de Quentin Dupieux et Curling de Denis Côté

Naturellement ces à-côtés ne valent qu’au nom du principal, le choix des films sélectionnés. Il me semble que s’il fallait définir d’un mot la ligne éditoriale, ce serait avec le mot « expérience ». Non pas qu’il s’agisse de ce qu’on appelle des « films expérimentaux », mais parce que la sélection parie sur la singularité et l’intensité de ce qui est susceptible d’être vécu, séance par séance, par ceux qui assistent au Festival, plutôt que sur la construction d’un discours général sur l’état du cinéma mondial. La provocation y a sa place (le porno gay et gore L.A. Zombie de Bruce LaBruce sur la Piazza a fait jaser, c’était prévu pour), comme l’invitation à des rencontres avec des formats inhabituels, par leur durée, leur approche ou leur support. Concevoir ainsi son programme, c’est chercher non une uniformisation ou un affichage, mais la mise en œuvre d’un esprit, qui puisse trouver projection après projection à s’incarner en avatars aussi mémorables qu’extrêmement différents entre eux.

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Homme au bain de Christophe Honoré et Foreign Parts de Verena Paravel et JP Sniadecki

L’esprit fut-il là ? Il m’a semblé que oui. Oui avec la présentation sur la Piazza Grande de Rubber de Quentin Dupieu, réjouissante variation sur le film d’horreur où le monstre est un bon gros pneu semant la mort en Californie. Oui avec le très suggestif et émouvant Foreign Parts de Verena Paravel et JP Sniadecki, qui réinvente le documentaire ethnographique dans un quartier déshérité du Queens en mettant en scène l’intimité organique des habitants et des véhicules qui peuplent cette immense casse à bagnoles et à êtres humains, dans une mise en scène où la comédie, le pamphlet et l’installation d’art contemporain communiquent selon des voies inattendues. Oui avec la très drôle et très touchante dérive amoureuse et érotique, dérive dédoublée entre Gennevilliers et New York par Christophe Honoré, dans son si libre Homme au bain. Oui avec Winter Vacation du Chinois Li Hong-qi, qui repousse les limites du comique slowburn en décrivant le quotidien de quelques adolescents dans un paysage urbain d’un désespoir grand comme le désert de Gobi. Oui avec le conte noir finlandais Rare Import : A Christmas Tale de Jalmari Helander, disséminant sur le grand écran de la Piazza une nuée de Pères Noël aussi nus que vindicatifs. Oui avec le sublime court métrage de Vincent Parreno Invisibleboy qui fait apparaître des fantômes grattés à même la pellicule autour d’un enfant chinois de New York. Oui avec le nouveau film d’Isild Le Besco, déjà impressionnante dans le premier rôle d’Au fond des bois de Benoît Jacquot, qui a fait l’ouverture – et beaucoup d’effet sur le public : avec Bas-Fonds, cette fois comme réalisatrice, elle confirme après Charly sa capacité à s’approcher par des voies inédites du plus trouble de ce qui travaille les humains. Et oui encore avec l’inclassable Curling du Québécois Denis Côté, histoire toute simple et qui bouleverse dans la seconde même où elle fait sourire, bienheureux geste de confiance dans les puissances multiples du cinéma.

Pas grand chose en commun entre ces films, mais chaque fois une proposition qui à la fois tend la main et défie. Et, finalement, un étrange et stimulant courant qui circule entre tous ces moments vécus, véritablement vécus.

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Invisibleboy de Philippe Parreno

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Festival expérience

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La star du Festival de La Rochelle: son public

On le sait, les festivals sont devenus durant l’été une pratique de masse. Les grandes manifestations drainent des dizaines, voire des centaines de milliers de spectateurs, tandis qu’une myriade de propositions plus modestes, en taille sinon forcément en ambition, attirent chaque année des quantités d’estivants en proportions au moins comparables. Tous ne sont pas des festivaliers assidus, beaucoup « picorent » au gré des opportunités et des envies. Aussi la plupart des comptes rendus et commentaires de la presse sur ces festivals rendent-ils comptent davantage de la nature du projet de programmation des organisateurs que du vécu des festivaliers lambda. Moi qui ai souvent « couvert » aussi méthodiquement que possible des festivals, et compte bien le faire à nouveau, me suis cette année trouvé en situation de les traverser de manière dilettante. Les sensations retirées de deux des principales manifestations de ce début d’été, le festival de cinéma de La Rochelle (2 au 11 juillet) et le festival de théâtre d’Avignon (7 au 27 juillet) nourrissent aussi la compréhension de ce phénomène.

