Sarkozy devrait relire les Bijoux de la Castafiore

Gitans

En général, la bande dessinée use de clichés positifs sur les Roms

Qu’on les appelle “Roms”, “Gens du voyage”, “Manouches” ou autres (voir ici pour comprendre les subtilités entre tous ces termes), les Tsiganes sont au centre de l’actualité depuis le début de l’été. Un funeste faits-divers, un déchaînement de violence et c’est toute une communauté qui écope. Le président de la République a pris toutes sortes de mesures policières contre les Roms et son ministre de l’Intérieur n’hésite pas à stigmatiser les “très grosses cylindrées [qui] tire[nt] des caravanes”. Que ce soit à des fins électoralistes ou non, le gouvernement a  ressorti les vieux clichés stigmatisant sur les Tsiganes: voleurs de poules, truqueurs, etc. Pour ma part, je ne saurais que trop conseiller à Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux de se (re)mettre à la bande dessinée. Car quand le neuvième art parle des Roms, s’il manie aussi des clichés, ils sont bien plus positifs que ceux du président.

Les Gitans, ces artistes
Solidarité artistique oblige, quand la bande dessinée parle des Tsiganes, c’est souvent par le prisme de l’art, et plus particulièrement l’art musical. Le Gitan joue de la guitare comme personne et il arracherait des larmes aux morts avec ses accords pincés. C’est un cliché, mais un cliché positif. Dans la série Klezmer, Joann Sfar met en scène des musiciens slaves dont des Tsiganes très talentueux. Dans cet hommage coloré et fantastique à la musique klezmer, nourrie de diverses influences, Sfar use donc du cliché musical. Pour autant, il ne fait pas d’angélisme, puisque les Roms sont aussi coquins que les autres personnages de la trilogie, aux identités diverses (Juifs, Orthodoxes, etc.). Dans un autre registre, Mauvais garçons, éditée chez Futuropolis, met en scène des Gitans en Espagne qui rêvent de vivre du flamenco, leur passion. Mais dans un espèce de purisme amer, ils refusent toutes les opportunités qui se présentent à eux car elles reviendraient, d’un façon ou d’une autre à trahir leur clan. De musique tzigane, il en est aussi question dans Mélodie au Crépuscule, la bande dessinée de Renaud Dillies, qui est, aux dires de l’auteur, “une sorte d’hommage […] à Django Reinhardt […] personnage […] atypique, rêveur, curieux, un brin illuminé, à la fois en-dehors du temps, mais avec un langage universel”. Encore une bande dessinée où la musique tzigane est intimement liée à l’idée de liberté. Dans les Zingari, on retrouve encore des Tsiganes artistes, mais cette fois-ci dans un cirque. Dans cette série, parue initialement dans le Journal de Mickey au-début des 1970’s, les Manouches sillonnent des villages où ils se trouvent confrontés à chaque fois à une nouvelle affaire à résoudre. Et même si on les accuse (à tort) de divers larcins, ils sont toujours prêts à rendre service.

La communauté du voyage
Les auteurs de bande dessinée s’intéressent aussi à l’aspect communautaire des Gitans, aux codes qui régissent leurs sociétés, au voyage en groupe, etc. Dans une veine réaliste, voire ethnologique, le dessinateur Kkrist Mirror a consacré tout un album, sobrement intitulé Gitans, au pèlerinage des Sainte-Maries de la Mer. L’événement religieux rassemble tous les ans des Roms venus des quatre coins d’Europe, l’occasion de découvrir la richesse culturelle des nomades. L’auteur en tire un ouvrage proche du carnet de dessins, au style très décousu mais graphiquement réussi. A noter que dans un registre moins joyeux, Kkrist Mirror a écrit une autre bande dessinée sur les Roms, Tsiganes. Il y est question du sort réservé aux gens du voyage en France pendant l’Occupation. Je vous en ai déjà parlé dans cette chronique.

