Pour savoir ce qui les attend, les Pussy Riots et Garry Kasparov peuvent lire des BD. Le camp de travail forcé fait partie du paysage classique de la Russie dans le neuvième art.
La sentence est tombée et elles ont décidé de ne pas demander la grâce présidentielle. Selon toute vraisemblance, les Pussy Riots, punkettes russes membres du collectif Voïna, devraient être envoyées pour deux ans dans des camps. Au même moment, devant le tribunal, c’est l’ancien champion d’échecs Garry Kasparov qui a été arrêté. Accusé d’avoir mordu un policier à l’oreille, l’opposant risque lui cinq ans de camp.
Un mot un peu mis de côté a du coup ressurgi dans les médias français: le Goulag. Car, comme le montre cet article récent de Libération, si le système de répression a un peu évolué entre l’URSS et la Russie d’aujourd’hui, les conditions très dures d’enfermement ne sont pas si différentes.
Pour quiconque a lu Soljenitsyne, il n’est pas très difficile d’imaginer ce que sera la vie des trois Pussy Riots ou de Garry Kasparov, ces nouveaux Ivan Denissovitch. Les camps soviétiques sont devenus, pendant la Guerre Froide, un des symboles du régime repressif de l’URSS, abondamment évoqué par les opposants russes en exil. Ainsi, au fil des livres et articles écrits pendant des décennies, on a été “familier” du goulag en Occident, ce “présent plein” comme le définit le philosophe Foucault. Rien d’étonnant alors à ce que les camps soviétiques inspirent aussi les auteurs de BD.
Le paradis du goulag
En 1975, Dimitri débute ainsi la série Le Goulag dans Charlie Mensuel. Son héros principal, Eugène Krampon, est un brave ouvrier de Nogent-sur-Marne, archétype de la ville moyenne de banlieue parisienne, qui part en Russie comme travailleur immigré. Par un concours de circonstances, il se retrouve alors enfermé dans un camp de travail (si on veut être précis, le Goulag est l’entité administrative créée pour gérer tous les camps de travaux forcés, mais dans le langage courant, chaque camp est devenu un goulag). Il va y vivre un série d’aventures rocambolesques, surréalistes et sexys.
Pour l’auteur Dimitri, le goulag est un matériel narratif bien utile. Il est un objet de fantasme, isolé de tout, et donc, potentiellement, tout peut y arriver. Aventures cochonnes, délires absurdes, tout y passe… Et pour Eugène Krampon, même s’il est amené à vivre des aventures à l’extérieur, son but est toujours d’y revenir, puisqu’il y a trouvé une sorte d’équilibre foutraque. Entre les gardes russes, la belle Loubianka et leur fils Evghenï, et la construction de son métro, tout le ramène au paradis du goulag.
Un cliché russe
Si le goulag devient un lieu de vie pour Eugène Krampon, pour tous les aventuriers en culottes courtes, ces camps soviétiques sont surtout une évocation obligée lors d’une aventure russe. Prenons par exemple le dixième et dernier tome des aventures d’Adler, cet ancien membre de la Luftwaffe reconverti aviateur défenseur des plus faibles. Opportunément intitulé Le Goulag, il se déroule dans les profondeurs de la Sibérie, après que le héros volant a été déporté dans un camp de travail pour conspiration au profit de l’Occident. En bonne BD issue du Journal de Tintin, on n’échappe pas à des descriptions quelque peu scolaires et longues du goulag pour “crédibiliser” le récit. En fin de compte, le goulag sera l’essentiel de ce qu’on verra de la Russie dans cet album. C’est aussi le cas dans le tome 6 de la série Insiders, titré sobrement Destination Goulag, où l’héroïne Najah découvre les camps de travaux forcés russes.
Le goulag est aussi le cadre d’une des aventures du Winter Soldier, l’identité que prend James “Bucky” Barnes après avoir arrêté d’être le side-kick de Captain America. Dans les livraisons #616 à #619 des aventures du super-héros patriote, on suit l’emprisonnement du Winter Soldier au goulag après avoir été extradé des Etats-Unis pour de prétendus crimes commis dont il n’a plus le souvenir.
