Je sais ce que vous allez me dire: tout ça n’est qu’une question de pilule bleue ou rouge et à la fin la réponse est 42. Nonosbtant, deux faits d’actualité m’ont récemment frappée. Au Japon, dans la vraie vie, les tests de robots androïdes sont de plus en plus avancés. Une sympathique personne, Geminoid F vient ainsi de débuter sa carrière d’actrice dans une pièce de théâtre.
Et sa petite sœur, Android F, a été conçue pour divertir les patients dans les hôpitaux. Ça y est, moi aussi je suis atteinte, je me rends compte que j’ai écrit “personne”. J’ai humanisé ces deux androïdes femmes, mais le méritent-t-elles vraiment? “Les robots sont-ils des humains comme les autres?” sera sans doute un des sujets du bac philo en 2050. En attendant, on peut toujours se pencher sur la bande-dessinée pour un embryon de réponse. Deux albums parus récemment interrogent d’ailleurs, chacun à leur manière, la frontière entre l’humain et le robot.
Sommes nous gouvernés par un robot androïde?
Les Fenêtres d’Eristom, une BD scénarisée, dessinée et mise en couleurs par Raphaël Drommelschlager, présente un univers futuriste ultra-technologisé : la ville d’Eristom qui donne son titre à l’album. C’est une véritable société optimisée, où on attribue une place à chaque citoyen avant sa naissance et où personne ne manque de rien. Sauf peut-être d’émotions, de sentiments autre que le bonheur béat dans leur travail. La ville est dirigée par Vance, qui en est également le génial concepteur. Sauf que Vance, en dépit de son apparence humaine, est un robot. Bien-sûr, dans cet univers lisse, particulièrement servi d’ailleurs par le dessin sans accrocs de l’auteur, un humain va sortir du rang. Et va se rendre compte, peu à peu, que derrière la façade sans failles d’Eristom se cachent d’autres réalités.
Au-delà de ce scénario un peu attendu, qui rappelle évidemment Matrix, mais aussi Le Meilleur des mondes ou 1984, la BD interroge le rapport entre l’homme et la machine en inversant les rôles. Les humains d’Eristom sont complètement robotisés dans leur vie quotidienne (et ne le sommes nous pas tous un peu aussi?) alors que leur dirigeant, robot de son état, tente le plus possible de masquer sa condition, au point de se croire vraiment humain. Comme ce n’est pour l’instant que le premier tome de la série, on n’entrevoit seulement cette thématique du rapport inversé homme/machine, mais j’imagine qu’elle sera développée plus en avant par la suite.
Dans le manga Ultimo, récemment paru en France, qui a pour particularité d’avoir été dessiné par un Japonais, Hiroyuki Takei, mais scénarisé par l’Américain Stan Lee (X-Men, Spiderman, Iron Man…), les robots ne sont pas encore au pouvoir mais ils s’en approchent. Des Karakuridoji, créés de toute pièces au temps des Samouraï, ressurgissent à l’âge moderne. Ce sont des sortes de marionnettes mécaniques qui ont pour particularité de ressembler en tout point à des enfants. Sauf qu’ils ont des pouvoirs extraordinaires. Bien sûr, ils sont censés avoir besoin d’être associés à un humain, le protéger et le mener à la victoire. L’une marionnettes robots incarne le mal absolu, l’autre le bien absolu, et ils doivent trouver des humains leur ressemblant. La question au final se pose: qui contrôle-qui, entre l’homme imparfait et le robot qui tend vers l’absolu ?
L’androïde, figure classique de la science fiction
Ces deux exemples récents sont à ajouter à la longue liste des androïdes en bande-dessinée. Comment en serait-il autrement puisque le robot à apparence humaine, tout comme son cousin le cyborg (un humain qui a vu certaines parties de son corps mécanisées) sont des lieux communs de la science fiction en général? Bien-sûr, je ne vais pas m’amuser à énumérer tous les exemples (de toutes façons vous allez vous en donner à cœur joie dans les commentaires), mais quelques uns méritent qu’on s’y arrête.
