Daredevil, le Pingouin, Professeur Xavier ou Astérix… Autant de héros handicapés du neuvième art.
Jamais les Jeux Paralympiques, qui se terminent, ce week-end n’auront eu un tel succès. Les épreuves londoniennes se disputent à guichets fermés, on peut les suivre en direct sur Internet (d’ailleurs, je suis sûre que ceux qui se plaignent de la faible visibilité des Jeux Paralympiques n’ont même pas essayé…) et aucune médaille française n’échappe aux journaux radiophoniques ou télévisés.
A travers la retransmission des Jeux Paralympiques se pose plus largement la question de la visibilité des handicapés dans la société. Une interrogation qui touche aussi la bande-dessinée. Sur son site de référence BD Médicales, le docteur Gérald Bernardin formule une réponse mi-figue mi-raisin : “La BD, subtil reflet de notre société, qui a acquis ses lettres de noblesse depuis une trentaine d’années seulement, propose certes depuis quelques années différents titres sur ce thème, mais force est de constater que ces derniers sont souvent diffusés sur un mode confidentiel, car souvent issus d’initiatives associatives ou locales.” Des albums très didactiques, parfois un peu rasoir, édités par des conseils généraux ou des rectorat d’académie. Vous voyez le genre quoi…
Mais le handicap est aussi évoqué chez de grands éditeurs de BD, sous la plume d’auteurs plus affirmés. Que l’on pense au Sclérose en plaques de Mattt Konture, à Eva et Silence de Didier Comès ou à l’ascension du Haut Mal de David B. par exemple. Et certains des héros de BD les plus connus, notablement dans l’univers des comics de super-héros, sont affectés par un handicap. Du coup je me suis amusée à faire ma propre sélection pour les Jeux Paralympiques. Les épreuves que je leur attribue sont fantaisiste et n’existent pas toutes réellement aux Jeux Paralympiques.
C’est probablement le plus célèbre des héros de BD handicapés : l’avocat Matthew Murdoch, alias Daredevil, est aveugle comme la justice. Un handicap qui n’empêche pas ce drôle de diable de combattre de redoutables adversaires et de faire règner l’ordre dans son quartier new-yorkais de Hell’s Kitchen. Il faut dire que pour contre-balancer son handicap, Daredevil a développé un sixième sens, une sorte de sonar tel que ceux dont disposent les chauves-souris. Il peut ainsi se repérer dans l’espace et exécuter de nombreuses cabrioles pour sauter de toits en toits ou en situation de combat. Voici donc un candidat hors pair pour un concours de gymnastiques ouvert aux aveugles.
Le fondateur de l’école pour jeunes mutants dans X-men et est l’un des personnages principaux de cette série. Il perd l’usage de ses jambes lors de l’affrontement contre l’extraterrestre Lucifer, avant de fonder son pensionnat. Excellent télépathe, il serait sans aucun doute le leader d’une équipe de basket en fauteuil, pouvant anticiper les attentes de ses coéquipiers et les mouvements de ses adversaires.
L’Aigle sans orteils, c’est Amédée Fario, un paysan des Pyrénées, au début du XXème siècle, qui découvre le tour de France à la faveur d’une rencontre avec un astronome passionné de vélo. Il attrape le virus lui aussi et participe, comme un damné, à la construction de l’observatoire du Pic du Midi pour pouvoir s’acheter une bicyclette et réaliser son rêve: intégrer le peloton. Mais un hiver, ses pieds gèlent et il est amputé. Qu’à cela ne tienne, l’Aigle sans orteils ne se décourage pas et participe quand même aux courses cyclistes, tenant la dragée haute à ses concurrents valides. Si vous n’avez pas lu cette superbe BD de Chrisitan Lax, courez vous la procurer!
Voici l’handicapé le plus lourd de ma sélection puisqu’Alef Thau est un enfant tronc. Personnage d’une saga entamée dans les années 80 par Jodorowsky au scénario et Arno (depuis disparu) au dessin, Alef Thau va devoir subir moult épreuves initiatiques pour retrouver peu à peu son intégrité physique et spirituelle et enfin accomplir sa prophétie. Ca fait de lui un “sportif” très polyvalent qu’on pourrait aligner sans problèmes sur un pentathlon.