Sur trois épisodes d’un arc intitulé lui aussi Goulag (Gulag en VO), il va devoir survivre dans un camp de travail ultra-violent où il retrouve un certain nombre de super-vilains. Le traitement du goulag par le comics est évidemment caricatural et il ne faut pas beaucoup de pages pour s’en rendre compte. Dès le début de l’histoire, le Winter Soldier est plongé dans une arène installée au beau milieu du camp où il doit affronter Ursa, un ours géant, dans un combat organisé par un des prisonniers qui a acheté tous les gardes du camp. Et son évasion (car bien-sûr, il s’évade) est tout à fait rocambolesque. Mais bon, on n’est pas là pour le réalisme…
Absent de Tintin au Pays des Soviets
Il n’y a pas que les “gentils” qui font un détour par les camps de travail: Olrik, l’ennemi juré de Blake et Mortimer y est lui aussi détenu prisonnier entre les deux albums La Machination Voronov et Les Sarcophages du 6ème continent, c’est-à-dire, théoriquement, entre 1957 et 1958. Il n’y a toutefois pas de description détaillée du camp de travail dans ces deux BD.
Pas plus, et c’est plus étonnant, qu’on a d’évocation du goulag dans le très cliché Tintin au pays des Soviets. C’est même le grand absent du pamphlet d’Hergé contre l’URSS, qui passe pourtant méthodiquement en revue tous les travers du régime soviétique. Les camps de travail forcé ont existé dès les premières années de l’URSS mais Hergé n’en parle pas dans sa BD publiée entre 1929 et 1930 dans Le Petit XXème. Historiquement, c’est intéressant car cela montre que le goulag n’avait pas du tout la même force évocatrice à l’époque qu’au cours de la Guerre Froide et singulièrement après la diffusion des oeuvres de Soljénitsyne à partir des années 1960. D’ailleurs, dans le livre de Joseph Douillet Moscou sans voiles, neuf ans de travail au pays des Soviets, paru en 1928 et dont Hergé a tiré la quasi-intégralité de sa documentation, le terme “camp” n’apparaît ainsi que dans 9 des 249 pages de l’ouvrage.
Témoignages dessinés du goulag
Plus proche de nous, Chronique illustrée de ma vie au goulag, par Euphrosinia Kersnovskaïa, fait figure d’oeuvre dessinée de référence sur le goulag. Ce livre sorti il y a près de 20 ans, qu’on ne trouve plus qu’en occasion, a tous les aspects du livre jeunesse classique: écriture ronde faite de pleins et de déliés, dessins réalisés aux pastels gras… Sauf qu’il ne s’agit pas ici d’un conte ou d’une fable enfantine, mais du témoignage à la première personne d’Euphrosinia Kersnovskaïa, envoyée dans les camps de travail forcé en 1940 parce qu’elle était une koulak, une paysanne propriétaire de ses terres.
Sortie de l’enfer concentrationnaire soviétique 12 ans après y être entrée, elle s’applique à coucher son expérience sur le papier entre 1964 et 1968, mais ce n’est qu’à la chute de l’URSS que son ouvrage sera publié pour la première fois. Elle y raconte tout du goulag: les privations, le froid, le travail arassant et, surtout, la déshumanisation progressive des détenus. Le témoignage a d’autant plus de force que les dessins sont doux, beaux, comme pour renforcer l’innocence de celle qu’on a envoyé au goulag alors qu’elle n’était coupable de rien.
