La BD offre plein de conseils et de mises en garde pour les manifs.
Ça y est. Le diesel commence à manquer aux pompes à essence, les transports en commun sont aléatoires et les lycéens passent leur vie dans la rue. Surtout, c’est aujourd’hui la sixième manifestation nationale contre les retraites depuis la rentrée. L’occasion pour moi de retrouver mes ardeurs militantes et de sortir manger des merguez CGT sur les Grands Boulevards, avec quelques bonnes BD sous le bras, évidemment. Car dans le neuvième art comme ailleurs, la manif est un sujet de choix, traité par des auteurs très divers, d’Hergé à Jean Van Hamme. En ces jours de mobilisation, j’ai puisé dans mes albums préférés quelques bonnes idées et choses à ne pas faire pour les manifestants.
Manifester en milieu hostile avec Les Mauvaises Gens
Un des auteurs évidents pour évoquer les manifs, c’est Etienne Davodeau. Le natif du Grand Ouest n’a eu de cesse, à travers différentes oeuvres, de traiter de problématiques sociales et donc, en corollaire, d’évoquer des manifestations. Les Mauvaises Gens donne à ce titre un bel exemple de ce que peut être une manifestation réussie en milieu hostile. La BD retrace, de l’après Seconde guerre mondiale aux années Mitterrand, l’engagement militant dans les Mauges, la région natale de Davodeau, rurale, ouvrière et catholique. Dans des terres volontiers conservatrices, les parents de l’auteur se lancent alors dans le syndicalisme, à la JOC –Jeunesse Ouvrière Chrétienne – puis à la CFDT. L’auteur évoque un épisode particulier: le 14 juin 1972, 47 ouvriers de l’usine de lingerie Eram du Lion d’Angers sont virés pour avoir tenté de se syndiquer. Immédiatement, les camarades CFDT et CGT s’organisent pour leur apporter leur soutien à travers une manif au siège de la société, à Saint-Pierre Montlimart. Si on est bien loin des 3 millions revendiqués récemment dans toutes la France par les syndicats, avec 3000 participants, la manif est un succès. Surtout, l’auteur souligne que c’est un succès “inattendu”, ainsi que le souligne la presse à l’époque, dans un milieu peu favorable. Davodeau analyse ça notamment par la présence déstabilisante de catholiques dans les cortèges avec crucifix à la boutonnière, signe que les lignes de fraction peuvent évoluer. Ou pas : deux jours plus tard, une contre-manifestation est organisée, qui rassemble 3500 personnes.
Se découvrir une fibre révolutionnaire avec Blotch
Vous connaissez Blotch? Si ce n’est pas le cas, courrez dans votre librairie, car c’est une BD extrêmement drôle. Pour la faire courte: Blutch, l’auteur du Petit Christian (entre autres séries) met en scène une sorte d’alter-ego complètement décalé à travers le personnage de Blotch. Ou un dessinateur de presse petit par le talent mais immense par la fatuité, petit-bourgeois sûr de lui au conservatisme viscéral dans des années 1930 politiquement troublées. Ce qui nous amène justement à une scène de manifestation hilarante. Blotch se promène sur les boulevards parisiens avec un autre dessinateur aux idées réactionnaires quand passe le trajet d’une manif de partisans du Front Populaire. “Quel spectacle lamentable. Les rues de nos villes sont livrées à cette populace hirsute… C’est sinistre” commente Blotch d’un air dédaigneux. L’autre renchérit, et vice-versa, jusqu’à ce que le dessinateur qui accompagne Blotch, d’un “C’est immonde, pauvre France” lancé un peu trop fort, se fasse remarquer par les manifestants qui entreprennent de lui casser la figure. Une participante au cortège pointe alors du doigt Blotch comme compagnon du “fasciste“. Pour s’en tirer, le dessinateur tente alors de donner des gages. Il s’écrie “Vive Blum“, accepte de chanter la Carmagnole ou encore de boire le gros rouge qui tache que lui tendent les ouvriers. Il se retrouve même coiffé d’un bonnet phrygien, penaud comme l’a pu être Louis XVI lorsqu’il était passé par le même traitement pendant la Révolution. Evidemment, tout ceci ne l’empêchera pas de finir par se faire tabasser, car après tout, il y a aussi une justice en bande-dessinée.