Le pirate au chapeau de paille du manga One Piece pourrait même participer à l’épreuve du saut à la perche lors des JO pour valides. A vrai dire, il n’a juste pas besoin de perche. Ses bras extensibles lui suffisent et il exploserait sans aucun doute le record du monde s’il ne s’endort pas pendant l’épreuve pour avoir trop mangé…
Ce n’est pas le genre de mec que l’on veut affronter au water-polo. Oswald Chesterfield Cobblepot a été moqué depuis sa plus tendre enfance pour son apparence disgracieuse. A noter que selon les époques du comic Batman, il est plus ou moins handicapé. Parfois, il semble être tout à fait valide, parfois il n’a plus que trois doigts à une main et ses gants noirs donnent l’impression qu’il a des palmes. Du coup, le Pingouin serait aligné sur une épreuve de natation, voire une épreuve natation-tir où il pourrait user de son parapluie un peu spécial.
Théoriquement, il ne pourrait pas participer aux Jeux Paralympiques, puisque la surdité est son seul handicap et qu’il ne semble pas y avoir d’épreuves réservées aux sourds (même s’il y a des athlètes sourds qui ont d’autres handicaps qui y participent et même si je suis un peu perdue dans toutes les épreuves, j’avoue). Mais j’avais envie de parler de lui, donc je le mets tout de même dans la liste. Surtout que dans Vol 714 pour Sydney, le professeur Tournesol affirme (page 7) avoir pratiqué: “le tennis, la natation, le football, le rugby, l’escrime, le patinage: tous les sports, je vous dis. Sans oublier les sports de combat: la lutte, la boxe anglaise et la boxe française, c’est-à-dire la savate”. Il pourrait donc rapporter un paquet de médailles à la Belgique.
Vous trouverez ça peut-être tiré par les cheveux, mais à mes yeux le petit Gaulois en un handicapé: il est atteint de nanisme. Tout en disproportion, Astérix est plus petit que les habitants de son village, sauf peut-être le vieillard Agecanonix. Et encore, le héros aux moustaches blondes est fortement soupçonné par les agences anti-dopage d’avoir souscrit aux bonnes vieilles hormones de croissance, comme celles qu’on injectait aux sportifs de RDA. Vous ne me croyez pas? Regardez plutôt:
Troublant non? En tous cas, s’il faut l’aligner sur une épreuve, c’est en sprint. Celle qu’il a disputée dans Astérix aux Jeux Olympiques et dans laquelle il s’est brillamment imposé face à des concurrents valides (mais dopés).
Laureline Karaboudjan
Illustration de une: montage perso à partir d’une oeuvre de Banksy, DR.
lire le billetUn héros musulman devait accompagner Superman dans sa dernière aventure. Elle a été remplacée au denier moment par une histoire sans saveur avec… un super-chien. Polémique, forcément.
Muslims vs. Comics, épisode II. Il y a quelques mois, des conservateurs américains s’étaient offusqués qu’un épisode de Batman mette en scène un héros français d’origine algérienne et musulman. Selon eux, il ne représentait pas suffisamment la vraie France et il aurait mieux fallu un bon vieux paysan avec son béret et sa baguette. Une polémique qui avait été pas mal relayée dans l’hexagone (relire ici mon papier de l’époque).
Là, c’est globalement la même idée. Le mois dernier l’éditeur américain DC annonce que le prochain épisode de Superman, le #712, mettra en scène le super-héros en compagnie d’un certain Sharif. DC décrivait ainsi l’épisode: «Rencontrez le nouveau super-héros de Los Angeles: Sharif! Mais Sharif découvre que dans le climat culturel actuel (today’s current cutural climate), certaines personnes ne veulent pas de son aide, elles veulent juste le voir partir. Superman pourra-t-il aider Sharif et apaiser la foule, ou y-a-t-il des problèmes que The Man of Steel ne peut pas régler?»
Superman pour ramener la concorde entre les civilisations: joli programme. Sauf que DC annule finalement la publication et la remplace par une aventure avec un chien, Krypto the Superdog, dans laquelle, globalement, Superman sauve des chats. L’éditeur a expliqué que «l’histoire préalablement annoncée n’a pas été publiée car elle ne fonctionnait pas avec la trame générale de la série Grounded (la dernière en cours de Superman)».