Signalons aussi les Dessins du Goulag (Drawings from the Gulag, non traduit en français) de Danzig Baldaev. Célèbre pour être l’auteur d’une encyclopédie du tatouage criminel en trois tomes, Baldaev est un fin connaisseur de l’univers pénitentiaire russe puisque ce fils d’une famille d’opposants a été… gardien de prison. C’est là qu’il a commencé à compiler les tatouages de prisonniers dans des petits carnets. Lorsque le KGB a eu vent de ses activités, plutôt que de le punir on lui a au contraire ouvert les portes de nombreux camps de prisonniers du pays. Ce qui a permis à Baldaev de raconter, dans Dessins du Goulag, le quotidien des camps, du point de vue des prisonniers comme de celui des gardiens. Espérons une traduction prochaine en français…
Laureline Karaboudjan
Illustration extraite de la couverture du Goulag tome 14, Danse avec les fous, de Dimitri, DR.
lire le billetDans la droite ligne de mon article précédent sur Superman n’aurait pas tué Ben Laden, un détournement amusant de la désormais célèbre photo de la Situation Room avec tous les principaux personnages grimés en Super-héros. On notera que Barack Obama a très logiquement été déguisé en Captain America.
Petit test. Combien arriverez-vous à en reconnaître? J’attends vos réponses dans les commentaires!
D’ailleurs, dans la vraie vie des comics, les supers-héros fonctionnent assez régulièrement en groupe, comme les X-men:
Watchmen (ici les Minutemen, qui ont préfiguré dans les années 1940 les futurs Gardiens):
Dragon Ball Z chez les Japonais:
La Situation Room est elle devenue un meme, The Atlantic en a recensé une bonne collection:
PS: pour la première photo, vue sur Twitter grâce à @HenryMichel.
lire le billetLe héros de comics était le surhomme de la situation à Abottabad. Sauf qu’il aurait livré Ben Laden à un tribunal.
Bien-sûr, un commando héliporté, suréquipé et surentraîné, dont on peut suivre les opérations en temps réel depuis une salle de la Maison Blanche, ça a de la gueule. Mais on ne m’ôtera pas de l’idée que l’homme, ou plutôt le surhomme, de la situation pour intervenir dans la résidence de Ben Laden, c’était Superman. Ne serait-ce qu’en terme de symbole, qui d’autre que Superman, incarnation suprême de l’Amérique, aurait été mieux placé pour mettre une trempe au super-terroriste? Après tout, au cours de la Seconde guerre mondiale, c’est bien le super-héros en rouge et bleu que convoquaient les auteurs de comics pour rosser l’ennemi public numéro 1 de l’époque : Adolf Hitler.
Mais si Superman avait du intervenir au Pakistan, les choses se seraient probablement passées autrement pour Ousama Ben Laden. Et en tout état de cause, le terroriste n’aurait pas été tué. D’abord parce qu’il le peut : avec ses super-pouvoirs, nul doute que le héros dopé à la kryptonite aurait pu exfiltrer Ben Laden sans effusion de sang. Mais surtout, Superman n’aurait pas tué Ben Laden car ce n’est pas dans son éthique de tuer des gens. Car si le super-héros a la capacité d’intervenir sans donner la mort, l’inverse est tout aussi vrai. Pourtant, dans ses aventures, il me semble qu’à aucun moment celui qu’on appelle Clark Kent dans le civil ne tue un de ses adversaires. Car Superman est avant-tout un héros moral.
Je pourrais convoquer des philosophes pour traiter de la question. Spontanément, je pense à Nietzsche et ses concepts de volonté de puissance et d’Übermensch, mais également à Emmanuel Kant pour traiter de la morale. Mais certains font ça mieux que moi, comme ce professeur de philo américain qui n’hésite pas à utiliser une aventure de Superman comme exemple de la pratique du jugement au sens de Kant, ou, bien-sûr, l’écrivain italien Umberto Eco qui évoque le super-héros à propos de Nietzsche dans son livre De Superman au surhomme. Ce qui est certain, c’est que Superman, au-delà de ses muscles, incarne une certaine vision du “bien”, très empreint de tradition judéo-chrétienne ce qui explique son aversion au meurtre.