Sauver des vies avec l’Oreille Cassée
Aussi étonnant que ça puisse paraître, on trouve aussi des manifs dans Tintin. Dès le premier album en fait, puisque dans Tintin au pays des Soviets, le retour du reporter du Petit XXème en Belgique est salué par une manifestation monstre à la gare qui l’accueille. Le héros a même le droit à des banderoles, que l’on retrouve également dans l’album suivant, Tintin au Congo, quand il pose le pied sur le sol africain. “Vivent Tintin et Milou” peut on lire. Rebelote en Amérique, où le héros à la houppette a le droit à une descente en voiture de luxe entre les gratte-ciels et sous les confettis après avoir vaincu le crime à Chicago. Mais c’est dans Tintin et l’Oreille Cassée qu’Hergé donne une vraie fonction scénaristique à la manifestation et n’en fait pas qu’un faire-valoir pour son héros. Alors que Tintin va être fusillé, les partisans en armes du général Alcazar investissent la caserne où se déroule l’exécution et sauvent Tintin. Il est ensuite porté en triomphe, par ailleurs complètement saoul, dans les rues de la ville, puis amené au nouveau leader du San Theodoros. A noter que le même procédé scénaristique est utilisé dans Tintin et les Picaros, quand le carnaval (certes, un autre type de manifestation) vient à la rescousse des Dupondt en passe d’être transformés en passoires. Signalons aussi cette excellente parodie gauchiste de Tintin intitulée “Y’en a Marre” (Breaking Free en VO), réalisée par un anglais dans les années 1980 et dont la traduction française est disponible ici. Evidemment, on y manifeste, entre autres activités militantes.
Perdre la vie avec SOS Bonheur et Un homme est mort
Impossible de ne pas voir qu’on parle de manifestation dans SOS Bonheur, la BD culte de Griffo et Van Hamme, puisque c’est une manif qui fait la couverture de l’intégrale, avec drapeaux rouges et poings levés, comme il se doit. Le problème, c’est que ça ne se passe pas très bien pour le héros principal, au centre des manifestants sur la couverture. Le commissaire Carelli, avec sa trogne de Lino Ventura, passe des forces de l’ordre à celles de l’insurrection à la fin de l’histoire et au cours d’un grand rassemblement prend la parole au mégaphone. Mais comme il a découvert un immense complot qui ferait pâlir le pire adepte du Da Vinci Code, un trou rouge se forme presqu’immédiatement sur sa poitrine. Il ne fait parfois pas bon d’haranguer les foules. Un homme est mort. Un homme est mort c’est justement le titre d’une autre BD de Davodeau, scénarisée par Kris, où il est également question de se faire tuer en manif. Brest, le 17 janvier 1950. Lors d’une manifestation syndicale, un militant de la CGT, Edouard Mazé, est abattu par la police. Le réalisateur René Vautier est immédiatement dépêché sur place par le syndicat pour faire un film de la mort du martyr. C’est au moins l’avantage de mourir en manifestation : on peut potentiellement entrer dans l’histoire.
Faire attention à la répression policière avec Jin Roh
Dans Un homme est mort, c’est une balle tirée par un CRS qui tue Edouard Mazé. Mais ce n’est rien à côté des flics qui officient dans le manga Jin Roh. Masque à gaz intégral, casque sur la tête et mitrailleuse lourde au poing, un membre de la Brigade des Loups, une unité d’élite qui sévit dans un Japon uchronique des années 1960, n’a rien à voir avec le plus lourdement armé des gendarmes mobiles. L’anime qui a été tiré du manga s’ouvre avec un scène de manifestation violente où les forces conventionnelles du maintien de l’ordre sont complétement dépassées. Mais quand la Brigade des Loups intervient, c’est une autre paire de manches:
Laureline Karaboudjan
Illustration: Extrait de SOS Bonheur, DR.
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