Pour rester dans le manga, impossible de ne pas évoquer Ghost in the Shell, le manga de Masamune Shirow adapté en anime en 1995. En lui-même, le titre de la BD pose la problématique. Littéralement, il signifie “l’esprit dans la coquille”. On retrouve ici l’opposition classique entre l’âme d’un côté et l’enveloppe corporelle de l’autre. Ce qui est drôle, c’est que “shell” est aussi un terme informatique pour désigner l’interface d’un système d’exploitation. Le visage de la machine en quelque sorte… Dans un Tokyo futuriste où la frontière entre l’homme et le robot est pour le moins floue, ce thriller (qui rappelle un peu Blade Runner au cinéma) narre la traque d’un cyber-criminel qui s’avère être… une intelligence artificielle. Incarnée dans un robot androïde, elle cherche à se reproduire, non par duplication mais par accouplement. Un désir purement humain, non?
Tiens, puisque je parlais de Blade Runner, signalons que la nouvelle de Philip K. Dick qui a inspiré le film, Est-ce que les androïdes rêvent de moutons électriques, a été adaptée en bande-dessinée. Prévue en 24 épisodes, cette série au dessin est élégant a la chance d’avoir sa première édition postfacée par Warren Ellis, l’auteur (entre autres) de l’excellent Transmetropolitan. La problématique est toujours la même : qu’est-ce qui se passe quand un androïde échappe au contrôle humain. S’il ne se transformait pas tout le temps en tueur psychopathe, les choses seraient plus simples.
Et puis, bien-sûr, on retrouve des androïdes dans la BD franco-belge. Citons simplement Yoko Tsuno, un classique de la science fiction, où l’héroïne se retrouve confrontée à des robots à apparence humaine dans les Archanges de Vinéa, le treizième album de la série. Dans une cité engloutie de la planète Vinéa règne une reine despotique, Hégora. Il s’agit en fait d’une androïde, qui a volontairement stoppé la croissance des enfants humains de la ville pour les conditionner à devenir des machines à tuer, et conquérir ainsi toute la planète. Encore une fois, les frontières sont brouillées et la présence de robots à l’apparence humaine va de pair avec une certaine robotisation des humains. Pareil dans le dernier album de la série, récemment paru, La Servante de Lucifer où elle doit affronter des androïdes venant… des enfers!
Dans la fantasy aussi
La science fiction n’a pas le monopole du cœur androïde, même la fantasy en profite. Dans la série Donjon (qu’on ne présente plus), Vaucanson, ville d’origine d’Herbert, un des héros principaux, est protégée un temps par des automates animés par une flamme de vie. Si on les croise de temps en temps dans la série, ils surtout l’objet de deux albums de l’arc Donjon Monster, Le Grand Animateur et Le Grimoire de l’inventeur. Dans le premier, l’histoire raconte la destruction de Canard-Ville et sa reconstruction qui lui vaut d’être rebaptisée Vaucanson. Les automates tentent de faire partie de la vie de la cité, ils la défendent et participent aux débats publics, étant capables de se faire passer en tout point pour des hommes. Ils n’ont qu’une différence avec eux : ils ne savent pas mentir. Dans le second album, qui se passe bien des années plus tard, les automates ont disparu, à part quelques uns qui font semblant d’être des humains. C’est sans doute l’un des meilleurs Donjons. Sans résumer toute l’histoire, les automates s’avèrent bien moins cupides que les humains. L’un deux, pour sauver le monde, va même choisir un acte à ma connaissance unique: se suicider et tuer ses amis par la même occasion. A noter que les auteurs ont choisi le nom de la ville, Vaucanson, en hommage à Jacques de Vaucanson, inventeur et mécanicien du 18ème siècle. En collaboration avec des chirurgiens, il tenta de reproduire les principales fonctions de l’organisme humain et anamal et construisit des automates. Son premier est le flûteur automate et, surtout, son plus célèbre est un canard, le canard digérateur ! La boucle est bouclée.