Superman aurait agi sous mandat de l’ONU
Superman à la place du commando américain à Abbottabad : très bien, mais Superman en a-t-il seulement envie? Rien n’est moins sûr depuis la parution de sa 900ème aventure aux Etats-Unis, ou après une dispute avec le gouvernement américain, le Man of Steel envisage de renoncer à la citoyenneté américaine. Evidemment, les lecteurs conservateurs s’indignent de voir un des symboles des Etats-Unis tergiverser de la sorte. Car Superman, ne l’oublions pas, est l’incarnation absolue de l’ American dream. Parfait, puissant, sauveur des faibles et des opprimés, il est symbole de réussite et n’a pas de vice. Il est ce que l’Amérique voudrait être. Il a d’ailleurs été créé à une époque où le pays avait besoin d’espoir, dans les années 30, après la crise économique. Ses deux auteurs viennent eux de la Manufacturing Belt, de Cleveland, de la classe moyenne.
Si Superman renonce à la nationalité américaine, cela peut signifier deux choses. Soit cela veut dire qu’il n’a plus envie d’incarner ces valeurs primordiales. Soit il estime que les Etats-Unis ne représentent plus ces valeurs et qu’il faut donc s’en séparer. C’est plutôt cette deuxième option qui semble prévaloir puisque Superman explique dans cette aventure être “fatigué de voir mes actions interprétées comme des instruments de la politique américaine“. Aussi, si Superman avait du intervenir à Abbottabad, il l’aurait probablement fait sous mandat de l’ONU. Et l’on imagine mal une résolution des Nations Unies autorisant le meurtre de qui que ce soit, fusse Oussama Ben Laden.
Superman, ce communiste sado-maso
Ce n’est en tous cas pas la première fois que le super-héros fait des infidélités à l’empire. Dans l’excellent Superman Red Son, les auteurs se demandent ce qu’il serait adevenu si Clark Kent était né en URSS. Grace à sa super intelligence, il finit par diriger une nation qui crée un communisme juste et parfait, et le répand à travers le monde. Un seul pays résiste alors à la doxa mondiale : les Etats-Unis capitalistes.
Autre anecdote, dans les années 50, Joe Shuster, l’un des deux créateurs, alors en difficulté financière, illustra anonymement un recueil de nouvelles SM avec des personnages ressemblant comme deux gouttes d’eau à Clark Kent et Lois Lane. On peut y voir le premier fouettant la seconde, manière narquoise de prendre ses distances avec les valeurs de Superman (à lire sur le sujet un long papier dans le dernier numéro de la revue L’imparfaite).
D’autres héros aussi ont déjà marque leur distance avec le gouvernement des Etats-Unis. Il y a quelques années, un autre symbole des Etats-Unis, Captain America, s’érigea contre le Super-Human Registration Act (Loi de recensement des surhommes) une métaphore évidente du Patriot Act de l’administration Bush. Dans le crossover Civil War, Captain America prend même la tête des réfractaires à cette nouvelle législation. Ils finissent d’ailleurs par affronter les troupes loyalistes menées par Iron Man dans un combat épique en plein New-York.
Ces libertés prises avec la politique officielle américaine par les super-héros déplaisent généralement aux conservateurs, qui considèrent grosso modo que les maisons d’édition de comics comme Marvel ou DC Comics sont des repères de démocrates ébouriffés. Ils ont donc le sentiment que leurs supers-héros sont confisqués et mis au service d’une idéologie partisane. Les supers-héros ne sont plus l’Amérique, ils sont devenus une vision de l’Amérique, et cela ne plaît pas forcément à tout le monde. Les conservateurs ont ainsi récemment mal pris qu’un héros français et musulman vienne seconder Batman ou que le nouveau dessin de Superman fasse passer Clark Kent pour un vampire hipster des quartiers branchés de New York, loin de son image virile et campagnarde originelle.
Il est loin le temps du Comic Code Authority, où une véritable censure s’exerçait sur les publications. Des regrets?
Laureline Karaboudjan
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Oui, je sais, c’est mal de copier sur ses petits camarades. Mais il n’empêche, c’était trop tentant de vous livrer mon top 50 des meilleures BD de la décennie. Évidemment, tout ceci est très subjectif et pas le moins du monde exhaustif, puisque je n’ai (hélas) pas pu lire tout ce qui est sorti ces dix dernières années. Du coup, n’hésitez pas à me livrer en commentaire vos chouchous à vous…
On commence du 50 au 41.