affiche-2010La Rochelle, depuis 38 ans, a imposé un style particulier au moins parmi les festivals de cinéma : pas de compétition, pas de palmarès, pas de thématique. La programmation d’un éclectisme revendiqué fait voisiner nouveautés en avant-première, grands auteurs classiques, œuvres expérimentales, découvertes de cinématographies méconnues, films pour enfants, rencontres novatrices avec des objets lointains, venus du temps du muet ou d’horizons exotiques. Le risque serait un programme fourre-tout, c’est le grand talent des deux programmatrices du Festival, Prune Engler et Sylvie Pras, d’en faire au contraire un tressage fertile, où les différences se fond écho ou contraste sans se nuire. Ce n’est pas (seulement) moi qui le dit, c’est le public, et surtout qui le prouve, d’abord par le nombre considérable de spectateurs qui se pressent à l’entrée des salles, pour retrouver l’œuvre d’un géant du western, vivre la projection de films muets accompagnés live au piano, découvrir un expérimentateur vidéo…

En écoutant les conversations dans les files d’attente, il est évident que ces spectateurs, dont beaucoup sont des habitués, loin de se focaliser sur un seul axe de programmation, butinent, composent leur propre menu, voire que des groupes se partagent les films pour explorer des hypothèses différentes, à partager ensuite. Le contrepoint de cette construction de choix individuels parmi les innombrables agencements possibles à l’intérieur du programme se trouve dans les conversations sans fin à l’issue des projections, aux tables de restaurant, à la terrasse des bistrots. Cette curiosité et cette envie de débattre sont confirmées par la présence massive lors des rencontres organisées par le festival, en présence de la quasi-totalité des auteurs des films présentés. A ceux-ci se mêlent souvent des cinéastes ou comédiens venus les années précédentes, et qui reviennent en amis, vacanciers prêts à partager une conversation individuelle ou collective lorsque l’occasion s’en présente.

Cette année, parmi les nombreuses opportunités (l’intégrale Pierre Etaix, une ample rétrospective Elia Kazan, tous les films du Roumain Lucian Pintilié, un panorama du jeune cinéma indien, les œuvres complètes du cinéaste kazakh Serguei Dvortsevoy dont tant de gens ont cru que le beau Tulpan était le premier film, le cinéaste expérimental suisse Peter Liechti), j’avais pour ma part choisi Rohmer, les films muets de Greta Garbo et Ghassan Salhab. Revoir quelques uns des grands films de l’auteur des Contes moraux sur grand écran était un bonheur peut-être renforcé par le fait que tous les longs métrages et une grande partie des courts et produits TV existent en DVD. En bonus inédit à La Rochelle, un film consacré au cinéaste qui l’a révélée par l’actrice Marie Rivière. Tourné durant les derniers mois de la vie du cinéaste, En compagnie d’Eric Rohmer montre celui-ci joyeux, érudit, farceur, intraitable sur les principes, prêt à discuter de tout, étincelant d’intelligence : un grand artiste, mais aussi un penseur important de son temps, et un homme d’une courtoisie enjouée qui faisait le bonheur de qui avait la chance de passer un peu de temps avec lui.

Les Garbo muets, signés Moritz Stiller, Victor Sjöstrom, Jacques Feyder ou Clarence Brown, auront révélé une sensualité, une liberté de présence à l’écran, et une modernité d’écriture de certains de ceux qui la filmèrent avec lesquels jouait affectueusement le clavier expert du pianiste Jacques Cambra. Quand aux films de Ghassan Salhab, beyrouthin dans l’âme bien que né à Dakar, ils révélaient au public combien les puissances d’invocation du cinéma, qui est aussi art des fantômes et des ruines, pouvait contribuer à repenser, poétiquement, politiquement, les tragédies du Liban et du Moyen-Orient. Aux confins du film fantastique, du documentaire et du journal intime, Beyrouth Fantôme, Terra Incognita, 1958, Le Dernier Homme, (Posthume) dessinent une géographie imaginaire qui est aussi une carte précise des emballements, impasses, catastrophes, illusions qui ont martyrisé le pays, la région et la génération de Ghassan Salhab.

Faut-il ajouter que La Rochelle est la démonstration par excellence de la possibilité de bâtir une programmation propre à attirer un large public sans démagogie ni racolage? Aucune étude d’opinion, aucune statistique sur Internet, aucun suivisme vis-à-vis du goût dominant, jamais, ne mènerait à la liste des films évoqués ci-dessus. Voilà le travail d’un festival: convertir en goût partager, commun au plus beau sens du mot, des choix personnels et sans complaisance.