On remarque que la plupart des androïdes de nos androïdes de BD ne respectent pas les trois règles de la Robotique normalement édictées par Isaac Asimov:
Est-ce si surprenant que ça? Pourquoi les robots respecteraient-ils des règles que la société et les hommes ne respectent déjà plus entre eux? N’oubliez-pas, ils ne sont que notre miroir.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait de l’adaptation en anime de Ghost in the Shell, DR.
lire le billet
Le jury d’Angoulême vient de dévoiler sa sélection officielle pour le prochain festival qui se tiendra du 27 au 30 janvier prochains. Toute la liste est ici. Voici quelques unes de ces BDs qui m’ont le plus marquée cette année (si je ne parle pas des autres, c’est soit que elles ne me paraissent pas être une des meilleures BDs de l’année, soit parce que je ne les ai pas (encore) lues). Comme le jury a globalement bon goût, on retrouvera certaines de ces BDs dans mon top de l’année que je ferai début décembre (je me spoile moi-même d’une certaine manière). Pour ne pas faire de jaloux les albums sont dans l’ordre d’apparition dans la liste du festival.
On peut noter l’absence de quelques poids lourds de la BD et qui sont habituellement nominés à ce genre de prix comme le Spirou de Trondheim, le Tome 4 de Blacksad (chroniqué ici) ou Chagall de Sfar. Perte de vitesse ou volonté délibérée de changement de la part du jury? Il faut dire que ces dernières années, les prix avaient tendance à rester dans le giron des mêmes auteurs (les deux cités plus haut auxquels on peut ajouter Sattouf ou Larcenet), qui ne manquent pas de talent (bien au contraire) mais qui représentent des courants assez similaires. Et puis bon, ça faisait parfois un peu copinage. Quoiqu’il en soit, on devrait voir de nouvelles têtes récompensées cette année, et c’est très bien. A moins que Blain avec son Quai d’Orsay… Le site Bodoï a déjà lui commencé ses pronostics.
Décidément, Walking Dead cartonne. La série télévisée vient de commencer à être diffusée aux Etats-Unis (les deux premiers épisodes sont pas mal du tout d’ailleurs, très fidèles) et on est déjà au douzième album en France. Il y a toujours des moments qui m’énervent, certains dialogues, le fait que les mots importants soient en gras, j’ai l’impression d’être prise pour une idiote. Et pourtant, à chaque fois on est emporté par le scénario, on dévore les pages comme des zombies affamés et on frissonne. Même pour le Tome 12, sans doute le moins gore de tous, puisque nos héros découvrent un village encore à l’abri, où ils vont essayer de réapprendre à vivre. On se doute que l’accalmie ne va pas durer.
Si je ne suis pas complètement emballée par le dessin, je ne peux que saluer l’ambitieuse tentative de Trois Christs. A partir de cases et de dialogues similaires, mais réorganisés, Valérie Mangin et Denis Bajram créent trois histoires différentes autour du Suaire du Christ. Une manière de montrer qu’il n’y a pas qu’une seule vérité, mais de multiples façons de la raconter. Une démarche proche de l’OuBaPo, mais qui s’exprime dans une bande-dessinée volontiers grand-public, accessible et divertissante.
Sur Quai d’Orsay, j’ai écrit une chronique complète. Ca m’arrive rarement. Un excellent album, tout simplement, qui met en scène un jeune thésard embauché dans le cabinet de De Villepin, lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères. Vivement la suite.
“Hmm. Mon fils… A nous deux nous pourrions fléchir l’Empereur et gouverner la galaxie.
On prend le contrôle de la force. TCHAC!
On fonde un nouvel ordre de chevalerie. TCHAC!
On rétablit la paix jusqu’aux confins des systèmes. TCHAC!”
J’avais bien aimé le premier tome de la série, intriguée par cet étrange péplum onirique qui met en scène une équipe de super-légionnaires, servi par les dessins naïf des auteurs qui font tout à quatre mains. J’ai trouvé le deuxième album encore meilleur. Les invincibles soldats de l’empire se retrouvent confrontés à un troublant ennemi: des amazones. Au-delà des combats, ce nouvel adversaire est l’occasion d’aborder, par touches, de grandes thématiques: les rapports hommes-femmes, le sexe et le sang, l’amour et la mort. Le tout avec beaucoup d’économie et (donc?) de puissance. A noter que Bastien Vivès a remporté déjà l’année dernière le Prix révélation pour Le Goût du Chlore. Le petit jeune qui monte.
