La sélection paralympique des héros de BD

Daredevil, le Pingouin, Professeur Xavier ou Astérix… Autant de héros handicapés du neuvième art.

Jamais les Jeux Paralympiques, qui se terminent, ce week-end n’auront eu un tel succès. Les épreuves londoniennes se disputent à guichets fermés, on peut les suivre en direct sur Internet (d’ailleurs, je suis sûre que ceux qui se plaignent de la faible visibilité des Jeux Paralympiques n’ont même pas essayé…) et aucune médaille française n’échappe aux journaux radiophoniques ou télévisés.

A travers la retransmission des Jeux Paralympiques se pose plus largement la question de la visibilité des handicapés dans la société. Une interrogation qui touche aussi la bande-dessinée. Sur son site de référence BD Médicales, le docteur Gérald Bernardin formule une réponse mi-figue mi-raisin : “La BD, subtil reflet de notre société, qui a acquis ses lettres de noblesse depuis une trentaine d’années seulement, propose certes depuis quelques années différents titres sur ce thème, mais force est de constater que ces derniers sont souvent diffusés sur un mode confidentiel, car souvent issus d’initiatives associatives ou locales.” Des albums très didactiques, parfois un peu rasoir, édités par des conseils généraux ou des rectorat d’académie. Vous voyez le genre quoi…

Mais le handicap est aussi évoqué chez de grands éditeurs de BD, sous la plume d’auteurs plus affirmés. Que l’on pense au Sclérose en plaques de Mattt Konture, à Eva et Silence de Didier Comès ou à l’ascension du Haut Mal de David B. par exemple. Et certains des héros de BD les plus connus, notablement dans l’univers des comics de super-héros, sont affectés par un handicap. Du coup je me suis amusée à faire ma propre sélection pour les Jeux Paralympiques. Les épreuves que je leur attribue sont fantaisiste et n’existent pas toutes réellement aux Jeux Paralympiques.

  • Daredevil (aveugle, gymnastique)

C’est probablement le plus célèbre des héros de BD handicapés : l’avocat Matthew Murdoch, alias Daredevil, est aveugle comme la justice. Un handicap qui n’empêche pas ce drôle de diable de combattre de redoutables adversaires et de faire règner l’ordre dans son quartier new-yorkais de Hell’s Kitchen. Il faut dire que pour contre-balancer son handicap, Daredevil a développé un sixième sens, une sorte de sonar tel que ceux dont disposent les chauves-souris. Il peut ainsi se repérer dans l’espace et exécuter de nombreuses cabrioles pour sauter de toits en toits ou en situation de combat. Voici donc un candidat hors pair pour un concours de gymnastiques ouvert aux aveugles.

  • Professeur Xavier (paralysé des jambes, basket en fauteuil)

Le fondateur de l’école pour jeunes mutants dans X-men et est l’un des personnages principaux de cette série. Il perd l’usage de ses jambes lors de l’affrontement contre l’extraterrestre Lucifer, avant de fonder son pensionnat. Excellent télépathe, il serait sans aucun doute le leader d’une équipe de basket en fauteuil, pouvant anticiper les attentes de ses coéquipiers et les mouvements de ses adversaires.

 

  • L’Aigle sans orteils (amputé, cyclisme)

L’Aigle sans orteils, c’est Amédée Fario, un paysan des Pyrénées, au début du XXème siècle, qui découvre le tour de France à la faveur d’une rencontre avec un astronome passionné de vélo. Il attrape le virus lui aussi et participe, comme un damné, à la construction de l’observatoire du Pic du Midi pour pouvoir s’acheter une bicyclette et réaliser son rêve: intégrer le peloton. Mais un hiver, ses pieds gèlent et il est amputé. Qu’à cela ne tienne, l’Aigle sans orteils ne se décourage pas et participe quand même aux courses cyclistes, tenant la dragée haute à ses concurrents valides. Si vous n’avez pas lu cette superbe BD de Chrisitan Lax, courez vous la procurer!

  • Alef-Thau (enfant tronc, pentathlon)

Voici l’handicapé le plus lourd de ma sélection puisqu’Alef Thau est un enfant tronc. Personnage d’une saga entamée dans les années 80 par Jodorowsky au scénario et Arno (depuis disparu) au dessin, Alef Thau va devoir subir moult épreuves initiatiques pour retrouver peu à peu son intégrité physique et spirituelle et enfin accomplir sa prophétie. Ca fait de lui un “sportif” très polyvalent qu’on pourrait aligner sans problèmes sur un pentathlon.

