Les leçons politiques de Babar à Luc Chatel

Pour Luc Chatel, Hollande est Babar quand Sarkozy est Astérix. Le compliment n’est pas forcement pour qui on croit.

Les politiques parlent beaucoup, surtout en période de campagne électorale, avec un art consommé de la petite phrase. Prenez l’autre jour Luc Chatel voulant défendre son Président bien aimé et qui déclare, pour résumer, «Sarkozy c’est Astérix, et Hollande c’est plus Babar». Au premier abord, ça ressemble à la citation parfaite : deux références issues de la culture populaire et un contraste saisissant entre Astérix le courageux et brave (malgré sa petite taille) gaulois, face à un éléphant ventripotent, qui rappelle les fameux “éléphants du PS”. Mais pour tout amateur de BD (ou de livres illustrés en règle générale), la référence n’est pas forcément si bien choisie que ça. Quiconque a déjà lu Babar sait que la référence est en fait plutôt flatteuse pour Hollande.

Certes, Babar n’est pas un grand démocrate (mais Astérix non plus). Il n’a pas été élu et son règne est celui d’un monarque, avec tout l’apparât qui va avec. D’un point de vue historique, on pourrait dire que Babar va chercher chez Frédéric II de Prusse pour son côté monarque éclairé. Comme il n’est pas un roi légitime, issu d’une lignée monarchique ou de droit divin, mais qu’il est un despote dont le pouvoir repose sur le plébiscite, Babar est bonapartiste façon Napoléon III. Et Babar tient beaucoup de Léopold Sédar Senghor, premier président de la République du Sénégal, pour son côté «j’ai appris à connaître l’Occident en Europe et je reviens l’appliquer à ma sauce chez moi». C’est d’ailleurs l’aspect le plus critiqué de Babar, oeuvre dans laquelle certains commentateurs voient une apologie de la colonialisation.

S’il est vrai que l’éléphant renvoie au moins à un imaginaire colonial et qu’il est peu porté sur la démocratie, au-delà de ça, il ne semble n’avoir que des qualités comme gouvernant. J’ai tenté d’en lister quelques unes.

Bâtisseur et tolérant

Ah, les grands chantiers pour relancer la croissance que nous promettait le quinquennat… Et au final, on n’a rien vu, à part que l’EPR à Flamanville va bientôt se transformer en Aquaboulevard faute d’argent. Babar, au contraire, a construit sa capitale, Celesteville, de toutes pièces. Tous les équipements sont là: le palais, évidemment, mais aussi des écoles et une grande salle des fêtes. En plus, Babar n’est pas embêtant niveau urbanisme: chaque peuple construit sa maison avec son architecture propre à Célesteville, pour que chacun puisse vivre avec ses coutumes. Babar-Hollande est donc en plus un héros de la tolérance. Seul bémol, le nom de la ville, inspiré par sa femme Céleste, qui rappelle les délires mégalomaniaques de certains présidents africains. J’espère qu’Hollande ne nous construira pas une Valérieville.

Pacifiste, chef de guerre

L’histoire de Babar pourrait être celle d’une rancune tenace. Alors qu’il n’est encore qu’un éléphanteau, sa mère est abattue par des chasseurs humains. Plutôt que de se laisser guider par la haine comme Bambi, l’éléphant part vivre chez les hommes où il rencontre une vieille dame qui l’initie aux moeurs humaines. S’il ne conserve pas de haine envers les hommes, Babar, devenu roi, s’emploie à favoriser l’harmonie entre les différentes races d’animaux.
Pour autant, Babar ne se laisse pas marcher sur les pieds et il sait affronter les humains, mais aussi les rhinocéros, et sans potion magique ni Rafale. C’est un véritable chef des armées qui sait, quand il le faut, faire la guerre sans l’aimer.

Sait bien s’entourer

Combien de fois ai-je entendu cette phrase au comptoir? «Si encore, il n’y avait que Sarkozy, mais le problème, c’est aussi les gens autour de lui: Guéant, Hortefeux, Lefebvre, Dati, Morano. Ahh, Morano…» Babar, au contraire, sait très bien s’entourer. Il a toujours une oreille grande ouverte pour les conseils de Cornélius, vieux sage parmi les sages. Bien qu’un peu couard (et présent uniquement dans le dessin animé), le chambellan Pompadour est également toujours là. Sans oublier Zéphir qui est tout de même un singe qui arrive à pêcher une sirène et sauver du coup la fille de son ami, la princesse Isabelle, dans Les vacances de Zéphir. Prends ça Ulysse. Au fil des albums, les valeurs véhiculés sont celles d’une amitié immuable et d’une entraide permanente.

