Putain d’Usines


Molex, New Fabris, Continental… De la Vienne à l’Oise en passant par la Haute-Garonne, en temps de crise la France redécouvre ses ouvriers. Comme au cinéma ou en littérature, l’univers ouvrier est un matériel prolixe pour les auteurs de bande dessinée. En replongeant mes petites mains délicates qui n’ont pas connu le travail à la chaîne dans tous mes albums qui évoquent le monde ouvrier, j’ai été frappée par la prédominance des histoires “réelles” par rapport à la fiction. Lorsque le neuvième art parle d’usines, c’est souvent pour témoigner, du présent ou du passé. Voire parfois du futur, tragique évidemment. Bédé à la première personne écrite par un ouvrier, évocation de témoignages de proches ayant appartenu à la classe ouvrière ou même ouvrages qui s’apparentent à de la recherche historique sont les histoires les plus courantes.

Le travail aliénant, thème incontournable

Généralement, lorsqu’une bande dessinée prend pour cadre de son histoire une usine, elle évoque les dures conditions de travail de la classe ouvrière. Les gestes répétitifs, la machinisation de l’homme sur sa chaîne de travail : autant de thèmes déjà grandement évoqués, là encore, par la littérature et le cinéma (les dix premières minutes des Temps Modernes de Chaplin, modèle du genre) mais à côté desquels la bande dessinée ne peut pas passer. Les dessinateurs et scénaristes de bédés évoquent toutefois les conditions de travail difficiles de l’usine de différentes manières. L’auteur de Putain d’Usine, Jean-Pierre Levaray, ouvrier dans une usine chimique normande, est acteur de la bande dessinée qu’il scénarise (adaptée, avec Efix au dessin, d’un livre éponyme qu’il a écrit). Il y raconte son quotidien, ses doutes, ses peines et ses espoirs. L’auteur se met par exemple en scène, sur deux pages, dans les douches de son usine. Commentaire : “La douche, comme pour se débarrasser du travail qui nous a collé à la peau pendant 8 heures. Se débarrasser des scories du salariat… avant de revenir à la vie”. Ou quand Jean-Pierre Levaray raconte les rondes de nuit dans “l’atelier” qui a alors “des allures de vaisseau spatial hollywoodien”. Il y croise de terrifiants aliens imaginaires. Loin d’être émancipateur comme le proclament parfois les discours, le travail est ici dur, dangereux (l’usine est classée Seveso) et aliénant. L’auteur ne cache pas ses opinions politiques, très à gauche (il est l’auteur d’une chronique mensuelle sur son usine dans le mensuel de critique sociale CQFD) mais n’exalte pas non plus le monde ouvrier. Il dépeint plutôt le portrait de collègues usés par le travail, souvent résignés et qui se réfugient volontiers dans l’alcool.

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