Le pilote de chasse est un héros, à la télé comme en BD.
C’est la guerre! Musique de Wagner et tout le tintouin. La coalition menée par la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis bombarde, depuis dix jours, la Libye de Kadhafi. Il s’agit, en théorie, d’imposer une “zone d’exclusion aérienne” selon les termes techniques de la diplomatie onusienne. En tous cas, depuis le début de l’intervention, les écrans de télévision français se sont remplis d’images d’avions: les avions au décollage de Saint-Dizier, les tirs de la DCA dans la nuit tripolitaine -lorsque j’écris “tripolitaine”, j’ai déjà l’impression de voyager, pas vous?- les bombes qui s’abattent dans le désert libyen. Ajdabiya, Ras Lanouf, Brega, Ben Jaouad, et bientôt sans doute Syrte, inventaire à la Prévert de villes qui tombent. Aux côtés des insurgés, joyeux et désorganisés, tel Fabrice del Dongo se rendant à Waterloo, émerge de cette rafale d’images un autre héros: le pilote de chasse.
Comment pourrait-il en être autrement? Le pilote d’avion fait partie, à l’instar de l’agent secret ou du détective privé, de la galerie des héros d’aventures traditionnels. Et la contribution de la bande-dessinée à la construction de cette image n’est pas mince. Ses missions à travers le monde (et même au-delà) sont autant de prétextes à de trépidantes aventures.
Les plus connus sont Buck Danny, Dan Cooper et Tanguy et Laverdure. Le premier est né au lendemain de la Seconde guerre mondiale dans le journal de Spirou, sous la plume de Charlier et Hubinson. Buck Danny est un pilote de l’aviation américaine dont les aventures débutent en Asie du Sud-Est où il est est opposé aux “Japs”. Dan Cooper est lui un pilote canadien créé en 1954 par Albert Weinberg pour le journal de Tintin afin de concurrencer Buck Danny. Quant au duo Tanguy et Laverdure, ce sont deux pilotes français censés concurrencer les deux précédents dans… Pilote. Très tôt, la BD d’aviation s’est ainsi popularisée, au point que chaque journal de bande-dessinée se devait d’avoir sa propre série.
Tous ces grands héros de la BD d’aviation partagent un certain nombre de caractéristiques: beaux gosses, honnêtes, souvent blonds et toujours bien coiffés, fidèles en amitié (et sûrement en amour, mais les BDs de l’époque n’en parlent que peu, histoire de ne pas pervertir la jeunesse). Bref, le pilote de chasse de bande-dessinée n’a, pour ainsi dire, pas de défauts. D’ailleurs on retrouve assez sensiblement ce même type d’imaginaires dans les photos fournies actuellement par les différentes armées aux agences de presse (et que l’on retrouve ensuite dans la presse).
Au-dessus des pilotes français, le 23 mars (Reuters), ci-dessous, Tanguy et Laverdure.
Le pilote un exemple à suivre, une figure admirable, comme on peut en retrouver dans les films de guerre hollywoodiens des années 50, avant les premiers films militaires désespérés, comme Full Metal Jacket ou Apocalypse Now.
Héros ringards
Aujourd’hui, ces pilotes traditionnels sont complétement ringardisés et c’est en souriant au charme désuet de leurs aventures que l’on parcourt, par exemple, l’intégrale de Buck Danny que ressort peu à peu les éditions Dupuis. Personnellement, je ne me lasse pas des “Grands dieux” et autres “Rascal” qui ponctuent les aventures du pilote américain, ni de ses talents multiples qui lui permettent, en quelques pages, de bombarder des bases ennemies, d’abattre deux ou trois chasseurs adverses puis d’aller sauver un camarade, mitraillette à la main, au fin fond de la jungle birmane.
Et puis, souvent, dans Buck Danny, la fiction s’emballe quelque peu. Notamment dans le tryptique ayant pour théâtre le Sarawak, un petit état de l’Asie du sud-est, où une mafia de la drogue prépare ses livraisons de poudre blanche. Le pacha du porte-avions des trois compères, Buck, Tumb et Sonny, prend même l’initiative de raser les champs de pavot, en mémoire de son fils disparu, victime de la drogue, et ce en dépit des ordres formels venant de Washington. Pas sûr que la même déconne soit possible sur le Charles-de-Gaulle au large de la Libye.
Mêmes intrigues tarabiscotées chez Tanguy et Laverdure. Je me souviens d’une aventure où ils déjouent un complot fomenté par le “Vampire”, un de leurs grands ennemis, dans cette France pompidolienne qui craint d’être détruite à coup de bombes atomiques. Supplétif des forces spéciales, Tanguy est évidemment de l’enquête, et finit par comprendre comment la bande de terroristes opère en toute impunité sur le territoire français: avec des avions à décollage vertical, les Harrier britanniques (d’ailleurs en opération en Libye je crois). C’est sûr qu’à côté de ça, les épiciers de Tarnac font pâle figure…
La classe de l’aviateur
Bien sûr, un certain renouvellement s’est opéré et des séries de BD d’aviation continuent de sortir aujourd’hui, au scénarios autrement plus réalistes. Signalons par exemple la série Le Grand Duc, de Yann et Romain Huguault, qui mélange pin-ups et avions soviétiques sur fond de Seconde guerre mondiale. La BD d’aviation conserve un public de passionnés, comme ceux qui se sont pressés à la récente exposition consacrée au genre dans une école d’aéronautique de la banlieue parisienne.
Mais les pilotes ne sont pas l’apanage de la BD d’aviation, et on en retrouve dans nombre d’aventures plus généralistes. Et, il faut bien le dire, ils ont eux-aussi très souvent la classe. Que l’on songe par exemple à Piotr Szut, le pilote du Mosquito qui tente de descendre Tintin et Haddock dans Coke en Stock avant d’être recueilli par les deux héros sur leur radeau. Avec ses cheveux d’un blond nordique et son cache-oeil de pirate, Szut a un look inimitable qui en fait peut-être le personnage le plus stylé de toute l’oeuvre d’Hergé. Le tout couplé a une grande force d’âme, qu’il démontrera à la fin de Coke en Stock ou dans Vol 714 pour Sidney.
En tant que jeune fille, je me dois aussi de rendre hommage au major Jones de XIII, ayant des traits de caractères assez rares malheureusement en BD pour une femme: une pilote de chasse indépendante, noire, courageuse et intelligente.
L’avion en lui-même peut lui aussi avoir son heure de gloire. S’il est peu probable qu’une BD rende hommage un jour à notre Rafale invendable, le mythe fondateur de Blake et Mortimer est lui tourné autour d’un avion, l’Espadon. Tout l’enjeu des deux premiers albums de la série est de savoir si le professeur Mortimer va construire à temps cet engin surpuissant qui permettra au monde libre d’inverser la tendance contre l’Empire jaune. Si les Rafales, Mirages et autres Eurofighters sont en train de sauver la Libye, l’Espadon, lui, sauve le monde. Tout simplement.
Laureline Karaboudjan
crédits photo: Un pilote français (Reuters) et Buck Danny
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