  • Monkey D. Luffy (déformation des bras, saut à la perche)

Le pirate au chapeau de paille du manga One Piece pourrait même participer à l’épreuve du saut à la perche lors des JO pour valides. A vrai dire, il n’a juste pas besoin de perche. Ses bras extensibles lui suffisent et il exploserait sans aucun doute le record du monde s’il ne s’endort pas pendant l’épreuve pour avoir trop mangé…

  • Le Pingouin (multiples déformations, natation)

Ce n’est pas le genre de mec que l’on veut affronter au water-polo. Oswald Chesterfield Cobblepot a été moqué depuis sa plus tendre enfance pour son apparence disgracieuse. A noter que selon les époques du comic Batman, il est plus ou moins handicapé. Parfois, il semble être tout à fait valide, parfois il n’a plus que trois doigts à une main et ses gants noirs donnent l’impression qu’il a des palmes. Du coup, le Pingouin serait aligné sur une épreuve de natation, voire une épreuve natation-tir où il pourrait user de son parapluie un peu spécial.

  • Tryphon Tournesol (sourd, n’importe quelle discipline, c’est un athlète complet)

Théoriquement, il ne pourrait pas participer aux Jeux Paralympiques, puisque la surdité est son seul handicap et qu’il ne semble  pas y avoir d’épreuves réservées aux sourds (même s’il y a des athlètes sourds qui ont d’autres handicaps qui y participent et même si je suis un peu perdue dans toutes les épreuves, j’avoue). Mais j’avais envie de parler de lui, donc je le mets tout de même dans la liste. Surtout que dans Vol 714 pour Sydney, le professeur Tournesol affirme (page 7) avoir pratiqué: “le tennis, la natation, le football, le rugby, l’escrime, le patinage: tous les sports, je vous dis. Sans oublier les sports de combat: la lutte, la boxe anglaise et la boxe française, c’est-à-dire la savate”. Il pourrait donc rapporter un paquet de médailles à la Belgique.

  • Astérix (nanisme, sprint)

Vous trouverez ça peut-être tiré par les cheveux, mais à mes yeux le petit Gaulois en un handicapé: il est atteint de nanisme. Tout en disproportion, Astérix est plus petit que les habitants de son village, sauf peut-être le vieillard Agecanonix. Et encore, le héros aux moustaches blondes est fortement soupçonné par les agences anti-dopage d’avoir souscrit aux bonnes vieilles hormones de croissance, comme celles qu’on injectait aux sportifs de RDA. Vous ne me croyez pas? Regardez plutôt:

Troublant non? En tous cas, s’il faut l’aligner sur une épreuve, c’est en sprint. Celle qu’il a disputée dans Astérix aux Jeux Olympiques et dans laquelle il s’est brillamment imposé face à des concurrents valides (mais dopés).

Laureline Karaboudjan

Illustration de une: montage perso à partir d’une oeuvre de Banksy, DR.

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Les BD de la rentrée

Le neuvième art fait aussi sa rentrée littéraire. Voici une sélection de BD qui viennent de sortir et qui méritent votre attention.

  • La Gröcha, Peggy Adam, Atrabile

La si tranquille Suisse a perdu toute quiétude depuis que sévit une mystérieuse épidémie dans ses villes. Du coup le gouvernement met en place des barrages filtrants à la sortie des zones urbaines, organise des camps de quarantaine et sanctuarise les montagnes. Dans cette ambiance d’apocalypse, un couple se brise: elle est malade, il ne l’est pas et s’en va vers la verdure. Mais la fuite n’est pas forcément un refuge… Dans cette histoire fine et aux planches soignées, la civilisation et la nature se confrontent et l’auteure interroge la place de l’homme, ce qui fait réellement notre humanité. Une lecture entraînante et qui ne peut pas laisser indifférent.

 

  • Zone Blanche, Jean-C. Denis, Futuropolis

Tout juste auréolé du Grand Prix d’Angoulême lors de la dernière édition du festival, Jean-Claude Denis est présent pour cette rentrée littéraire avec Zone Blanche, un polar sur fond d’électrosensibilité et de panne de courant. Policière certes, mais pas trop noire non-plus, cette histoire de courants est alimentée par le dessin caractéristique de l’auteur, proche de la ligne claire hergéenne, et par un scénario à la fois efficace et astucieux. A dévorer en une fois, comme une pâtisserie.

