Le déchirement familial chez les Uderzo a fait deux victimes: Astérix et les lecteurs.
L’album d’Astérix Le Grand Fossé met en scène un petit village gaulois coupé en deux, avec de chaque côté un chef intransigeant qui réclame la souveraineté sur l’autre moitié du village. Évidemment, cet affrontement est ridicule: dans le fond les deux partis sont bonnet blanc et blanc bonnet et il faudra l’ingéniosité d’Astérix, Obelix et Panoramix ainsi qu’un amour fou entre deux jeunes tourtereaux, pour résoudre la situation.
Si dans la BD, cela finit bien, dans la vraie vie, c’est souvent un plus compliqué. La famille Uderzo aurait ainsi bien besoin d’un peu d’amour et de nos compères gaulois pour ramener la paix dans la chaumière. Dans une enquête très intéressante parue cette semaine, Le Nouvel Obs décrit la manière dont Uderzo se déchire avec sa fille depuis de nombreuses années. L’affaire était connue. Avec l’article de l’hebdomadaire, on comprend à quel point la situation est « pathétix ».
lire le billetLe dernier tome d’IR$, une BD qui met en scène un enquêteur du fisc américain, est sorti en même temps que l’affaire Bettencourt. Des deux côtés l’on parle de fraudes, de grandes fortunes et d’évasion fiscale et, pourtant, ce sont deux univers très différents.
Avouez-le, vous êtes comme moi. Au début, vous trouviez ça super l’affaire Bettencourt, avec ses intrigues et tout, et, finalement, vous avez fini par être un peu perdu. Trop de rebondissements, trop vite. Au moins, dans les séries américaines, il faut attendre une semaine avant chaque épisode.
J’avais déjà fait la même remarque l’année dernière pour le procès Clearstream. En BD, il n’y aurait pas vraiment eu de jugement complexe. Villepin aurait été pendu, le juge à l’Ouest du Pécos aurait rendu rapidement la justice, et cela aurait été très bien comme ça.
Pour l’affaire Bettencourt, c’est un peu la même chose. Les scandales financiers, notamment la fraude fiscale, sont des classiques des ressorts dramaturgiques. Combien de fois avez-vous vu un film de mafieux où le chef est condamné car il a oublié de déclarer la TVA d’un paquet de clopes alors qu’il n’était pas inquiété après avoir zigouillé une bonne trentaine de personnes? Mais ils vont rarement à une telle complexité comme nous le propose Bettencourt.
Prenons IR$, l’une des BDs “fiscales” les plus connues. Elle met en scène Larry B. Max, un contrôleur du fisc américain, de l’IRS, l’Internal Revenue Service. Évidemment il n’est pas un petit fonctionnaire pusillanime derrière son comptoir. Il appartient à un service spécial, chargé des très gros dossiers. Il n’a pas le double 00 des britanniques mais ce n’est pas un problème pour lui, il tue sans trop de problèmes.
La douzaine d’épisodes déjà paru chez Le Lombard, le dernier est sorti en juin 2010, le met en scène dans des affaires financières plus ou moins complexes (il existe aussi des diptyques). Si vous passerez un moment agréable à les lire – je les ai tous relu dernièrement et je ne suis pas non plus une grande fan – cela ne vous aidera pas du tout à comprendre mieux le monde de la finance et de l’évasion fiscale. Les sociétés offshore et le blanchiment d’argent sont un prétexte pour enchaîner les scènes d’actions, les appels à la belle Gloria et les jolies filles, plantureuses et d’un soir, évidemment. Les fraudeurs fiscaux finissent rarement devant la justice, plus souvent troués de balles.
De plus, pour solder les intrigues, le scénariste Stepen Desberg a tendance à faire appel aux bonnes vieilles ficelles que sont la mafia et les anciens nazis. Ca mange pas de pain mais c’est un peu dommage. A croire qu’une intrigue feutrée de couloirs, sans morts et sexe à tous les étages, ce qui est la norme dans la plupart des affaires fiscales, n’est pas assez intéressante. On imagine mal un contrôleur débarquer à Neuilly et zigouiler la moitié de la famille Bettencourt, et, pourtant, l’affaire reste intéressante!
Largo Winch, le capitaliste au grand cœur
Dans le même genre, plus connu, il y a évidemment Largo Winch, qui cette fois-ci nous place du côté du patron d’entreprise, le potentiel fraudeur. Dans les premiers épisodes, scénarisé par Jean Van Hamme, l’homme au 37 millions d’albums vendus, il y avait une vraie dimension financière. La manière dont étaient constituées les différentes sociétés du groupe Winch, les interférences entre patrons et les divers évasions fiscales étaient au coeur de l’intrigue. Avec, toujours, cette question: “Peut-on être du côté des bons et pourtant être l’un des personnes les plus riches du monde?” Chez Largo Winch, le leitmotiv de la série est que la réponse est positive. Mais pour les Bettencourt?
Pourtant, au fur et à mesure des albums, les joints ventures deviennent un prétexte à l’action et à d’autres histoires. Pourquoi pas à la limite. Au bout de vingt ans sur la même BD (et plus puisqu’au départ c’est un roman), on peut comprendre l’envie de raconter autre chose avec les mêmes personnages. Mais, comme un groupe qui changerait radicalement de musique d’un album à l’autre, cela peut décevoir le fan. Du même scénariste, signalons aussi la très bonne série Les Maîtres de l’Orge, qui met en scène les aventures d’une puissants brasseurs belges, les Steenfort, sur plusieurs générations. Encore une histoire d’une famille qui s’entredéchirent pour de sombres histoires économiques et d’héritages, un peu comme les Bettencourt, le charme de la campagne flamande en plus.
Malgré le spectaculaire, les scénaristes essayent toujours d’être plus ou moins crédibles. Jean Van Hamme a été ainsi bien aidé par ses études, ingénieur commercial et agrégé d’économie politique. Il racontait récemment au site lesaffaires.com qu’il présente ses scénarios “à des avocats, des banquiers et des gens d’affaires. C’est fait très amicalement et ça permet d’avoir des histoires plausibles”.
Le scénariste Stefen Esberg expliquait lui dans une déjà ancienne interview de 2003 à ActuaBD:
“Il y a une réflexion quasi philosophique par rapport à l’argent, une tentative de détecter les choses invisibles du monde de la finance. (…) Dans IR$, nous essayons de comprendre quelle est la destination de l’argent, qu’est-ce qu’on a l’intention d’en faire, quelle vision du monde sous-tend son utilisation. On essaye de comprendre quelle est la place de l’homme face à des empires économiques sans pardon.”
Une volonté, crise économique et financière oblige, qui reste ô combien d’actualité.
Laureline Karaboudjan
Illustration: Le Lombard
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