Incompris les jeunes ? Pas par la bande-dessinée en tous cas…
«Attention, le voici puissant, félin, redoutable, le Jeune. Suivant les moments de la journée, il arbore différentes parures. Il vit dans un monde qu’il ne comprend pas et qui ne le comprend pas». Le jeune, magistralement résumé il y a quelques années par une publicité La Poste. Incompris le jeune? Incompréhensible? Alors qu’en ce moment, la jeunesse se soulève en Espagne, en Grèce ou à Arcueil, que les jeunes font la révolution ou passent leur bac, le moment me paraît idéal pour se pencher sur le sujet. D’autant qu’un paquet de bonnes BD sur l’adolescence ou la post-adolescence viennent de sortir.
Parus chez Manolosanctis, KrstR ou Dupuis, une flopée d’albums “générationnels” sont apparus sur les étals de nos libraires ces derniers mois. Des ouvrages qui traitent de la jeunesse lycéenne et étudiante, produits par des jeunes auteurs qui en sont souvent tout juste sortis et qui livrent un portrait souvent assez juste de cette fameuse génération “15-25”.
Pourtant, dans la BD “traditionnelle”, les héros sont toujours jeunes. De Tintin à Spirou en passant par Ric Hochet ou Alix, tous ces personnages ont l’air d’être tombés dans une fontaine de jouvence. La raison est très simple : à l’époque où la BD s’adressait avant tout aux adolescents, il fallait des héros propres à l’identification. Le problème, c’est qu’ils ne sont jamais réels. Ils vivent des aventures hors du commun et sauvent le monde chaque dimanche avant de retourner à une vie banale le lundi matin. Ils ne sont que le prétexte à des évènements extra-ordinaires.
Quand le jeune devient le sujet principal et non le héros d’aventures qui dépassent sa condition, forcément, en première impression, il fait moins rêver. Il est rarement très courageux, souvent un peu lâche, voire passif. Il est mal dans sa peau et un peu obsédé par le sexe. Mais il est aussi oppressé par les contraintes qui réagissent notre société et, malgré tout ce que l’on dit, ne peut pas s’empêcher de se préoccuper de ses proches et de sa famille. Bien-sûr, la thématique n’est pas nouvelle (pensons au Retour au collège de Riad Sattouf par exemple, ou aux incontournables albums Tendre Banlieue) mais elle semble particulièrement en vogue en ce moment.
Si je prends par exemple les Branleurs de Jules et Tom Fradet, il s’agit, comme le titre l’indique, de raconter l’histoire de deux mecs qui s’ennuient à Nantes. Alcool, joints. Il y a une fille aussi, mais bon, ce sont des branleurs, ils ne savent pas trop comment faire. L’adolescence banale de gamins de province. La même “normalité” traverse Une vie sans Barjot, un bon album que viennent de sortir Appollo et Oiry. Le héros, 18 ans, doit quitter sa ville de Province (encore!) pour “monter à la capitale”. La BD raconte sa dernière soirée sur la trame du voyage initiatique, de l’entrée dans l’âge adulte. Se mêlent le bar rock où l’on va boire des coups pour se donner l’impression d’être grand, le copain boutonneux et qui n’a jamais rasé son duvet, la fille dont on est amoureux depuis des années sans oser lui dire… Tout ceci pourrait paraître assez cliché, mais si on y pense bien, ce sont des lieux-communs qu’on a traversé aussi, malgré nous, étant ados.
Débauche et précarité
Dans Skins Party de Thimotée Le Boucher, il s’agit d’explorer, à travers le point de vue de différents personnages, une fête d’adolescents un peu trash. Evidemment, la sauterie, qui se déroule dans une grande maison au bord d’un lac, tourne mal entre sexe, drogues et violence. La BD va même un peu trop loin pour être crédible, puis qu’il y a une scène de viol incestueux involontaire (oui, oui : elle porte un masque, elle dort, il est ivre) et des meurtres. Mais au contraire d’un reportage télé où l’on nous ferait la morale pendant 20 minutes, ici il n’y a pas de jugement, simplement des faits qui s’enchaînent. Et, quand bien même c’est peu crédible, le tout est assez réussi parce qu’on en ressort étourdi, mal-à-l’aise, exactement comme les jeunes personnages de la BD. Par certains aspects, la BD m’a fait penser à l’excellent diptyque du Roi des Mouches, où il est aussi question de mal-être adolescent, de drogues et de débauche. Le tout avec l’esthétique parfaite des dessins de Mezzo.