Digression 1. Un festival comme La Rochelle, ce sont aussi des rencontres professionnelles, des collaborations avec le milieu scolaire, les associations de quartiers, les actions culturelles en milieu carcéral, des résidences d’artistes. En marge du Festival, je suis ainsi invité à animer une partie d’un colloque organiser par des profs de droit de l’Université de La Rochelle passionnés de cinéma. Le thèmes de leurs journées « Droit et cinéma » est cette année la présence de l’enfance. Moment exceptionnel grâce l’intervention de la vice-présidente du tribunal pour enfants de Lille, Laurence Bellon, qui en un argumentaire lumineux montrait à partir d’extraits des 400 Coups et de La Vie de Jésus de Bruno Dumont l’évolution de rapports au langage, au corps, à la notion d’autorité, en relation directe avec ce qui se passe chaque jour dans son bureau.

Digression 2. Sans égard pour la géographie, mon chemin de La Rochelle à Avignon passe par Angers, où Jeanne Moreau organise chaque année les Ateliers Premiers Plans, destinés à de jeunes réalisateurs en train de préparer leur premier long métrage. Outre les exercices pratiques sur le scénario, la réalisation et la production, des rencontres sur des sujets plus généraux sont organisés, je dois intervenir dans ce cadre, pour une journée de réflexion sur le phénomène actuel de la 3D. Je reviendrai sur ce sujet, mais l’important ici est que ces rencontres, ouvertes au public, attirent en plus des stagiaires des Ateliers un nombre significatif de spectateurs, choisissant de passer la journée enfermés dans une salle à écouter conférences et débats. Des profs, étudiants et magistrats de La Rochelle aux quidams curieux d’Angers, il y a sous des formes variées un désir de découvrir, d’apprendre, de réfléchir, dont on ne cesse de prétendre qu’il a disparu, dont je ne cesse de vérifier au contraire la vitalité et la diversité, pour peu qu’il y ait, dans chaque endroit, quelqu’un pour en organiser les conditions, en créer l’envie.

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Papes en goguettes dans la Cour d’honneur d’Avignon, merci Marthaler

Arrivée à Avignon, le lendemain de l’ouverture. Sous le brouhaha sympathique des parades du off bruisse la rumeur d’une bronca lors de la soirée inaugurale au Palais des Papes. Hormis la belle et juste lettre des gens de spectacle apostrophant le ministre sur l’écroulement par pans entiers de la politique culturelle nationale, faute de volonté et de perspectives plus encore que de financements, il n’y aurait eu à en croire la rumeur (et la presse du lendemain) qu’ennui lors de la représentation inaugurale. Le deuxième soir, pour ce donc décrié Papperlapapp de Christoph Marthaler, les gradins sont combles, ce qui ne prouve rien puisque les places sont achetées à l’avance. Le public est cette fois celui des représentations ordinaires, on entend aux commentaires avant la pièce la défiance suscitée par les échos de la veille.

Pièce bizarre en effet, déroutante, qui met le spectateur de guingois sur son siège en plastique. Ironique, onirique, opératique, l’œuvre créée par le dramaturge suisse spécialement pour la Cour d’honneur construit une architecture visuelle et sonore où tout l’espace disponible est sans cesse sollicité, sans cesse abandonné pour être réinvesti autrement, créant une attente, une curiosité, une palpitation où la déflation compte autant que l’intensification. Explosion burlesque. Purs moments de grâce musicale et vocale. Longues périodes de doute : qui fait quoi ? Où sont-ils ? D’où cela va-t-il réapparaître ? En quelle langue ? Dans quel registre ? Le vide, oui, est une composante importante de ce théâtre-là. En ce monde de saturation, de trop plein de tout, il est un salutaire parti-pris – et peut-être le principe même d’un art moderne.

Des spectateurs sont partis durant la représentation, mais combien ? Moins de 5% assurément. Ce théâtre ne veut pas plaire à tout le monde, en simple statistique locale il aura plu à l’évidence au plus grand nombre de ceux qui étaient là, et qui ont longuement applaudi  à la fin, faisant taire les sifflets, bien audibles eux aussi. Proposition radicale, à n’en pas douter, Papperlapapp m’a semblé recueillir sinon l’approbation de tous, du moins la disponibilité de beaucoup à une expérience inhabituelle, qui occupait l’espace de la Cour d’honneur comme nul ne l’avait fait auparavant, cherchait aux  frontières du théâtre, de l’opéra, du cabaret des territoires de beauté et de sens encore inexplorés.

