Vous n’avez pas pu y couper. Depuis vendredi, et jusqu’à mercredi prochain, se tient à Paris le 30ème Salon du livre (et de la bande-dessinée). Tous les médias en parlent. Mais bien souvent, plutôt que d’évoquer les éditeurs, les auteurs et surtout les histoires qu’ils racontent, les journalistes se focalisent sur leur marotte depuis quelques années : le livre numérique (et, donc, la bande-dessinée numérique). Et nous annoncent chaque année que “Ca y est, c’est pour cette fois, le numérique va remplacer le papier”. Rien n’est moins sûr.
Le spécialiste de la BD numérique, AveComics, vient d’annoncer au Salon du livre qu’il allait décliner son offre sur iPad. Au premier jour du Salon, c’est le groupe Media-Participations, leader européen de la bande-dessinée et qui possède entre autres Dargaud, Dupuis et Le Lombard, qui a lancé en grande pompe une plate-forme de bandes dessinées en ligne, Izneo. Il y a six mois, les Humanoïdes Associés annonçaient le développement de BDs pour iPhone, un média déjà investi par les éditions Soleil avec la série “Les Blondes“. Les éditeurs se mettent donc en ordre de marche pour conquérir ce nouveau marché, et chacun développe ses plate-formes de diffusion.
Les auteurs méfiants
Mais pour que la BD numérique prenne son essor et soit un succès, l’activisme des éditeurs ne suffit pas. Il faut que les lecteurs et les auteurs suivent. Pour ces derniers, la partie est loin d’être gagnée. Le Groupement BD du Syndicat National des Auteurs Compositeurs (SNAC) vient de lancer un appel dénonçant l’absence de concertation entre éditeurs et auteurs sur le développement de la bande-dessinée numérique. Co-signé par 35 poids lourds de la BD (Sfar, Larcenet, Arleston, Sattouf, Loisel, Lax, etc.), le document commence en s’indignant que “la révolution numérique du livre de bande-dessinée commence ici et maintenant… dans la confusion, à marche forcée et sans les auteurs“.
S’ils ne sont pas opposés, par principe, au développement d’une bande-dessinée numérique, les auteurs souhaitent s’unir pour peser dans le débat. Couplée à l’appel, une pétition a déjà recueilli plus de 800 signatures de professionnels de la bande-dessinée. En premier lieu, les auteurs posent la question du droit de regard sur l’utilisation de leurs créations. Quand une bande-dessinée, dessinée pour le papier, est adaptée sur un support numérique, notamment un iPhone, elle peut être complètement chamboulée. Des cases qui étaient plus grandes que d’autres, procédé de base de la narration de bande-dessinée, peuvent se retrouver uniformisées pour correspondre au nouveau format. Et faire perdre ainsi la puissance évocatrice de l’oeuvre originale.
Ce qui est en jeu, surtout, c’est la rémunération des auteurs. Selon qu’on considère que le développement numérique d’une bande-dessinée découle d’une cession de droit dérivés ou qu’il suit les règles classiques de publication d’un ouvrage, la donne financière est très différente. Dans le premier cas, 50% des bénéfices doivent revenir aux auteurs, qui soulignent toutefois que cela doit se faire “pas forcément après paiement d’intermédiaires, qui font parfois partie des même sociétés que les maisons d’édition“. Dans le cas ou la BD numérique suivrait les règles habituelles de l’édition, seul un pourcentage avoisinant les 10% du prix de vente hors-taxe de oeuvre. Mais dans le cas d’un livre numérique, en partie à cause des taxes plus élevées que sur un livre papier, en partie pour des raisons intrinsèques au support, le prix de vente est considérablement réduit. Et la rémunération des auteurs de même.
Les lecteurs encore à conquérir
Rien ne dit, surtout, que la bande-dessinée numérique parviendra à trouver son lectorat. Certes, il y a le succès des blogs BD, de Boulet à Péneloppe Jolicoeur, mais il ne faut pas oublier qu’au-delà du talent qu’on voudra bien attribuer à leurs auteurs, ils ont une caractéristique essentielle : leur gratuité. La culture du gratuit qui est associée au numérique a sûrement bien plus de poids qu’on ne l’imagine souvent. Pour la BD se pose donc la même question que pour la presse, la musique ou pour le cinéma. Comment habituer les lecteurs à payer? Même pour moi, grande consommatrice de BD papier, je n’achète pas les oeuvres de Pénélope Jolicoeur quand elles paraissent en librairie et je n’achète pas non plus les carnets de Boulet (même si je me précipite chez mon libraire dès qu’il participe à un Donjon, alors le payer sur Internet, vous pensez bien…).
Or, pour l’instant, les offres légales de bande-dessinée numérique sont toutes payantes (ce qui n’a rien d’incohérent par ailleurs). Il est cependant très aisé de télécharger gratuitement (et illégalement) des scans des bandes-dessinées européennes les plus célèbres, ainsi que de la plupart des comics américains, ce qui je dois l’avouer, m’est déjà arrivé de temps à autre car je n’ai pas forcément sur place l’œuvre dont j’ai besoin. Pour moi, cela a une fonction utilitariste, cela m’aide pour rédiger mes articles, je n’ai pas de plaisir de lecture sur les écrans actuels. J’ai encore besoin d’avoir la BD entre mes mains (même un changement de format classique me fait parfois tiquer, alors l’écran…).
Je n’ai jamais autant téléchargé mais aussi acheté depuis que je rédige ce blog selon le bon vieil adage pour la musique qui démontre que ce sont les pirates qui achètent le plus. Quadrature du cercle… Bande Dessinée, bienvenue dans un schéma insoluble!
Laureline Karaboudjan
Illustration : DR
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