Les BD de la rentrée

Le neuvième art fait aussi sa rentrée littéraire. Voici une sélection de BD qui viennent de sortir et qui méritent votre attention.

  • La Gröcha, Peggy Adam, Atrabile

La si tranquille Suisse a perdu toute quiétude depuis que sévit une mystérieuse épidémie dans ses villes. Du coup le gouvernement met en place des barrages filtrants à la sortie des zones urbaines, organise des camps de quarantaine et sanctuarise les montagnes. Dans cette ambiance d’apocalypse, un couple se brise: elle est malade, il ne l’est pas et s’en va vers la verdure. Mais la fuite n’est pas forcément un refuge… Dans cette histoire fine et aux planches soignées, la civilisation et la nature se confrontent et l’auteure interroge la place de l’homme, ce qui fait réellement notre humanité. Une lecture entraînante et qui ne peut pas laisser indifférent.

 

  • Zone Blanche, Jean-C. Denis, Futuropolis

Tout juste auréolé du Grand Prix d’Angoulême lors de la dernière édition du festival, Jean-Claude Denis est présent pour cette rentrée littéraire avec Zone Blanche, un polar sur fond d’électrosensibilité et de panne de courant. Policière certes, mais pas trop noire non-plus, cette histoire de courants est alimentée par le dessin caractéristique de l’auteur, proche de la ligne claire hergéenne, et par un scénario à la fois efficace et astucieux. A dévorer en une fois, comme une pâtisserie.

 

 

  • Lorna,(Heaven is here), Brüno, Glénat

Une femme mutante, des extra-terrestres, des surfeurs allumés, des scientifiques bizarres, des acteurs porno, tous réunis dans un road-movie américain délirant. Un film de Quentin Tarantino? Presque: une BD de Brüno. L’auteur a pris de multiples références de séries Z, a tout mis dans un shaker, et en a tiré un cocktail explosif, truffé de clins d’oeil qui sauront ravir les amateurs du genre. Peut-être pas le BD la plus aboutie de Brüno, mais ce n’est là que le premier tome, et le rythme soutenu emporte le reste.

 

 

  • Colo Bray-Dunes 1999, Dav Guedin et Craoman, Delcourt

J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire maintes et maintes fois, mais faire de la BD autobiographique quand on n’a rien de particulier à raconter, ça n’a aucun intérêt (même si ça se vend). Ca tombe bien, Dav Guedin a quelque chose de particulier à raconter: son expérience en tant que moniteur d’une colonie de vacances pour handicapés mentaux lourds. Ou trois semaines dans ce qui ressemble à l’enfer, en tous cas tel que décrit par les auteurs. Une des qualités essentielles de l’album c’est justement que le regard de Dav Guedin et les dessins de Craoman n’ont rien de complaisants. Alors qu’on aurait pu s’attendre à une BD toute en compassion et en pathos, on nous décrit plutôt un univers où les handicapés peuvent être méchants, où le narrateur n’est pas spécialement fier d’être où il est et a des réactions de lâcheté, de peur ou de dégoût. Et où les plus personnages les plus flippants sont peut-être les encadrants plutôt que les handicapés. C’est très fort car très vrai.

  • Les chevaux du vent, Fournier/Lax, Dupier, Dupuis

Deuxième tome pour ce diptyque qui nous emmène dans une famille de l’Himalaya, déchirée par la guerre, l’amour et la maladie (comme d’hab). L’un des fils part à la recherche de son père, parti sans laisser de nouvelles depuis de trop nombreuses années. Même si on regrette une ou deux scènes d’affrontements un peu confuses, on est doucement porté par cette errance guerrière et mystique et finalement presque déçu que cela soit la fin de l’histoire

 

 

  • Furioso, Lorenzo Chiavini, Futuropolis

«Oh non pas encore un récit de croisade !», peut-on se dire au départ. Le genre religo-médieval est sur-traitré en BD et rarement pour le meilleur. A première vue, l’italien Chiavini joue le jeu du grand spectacle. Un héros chrétien choisi par Dieu et en face un guerrier arabe invincible pour un combat qui doit décider du blabla… Mais finalement aucun des deux deux personnages principaux ne veut vraiment assumer, il n’y a pas tellement de bataille, et des deux côtés on se demande si tout cela vaut vraiment le coup, de se battre. Mille ans après, on se pose toujours la question, mais on continue.

 

  • En Silence, Audrey Spiry, Casterman

Comment une banale descente en canyoning, pendant les vacances, peut devenir une expérience initiatique aux confins du mystique et du fantastique? A travers les dessins quasi-impressionnistes d’Audrey Spiry, qui joue avec les reflets d’une rivière ou la lumière qui filtre à travers des branchages pour faire apparaître des présences spectrales. “En Silence” est avant tout une BD graphique très réussie, qui en met plein les yeux de couleurs et d’expressions sur les visages. En revanche, j’ai un peu regretté que ce canyon ne soit pas un peu plus profond dans son scénario.

 

  • Krrpk doit mourir, Bill, Delcourt

Krrpk n’a vraiment pas de chance. Ce petit extra-terrestre vert au visage respirant l’innocence débarque sur une planète étrangère comme travailleur immigré. Mais les autochtones sont racistes comme pas permis, il subit brimades sur brimades, ne parvient pas à trouver de boulot, loge dans un taudis dont la vieille propriétaire acariâtre exige d’être payée… sexuellement. Sur une ligne de crête entre l’absurde et le réalisme social (oui oui, avec des extra-terrestres, c’est possible), Bill livre une BD aussi drôle que rythmée, qui ne manque évidemment pas de faire écho avec nos sociétés bien terriennes.

 

 

Et non, je n’ai pas encore lu le dernier Joann Sfar!

 

Laureline Karaboudjan

Illustration de une extraite de Lorna, Heaven is here par Brüno, DR.

Les commentaires sont fermés !

« »