Pour Chris Sims du site internet Comics Alliance, cette excuse est trop vague pour qu’on ne se pose pas des questions. Selon lui, Superman a été mis en scène ces dernières années dans des scénarios tellement improbables comme “brûler des maisons de dealers de drogues avec sa vision de feu” ou “aider des aliens à construire une usine pour revitaliser l’économie”, qu’il parait difficile pour une histoire de ne pas respecter la ligne, puisqu’il n’y a plus de ligne.
Surtout, le site révèle que même des personnes directement impliquées, comme Chris Roberson, l’un des scénaristes, ont appris au dernier moment que l’histoire était annulée et remplacée par une autre.
De plus, Sharif n’est pas totalement une création, c’est une ré-interprétation d’un personnage déjà apparu en 1990. Et d’ordinaire DC n’a pas froid aux yeux. Pour preuve l’épisode récent avec le héros français et musulman dans Batman ou, en avril dernier, la volonté de Superman de renoncer à la nationalité américaine car il ne se reconnaissait plus dans la politique de son pays d’adoption.
“Islamophobie rampante”
Pour Comics Alliance, c’est justement dans ces derniers épisodes qu’il faut chercher la raison de l’évincement de Sharif. Après deux grosses polémiques “Batman aide des potentiels terroristes” et “Superman déteste l’Amérique”, DC n’aurait pas osé prendre le risque d’en créer une troisième. Peut-être moins pour des raisons politiques que purement mercantiles. A l’heure où DC cherche de nouveaux publics, la trame “Superman inspire un héros musulman pour faire le bien dans le monde” serait plus clivante que des histoires de chiens et de chats… Pour le blog Death and Taxes, tandis que le Sharif des années 90 ne posait pas de problème, «aujourd’hui le pays a succombé à une islamophobie rampante et DC doit tenir compte des critiques des conservateurs».
Deux points: il est tout d’abord fascinant de voir à quel point les super-héros sont devenus un enjeu de pouvoir aux Etats-Unis entre démocrates et conservateurs. Savoir que désormais DC recule par avance face à de potentielles polémiques est plutôt inquiétant.
Second point: la «question musulmane» en elle-même. La culture populaire américaine est en partie construite sur la notion de bien et de mal. L’islamiste (généralisé en musulman) est depuis le 11 septembre 2001 ce qu’était le Russe pendant la guerre froide: l’ennemi. Sauf qu’avec le communiste, c’était assez simple: pour qu’il rejoigne les gentils, il lui suffisait de passer à l’Ouest en adhérant aux valeurs du monde libre et capitaliste. Pour le musulman, c’est plus compliqué. Il ne peut pas décemment quitter sa religion, or, pour beaucoup de conservateurs, l’Islam est le mal.
Donc, pour eux, un musulman, s’il ne renie pas ses valeurs et sa religion, ne peut pas faire le bien puisque que ce sont ses croyances qui sont à l’origine de tous les problèmes. Accepter un héros musulman, c’est accepter que cette religion puisse faire le bien. Pour des conservateurs américains, «it’s complicated» comme on dit sur Facebook.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait de la couverture de l’épisode #712 non-paru, DR.
lire le billetLe héros de comics était le surhomme de la situation à Abottabad. Sauf qu’il aurait livré Ben Laden à un tribunal.
Bien-sûr, un commando héliporté, suréquipé et surentraîné, dont on peut suivre les opérations en temps réel depuis une salle de la Maison Blanche, ça a de la gueule. Mais on ne m’ôtera pas de l’idée que l’homme, ou plutôt le surhomme, de la situation pour intervenir dans la résidence de Ben Laden, c’était Superman. Ne serait-ce qu’en terme de symbole, qui d’autre que Superman, incarnation suprême de l’Amérique, aurait été mieux placé pour mettre une trempe au super-terroriste? Après tout, au cours de la Seconde guerre mondiale, c’est bien le super-héros en rouge et bleu que convoquaient les auteurs de comics pour rosser l’ennemi public numéro 1 de l’époque : Adolf Hitler.