Dans Desert Park de Thomas Humeau, on refait le monde et on se suicide à la fin tandis que dans la BD feuilleton Les Autres Gens, une jeune étudiante se demande quoi faire de ses gains au loto alors qu’elle ne croit plus en grand chose. Génération No Future? Peut-être. Génération précaire? Sûrement. La blogueuse Yatuu vient ainsi de sortir Exploitée, la bd qu’elle a tiré de son blog où elle raconte son quotidien (traumatique) de stagiaire dans la pub. Une démarche qui rappelle celle de Leslie Plée qui avait raconté il y a deux ans dans Moi vivant vous n’aurez jamais de pauses son expérience dans une grande surface culturelle. La jeunesse d’aujourd’hui, et les manifs que j’évoquais en début de ce billet le rappellent, c’est avant tout une jeunesse précaire. La BD contemporaine se fait l’écho de cette réalité.
Rien d’étonnant à voir arriver autant d’albums qui traitent de ce même sujet et de sentir une certaine unité traverser toutes ces BD. C’est une même génération d’auteurs, confrontés aux mêmes difficultés, qui ont les mêmes genres d’amis qui galèrent, qui ont connu les mêmes expériences de jeunesse. Qui se sont fait, aussi, pour certains d’entre-eux, une place dans le monde de la BD via les blogs. Dans le style même, qu’il s’agisse du dessin ou des dialogues (souvent assez peu, de nombreuses cases silencieuses), on trouve des similitudes. Cette vague est par bien des aspects sympathiques. Elle a toutefois un défaut: il est difficile pour le lecteur de distinguer un auteur d’un autre. Pas évident, dès lors, de sortir du lot.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait d’Une vie sans Barjot, Appollo et Oiry, DR.
Arrêtez de parler de “Province”, nom de nom, la France ne se divise pas entre Paris et le reste. Sans compter le “(encore!)” qui suit, comme si c’était aberrant que deux BD à la suite parle de jeunes qui habitent en-dehors de Paris…sauf que Paris comptant pour 2% de la population française, c’est plutôt l’inverse qui devrait étonner !
Bref, au lieu de faire preuve du parisianisme à deux sous, slate devrait montrer l’exemple et bannir le mot “province” du vocabulaire courant, surtout sachant son étymologie…
On pourrait en discuter longtemps de ce mot, d’autant plus aisément que j’ai moi-même des origines provinciales. Personnellement il ne me choque pas, surtout dans la mesure où je ne le charge en aucun cas d’une connotation péjorative. En revanche, malgré toutes les différences qu’il peut y avoir, je suis convaincue qu’on peut parler d’expérience commune de la Province entre jeunes d’horizons aussi divers que Pontarlier, Plougastel, Carcassonne ou Aurillac. Enfin, si Paris intra-muros compte quelque 4 à 5% de la population française, si on y ajoute sa banlieue (autre terme dont on pourrait discuter), c’est tout-de-même pratiquement 20%.
Bref, pas de raisons de s’offusquer, vraiment… 😉
Perso, parmi les bd qui datent, j’ai été particulièrement marqué par ” Mauvaise Graine” de Marianne Duvivier, une oeuvre forte.
Dernièrement, j’ai moi aussi aimé ” Desert Park”, un joli ouvrage qui m’a fait voyager.
[…] Des Bulles Carrées » La BD fait sa crise d’ado […]
Pour avoir fait a Paris une bonne part de mes etudes et mes debuts pro, je suis carrement en desaccord avec Fly : il y a bel et bien Paris et le reste. Plus exactement tout (tout le monde mediatique, au moins) tourne autour de Paris.
Lorsqu’on n’y vit pas, on part en vacances dans le “sens des retours”, par exemple. On est informe des spectacles, expos et autres evenement qui se jouent a 500 kilometres de chez soi, mais rien de rien sur ce qui se fait a proximite. On constate aussi que les decisions qui nous concernent sont rarement prises par des gens habitant hors Paris, et ca ne s’ameliore pas, loin de la.
Donc oui, la provincialite existe, ce n’est pas une maladie ni meme une tare si grave que cela, c’est juste une realite Francaise. Celle de citoyens qui sentent bien combien les representants des pouvoirs (politique, mediatique, economique, etc.) les prennent pour des ploucs mal degrossis. Et ne s’en cachent pas vraiment.
J’ai sans doute été un peu trop tranchant, j’en suis désolé, mais entendre/lire ce mot me fait voir rouge =)
La frontière me semble davantage se situer entre grandes et petites villes, voire entre villes et villages, qu’entre Paris et le reste de la France.
Sans compter qu’un jeune de banlieue parisienne vit sans doute une expérience très différente de celle d’un parisien du centre-ville.
Bref, ce n’est pas tant la connotation que le fait de parler de la “Province” comme d’un ensemble homogène qui me choque.
Mais j’aurais dû le dire plus respectueusement, mes excuses, surtout que dans l’action j’ai oublié de parler de l’article, de très bonne facture !