Le logement, problématique de société majeure, intéresse aussi les auteurs de bandes-dessinées. Des dessous de ponts aux résidences gardées pour ultra-riches.
Comme Dominique de Villepin, Nicolas Dupont-Aignan ou Philippe Poutou, l’ancien footballeur Eric Cantona serait lui aussi à la recherche de 500 signatures. Pour se présenter à la présidentielle? Non, pour faire un coup médiatique en faveur de la fondation Abbé Pierre qu’il parraine, et remettre ainsi la question du logement au coeur de l’actualité à quelques mois de la présidentielle.
Alors que l’association estime qu’il y a plus de 3 millions de mal-logés en France et que les loyers ne cessent d’augmenter dans les centres-villes, le logement est effectivement une problématique de société majeure. Un thème dont la bande-dessinée se fait l’écho, de manière réaliste ou au contraire de façon plus fantaisiste. Puisque ça intéresse Eric Cantona, je me propose de lui suggérer quelques albums issus de ma bibliothèque, pour balayer tout le spectre de la question du logement.
Comme beaucoup d’enfants, c’est à Astérix et le Chaudron que je dois mes premières leçons d’économie. Dans cet album de Goscinny et Uderzo, le petit gaulois est banni après qu’un chaudron rempli de sesterces et dont il avait la garde a été dérobé. Il ne pourra regagner son village qu’après avoir lui-même rempli un chaudron de pièces. Avec l’aide d’Obélix, Astérix explore tous les moyens possibles pour gagner de l’argent. Ce faisant, les deux compères sont confrontés aux rigueurs du marché du travail et de l’économie réelle. A un moment de l’aventure, faute d’argent suffisant, Astérix et Obélix sont mêmes contraints de dormir à la belle étoile. Une illustration, s’il en est, que les problèmes les plus patents en matière de logement sont intimement liés aux ressources.
Si Astérix et Obélix sont des SDF d’une nuit, Hosni, qui donne son titre à une bande-dessinée de Maximilien Le Roy, a connu la galère bien plus longtemps. Et surtout, il existe vraiment. C’est en 2007 que l’auteur de BD et le clochard se rencontrent dans les rues de Lyon. Touché par le récit d’Hosni, fils d’immigrés Tunisiens, petit délinquant désemparé par le retour subit de son père au pays, Maximilien Le Roy décide d’en faire une bande-dessinée. En ressort un témoignage précieux sur la condition de SDF, entre nuits dans les squats, centres d’accueils, la manche, la débrouille. Vous en avez peut-être lu quelques pages dans la revue XXI, qui publie chaque trimestre une BD-reportage. L’album complet est publié chez La Boîte à Bulles, une petite maison d’édition de qualité.
Mais les plus fameux SDF de la bande-dessinée française, ce sont incontestablement les Pieds Nickelés : Croquignol, Ribouldingue et Filochard, dont les aventures ont commencé en 1908 sous la plume de Louis Forton. En me replongeant dans l’intégrale de leurs aventures parues dans l’Epatant au début du XXème siècle, je me suis d’ailleurs amusée à voir que la question du logement était évoquée, ironiquement, dès la première case de toute l’histoire des Pieds Nickelés. «Sorti le matin même de Fresnes où il avait été prendre un repos bien mérité, Croquignol arpentait le pavé d’un air triste. ‘C’est pas l’tout, se dit-il, fini d’être logé, nourri, éclairé et blanchi aux frais du gouvernement, va falloir se r’mettre au turbin’ (…).»