En début d’année, j’étais passée à côté de cet album. Grave erreur! De la science fiction comme on l’aime, capable de créer un monde unique et d’être en même temps intimiste, d’aborder des thèmes philosophique tout en étant très agréable à lire. Je n’en parle pas beaucoup car j’ai prévu de revenir dessus plus longuement. Bientôt… Mais vous pouvez déjà la voler, l’acheter ou vous la faire offrir sans risque. Un des meilleurs albums de l’année.
Sans doute une des BDs les plus émouvantes. L’auteur y retrace sa longue maladie, ses pertes de mémoires et ses doutes. Je l’avais déjà conseillée avant les vacances: “Un récit aux dessins simples, épurés, très émouvant, parfois un peu poétique, sans tomber dans le pathos. Dans les dernières plages, j’avais les larmes aux yeux”. Après une deuxième lecture, je ne retire rien de tout ça, bien au contraire.
Voilà une autre BD que j’avais déjà conseillée cette année (c’est quand vous voulez pour que je sois jurée à Angoulême…). L’histoire d’un ancien super-vilain qui s’est rangé, a balancé ses anciens comparses pour bénéficier d’un programme de protection gouvernementale et changer de vie. Mais il s’emmerde sec en employé de bureau modèle, sans relief, méprisé par ses collègues de la gent féminine. Alors c’est trop fort, il replonge. Ed Brubaker continue de faire montre de tout son talent au scénario en racontant une histoire vraiment bien ficelée, qu’on lit sans discontinuer. Haletant.
La fresque historique sur la Deuxième guerre mondiale, entamée par Nury et Vallée avec Il était une fois en France, approche du terme sans s’essouffler. Le destin de Joseph Joanovici, héros trouble au possible, à la fois juif et collabo, n’en finit plus de rebondir puisque le voilà confronté à la Résistance. A travers le parcours de ce personnage atypique, les auteurs dépeignent de manière originale et précise une des pages de l’histoire de France les plus traitées en BD. Un bel exploit qui rencontre également un gros succès de vente. La recette idéale pour être récompensé en Charente?
On ne présente plus Joe Sacco, l’auteur américain qui s’est fait une spécialité des reportages BD en zone de guerre, comme Gorazde ou Palestine. Dans Gaza 1956, le dessinateur-baroudeur-journaliste ajoute une corde à son arc : il se fait historien. L’auteur se penche sur une « anecdote » entendue au cours d’un de ses voyages dans la bande de Gaza : le massacre de 275 personnes complètement oublié par les livres d’Histoire. Joe Sacco décide de mener l’enquête et livre un travail tout simplement impressionnant. Témoignages nombreux, fouillés et recoupés aident l’auteur à disséquer véritablement l’événement. Ses talents de narration et de dessin lui permettent, en plus, de le rendre passionnant.
De Peeters, on se souvient de l’excellent Pilules Bleues. Château de Sable est lui un drame à huis clos à ciel ouvert. Ca ne se passe pas dans un manoir comme à Cluedo, mais sur une plage, et le principal ennemi est le Temps qui enferme et dévore tout le monde à une vitesse folle. A chaque demi-heure, les héros vieillissent de plusieurs années, et ils ne sont pas immortels, loin de là. L’horloge biologique de chacun des prisonniers involontaires va sonner de manière implacable. Comme vous vous en doutez, ça finit mal, mais c’est très beau.
Laureline Karaboudjan
PS: Rappelons qu’il y a aussi une sélection jeunesse (avec notamment le bon dernier Spirou) et une sélection patrimoine.
Illustration : Extrait de l’affiche du festival d’Angoulême 2011 dessinée par Baru, DR.
lire le billetSi vous fumez, la nouvelle n’a pas pu vous échapper. Le prix des paquets de cigarettes a augmenté d’encore 30 centimes d’euros, ce qui fait une hausse de 85% en dix ans. Les arguments habituels sont convoqués pour justifier cette nouvelle envolée des prix : traiter un problème de santé publique en dissuadant les fumeurs par le porte-monnaie et/ou renflouer les caisses de l’Etat qui en a bien besoin. Comme je suis une jeune fille (presque toujours) responsable, voilà dix exemples pour vous convaincre d’arrêter de fumer.