 

 

  • Lorna,(Heaven is here), Brüno, Glénat

Une femme mutante, des extra-terrestres, des surfeurs allumés, des scientifiques bizarres, des acteurs porno, tous réunis dans un road-movie américain délirant. Un film de Quentin Tarantino? Presque: une BD de Brüno. L’auteur a pris de multiples références de séries Z, a tout mis dans un shaker, et en a tiré un cocktail explosif, truffé de clins d’oeil qui sauront ravir les amateurs du genre. Peut-être pas le BD la plus aboutie de Brüno, mais ce n’est là que le premier tome, et le rythme soutenu emporte le reste.

 

 

  • Colo Bray-Dunes 1999, Dav Guedin et Craoman, Delcourt

J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire maintes et maintes fois, mais faire de la BD autobiographique quand on n’a rien de particulier à raconter, ça n’a aucun intérêt (même si ça se vend). Ca tombe bien, Dav Guedin a quelque chose de particulier à raconter: son expérience en tant que moniteur d’une colonie de vacances pour handicapés mentaux lourds. Ou trois semaines dans ce qui ressemble à l’enfer, en tous cas tel que décrit par les auteurs. Une des qualités essentielles de l’album c’est justement que le regard de Dav Guedin et les dessins de Craoman n’ont rien de complaisants. Alors qu’on aurait pu s’attendre à une BD toute en compassion et en pathos, on nous décrit plutôt un univers où les handicapés peuvent être méchants, où le narrateur n’est pas spécialement fier d’être où il est et a des réactions de lâcheté, de peur ou de dégoût. Et où les plus personnages les plus flippants sont peut-être les encadrants plutôt que les handicapés. C’est très fort car très vrai.

  • Les chevaux du vent, Fournier/Lax, Dupier, Dupuis

Deuxième tome pour ce diptyque qui nous emmène dans une famille de l’Himalaya, déchirée par la guerre, l’amour et la maladie (comme d’hab). L’un des fils part à la recherche de son père, parti sans laisser de nouvelles depuis de trop nombreuses années. Même si on regrette une ou deux scènes d’affrontements un peu confuses, on est doucement porté par cette errance guerrière et mystique et finalement presque déçu que cela soit la fin de l’histoire

 

 

  • Furioso, Lorenzo Chiavini, Futuropolis

«Oh non pas encore un récit de croisade !», peut-on se dire au départ. Le genre religo-médieval est sur-traitré en BD et rarement pour le meilleur. A première vue, l’italien Chiavini joue le jeu du grand spectacle. Un héros chrétien choisi par Dieu et en face un guerrier arabe invincible pour un combat qui doit décider du blabla… Mais finalement aucun des deux deux personnages principaux ne veut vraiment assumer, il n’y a pas tellement de bataille, et des deux côtés on se demande si tout cela vaut vraiment le coup, de se battre. Mille ans après, on se pose toujours la question, mais on continue.

 

  • En Silence, Audrey Spiry, Casterman

Comment une banale descente en canyoning, pendant les vacances, peut devenir une expérience initiatique aux confins du mystique et du fantastique? A travers les dessins quasi-impressionnistes d’Audrey Spiry, qui joue avec les reflets d’une rivière ou la lumière qui filtre à travers des branchages pour faire apparaître des présences spectrales. “En Silence” est avant tout une BD graphique très réussie, qui en met plein les yeux de couleurs et d’expressions sur les visages. En revanche, j’ai un peu regretté que ce canyon ne soit pas un peu plus profond dans son scénario.

 

  • Krrpk doit mourir, Bill, Delcourt

Krrpk n’a vraiment pas de chance. Ce petit extra-terrestre vert au visage respirant l’innocence débarque sur une planète étrangère comme travailleur immigré. Mais les autochtones sont racistes comme pas permis, il subit brimades sur brimades, ne parvient pas à trouver de boulot, loge dans un taudis dont la vieille propriétaire acariâtre exige d’être payée… sexuellement. Sur une ligne de crête entre l’absurde et le réalisme social (oui oui, avec des extra-terrestres, c’est possible), Bill livre une BD aussi drôle que rythmée, qui ne manque évidemment pas de faire écho avec nos sociétés bien terriennes.

 

 

Et non, je n’ai pas encore lu le dernier Joann Sfar!

 

Laureline Karaboudjan

Illustration de une extraite de Lorna, Heaven is here par Brüno, DR.

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