A la conquête de l’espace

Et pour l’anecdote, si Sarkozy a annoncé vouloir relancer la conquête spatiale, Babar est déjà allé lui dans l’espace, dans Babar sur la planète molle, où il rencontre d’ailleurs des extraterrestres. Françoise Brochard-Wyart, professeur à Paris VI notait d’ailleurs dans une émission d’Arte qu’avec cet album Laurent de Brunhoff avait subodoré le concept de matière molle avant que les physiciens ne le théorisent vraiment.

Conclusion, Luc Chatel a peut-être confondu Babar et Dumbo. Et encore, le Dumbo du début du dessin animé, avant qu’il devienne courageux lui aussi. Je ne développerai pas Astérix ici mais notons qu’en temps de crise économique, ce n’est pas la meilleure référence. Dans l’album Astérix et le Chaudron, notre héros se retrouve devant une dette à rembourser et il a beau tenter tous les métiers possibles, il est incapable de trouver de l’argent pas des moyens économiques traditionnels. Le seul qu’il trouve pour s’en sortir est de finalement prouver que l’argent qu’on lui avait prêté a été volée par les personnes qui lui avaient confié! Tiens, peut-être que Sarkozy devrait s’en inspirer vis à vis des banques finalement.

En général, Astérix vit dans une économie du troc et du partage, pas du tout capitaliste. La seule fois où il se prête au jeu économique, c’est dans Obélix et Compagnie où le druide et lui décident de faire exploser l’offre de Mehnirs pour créer une bulle spéculative (un peu comme les tulipes hollandaises) ce qui entraîne une déflation de la sesterce romaine. Prends ça sur les doigts, la main invisible.

Laureline Karaboudjan

Illustrations: extrait du dessin animé Babar, DR, et caricature publiée sur Désencyclopédie, DR.

lire le billet

Astérix rencontre Naruto

Remixer le petit gaulois à la sauce manga, un sacrilège? Non, c’est ce qu’on appelle un mashup, et c’est plutôt réussi.

Des bagarres dantesques où le moindre coup de poing peut envoyer son ennemi voler à plusieurs dizaines de mètres. Des héros aux super-pouvoirs magiques coachés par un vieux sorcier. Des adversaires dont le nombre semble infini, terribles légions des Danaïdes… Dragon Ball Z, Saint Seiya ou autre manga épique du genre? Non: Astérix bien-sûr! Et pourtant… Christopher Lannes a créé sur son blog un mashup très bien fait, et plutôt amusant, d’Astérix redessiné et rescénarisée à la manière du manga d’aventure Naruto. Et cela marche assez bien: on se croirait dans un manga sans non plus avoir l’impression de quitter l’univers de l’intrépide Gaulois.

Le principe du mashup, “faire à la manière de”, est bien connu mais reste toujours diablement efficace quand c’est bien fait. «Ce qui est intéressant est la re-création, juge l’auteur Christopher Lannes. Des objets connus en font un nouveau, presque spontanément. Comme je touche à des univers que les gens connaissent plutôt bien et que je les fait se téléscoper, on partage [avec le lecteur] un moment complice de redécouverte, de contraste, de décalage.» Je n’aurais pas mieux défini l’efficacité de ces parodies.

Lui-même compte bien ne pas s’arrêter à ce premier et en fournir le plus régulièrement possible. Mettre en rapport Astérix et Naruto lui a paru assez naturel. «Le parallèle entre les deux m’est venu au cours de plusieurs discussions sur la BD avec des amis. Les squelettes narratifs des deux séries m’ont semblé assez proches et l’idée m’est venu de les mélanger. Je voulais avant tout voir ce que ça pouvait faire. Et le dessin me paraissait à peu près accessible, même s’il n’est pas parfait», explique-t-il.