(Lucky Luke)
C’est évidemment l’exemple le plus célèbre : le poor lonesome cowboy a remplacé, en 1983, son inséparable cigarette par un innocent brin d’herbe. Toux rauque? Explosion du prix du tabac à rouler? Pas du tout! Si Lucky Luke a perdu l’habitude de fumer, c’est qu’il s’est exporté aux Etats-Unis, adapté en dessins-animés. Tout comme il ne fallait pas montrer des Mexicains en train de dormir ou des Chinois tenir une blanchisserie par précaution anti-préjugés, la clope du bec de Lucky a du être retirée pour préserver la brave jeunesse américaine. Du coup, par souci de cohérence, Morris a appliqué cette contrainte du Lucky de dessin-animé au Lucky de bande-dessinée. Dommage car, comme le confiait l’auteur à Cinergie.be, la cigarette ajoutait du cachet au cowboy: «Charles Dupuis, le directeur, m’avait recommandé de créer un héros sans défaut, sous prétexte que les enfants s’identifiaient à lui. Mais j’ai vite constaté qu’un tel personnage devient rapidement ennuyeux, c’est pourquoi j’ai fait fumer Lucky Luke, j’aimais le dessiner rouler ses cigarettes d’une seule main».
(Le capitaine Haddock)
Parmi les grands fumeurs de la bande-dessinée, le capitaine Haddock est un incontournable. N’hésitant jamais à s’allumer une bonne pipe, il est aussi l’illustration parfaite des dangers du tabac. Que de fois où sa passion nicotinée lui a été dommageable. A la fin de l’Affaire Tournesol, par exemple. Après une aventure mouvementée en territoire bordure, le capitaine s’accorde une bouffée de tabac. Mais alors qu’il approche une allumette de sa pipe, le professeur Tournesol a une révélation : les micro-films de son invention convoitée par des espions Bordures mal-intentionnés doivent être détruits par le feu. Et le génial distrait de porter les micro-films à l’allumette du capitaine Haddock. PSCH! Le capitaine, tout colère, s’en tire avec une barbe brûlée. Rappelons aussi les mésaventures d’Archibald Haddock avec les cigares piégés de l’impossible Abdallah. Quand on vous dit que c’est dangereux de fumer des pétards…
(Blueberry)
Les fumeurs le savent bien: le tabac peut agir comme une véritable madeleine de Proust et nous rappeler personnes et moments particuliers. C’est sûrement ce qui arrive à Blueberry quand il s’allume une clope. Comment ne pas repenser à la femme de sa vie, aux baisers orageux, puisque la belle Chihuahua Pearl est également une grande fumeuse. En couverture de l’album qui la fait apparaître dans la vie du lieutenant Blueberry, elle s’affiche cigarillo aux lèvres. Peut-être que s’il avait arrêté la cibiche, le beau-gosse de western aurait pu plus facilement faire son deuil de la showgirl. Du coup, j’ai envie de conseiller la même chose à Mattéo, le héros de Gibrat. S’il veut oublier la belle russe qui lui fait du gringue dans le deuxième tome de ses aventures (qui vient de sortir et qui est très bien), il devrait peut-être s’arrêter de fumer. Car, pour sûr, la nicotine lui rappellera trop les pipes de Léa.
(Emily Flake)
Il n’y a pas que le cancer du poumon comme dommage physique que le tabac peut provoquer. Cheveux cassants, dents jaunies, ongles abîmés sont des maux qui arrivent beaucoup plus sûrement (et sont heureusement moins graves) qu’un cancer. Cet aspect pour le moins peu glamour de la cigarette est évoqué dans la bande-dessinée d’Emily Flake Elles ne vont pas se fumer toutes seules. L’auteur n’hésite pas à dessiner ses lèvres abîmées par la clope, ni ses poumons goudronnés d’ailleurs. Toujours au rayon des désagréments physiques, l’auteure évoque aussi la fameuse toux consécutive à une trop grosse consommation de cigarettes. Et de souligner que s’ils font semblant, tous les fumeurs connaissent ce “côté obscur de la romance“.