Mais si Superman avait du intervenir au Pakistan, les choses se seraient probablement passées autrement pour Ousama Ben Laden. Et en tout état de cause, le terroriste n’aurait pas été tué. D’abord parce qu’il le peut : avec ses super-pouvoirs, nul doute que le héros dopé à la kryptonite aurait pu exfiltrer Ben Laden sans effusion de sang. Mais surtout, Superman n’aurait pas tué Ben Laden car ce n’est pas dans son éthique de tuer des gens. Car si le super-héros a la capacité d’intervenir sans donner la mort, l’inverse est tout aussi vrai. Pourtant, dans ses aventures, il me semble qu’à aucun moment celui qu’on appelle Clark Kent dans le civil ne tue un de ses adversaires. Car Superman est avant-tout un héros moral.
Je pourrais convoquer des philosophes pour traiter de la question. Spontanément, je pense à Nietzsche et ses concepts de volonté de puissance et d’Übermensch, mais également à Emmanuel Kant pour traiter de la morale. Mais certains font ça mieux que moi, comme ce professeur de philo américain qui n’hésite pas à utiliser une aventure de Superman comme exemple de la pratique du jugement au sens de Kant, ou, bien-sûr, l’écrivain italien Umberto Eco qui évoque le super-héros à propos de Nietzsche dans son livre De Superman au surhomme. Ce qui est certain, c’est que Superman, au-delà de ses muscles, incarne une certaine vision du “bien”, très empreint de tradition judéo-chrétienne ce qui explique son aversion au meurtre.
Superman aurait agi sous mandat de l’ONU
Superman à la place du commando américain à Abbottabad : très bien, mais Superman en a-t-il seulement envie? Rien n’est moins sûr depuis la parution de sa 900ème aventure aux Etats-Unis, ou après une dispute avec le gouvernement américain, le Man of Steel envisage de renoncer à la citoyenneté américaine. Evidemment, les lecteurs conservateurs s’indignent de voir un des symboles des Etats-Unis tergiverser de la sorte. Car Superman, ne l’oublions pas, est l’incarnation absolue de l’ American dream. Parfait, puissant, sauveur des faibles et des opprimés, il est symbole de réussite et n’a pas de vice. Il est ce que l’Amérique voudrait être. Il a d’ailleurs été créé à une époque où le pays avait besoin d’espoir, dans les années 30, après la crise économique. Ses deux auteurs viennent eux de la Manufacturing Belt, de Cleveland, de la classe moyenne.
Si Superman renonce à la nationalité américaine, cela peut signifier deux choses. Soit cela veut dire qu’il n’a plus envie d’incarner ces valeurs primordiales. Soit il estime que les Etats-Unis ne représentent plus ces valeurs et qu’il faut donc s’en séparer. C’est plutôt cette deuxième option qui semble prévaloir puisque Superman explique dans cette aventure être “fatigué de voir mes actions interprétées comme des instruments de la politique américaine“. Aussi, si Superman avait du intervenir à Abbottabad, il l’aurait probablement fait sous mandat de l’ONU. Et l’on imagine mal une résolution des Nations Unies autorisant le meurtre de qui que ce soit, fusse Oussama Ben Laden.
Superman, ce communiste sado-maso
Ce n’est en tous cas pas la première fois que le super-héros fait des infidélités à l’empire. Dans l’excellent Superman Red Son, les auteurs se demandent ce qu’il serait adevenu si Clark Kent était né en URSS. Grace à sa super intelligence, il finit par diriger une nation qui crée un communisme juste et parfait, et le répand à travers le monde. Un seul pays résiste alors à la doxa mondiale : les Etats-Unis capitalistes.
Autre anecdote, dans les années 50, Joe Shuster, l’un des deux créateurs, alors en difficulté financière, illustra anonymement un recueil de nouvelles SM avec des personnages ressemblant comme deux gouttes d’eau à Clark Kent et Lois Lane. On peut y voir le premier fouettant la seconde, manière narquoise de prendre ses distances avec les valeurs de Superman (à lire sur le sujet un long papier dans le dernier numéro de la revue L’imparfaite).
D’autres héros aussi ont déjà marque leur distance avec le gouvernement des Etats-Unis. Il y a quelques années, un autre symbole des Etats-Unis, Captain America, s’érigea contre le Super-Human Registration Act (Loi de recensement des surhommes) une métaphore évidente du Patriot Act de l’administration Bush. Dans le crossover Civil War, Captain America prend même la tête des réfractaires à cette nouvelle législation. Ils finissent d’ailleurs par affronter les troupes loyalistes menées par Iron Man dans un combat épique en plein New-York.