Ce mélange BD/manga avec Astérix a d’autant plus de saveur que le dernier album du petit gaulois, Le Ciel lui tombe sur la tête , met justement en scène Astérix avec des personnages issus de mangas. Il rencontrait également des toons et autres super-héros sortis de comics américains. Sauf que là où le mashup de Christopher Lannes est autant un hommage à la BD européenne de son enfance qu’au manga d’aventures, l’album d’Uderzo était une charge réactionnaire contre le succès des BDs venues d’ailleurs. Astérix comme gardien de la tradition face aux envahisseurs japonais et américains… Parfois, six ans après la parution, j’y repense encore dans la rue et je m’arrête pour pleurer tellement c’était mauvais.

Comme il est une figure emblématique de la bande-dessinée, Astérix a fait l’objet d’autres mashup, souvent réduits à une seule illustration. J’ai quelque part un hors-série de Pilote (mâtin, quel journal!) sorti pour les 50 ans du héros gaulois qui en était truffé. Plus récemment est paru un album complet, Astérix et ses amis, reprenant un certain nombre de dessins réalisés par d’autres dessinateurs en hommage à Uderzo. Ci-dessous, quelques uns de mes préférés:

Astérix vu par Baru
Astérix vu par Manara
Astérix vu par Zep

Au mashup répond le caméo, que les amateurs de cinéma connaissent bien. C’est le principe de faire apparaître furtivement, au détour d’une scène ou d’une case, un personnage connu ou l’auteur de l’oeuvre lui-même. Alfred Hitchcock s’était fait une spécialité de faire des caméos dans ses propres films. En BD, son équivalent pourrait être Hergé que l’on retrouve dessiné ça et là, comme figurant, dans la plupart des albums de Tintin. Pour revenir à Uderzo, notons que les Dupondt de Tintin apparaissent au détour d’une case d’Astérix chez les Belges. Et qu’à l’inverse, Hergé fait apparaître Astérix (et Mickey) dans Tintin et les Picaros. Et vous, il y a des mashup ou des caméos de BD qui vous plaisent particulièrement ?

Laureline Karaboudjan

Illustration de une: extrait de Asterix no Desentsu par Christopher Lannes, DR.

lire le billet

La BD numérique, ce chien fou

Les éditeurs de BD multiplient les modèles pour percer sur le numérique. Sans véritable succès pour le moment.

Dans une galaxie très très lointaine, vit une population bédéphile un peu étrange, un peu à l’écart du reste du monde, souvent oubliée par tous. Mais elle est persuadée qu’un jour elle déferlera sur la planète Terre, comme les forces de l’Empire sur Coruscant. Ces jeunes fous fringants, ce sont les partisans de la BD numérique. Mais si, vous savez, une BD qui se lit sur écran, de préférence celui d’une tablette ou d’un téléphone portable.

Dans ce cosmos lointain, les rois se font et se défont. Manolosanctis, jeune maison qui avait tenté d’envahir les terres classiques de l’édition papier, a dû renoncer et retourner en arrière. Son modèle était simple. Proposer à des jeunes auteurs de publier gratuitement leurs BDs en ligne et ensuite éditer les ouvrages qui rencontreraient le plus de succès critique. En un peu plus d’un an, elle a ainsi publié une trentaine d’albums, à la qualité inégale. Certains sont pas mal du tout, je pense par exemple à Super Rabbit, Le Grand Rouge ou Le Monstre. D’autres sont corrects sans plus et certains franchement nuls (mais bon, c’est le lot de toutes les maisons d’éditions).

Malheureusement les ventes ne semblent pas avoir suivi et Manolosanctis a annoncé vouloir se recentrer sur le numérique dans les prochains mois, en proposant une solution d’auto-édition aux auteurs. Plus globalement, si les blogs ont toujours de beaux jours devant eux, la BD numérique en tant que modèle économique peine encore à se développer.

Le seul succès récent en France est celui de la BDnovela Les Autres Gens, scénarisée par Thomas Cadène et dessinée par une foultitude d’auteurs. Le principe est là aussi simple: soit vous vous abonnez pour suivre les épisodes chaque jour en ligne, soit vous achetez les gros pavés qui sortent en librairie à intervalles réguliers. Comme pour une novela traditionnelle, c’est assez addictif bien qu’un peu long. Je dois avouer que j’ai un peu lâché dernièrement (et puis je trouve qu’au final ça revient un peu cher pour la qualité globale, j’ai un peu le même problème avec certaines séries de manga ou de comics à rallonge)…