Pas question de dérouler ici mes opinions sur chacun des autres spectacles vus à Avignon, mais encore un mot pour insister sur cette dimension mal repérée des festivals, les espaces de paroles et d’échanges, d’écoute et de réflexion partagée qu’ils ouvrent. C’était cette fois, à l’université d’Avignon, une rencontre avec le metteur en scène Ludovic Lagarde, animée par Florence March qui vient de lui consacrer un livre (Un théâtre pour quoi faire, éditions Les Solitaires intempestifs) : rien de scolaire dans la manière de l’homme de théâtre de raconter son travail avec l’homme de lettres Olivier Cadiot, l’autre artiste invité de cette édition du festival (avec Marthaler). Précision et matérialité de la description du travail, pour laisser entendre comment d’une œuvre (un livre de Cadiot) nait une autre œuvre (une pièce mise en scène par Lagarde, ou deux : à Avignon, Un nid pour quoi faire et Un mage en été). Lagarde parle volontiers, pour mieux se faire comprendre, en référence, au cinéma. Et on songe à ce terme de cinéma, le montage, pour décrire le travail complexe et multiple que font les festivals lorsqu’ils ne sont ni foires promotionnelles ni gadgets folkloriques : des constructions d’éléments dissemblables créant des interstices entre leurs composants, pour ouvrir un espace à l’émotion, à la pensée, à l’inattendu.

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Clash à Shanghai

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Du 12 au 20 juin 2010 à eu lieu le 13e Festival international du film de Shanghai (SIFF), dans la mégalopole en proie à la fièvre de l’Expo universelle. A nouveau, mais de manière plus criante que jamais, cette manifestation a témoigné des paradoxes du développement d’une politique culturelle en Chine. Le SIFF est sans conteste le principal festival de cinéma du pays – il faut mettre à part le cas du Hongkong Film Festival, rendez-vous artistique de très haut niveau et congrès annuel de l’industrie de l’ex-colonie, mais qui partage aujourd’hui le statut de celle-ci, systématiquement marginalisée par les autorités de Chine continentale, d’autant plus que les studios de la péninsule traversent une succession de crises dont nul ne prévoit l’issue.

Depuis sa naissance en 1993, le SIFF est devenu un géant, présentant des centaines de films dans 34 salles de toute la ville, devant un public nombreux attiré par la possibilité de voir des réalisations du monde entier, qui n’ont aucune chance d’être montrés ailleurs ou à un autre moment. Du moins en salles : les films continuent d’être largement vus en Chine sous forme piratée, malgré les campagnes plus ou moins sincères menées par les autorités. A cause de l’Expo, les marchands de rue de films pirates avaient été priés de fermer boutique, beaucoup l’avaient fait, d’autres s’étaient contentés de retirer les films de leurs éventaires, mais continuaient, selon une curieuse logique, de ventre les DVD des séries télé. Il suffisait toutefois de s’éloigner du centre pour trouver de quoi s’approvisionner, y compris dans des magasins ayant pignon sur rue. Là, à proximité de l’université, le recul à nouveau bien réel des films devant les séries TV trouvait une autre explication, au dire des vendeuses et de clients : aujourd’hui, les films, on les télécharge. Toujours illégalement, ça va sans dire…Boutique DVD

Malgré les (temporaires) restrictions drastiques pour cause d’Expo universelle et d’omniprésence étrangère, une boutique de DVD pirates poursuit son habituel négoce, bien en vue dans une rue piétonne proche de l’université.

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La petite dame à la carriole n’a plus, elle, que des séries télé (chinoises et asiatiques, mais aussi américaines) à son étal.