Ces libertés prises avec la politique officielle américaine par les super-héros déplaisent généralement aux conservateurs, qui considèrent grosso modo que les maisons d’édition de comics comme Marvel ou DC Comics sont des repères de démocrates ébouriffés. Ils ont donc le sentiment que leurs supers-héros sont confisqués et mis au service d’une idéologie partisane. Les supers-héros ne sont plus l’Amérique, ils sont devenus une vision de l’Amérique, et cela ne plaît pas forcément à tout le monde. Les conservateurs ont ainsi récemment mal pris qu’un héros français et musulman vienne seconder Batman ou que le nouveau dessin de Superman fasse passer Clark Kent pour un vampire hipster des quartiers branchés de New York, loin de son image virile et campagnarde originelle.
Il est loin le temps du Comic Code Authority, où une véritable censure s’exerçait sur les publications. Des regrets?
Laureline Karaboudjan
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Les Américains se demandent si l’acolyte français du super-héros peut être musulman, d’origine algérienne et de Clichy-sous-Bois.
La maison d’édition DC, qui domine le marché des BD américaines de super-héros avec son homologue Marvel, a donné vie le mois dernier à un justicier costumé made in France. Dans les éditions de décembre de Batman Annual et de Detective Comics Annual, le célèbre homme chauve-souris recrute un affidé en France: Nightrunner. Mais sous le masque noir du “coureur nocturne”, point de Julien, Marc ou Paul mais… Bilal (peut-être une référence à Enki Bilal). Bilal Asselah a 22 ans, il est français d’origine algérienne, musulman et habitant de Clichy-sous-Bois. Une identité qui a évidemment fait réagir certains commentateurs réactionnaires outre-Atlantique.
Le magazine Death and Taxes rapporte ainsi quelques réactions sur la blogosphère conservatrice, qui globalement ne comprend pas pourquoi Batman est allé chercher un partenaire là où ont éclaté les émeutes de 2005 plutôt que de recruter un “vrai Français”. Ainsi pour Avi Green, «Bruce Wayne va en France où il ne recrute pas un véritable garçon ou fille française avec un vrai sens de la justice, mais plutôt un représentant d’une minorité ‘oppressée’».
Pour le scénariste britannique David Hine, qui a créé le personnage, il était au contraire logique que le super-héros français vienne des cités. «Le processus d’écriture d’une histoire est complexe et j’ai fait attention à beaucoup de choses. Sous le gouvernement Sarkozy, l’actualité française est dominée par les banlieues et les problèmes de ses minorités éthniques. C’est devenu inévitable que mon héros ait une origine franco-algérienne” explique l’auteur, qui souligne qu’il a «créé le type de héros de comic qu’il souhaiterait voir s’il était Français».
Ce genre de polémique revient régulièrement et l’histoire des comics en est truffée. Récemment, à peu près les mêmes voix conservatrices se sont élevées contre Marvel, qui, selon elles, serait partisane, c’est-à-dire soutenant la cause démocrate, alors que les super-héros devraient être juste patriotiques, au-dessus des partis.
Depuis la fin des années 1950, la bande-dessinée de super-héros s’est de plus en plus affranchie du carcan du fameux Comics code authority (CCA), un ensemble de règles très contraignantes qui empêchaient les scénaristes d’aborder toutes sortes de thématiques sociales. Ainsi, au cours des 50 dernières années, les comics se sont de plus en plus fait le reflet de leur temps, via des innovations souvent jugées provocantes au moment de leur parution. Quelques exemples entre mille: Stan Lee décidant de s’affranchir du CCA pour aborder le problème de la drogue dans Spiderman en 1971, l’apparition de super-héros noirs (là encore, Stan Lee, qui créé Black Panther en 1966) ou bien la plus récente homosexualité de Batwoman (dans un ironique pied de nez à l’histoire, puisque le personnage de Batwoman avait été créé, en 1956, pour nier la supposée homosexualité de Batman affirmée par le retentissant pamphlet anti-comics Seduction of the Innocent, paru deux ans plus tôt).