50. Captain America, vol 5, 25 (Ed Brubaker, Steve Epting) – Marvel – 2007
Quand le plus patriote des héros américains meurt assassiné par un sniper, c’est tout l’american dream qui s’effondre. L’album qui contient la mort de Captain America, modèle de la dramaturgie propre aux comics, vient conclure la grande fresque Civil War. Sur une centaine d’albums de différentes séries, les super-héros Marvel s’affrontent en une guerre fratricide. En cause, le Super-Human Registration Act, évocation directe du Patriot Act qui oblige tous les mutants à se faire connaître auprès des autorités américaines. Ceux qui sont favorables à la loi rejoignent Iron Man, ceux qui la refusent parce qu’elle menace les libertés individuelles sont emmenés par un Captain frondeur. Avec Civil War, le monde du comics fait sa remise en cause de l’après 11 septembre. Rassurez-vous: depuis Obama a été élu, Bush est parti et on parle déjà de la résurrection de Captain America. On the road again...
49. Le Goût du Chlore (Bastien Vivès) – Casterman – 2009
La piscine municipale comme théâtre des émois adolescents, ça tient presque du classique. En cinéma, ça peut donner Naissance des pieuvres, en BD c’est le Goût du Chlore. Un jeune homme se voit prescrire de la piscine pour soigner sa scoliose. Il y rencontre une super-nageuse de compétition une fois, deux fois, puis chaque semaine. Peu à peu il tombe amoureux, d’un amour premier où chaque détail compte. Celui qui n’arrive qu’une fois dans la vie. Celui qu’on n’oublie jamais. Couleur turquoise glacé, température moite, comme à la piscine.
48. Le Grand Mort, Larmes d’abeille (Loisel, Jean-Blaise Djian, Vincent Maillé, François Lapierre) – Vent d’Ouest – 2007
Normalement, quand une jeune fille se perd au milieu de la campagne française, loin de tout, elle tombe soit sur Jean-Pierre Treiber, soit sur une maison d’hote qui organise des soirées SM, soit sur des anarchistes tendance TiQQUN qui passent leurs soirées à refaire le monde à défaut de poser des bombes. Sauf que quand Loisel est au pinceau, l’herbe verte bruisse des bruits de la fantasy et les grimoires renferment quelques vérités…. Un jeune homme bourru, le lac, l’espace-temps et voilà le petit peuple. Un autre monde où là, vraiment, vient l’insurrection.
47. Supermurgeman, La menace communiste (Mathieu Sapin) – Dargaud – 2005
Un super-héros en bottes et en slip dont le pouvoir ultime est de vomir de la bière sur ses adversaires. Un île paradisiaque où vit un shérif, des villageois, un sorcier ou encore Etronman, le bien nommé super-vilain nauséabond. Et enfin, une bande de zombies communistes qui s’apprêtent à débarquer dans cet Eden perdu. Supermurgeman, c’est le n’importe quoi érigé en principe, le délire de fanzine étudiant élevé en tant qu’art. Ce sont des dialogues sans queue ni tête, des scénarios qui ne tiennent pas debout et pourtant des histoires qu’on se plait à lire et à relire. Supermurgeman, c’est à la BD ce que Stupeflip est à la musique: un truc stupéfiant, un truc stupide qui tape dans le bide, trop de vin trop de joints et voila le résultat.
46. Canardo, Marée Noire (Sokal) – Casterman- 2004
30 ans maintenant que Canardo traîne ses guêtres de détective désabusé et alcoolique, à un rythme presque annuel depuis 2000. Marée noire, un de plus? Sauf que là, dans une ambiance de révolution et de vacances estivales, la justesse des dialogues touche souvent à la perfection. Le pétrole se déversera-t-il sur les plages françaises ? La saison de la crevette reviendra-t-elle? Le dictateur finira-t-il par mourir? Le petit pays de l’Amerzone retrouvera-t-il la liberté? Le ministre de l’Intérieur qui ressemble à Charles Pasqua cessera-t-il de s’excuser ? Avant de répondre à ces questions, n’oublions pas que le Mojito est excellent.