(Zep)
Qu’on se le dise, la cigarette est mal vue dans les couloirs du métro parisien. Sfar en sait quelque chose, lui qui a vu l’affiche de son film Gainsbourg Vie Héroïque interdite par la RATP, la régie des transports parisiens. Même si l’auteur du Chat du Rabbin avait pris soin de ne pas mettre de cigarette sur l’affiche, son héros avait l’outrecuidance d’y laisser s’échapper quelques volutes de sa bouche. Alors vous imaginez bien que quand Zep a fait fumer plusieurs personnages sur son affiche pour le festival d’Angoulême, ce n’est pas passé du tout. Du coup, le dessinateur de Titeuf a du retirer leur tabac à Mortimer, Blueberry, Gros Dégueulasse ou encore Lucky Luke.
(Monsieur Mégot)
Autre grand fumeur de la bande dessinée, le bien nommé Monsieur Mégot, professeur de sport du Petit Spirou. C’est une publicité anti-tabac à lui tout seul. Hygiène douteuse, irascibilité et surtout physique ravagé sont intimement liés à la clope chez ce personnage au nom sans équivoque. On ne compte plus les cases où Monsieur Mégot, parce qu’une jolie fille passe aux alentours, se sent l’envie de réaliser une démonstration sportive et où il est rattrapé par ses poumons encrassés. Kof, kof, kof!
(Monsieur Jean)
Le héros de Dupuy et Berbérian, Monsieur Jean, est un sacré fumeur aussi. Comme beaucoup de monde, il saisit l’occasion d’une naissance pour arrêter de fumer, dans l’album Un certain équilibre. Pour éviter d’intoxiquer sa fille bébé, il laisse sa cigarette de côté. Mais évidemment, tout cela ne dure qu’un temps. Le jeune père se met assez rapidement en quête d’une nourrice, et l’une des candidates fume énormément. Mais comme il est sympa, Monsieur Jean fait pareil pour «la mettre à l’aise». Ah, l’hypocrisie de la nicotine…
(Les espions bordures)
On trouve une autre bonne raison d’arrêter de fumer dans l’Affaire Tournesol, du moins quand on est un espion bordure. Cela permet de ne pas laisser traîner d’indices partout. Au début de l’album, un triste sire en vareuse et chapeau gris s’enfuit du laboratoire du professeur Tournesol sans que Tintin ni Haddock ne parviennent à l’arrêter. Tout juste lui déchirent-ils une poche de manteau, d’où tombe une clé et… un paquet de cigarettes. C’est sur celui-ci qu’est inscrit le nom de l’hôtel de Genève où le professeur Tournesol à ses habitudes et où Tintin, fleurant le danger, se rend sans tarder. En Suisse à présent, chez le professeur Toppolino qui a été ligoté par un inconnu, Tintin retrouve dans un cendrier des mégots de cigarette de la même marque (мацедониа) que le paquet de Moulinsart. C’est alors plus que le début d’une piste dans cet excellent album aux parfums de guerre froide.
(Wolverine)
De nombreux super-héros fument, ou plutôt fumaient. Avant de subir les foudres des conventions américaines sur la prévention de la jeunesse des dangers du tabac, Nick Fury, le boss du SHIELD, ou J. Jonah Jameson, le patron du Daily Bugle, s’envoyaient souvent un bon cigare. On peut aussi citer le Comédien dans Watchmen, autre fumeur de havanes. Un bon article d’ActuaBD consacré au tabac dans la bande dessinée nous apprend qu’un seul super-héros Marvel a encore le droit de fumer aujoud’hui. Il s’agit de Wolverine, parce que, tenez vous bien, “son super-pouvoir autoguérissant le protège contre les maladies liées au tabagisme“. Fumeurs, vous savez ce qu’il vous reste à faire: arrêtez les patchs et courez voir le professeur Xavier!