Nightrunner est révélateur de la perception anglo-saxonne des problèmes français
(Yamakasi)
On pourrait donc considérer que Nightrunner est simplement la dernière pierre posée à ce vaste édifice d’actualisation des super-héros. Et c’est sûrement le cas. Derrière la promotion ce super-héros d’origine étrangère et musulman, il y a évidemment un propos politique. Alors que le terrorisme islamiste constitue la plus grande menace pour l’Occident dans le discours ambiant, le choix de mettre derrière un masque de justicier un jeune musulman n’est pas anodin. C’est d’ailleurs ce qui fait réagir les blogueurs conservateurs américains: pour eux, un arabe ne peut être un partenaire de ce bon justicier qu’est Batman.
Dans un billet qu’il consacre au sujet chez Smith-d’en-face, le compère Sébastien Naeco explique avec sincérité comment lui-même, par excès inverse (trouver l’initiative formidable parce qu’elle serait un contre-pied inattendu) s’est rendu complice de la stigmatisation: «J’ai voulu d’abord justifier le choix d’un héros musulman et prendre la défense des auteurs face à cela en cherchant des arguments… forcés. Or, justifier, c’est justement accepter tacitement l’ostracisme, la stigmatisation, comme si cela n’était pas naturel qu’un musulman puisse être un héros, voire un super-héros, et qu’il faille absolument ajouter un billet de cent ou une lettre de recommandation avec le passeport du personnage car, sait-on jamais, ça pourrait bloquer quelque part.» Il n’empêche, pour susciter telle réaction, l’initiative est belle et bien originale et reflète probablement une évolution sociale. D’ailleurs, c’est un propos largement développé dans les premiers épisode de ce nouveau héros: la thématique de la discrimination ethnique y est explicite, notamment à travers le masque qui permet au Nightrunner d’y échapper.
Clichés-sous-bois
Mais voir uniquement Nightrunner comme un «progrès» culturel ou social, ce serait occulter ses côtés très caricaturaux. Bilal, qui habite donc Clichy-sous-Bois (où, à en croire la BD, il y des émeutes continuelles depuis vingt ans) est devenu super-héros parce que son meilleur ami, Aarif, s’est fait tuer… par la police, ce qui a déclenché les inévitables émeutes. Les auteurs n’ont pas poussé le cliché jusqu’à faire mourir Aarif dans un transformateur électrique, mais le parallèle avec 2005 est évident. Et puis Bilal, qui se présente comme un «musulman sunnite» (aucun musulman français ne prendrait spontanément la peine de préciser ce détail), va évidemment faire sa prière sur un tapis avec sa mère voilée sur les toits de la cité..
C’est de bonne guerre: c’est un des traits des comics grand-public de manier un certain nombre de lieux communs et de s’y complaire. Ce n’est d’ailleurs pas le seul du Comic: les premières pages nous entraînent entre les gargouilles de Notre-Dame et les catacombes. Il devient du coup très intéressant de mon point de vue de Française de lire Nightrunner puisqu’on peut y déceler une certaine perception outre-Atlantique de nos grands enjeux nationaux. Il est donc question de sécurité (on nous présente une France en quasi guerre civile), de minorités visibles, de l’opposition entre un centre-ville bourgeois, «capitale de la romance, du luxe et de la nourriture» et des banlieues délaissées. Quand on y assassine quelqu’un, c’est soit un leader syndical ayant des accointances au PCF, soit le leader d’un parti d’extrême-droite (avec des symboles nazis en arrière-fond de ces meetings, chose possible au Danemark, mais impossible en France). Même si le tout est ponctué de nombreuses maladresses et de quelques passages obligés, on ne peut s’empêcher de parcourir cette vision de la France avec intérêt. Ne serait-ce que parce que le chef de la police s’appelle Henri Lafayette.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait de Nightrunner, Batman Annual #28, DR.
PS : Vous pouvez en profiter pour relire mon billet sur les super-héros à la française. On y retrouve notamment Shaango, un éducateur de banlieue qui à le pouvoir de lancer des éclairs et qui est en conflit permanent avec la police.
lire le billet“Le groom vert-de-gris” fait partie de mes albums préférés parus cette année. Yann au scénario et Olivier Schwartz continuent, comme dans “Le journal d’un ingénu” d’Emile Bravo, de plonger Spirou au cœur de la Seconde Guerre Mondiale. Mais là où “Le journal d’un ingénu”, que j’aime également beaucoup, est tout en ambiance feutrée, “Le groom vert-de-gris” prend le parti de l’aventure rocambolesque, un peu à la manière d’un “Inglorious Basterds” au cinéma. Et comme le film de Tarantino, la bande-dessinée est truffée de références. L’intertextualité, comme dans une grande œuvre littéraire, y est si forte qu’elle donnerait sans doute des palpitations de plaisir à Gérard Genette. Aussi, pour rendre hommage à cet album indispensable, je me suis amusée à dénicher toutes les clins d’œil qui peuplent ses cases (d’autres sites s’y sont amusés aussi). Et vous, vous en avez d’autres?
