Superman n’est plus journaliste, tant mieux!

Sur fond de mutations de la presse, Clark Kent abandonne son poste au Daily Planet. Déontologiquement, ce n’est pas plus mal.

Superman n’a plus de boulot! Depuis ses débuts dans les années 1940, lorsque le surhomme n’enfilait pas sa célèbre tenue rouge et bleu, il était Clark Kent, journaliste au Daily Planet, un grand quotidien de sa ville de Metropolis. Mais dans la dernière livraison de ses aventures, à paraître aujourd’hui aux Etats-Unis, le super-héros claque la porte du journal et tourne le dos à une carrière de quelque 70 ans que même un Jean Daniel aura du mal à dépasser.

Les auteurs de la série ont décidé de prendre en compte les récentes évolutions de la presse dans les histoires de Superman. Tout virtuel qu’il soit, le Daily Planet n’échappe pas non plus à la crise de la presse écrite. Jusque là indépendant, le titre a été racheté par Galaxy Broadcoasting, un immense conglommérat de médias, tel le Chicago Tribune sur lequel lorgne Ruppert Murdoch dans le monde réel. Et dans cet empire, le bon vieux journal papier qu’est le Daily Planet pèse de moins en moins lourd.

“La presse papier est un média en train de mourir” lâche même, désabusé, le rédacteur en chef de Clark Kent au détour d’une case. Et là encore, c’est l’actualité de notre monde réel qui trouve son écho dans Superman. On ne compte plus le nombre de plans de départs qui ont frappé les journaux américains (enfin, certains l’ont fait) et la tendance est la même en Europe, avec des plans de départ récents au Guardian au Royaume-Uni, à El Pais en Espagne ou Publico au Portugal.

Superman ne veut plus être un forçat de l’info

Mais ce n’est pas un plan social qui a eu raison de Clark Kent comme la kryptonite peut avoir raison de Superman. Face aux évolutions de son métier, le journaliste ne se reconnait plus dans son boulot. Il a l’impression d’être le seul à vouloir partager l’information correctement et estime que de devoir rester toute la journée devant son ordinateur n’est pas du vrai travail de journaliste. Clark Kent refuse d’être un OS de l’info, un forçat du web.

“Je suis un journaliste depuis à peine 5 ans (Ndlr: comme Tintin, Superman ne vieillit pas vraiment). Pourquoi suis-je le seul à penser comme un vieux journaleux tout tâché d’encre que les informations doivent être, je ne sais pas, des informations?” se demande le superhéros en pleine interrogation existentielle sur sa profession. Et son rédacteur en chef de répondre en substance que certes, les people en une ne le font pas rêver non plus mais qu’ainsi va le monde. La réponse ne satisfait pas Superman et il claque la porte.

Le départ de Superman, c’est la réaction “d’un jeune de 27 ans qui reçoit continuellement des instructions d’un conglomérat dont les intérêts ne sont pas les siens” estime le scénariste de la série Scott Lobdell sur le site de USA Today. Bon, en réalité, autant je pense que pas mal de jeunes journalistes partagent la vision de Superman, autant peu seraient prêts à sacrifier une place si durement acquise. Et quand ce même scénariste imagine Superman “créer un Huffington Post ou un Drudge Report”, j’espère qu’il pourra bénéficier des financements d’un Bruce Wayne pour ce faire… A noter que notre héros avait déjà quitté une fois la presse papier. C’était dans les années 1970, et modernité oblige, Clark Kent était avait troqué la plume pour un micro de journaliste télé. Avant de revenir finalement au Daily Planet.

Clark Kent, ce scandale déontologique

Mais dans le fond, est-ce que le départ de Superman est une perte pour le journalisme? Non sans doute pas. On peut même penser que c’était une honte à la profession. Comme je l’avais écrit il y a 3 ans dans mon tout premier billet sur ce blog (séquence émotion), en BD le métier de journaliste est très souvent un prétexte. Outre Superman, une tripotée de héros parmi les plus célèbres du neuvième art (Tintin, Spirou ou Spiderman) sont journalistes. Mais on ne les voit pratiquement jamais travailler… Dans les milliers de pages qui composent ses aventures, on ne voit Tintin écrire un article qu’une seule fois, dans Tintin au Pays des Soviets. Il en va de même pour Superman, plus souvent occupé à sauver le monde en justaucorps qu’à sortir des scoops.

Surtout, la double-vie de Superman l’exposait à un grave dilemme déontologique. Tout au long de sa carrière, plutôt que de révêler des infos, il en a caché au public. Et on n’ose imaginer la couverture “objective” qu’il pouvait faire des événements dans lesquels Superman était impliqué. En tant que journaliste, il a souvent menti et divulgué de fausses informations. Vous imaginez Lance Armstrong à la fois coureur cycliste et journaliste à l’Equipe? Non. Et c’est pour ça que le Daily Planet n’a pas à pleurer le départ de Superman.

Laureline Karaboudjan

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