(Gaston Lagaffe)
Encore un grand héros de bande-dessinée qui a commencé fumeur avant de laisser la clope de côté. Gaston Lagaffe s’affichait sans vergogne la clope au bec dans les premiers albums. La cigarette venait renforcer son image de jeune “travailleur” nonchalant. Et puis, il a laissé de côté la vilaine cigarette pour devenir un ami des bêtes et de l’environnement. Il est même carrément devenu anti-tabac au point de devancer les mesures d’interdiction de fumer au bureau. Ainsi dans l’album numéro 17 qui compile toutes sortes de gag, il met au point un “système anti-tabac”. Il s’agit en fait de régler le détecteur de fumée des bureaux Dupuis en mode très sensible, ce qui a pour effet d’arroser tout fumeur parmi ses collègues. «Je sais, je sais, mais un jour vous direz: «Merci, cher Gaston Lagaffe! Rien qu’en modifiant le réglage du système anti-incendie, vous avez sauvé nos p’tits poumons des ravages de l’affreux tabac!», explique-t-il, hilare, à ses collègues en colère.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Lucky Luke, DR.
lire le billet
Polémique aux Etats-Unis pour la sortie du dernier album de Superman. Le camarade Clark Kent, normalement représenté comme un journaliste d’âge mur mais sexy ( un peu comme les rédac-chefs de Slate) avec des lunettes, apparaît là sous des traits rajeunis. Pour tout dire, il ressemble un peu maintenant à un héros de Twillight ou à Peter Parker, alias Spiderman. “Oui, et alors, de toute façon il vient de Krypton”, me direz-vous, sauf qu’aux Etats-Unis, ce changement abrupt ne va pas de soi.
Le nouveau Clark Kent
Le magazine The Week s’interroge ainsi, «Superman nous revient-il en tant que hispter?» Difficile de traduire le terme de “hipster”. Disons que cela désigne actuellement les gens qui sont tellement cools qu’ils peuvent porter des fringues ultra-ringardes et avoir l’air tendance. Le mieux est de regarder la vidéo Being a Dickhead’s Cool pour comprendre. “Hipster” aux Etats-Unis, c’est un peu comme “bobo” en France : quand le terme est utilisé c’est souvent de manière négative et la plupart du temps à tort et à travers. Et donc pour The Week, Superman, “ce symbole de la masculinité” revient avec des traits qui énervent les fans et les critiques. Clark Kent deviendrait un hipster de centre-ville, bien loin de l’américain moyen qu’il devrait incarner normalement. Et c’est ce qui était voulu par DC Comics, comme l’éditeur l’a expliqué : rendre le héros plus sexy, plus “moody” pour que les jeunes acheteurs s’y reconnaissent plus. Ainsi pour le magazine Death and Taxes, Superman devient une Superbitch (super salope) “ce n’est pas parce que les jeunes sont devenus des gothiques masochistes nymphomanes obsédés par la mort, le sang et les pénis effervescents de vampires que tous les scénaristes et les artistes ont besoin de créer tous leurs héros sur le modèle de Robert Pattinson (Twillight).» Et l’auteure de l’article d’expliquer qu’elle aurait préféré avoir un Superman acnéique et gros plutôt que ça.
Bien-sûr, tout le monde ne critique pas ce nouveau look. Sur CBS News, la journaliste Katie Couric rappelle que nous sommes en 2010 et que c’était peut-être le moment d’évoluer un peu, même si elle comprend que les fans soient surpris. Pour Glen Weldon de la National Public Radio, tout ça n’est que du blabla de médias prêts à polémiquer. Il rappelle que cet épisode n’est qu’un one shot peu relié à la série principale. Pour lui, ce qui est fondamental ce n’est pas la marque du jean de Superman, c’est son caractère, comme pour tous les autres héros de comics, et ça, ça ne peut pas changer.
Fondamentalement, il a raison. Mais la polémique reste intéressante, tout d’abord parce que, récemment, ce n’est pas la première du genre. En juillet dernier, le relooking d’une Wonderwoman affublée de leggings avait aussi fait débat. L’idée centrale reste toujours la même: on ne touche pas aux super-héros. Ce sont des icônes nationales et les modifier est un crime de lèse-majesté. Chacun incarne des valeurs types qui se recoupent, et tous ensemble ils forment une sorte d’idéal de l’American spirit.