Couverture : Ca ne vous rappelle pas La Marque Jaune? Moi, si.
Page 1 : La publicité pour le Cirage Blondin est un hommage a la série de Jijé “Blondin et Cirage“. On voit une rue “Robert Velter“, le nom du créateur du personnage de Spirou.
Page 5 : Le gag avec la peinture qui éclabousse les soldats allemands n’est pas sans rappeler une fameuse scène du Dictateur de Chaplin.
Page 8 : Le “Moustic Hotel” fait référence au journal “Le Moustique“, lancé par Jean Dupuis, des éditions du même nom. Dans la deuxième case, le colonel allemand s’en prend violemment à ses subalternes: “Non mais regardez-vous? Que sont devenus les jeuves fauves du Führer, l’orgeuil du IIIe Reich? Un ramassi d’incapables abrutis et obèses à force de s’empiffrer de bière et de moules-frites!” avec un plan serré sur les officiers gros. C’est une référence à Obélix et Compagnie où César s’en prend à ses généraux pages 12 et 13. L’un, énorme lui dit: “Souviens-toi de nos campagnes, César! Nous avons fait plier le monde devant nos legionnaires!” et César de répondre: “vois ce que tu es devenu! Oui! Voyez ce que votre or, vos villas, vos orgies ont fait de vous! Des décadents!”
lire le billetPourquoi il ne faut pas attendre grand chose du film Lucky Luke
Autant le dire tout de suite : je n’ai pas vu le nouveau Lucky Luke et j’ai au moins une chance sur deux de me planter avec un titre pareil. Parce que Lucky Luke sera peut-être vraiment bien, parce que Jean Dujardin, parce que teasing péchu, belle affiche, tout ça, tout ça. N’empêche, si on regarde empiriquement les adaptations de bandes dessinées, a fortiori francophones, au cinéma, il y a de bonnes raisons d’avoir peur. De “Blueberry” à “Michel Vaillant” en passant par… “les Dalton”, justement, nombreux sont les films tirés de BD que l’on a bien vite oubliés. Peut-être pour mieux rouvrir les albums originaux. De fait, que la qualité soit là ou pas, la bande dessinée est depuis longtemps adaptée au cinéma. C’est le cas depuis longtemps, dès les années 1930 avec “Bécassine”, beaucoup dans les années 1960 avec par exemple “Tintin et le Mystère de la Toison d’Or” (encore un bon navet, d’ailleurs), mais depuis une décennie, le nombre d’adaptations s’est considérablement accru, qu’il s’agisse des comics américains ou des bandes dessinées européennes. Pourquoi fait-on autant de films tirés de bandes dessinées, surtout s’ils sont souvent mauvais ?
Par essence, et on ne le répètera jamais assez, la bande dessinée c’est traditionnellement de l’action, de l’aventure, des personnages hauts en couleurs et tout ce qui s’en suit. Autant d’ingrédients qu’exploite aussi le cinéma et qui permet donc des passerelles évidentes. Surtout, le cinéma et la bande dessinée sont deux arts de figuration narrative séquentielle. Leur mode de construction est très similaire et les correspondances sont nombreuses. Les deux sont circonscrits à un cadre, avec un notion de plan, de composition, de photographie (on parlera plutôt de couleur en BD, mais l’idée est la même). La proximité entre la bande dessinée est le cinéma tient d’ailleurs dans un seul objet : le storyboard. D’ailleurs on en a vu certains sortir en librairie au rayon BD. Yves Alion, rédacteur en chef du magazine “Storyboard”, dans un entretien à ActuaBD, nuançait à peine : “S’il s’approche de la bande dessinée, le storyboard ne s’y confond pas. Parce qu’il ne s’embarrasse pas de phylactères et qu’il admet une certaine discontinuité dans la narration. Et pourtant… “.
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