Plusieurs BD se servent de différents aspects culturels des Gitans, souvent clichés, dans leurs histoires. C’est par exemple le cas de Quand souffle le vent, sorte de remake de Roméo et Juliette, où Juliette serait en fait une Esmeralda aux nombreux bracelets sur les bras et à la robe flamenco, le tout mâtiné de lecture de l’avenir et de fantômes. Plus intéressants sont les ouvrages qui jouent des clichés classiques sur les Manouches pour mieux les détourner. Signalons ainsi l’Honneur des Tzarom, l’histoire d’une famille de Tsiganes dans l’espace. Les roulottes sont toujours là, mais maintenant elles volent à travers les étoiles. Et tout y est : les petits napperons, la fourrure sur le volant et même les aires spéciales pour gens du voyage. Bien sûr, la famille Tzarom est une famille d’escrocs, mais les personnages sont très attachants et la bande dessinée plutôt drôle.

La leçon de Tintin
Les Gitans apparaissent même dans un album de Tintin, dès les premières pages des Bijoux de la Castafiore. Il est d’ailleurs intéressant de noter que c’est dans l’album le plus “domestique” de Tintin, ce magistral huis-clos que sont les Bijoux, que les Tsiganes font leur apparition. Dans cet opus où Hergé s’amuse à brouiller les pistes, où il fait surgir plusieurs menaces (les Bohémiens donc, les paparrazi, la chouette du grenier, la camériste Irma ou le pianiste Wagner) qui s’avèrent toutes illusoires, les Romanichels tiennent un rôle de premier plan. Ils font même figures de coupables idéaux dans le vol des bijoux de la cantatrice. La faute aux préjugés, évidemment.

C’est ce bon vieux Archibald Haddock qui en est le premier victime, en passant à côté d’une décharge où se sont installés les Roms : “Il y a des gens qui semblent attirés par cette puanteur, c’est incroyable ! Aucun sens de l’hygiène ces zouaves-là !”. Le capitaine se fait très vite rembarrer par les Tsiganes qui lui expliquent qu’ils n’ont pas choisi de vivre là. Haddock, au grand coeur légendaire, leur propose alors de s’installer dans le parc de son chateau de Moulinsart. Puis c’est Nestor qui hallucine en voyant arriver les caravanes aux portes du château. “Mais, monsieur, que Monsieur me pardonne! ces Bohémiens, c’est tout vauriens, chapardeurs et compagnie!… Ces gens là vont causer des tas d’ennuis…” lance le domestique au capitaine Haddock, puis en aparté: “Inviter des Romanichels chez soi!! C’est de la folie!… Je dis que c’est de la folie!!”. Juste après, c’est le commandant de la gendarmerie qui appelle le capitaine pour le “mettre en garde. Il ne faudra vous en prendre qu’à vous même s’ils amènent des ennuis”.

Puis, élément moteur de l’album, une émeraude précieuse de la Castafiore disparaît. Les Dupondt mènent l’enquête maladroitement, jusqu’à ce qu’ils apprennent l’existence du camp de Roms: “Les voilà les coupables! Ca ne fait pas l’oncle (sic) d’un doute!”. Quand ce libertaire de Tintin ose soulever l’absence de preuves, on lui répond: “Des preuves?… Nous les trouverons! Ces gens sont tous des voleurs!”. Quand les agents vont pour les trouver, le camp a disparu, les nomades sont partis. Pourtant, on découvrira à la fin de l’épisode qu’ils n’y sont pour rien et que toute l’affaire a été causée par une pie voleuse.

La leçon sur les préjugés faite dans Les Bijoux de la Castafiore est enfantine mais efficace. Elle mérite surtout d’être relue en ce moment. Bien-sûr il y a des Roms truands, tout comme il y a des truands dans toutes les catégories de la population française. Mais quand on stigmatise toute une communauté en raison des agissements de quelques uns, on fait fausse route comme lorsqu’on cherche à imputer aux Romanichels les larcins d’une pie.

Laureline Karaboudjan

Illustration : Extrait des Bijoux de la Castafiore, DR.

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