L’édition participative, défaite des éditeurs

Dans ce paysage, les poids-lourds Dargaud, Dupuis et le Lombard ont décidé de jouer sur le modèle très prisé du participatif. Depuis le 17 octobre, ils ont lancé My Major Company BD, selon un principe popularisé par l’industrie musicale (et qui a fait émerger le chanteur Grégoire) ou que Marc Dorcel a adapté au porno. Avec My Major Company BD, les Internautes peuvent acheter des parts dans des sujets pré-sélectionnés et en échange ils bénéficient d’avantages exclusifs comme des rencontres avec l’auteur, les planches en avant-première etc. Le projet veut ainsi «faire découvrir les jeunes talents de la bande dessinée aux Internautes et faire participer ces derniers à l’expérience d’éditeur aux côtés de trois maisons d’édition historiques (Dargaud, Dupuis et Le Lombard)».

Il y a peu de chances que les trois éditeurs perdent leur pari. Moins parce que leur assise financière est plus importante qu’une petite maison comme Manolosanctis que parce que le participatif est un jeu sans perte. Faire participer des lecteurs à des projets d’édition, c’est la garantie d’être rentable ou presque avant même qu’un ouvrage soit publié. C’est plus probablement cet argument économique que la volonté de “faire découvrir les jeunes talents” qui guide le projet. D’autant que c’est un aveu de faiblesse terrible, voire un renoncement complet du métier d’éditeur, qui avant tout celui de faire des choix, “d’avoir du nez” et de dénicher des auteurs.

Autre offensive sur le numérique: l’association de 19 éditeurs de bande-dessinées depuis l’année dernière pour proposer le site Izneo, qui permet de louer en durée déterminée ou indéterminée, des versions numériques des dernières BDs sorties. Bon, pourquoi pas. Je ne connais personne dans mon entourage qui utilise ce genre de site mais si vous en êtes devenu habitué, n’hésitez pas vous signaler dans les commentaires. La société AveComics propose un peu le même genre de services. Dans une interview récente au blog Le Comptoir de la BD, sa directrice Claudia Zimmer estime que la BD numérique a du mal à décoller, car les Français «ne font pas partie des pays “Early Adopters” comme les États-Unis par exemple» mais aussi parce que les gros éditeurs ont du mal à s’y mettre.

Selon elle, «la technologie occupe une place très importante dans le marché du livre numérique. Il faut être capable de délivrer un fichier léger, rapidement téléchargeable, avec une interface ergonomique adaptée au support de lecture, sur plusieurs supports et – surtout – sur la dernière tablette sortie» et certains éditeurs ont dû mal à accepter l’arrivée de nouveaux acteurs spécialisés.

Pourtant, on l’a vu, les éditeurs multiplient les pistes, donnant le sentiment que la BD numérique est pour l’instant un chien fou qui part un peu dans tous les sens. Ce n’est donc pas l’offre qui est a priori en cause, mais la demande. Un des défi de taille des éditeurs traditionnels, c’est de venir concurrencer avec des offres payantes des blogs BD gratuits. Il existe un public qui est prêt à lire sur écran, mais existe-t-il un public prêt à payer pour lire sur écran? L’Observatoire de la BD numérique, qu’anime l’éditeur Manolosanctis, avait sorti une étude rapide assez parlante à ce sujet. Seuls 8% de sondés pensent que le smartphone est l’avenir de la BD et 71% de gens interrogés restent attachés au papier dans l’avenir. Plus intéressant: la moitié des sondés reconnaissent qu’ils téléchargeraient plus de BD sur smartphone si c’était gratuit.

Je suis peut-être une fille un peu vieux jeu, mais je crois, moi aussi, que rien ne remplacera le bon vieux papier. D’abord pour des raisons purement matérielles: l’attachement à l’objet BD, l’envie, pourquoi pas, d’avoir une dédicace d’un auteur en page de garde, le plaisir d’avoir une bibliothèque garnie chez soi, d’inviter ses amis à y piocher des albums, etc. Mais aussi parce que le papier met mieux en valeur le travail graphique du dessinateur, tout spécialement lorsqu’il travaille en nuances d’encre ou d’aquarelles. Si l’édition numérique devait se développer, je suis convaincue que la BD serait le dernier bastion à tomber.

Laureline Karaboudjan

Illustration de une: extrait de Boule et Bill par Roba, DR.

lire le billet