Pour Superman c’est encore plus particulier. A l’instar de Captain America, il est l’Amérique à lui tout seul, il ne peut donc pas avoir de défauts. Dans leurs origines mêmes, les latitudes offertes aux personnalités de Spiderman, Batman ou d’autres, sont plus grandes. Ils sont toujours des cas particuliers, un morceau d’Amérique. Superman, lui, est le mythe américain entier. J’avais développé un peu plus cette idée ici.
C’est intéressant de voir que la polémique vient au moment des élections américaines qui ont fortement divisé et où l’enjeu a été de savoir, pour les électeurs, quelle société ils voulaient. Habiller d’une certaine manière Superman, comme un jeune cool de 20 ans hipster de centre-ville, c’est donc forcément le transformer en un étudiant démocrate, peut-être gay. Ce n’est alors plus un bon cadre qui travaille à la ville en conservant ses valeurs campagnardes, et qui est potentiellement autant républicain que démocrate (enfin plus républicain quand même).
A d’autres époques, plus apaisées, les modifications apportées à Superman seraient peut-être passées inaperçues. Rappelons-le, ce héros a déjà été communiste! C’était dans Superman Red Son, une excellente BD publiée en 2003. Pas de polémiques outre-mesure à l’époque. Alors qu’aujourd’hui, en pleine crise économique et de valeurs, il ne faudrait pas y toucher. Pour les vrais hommes virils, ce petit hipster ne semble pas capable de sauver le monde, et comme c’est l’incarnation de l’Amérique, cela veut dire qu’elle non plus. Drame.
Et chez nous?
En France, la question ne se pose pas pour les héros de bandes-dessinées. Tout d’abord, ils ont rarement rang d’icônes nationales (en plus, ils sont souvent belges). Surtout, les personnages, au contraire des Etats-Unis, appartiennent le plus souvent aux auteurs et non pas aux maisons d’édition. Ils risquent donc moins d’être changés à Touboutchan. Ce qui peut éventuellement faire jaser, ce sont plutôt les dérivés commerciaux qui peuvent en être tirés, comme la récente campagne de McDo avec Astérix. Polémique vaine alors que le vrai scandale, rappelons-le, est la médiocrité des derniers albums mettant en scène nos Gaulois.
Je ne vois que Spirou avec qui on pourrait établir un parallèle avec les personnages de comics. C’est le seul de nos héros principaux à suivre le temps présent (Astérix reste en -52, Lucky Luke et Blueberry à la conquète de l’Ouest, Tintin est mort avec Hergé, Blake et Mortimer se sont stabilisés dans d’uchroniques années 50). De plus, l’éditeur Dupuis, à qui appartient la série, fait se succéder les duos d’auteurs pour s’occuper du groom. Les derniers albums se passent dans le temps présent, avec les dernières technologies, et la physionomie des personnages ou le style du dessin n’ont plus grand chose à voir avec les premiers de Rob-Vel. Sauf que dans l’idée, Spirou reste accoutrée de son uniforme de groom et, fondamentalement, l’enchaînement action-innovation technologique est resté la sauce de base de chaque scénario (à ce titre, le dernier, Alerte aux Zorkons, est pas mal du tout dans le genre). Et comme Dupuis pense à tout, pour les nostalgiques des Trente Glorieuses, il y a le Petit Spirou (dont le prochain album, Tiens-toi droit, sort prochainement) et pour les adultes, la série Une aventure de Spirou et Fantasio par, qui confie le personnage à de grands auteurs de BD pour des résultats excellents.
Il n’y a que Tome et Janry à avoir essayé de changer profondément Spirou, au début par petites touches – il embrasse une fille dans Luna Fatale – puis radicalement, avec La Machine qui rêve en 1998. Là Spirou n’est plus Spirou, c’est à peine le héros principal de l’histoire, il est passif au lieu d’être sur-actif, on ne comprend pas tout, l’atmosphère est sombre et les dessins sont réalistes. Le tournant proposé n’avait pas vraiment pris auprès de public. Dommage, je le regrette encore.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Montage avec l’ancien et le nouveau Clark Kent, DR.
lire le billet
Recent Comments