Si la taule peut offrir un toit aux Pieds Nickelés (et ça arrive finalement assez souvent au cours de leurs aventures), ce n’est quand même pas ce qu’on peut espérer de mieux question logement. La quête d’un logement viable, c’est justement ce qui anime le trio dans Les Pieds Nickelés, pas si mal logés, l’une des reprises de la série par Oiry et Trap après qu’elle fut tombée dans le domaine public. Transposés dans notre XXIème siècle, les trois clochards démerdards tentent de se trouver un toit coûte que coûte à Croquignol, quitte à squatter dans un lavomatic, un hôtel miteux comme il en existe tant à Paris, ou chez Ribouldingue qui explique qu’“un bon chez soi vaut bien deux tentes Quechua”. Parodique et décalée, la BD n’a de cesse de faire écho à l’actualité récente, d’Augustin Legrand à Jeudi Noir, concernant le mal-logement.
Le sujet du logement est aussi traité à travers le prisme de “Monsieur tout le monde” en BD et , en l’occurence, souvent à travers l’exemple des auteurs de BD eux-mêmes, qui n’hésitent pas évoquer leurs péripéties liées au logement à travers leurs avatars d’encre et de papier.
C’est par exemple le cas de Manu Larcenet, qui a su comme personne traduire la transhumance des urbains désabusés vers une campagne potentiellement paradisiaque dans Le Retour à la Terre. Il tire de sa propre expérience de citadin parti s’installer à la campagne une série de gags hilarants, qu’il s’agisse du déménagement rocambolesque, de son étonnement face à la place dont il bénéficie dans sa nouvelle maison ou, bien-sûr, des différences culturelles entre ses nouveaux voisins ruraux et ses habitudes de jeune urbain.
A leur niveau, Lewis Trondheim ou Joann Sfar évoquent aussi, ponctuellement, dans leurs oeuvres auto-biographiques cette thématique du logement. Dupuy et Berbérian projettent eux dans le personnage de Monsieur Jean leur quotidien respectif et les situations gênantes que peut entraîner la vie en immeuble. Deux personnages se détachent : la concierge pénible qui vole le courrier dans les boîtes au lettre et le bon copain qui galère, qu’on héberge et qui finit évidemment par prendre beaucoup trop de place.
La BD n’oublie pas les plus favorisés. Parfois, c’est un peu comme dans les séries ou les films, les personnages principaux habitent dans des luxueuses demeures sans aucun rapport avec leur revenu réel. D’autres fois, la question du logement pour riches est l’un des arcs narratifs. Dans la Bdnovela Les Autres Gens, en ligne et publiée par Dupuis ensuite, l’héroïne principale des premiers épisodes, Mathilde, gagne au Loto et décide d’acheter un très bel appartement. Mais elle n’assume pas cet argent et ce nouvel espace, et elle le cache à ses amis. L’appartement, qui reste globalement vide, traduit ainsi un maître récurrent des Français face à l’argent et le sentiment que, quel que soit la manière dont on l’a gagné, on ne le mérite pas.
Les belles résidences peuvent aussi être un instrument de soft power. Dans Le Domaine des Dieux, un architecte convainc César que le meilleur moyen de conquérir le village gaulois n’est pas la force mais l’acculturation. En construisant une chic demeure à l’orée de leur village, il espère ainsi convaincre Astérix et sa bande que le modèle de vie romain est bien plus agréable que le leur. D’un côté les Romains veulent les civiliser, de l’autre, en construisant au milieu de la forêt, ils font disparaître les sangliers.
Métaphore de l’invasion des côtes françaises par des gens venus de la capitale (Rome en 52 av JC, Paris dans les années 70) mais aussi celle des logements de masse et des villes nouvelles. Le Domaine des Dieux, prépublié en 1971, correspond d’ailleurs à la construction du centre commercial de Parly 2 et, attenant, la création de la plus vaste copropriété d’Europe, Le Chesnay-Trianon. Face à ce double complexe immense, le sociologue Jean Baudrillard publia La Société de consommation, où il écrit notamment: « Si la société de consommation ne produit plus de mythe, c’est qu’elle est elle-même son propre mythe.» Uderzo et Goscinny, en opposant la forêt et la civilisation romaine jouent sur également sur cet affrontement mythologique.
Laureline Karaboudjan
Illustrations: extraits de la couverture des Pieds Nickelés, pas si mal logés, DR.
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