Spirou et Petraeus sont-ils tombés dans des pièges à miel?

L’affaire Petraeus remet en lumière la technique d’espionnage du piège à miel. Un classique de la BD, de Canardo à Spirou en passant par Largo Winch.

Le Merlan rentre dans la poissonnerie, je répète: le merlan rentre dans la poissonnerie”. En une métaphore piscicole, Canardo annonce que le piège se referme autour du ministre de la Culture belgambourgeois. Une femme, la quarantaine avancée, est prête à le séduire… L’actualité est parfois bien faite. Alors que la CIA et les forces armées américaines sont secouées par l’affaire Petraeus, une histoire de coucheries extra-conjugales, Sokal sort un nouvel épisode de Canardo chez Casterman, Piège de miel.

Certes pour l’affaire Petraeus, ce n’est sans doute pas exactement un honey trap. Peut-être une simple histoire de jalousies, mais le mélange détonnant d’espions, de sexe, et de secrets d’Etat rappelle les grandes heures du bloc de l’Est. Pendant la guerre froide, et encore aujourd’hui, certains services secrets se sont fait une spécialité d’utiliser des appâts sexuels pour voler des informations à l’ennemi ou le faire chanter. C’est la fameuse technique du honey trap, “piège à miel” ou “piège de miel”.

Sokal reprend ce bon vieux principe. Betty, surveillée par Canardo, doit conduire le ministre de la Culture vers une chambre d’hôtel où il sera filmé lors d’une partie fine torride. Mais rien ne se passe comme prévu. Il se met à neiger trop fort, et toute la petite troupe doit se dérouter vers un manoir appartenant à une famille noble désargentée. Comme d’habitude avec Canardo, le ton est truculent et désenchanté, la prostituée a des états d’âme, le piégé, qui a autant de morale que DSK, est aussi peu sympathique que les piégeurs, et, comble de malheur, il n’y a plus de Nutella!

Puisqu’il est une technique classique d’espionnage, on retrouve logiquement le piège à miel dans de nombreuses BD du genre. Dans Largo Winch – dont le dernier épisode, sacrément mauvais, vient de sortir- c’est une ficelle habituelle. Le piège à miel peut prendre différentes formes, de simples photos prises lors d’une partouze à la mise en scène plus sordide pour faire croire que la personne piégée a assassiné une jeune fille bien sous tous rapports. On passe alors du honey trap au snuff trap.

Dans certaines BD, le piège à miel est souvent une bonne excuse d’ailleurs pour montrer un bout de sein ou de fesse, car, c’est bien connu, les espionnes-prostituées ont le déshabillement facile.

Spirou cède aux charmes d’une espionne soviétique
Même Spirou, qui n’a pourtant pas une vie sexuelle trépidante, est, en quelque sorte, tombé dans un piège à miel. Dans le (remarquable) album Le Journal d’un ingénu, signé par Emile Bravo, on suit un épisode de la jeunesse du héros belge. A l’été 1939, Spirou n’est pas encore devenu l’aventurier que l’on connaît mais est toujours simple groom au Moustic Hôtel à Bruxelles. Un lieu loin d’être calme en cette époque troublée: deux délégations, polonaise et allemande, sont descendues à l’hôtel incognito pour tenter de trouver un compromis diplomatique à l’aube de la Seconde guerre mondiale. Mais le jeune Spirou, âgé de 16 ans et plutôt du genre à lire les aventures de Tintin que les chroniques diplomatiques, n’en a aucune idée. D’ailleurs, il ne sait même pas où se trouve la Pologne…

C’est dans ce contexte qu’il fait la rencontre d’une charmante soubrette blonde, du même âge que lui, qui vient d’être embauchée à l’hôtel. Volontiers aguicheuse, elle lui donne très vite rendez-vous hors de leur lieu de travail et les prémices d’une relation se nouent entre les deux adolescents. Mais la jeune fille pose autant de questions qu’elle est secrète sur ses origines, sa personnalité, ses convictions. La guerre éclate, et Spirou finit par perdre sa trace.

La vérité lui sera révélée par un agent de la Sûreté nationale. La jeune fille, Kassandra Stahl, était une agente du Komintern au service des Soviétiques. L’homme qu’elle avait un jour présenté à Spirou comme “son petit père en quelque sorte” était son chaperon, un espion du NKVD, le service de renseignements de l’URSS de Staline. Il aurait utilisé Kassandra pour faire capoter les négociations entre Polonais et Allemands, puisque l’URSS de son côté négociait avec les Allemands pour récupérer une moitié de la Pologne. Et Kassandra aurait usé de ses charmes auprès de Spirou pour faciliter son “enquête” au sein de l’hôtel.

Reste à savoir si la liaison était uniquement intéressée, ou si un amour véritable était en train de naître entre les deux jeunes gens. La BD laisse volontairement des points de suspension à cette question. En tous cas, Spirou tombe des nues devant tant de révélations. “Mais… Mais non! Ce n’est pas vrai! Elle voulait que les Polonais vivent en paix elle!” répond le jeune groom à l’agent de la Sûreté nationale. “Les gens du Komintern sont souvent des idéalistes en rupture avec la politique étrangère, pragmatique et cynique du parti communiste russe”, lui décrypte l’agent belge, pour qui Kassandra aurait été elle-même manipulée. Avant d’apprendre à Spirou qu’il ne reverrait probablement plus jamais son premier amour.

Laureline Karaboudjan

3 commentaires pour “Spirou et Petraeus sont-ils tombés dans des pièges à miel?”

  1. Très bonne chronique. Par contre, il me semble que c’est Émile Bravo, et non Étienne.

  2. Bonjour,
    Il serait étonnant que ” le jeune Spirou, âgé de 16 ans [soit] plutôt du genre à lire le Journal de Tintin” en 1939, alors que le “Journal de Tintin” n’a été créé qu’en 1946 !

  3. @FourWude et Dany H. Oula oui, vous avez raison tous les deux! C’est corrigé. 🙂

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