La BD, et notamment les auteurs ibériques, aime revenir sur la Guerre d’Espagne dont on commémore les 75 ans.
Non, ce n’est pas d’une bande-dessinée qu’est tirée l’onomatopée qui donne titre à ce billet. Les connaisseurs y auront reconnu le refrain d’El Paso del Ebro, fameuse chanson républicaine de la Guerre d’Espagne. Il y a 75 ans, à l’été 1936, le pays s’est déchiré en deux entre les putschistes nationalistes du général Franco et les défenseurs de la République de Front Populaire, appuyés par les anarchistes de la CNT-AIT, les communistes du PCE et du POUM et, bientôt, des Brigades Internationales. Un conflit que beaucoup voient comme la matrice des guerres idéologiques et un sorte de funeste répétition générale de la Seconde Guerre mondiale à venir. Mais si le Rumba la rumba la rum bam bam n’est pas une onomatopée de BD, le 9ème art, à l’instar du cinéma, continue d’entretenir la mémoire de la guerre civile espagnole.
A ce titre, deux albums évoquant chacun à leur façon la Guerre d’Espagne sont sortis récemment en France. Le premier s’intitule l’Art de Voler et est signé de deux auteurs espagnols: Antonio Altarriba pour le scénario et Kim pour les dessins. Le héros de ce récit est en fait le père d’Antonio Altarriba qui s’appelle lui-même… Antonio Altarriba. La BD s’ouvre par son suicide: à 90 ans passés, il se jette de la fenêtre d’une maison de retraite en 2001. Puis, en flashback, c’est toute sa vie qui est racontée et, à travers son histoire, presque un siècle de l’Histoire espagnole qui est évoqué. Dans ce XXème siècle espagnol, la guerre civile tient évidemment une place essentielle, centrale, et de longues pages de la bande-dessinée y sont consacrées. Ce qui frappe le plus dans l’Art de Voler, ce sont moins les glorieux faits d’armes du héros que son caractère “normal“, avec autant de défauts que n’importe qui. La partie sur la guerre d’Espagne entre ainsi en dissonance assez réussie avec toute celle qui suit la Seconde guerre mondiale, où, après avoir été combattant républicain puis résistant, Antonio devient… employé d’une petite entreprise, vit la routine, l’usure des sentiments amoureux, etc. Si je n’ai pas été toujours convaincue par le dessin, ce témoignage “vrai”, un peu à la Maus, ne laisse pas insensible.
Le second s’appelle Tristes Cendres et il est également l’œuvre d’auteurs espagnols, Iñaket et Mikel Begoña. Si dans l’Art de Voler on suivait un anonyme, c’est tout l’inverse ici puisque la BD s’intéresse au parcours du photographe Robert Capa pendant la guerre d’Espagne. Bien-sûr, il y a ce fameux cliché d’un soldat républicain fauché en pleine course. Mais hormis cette photo et de ses sympathies Républicaines, que sait-on vraiment du photographe venu de Hongrie? J’ai ainsi découvert que Capa est parti en Espagne avec sa compagne de l’époque, Gerda Taro, et qu’elle a été tuée dans ce pays. L’ouvrage explore les espoirs et les doutes du légendaire photographe de guerre et donne un dimension très personnelle au conflit. Enthousiaste et quelque peu insouciant à son départ pour l’Espagne, Capa est confronté à la violence de la guerre, à son lot de mort et de misère. Le trait et les aplats bleu ciel peuvent dérouter, mais la BD se lit très bien.
La BD penche pour les Républicains
Ces deux titres, dont la sortie en cette année des 75 ans de la guerre civile n’est probablement pas anodine, viennent compléter une liste déjà longue de BD qui traitent de la Guerre d’Espagne. Dans mon précédent billet, j’ai par exemple eu l’occasion de vous parler des Phalanges de l’Ordre Noir. Si la bande-dessinée de Christin et Bilal s’éloigne du conflit réel pour lui donner une suite quasi-métaphorique trente ans plus tard, la plupart des œuvres qui se penchent sur la guerre d’Espagne le font de manière très descriptive. C’est particulièrement le cas pour la trilogie Eloy d’Antonio Hernandez Palacios. Avec un trait très réaliste, l’auteur nous met, comme souvent, du côté des Républicains pour faire découvrir de la manière la plus fidèle possible le conflit. Le premier tome de cette fresque, éditée en français par les Humanoïdes Associés, est paru en 1979 alors que l’Espagne était encore en pleine transition démocratique.
C’est également le cas pour Paracuellos, le chef-d’oeuvre de Carlos Gimenez qui a éclos à partir du moment où la chape de plomb du franquisme s’est soulevée. Dans ce roman graphique, l’auteur raconte sa jeunesse dans un pensionnat catholique sous Franco avec beaucoup de finesse et un dessin très expressif, qui rappelle celui de Gotlib. Ce n’est certes pas en lien direct avec la Guerre d’Espagne, mais ça vaut la lecture. En revanche, Gimenez est également l’auteur d’une série plus récente sur la guerre civile, initulée 36-39 Malos Tiempos. Elle n’est hélas pas traduite en français à ma connaissance.
Il n’y a pas que les dessinateurs espagnols pour évoquer la guerre civile. En France, on a évoqué Christin et Bilal mais on peut aussi citer la série Louis la Guigne, dont les tomes 11 et 12 (La Cinquième colonne et Les Parias) prennent pour décor l’Espagne en guerre et les camps de réfugiés républicains en France, comme le plus fameux sur la plage d’Argelès-sur-Mer. Impossible également de ne pas évoquer les quatre tomes d’Ermo, de Bruno Loth, où dominent les couleurs rouge et noir. Ce n’est évidemment pas anodin pour cette série auto-éditée par son auteur aux sympathies anarchistes affirmées. Il y a quelques années est aussi sorti Quintos dans la collection Long Courrier de Dargaud. Belles planches mais scénario trop simpliste pour être enthousiasmant.
Je pourrais continuer longtemps cet inventaire tant il y a de BD qui s’intéressent à la guerre civile. Ce qui me frappe, c’est qu’à ma connaissance (mais les commentaires sont ouverts pour me corriger), aucune œuvre récente ne se place résolument du point de vue des nationalistes. Ce n’est pas très étonnant: la BD comme les professions artistiques en général, est marquée à gauche et la guerre d’Espagne, en tant que conflit très politique, se prête facilement au point-de-vue partisan. Ce qui n’empêche pas une approche critique. En l’occurrence, la majorité des BDs que j’ai pu lire sur la guerre d’Espagne sont schématiquement: «on se place du point-de-vue républicain dont on montre les errements, les limites et le tragique échec». A ce titre, une BD sans complaisance écrite du point de vue nationaliste serait à coup sûr polémique mais très intéressante.
En attendant, n’oubliez pas:
L’armée de l’Èbre
Rum bala rum bala rum ba la !
Une nuit passa le fleuve
Ay Carmela, ay Carmela.Et aux troupes d’envahisseurs
Rum bala rum bala rum ba la !
Elle donna une bonne raclée
Ay Carmela, ay Carmela.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait de la couverture de Tristes Cendres, DR.
Il est vrai que ça pourrait être passionnant d’avoir un point de vue nationaliste, autant en BD que sur d’autres médias. Mais à l’heure du politiquement correct, ce doit être aussi dur à trouver que les confessions d’un militant pétiniste.
Bref, comme souvent, article de fond très intéressant. Dommage qu’il suscite moins de commentaires que Superman remplaçant un musulman par un chien…