45. Okko, Le Cycle de l’eau 1 (Hub) – Delcourt – 2005
A première vue, un album comme il en sort des dizaines chaque année. De l’heroic-fantasy saupoudrée d’Asie et roulez jeunesse. Quinze jours dans les rayons et on en parle plus. Pourtant, au bout de seulement quelques pages, on comprend que l’on achètera le tome suivant. Parce que l’association entre le rônin, le jeune pécheur, le moine et le géant fonctionne. Parce que le graphisme est léché. Parce que les femmes sont belles et cruelles et que les têtes sautent. Parce que l’on sait qu’un jour on finira par trouver nous aussi ces îles où de vieux temples hindous renferment des fantômes et autres démons. Le bien? Le mal? L’aventure!
44. Blake et Mortimer, L’étrange Rendez-vous (Jean Van Hamme, Ted Benoît) – Ed. Blake et Mortimer – 2001
Que serait un top sans un album de ces deux vieux patriarches? Si Mortimer n’aura sûrement pas d’enfants, en raison de ses relations ambiguës avec Blake, cela ne l’empêche pas d’avoir une lignée riche en ancêtres plus ou moins glorieux. Sauf que normalement ils sont morts et ne ressurgissent pas un jour sans prévenir. Remarquez, le Major Lachlan Macquarrie, officier britannique disparu le 17 octobre 1777, ne manque pas de charme, malgré son côté Willie le Jardinier. L’album marque le retour de l’empereur jaune, il y a les grands espaces américains, la course à l’armement et des martiens. Le scénario est totalement abracadabrant, comme le sont si souvent les aventures de Blake et Mortimer mais, au moins, il y a une tentative d’originalité. Pas comme le dernier album, vague mélange entre Indiana Jones et le Da Vinci Code. Heavens!
43. Aberzen, Commencer par mourir (Marc N’Guessan, Christophe Gibelin) – Soleil – 2001
Tout commence avec un ours qui se nomme Hotis. Il s’occupe des montes-charges dans une mine. C’est bon, vous avez souri en lisant cette blague? Parce que la page d’après, il meurt. Ainsi, il peut tenter de sauver son monde. Le scénario est un peu compliqué, voire confus. Pendant les trois premiers tomes, on ne comprend à peu près rien. On se laisse guider et l’on découvre avec le héros pas à pas toutes les ramifications. Cela pourrait en rebuter certains, je trouve que c’est très agréable. Le titre de la série, Aberzen, et les noms de chaque album sont une douce poésie. Tout le monde trahit tout le monde, tout le monde meurt et revit, mais les paysages sont si beaux. Un beautiful day morbide interminable. Un temps par dessus l’autre, au delà des mers sèches, il faut commencer par mourir en égrenant plusieurs noms pour le bleu.
42. Pourquoi j’ai tué Pierre (Olivier Ka, Alfred) – Delcourt – 2006
Enfant, l’auteur allait souvent en colonies de vacances avec Pierre, un gros bonhomme jovial et barbu. Oui, mais le prêtre s’est rapproché de plus en plus du petit garçon. Il lui a d’abord demandé de le masser puis un soir l’a poussé à dormir avec lui… La pédophilie en BD, qui plus est sur le mode autobiographique, c’est forcément chargé en émotions. Voire pesant. Pas ici. Sans pathos on compatit, sans lourdeurs on comprend. Et avec l’auteur on règle une bonne fois pour toutes son compte à Pierre.
41. Aya de Yopougon volume 1 (Marguerite Abouet, Clément Oubrerie) – Gallimard – 2005
Le quartier de Yopougon, à Abidjan, c’est l’Afrique en Technicolor. C’est là, au milieu des souriantes 70’s ivoiriennes, que vivent Aya et ses amis, à qui il arrive mille et unes histoires. Et parce qu’on est en Afrique, la moindre amourette devient un conte de griot, récité avec le langage fleuri qui sied. Aya, c’est le goût du manioc dans la bouche, le coupé-décalé dans les oreilles et des couleurs plein les yeux. Quitte à être un peu cliché, comme toute bonne carte postale.
Laureline Karaboudjan
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