On a beaucoup comptabilisé le manque à gagner des ayants-droits du fait de la piraterie, non sans raison. Il faudra un jour faire un bilan, s’il est possible, de l’influence immense qu’aura eu la piraterie dans la découverte du cinéma par des milliards d’humains, dans le monde pauvre qu’on appelle maintenant « le Sud ». Découverte sauvage de milliers de films, et pas seulement les blockbusters ou du tout venant d’action ou de cul. En Chine, j’ai vu les ouvriers du chantier voisin de l’échoppe empiler films d’arts martiaux locaux, Prince of Persia, un Dreyer, un porno soft thaïlandais, Une chambre en ville, un Fassbinder. Et  j’ai assisté à des scènes similaires à La Paz comme au Caire. Les gens achètent parce que ces DVD sont très bons marchés, mais d’abord parce qu’ils sont là. Phénomène à double sens: ils sont là parce qu’il y a une clientèle – on se doute que ce n’est pas la défense de la diversité culturelle qui anime les marchands de DVD pirates. Or il est d’ores et déjà clair que la migration vers Internet n’aura pas les mêmes effets.  Finis les essais « pour voir », le pari sur l’inconnu et la boulimie éclectique : le téléchargement illégal, comme phénomène de masse, ne  concerne, lui, que les titres les plus populaires. On trouve aussi les autres films en ligne, mais ce sont les seuls aficionados qui les téléchargent.

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Dans le hall du Palais du Festival, les portraits des membres du jury présidé par John Woo.

Revenons au Festival de Shanghai. Un géant, donc, appuyé par la toute puissance du Shanghai Film Group, l’énorme trust audiovisuel et de nouvelles technologies qui émane des anciens Studios de Shanghai, citadelle de la production cinématographique de la Chine à l’époque révolue du cinéma étatisé. Un géant qui, comme tout se qui se développe (vertigineusement) à Shanghai, entretient des rapports compliqués avec Pékin, toujours centre du pouvoir politique, de la censure, et des attributions de fonds publics.

Année après année, le Festival a grossi en budget, en nombre de films et d’invités. Le seul domaine où il n’a pas progressé est celui de la sélection des films – il aurait même plutôt régressé, tandis que ses concurrents asiatiques, Pusan en Corée et Hongkong surtout, se distinguent par le haut niveau de leurs choix. Cette année, une partie du jury officiel, notamment l’Israélien Amos Gitai et le Français Leos Carax, a clairement exprimé son mécontentement face au niveau médiocre de la sélection – les deux réalisateurs n’ont d’ailleurs pas signé le palmarès, particulièrement absurde… ou représentatif de l’état des lieux : il couronne le navet italien Kiss Me Again de Gabriele Muccino, avec accessits au folklorique Deep in the Clouds, le moins bon film du pourtant très honorable réalisateur Liu Je, l’auteur du Dernier voyage du juge Feng – c’est bête, Liu avait un autre film, bien meilleur, mais montré hors compétition, Judge (récompensé à Deauville en avril dernier).

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Judge de Liu Je

Alors qu’un tsunami de mauvais goût envahi les centaines d’écrans de toutes formes qui (en dehors de l’architecture des pavillons) sont les principales attractions de la kitchissime Expo universelle, haut lieu de convergence des propagandes nationalistes et des artifices de l’imagerie virtuelle, la nécessité d’un aggiornamento des critères de choix des films par le SIFF est évidente. C’est affaire de logique, et de dignité. La Chine est en train de devenir la première puissance mondiale. Son cinéma, qui revendique 456 films produits en 2009 (mais moins du tiers ont été distribués) et s’enorgueillit de l’inauguration de plusieurs nouveaux écrans chaque jour, a tous les moyens, financiers, technologiques et esthétiques, d’inventer une nouvelle manière de raconter des histoires au monde, qui participe du rayonnement international du pays et fasse contrepoids à Hollywood. Il ne faut pas croire les dirigeants chinois aveugles à ces enjeux: l’essor phénoménal des Institut Confucius, agents du Soft Power chinois créés en 2004 sur le modèle des  Instituts Goethe, Cervantes, British Institute et Centres culturels français, atteste du contraire. Mais obnubilés par le glamour et les sommes brassées par le monde du cinéma, les responsables n’ont pas fait le pas vers la prise en compte de sa dimension culturelle (y compris avec ses effets politiques).

Image 1Carte publiée dans le n°1014 (8 avril 2010) de Courrier International. Les ronds verts représentent les Instituts Confucius actuellement en activité (plus de 50 aux Etats-Unis).

Cela supposerait non seulement un allègement de la censure mais la mise en œuvre d’une véritable politique culturelle doublant la politique industrialo-commerciale d’une grande vigueur dans les secteurs du loisir et des médias comme dans tous les autres. Et le Festival de Shanghai devrait être le marqueur le plus évident de cette évolution, notamment en s’ouvrant à des œuvres exigeantes du monde entier au lieu de se contenter des restes dont n’ont pas voulu les manifestations dotées d’une véritable programmation. Lorsque ce sera le cas, ce sera un signe dont l’importance dépassera de loin le seul petit monde des festivals.

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