Larry B. Max doit-il s’occuper de Bettencourt?

Image 2

Le dernier tome d’IR$, une BD qui met en scène un enquêteur du fisc américain, est sorti en même temps que l’affaire Bettencourt. Des deux côtés l’on parle de fraudes, de grandes fortunes et d’évasion fiscale et, pourtant, ce sont deux univers très différents.

Avouez-le, vous êtes comme moi. Au début, vous trouviez ça super l’affaire Bettencourt, avec ses intrigues et tout, et, finalement, vous avez fini par être un peu perdu. Trop de rebondissements, trop vite. Au moins, dans les séries américaines, il faut attendre une semaine avant chaque épisode.

J’avais déjà fait la même remarque l’année dernière pour le procès Clearstream. En BD, il n’y aurait pas vraiment eu de jugement complexe. Villepin aurait été pendu, le juge à l’Ouest du Pécos aurait rendu rapidement la justice, et cela aurait été très bien comme ça.

Pour l’affaire Bettencourt, c’est un peu la même chose. Les scandales financiers, notamment la fraude fiscale, sont des classiques des ressorts dramaturgiques. Combien de fois avez-vous vu un film de mafieux où le chef est condamné car il a oublié de déclarer la TVA d’un paquet de clopes alors qu’il n’était pas inquiété après avoir zigouillé une bonne trentaine de personnes? Mais ils vont rarement à une telle complexité comme nous le propose Bettencourt.

Prenons IR$, l’une des BDs “fiscales” les plus connues. Elle met en scène Larry B. Max, un contrôleur du fisc américain, de l’IRS, l’Internal Revenue Service. Évidemment il n’est pas un petit fonctionnaire pusillanime derrière son comptoir. Il appartient à un service spécial, chargé des très gros dossiers. Il n’a pas le double 00 des britanniques mais ce n’est pas un problème pour lui, il tue sans trop de problèmes.

La douzaine d’épisodes déjà paru chez Le Lombard, le dernier est sorti en juin 2010, le met en scène dans des affaires financières plus ou moins complexes (il existe aussi des diptyques). Si vous passerez un moment agréable à les lire – je les ai tous relu dernièrement et je ne suis pas non plus une grande fan – cela ne vous aidera pas du tout à comprendre mieux le monde de la finance et de l’évasion fiscale. Les sociétés offshore et le blanchiment d’argent sont un prétexte pour enchaîner les scènes d’actions, les appels à la belle Gloria et les jolies filles, plantureuses et d’un soir, évidemment. Les fraudeurs fiscaux finissent rarement devant la justice, plus souvent troués de balles.

De plus, pour solder les intrigues, le scénariste Stepen Desberg a tendance à faire appel aux bonnes vieilles ficelles que sont la mafia et les anciens nazis. Ca mange pas de pain mais c’est un peu dommage. A croire qu’une intrigue feutrée de couloirs, sans morts et sexe à tous les étages, ce qui est la norme dans la plupart des affaires fiscales, n’est pas assez intéressante. On imagine mal un contrôleur débarquer à Neuilly et zigouiler la moitié de la famille Bettencourt, et, pourtant, l’affaire reste intéressante!

Largo Winch, le capitaliste au grand cœur

Dans le même genre, plus connu, il y a évidemment Largo Winch, qui cette fois-ci nous place du côté du patron d’entreprise, le potentiel fraudeur. Dans les premiers épisodes, scénarisé par Jean Van Hamme, l’homme au 37 millions d’albums vendus, il y avait une vraie dimension financière. La manière dont étaient constituées les différentes sociétés du groupe Winch, les interférences entre patrons et les divers évasions fiscales étaient au coeur de l’intrigue. Avec, toujours, cette question: “Peut-on être du côté des bons et pourtant être l’un des personnes les plus riches du monde?” Chez Largo Winch, le leitmotiv de la série est que la réponse est positive. Mais pour les Bettencourt?

Pourtant, au fur et à mesure des albums, les joints ventures deviennent un prétexte à l’action et à d’autres histoires. Pourquoi pas à la limite. Au bout de vingt ans sur la même BD (et plus puisqu’au départ c’est un roman), on peut comprendre l’envie de raconter autre chose avec les mêmes personnages. Mais, comme un groupe qui changerait radicalement de musique d’un album à l’autre, cela peut décevoir le fan. Du même scénariste, signalons aussi la très bonne série Les Maîtres de l’Orge, qui met en scène les aventures d’une puissants brasseurs belges, les Steenfort, sur plusieurs générations. Encore une histoire d’une famille qui s’entredéchirent pour de sombres histoires économiques et d’héritages, un peu comme les Bettencourt, le charme de la campagne flamande en plus.

Malgré le spectaculaire, les scénaristes essayent toujours d’être plus ou moins crédibles. Jean Van Hamme a été ainsi bien aidé par ses études, ingénieur commercial et agrégé d’économie politique. Il racontait récemment au site lesaffaires.com qu’il présente ses scénarios “à des avocats, des banquiers et des gens d’affaires. C’est fait très amicalement et ça permet d’avoir des histoires plausibles”.

Le scénariste Stefen Esberg expliquait lui dans une déjà ancienne interview de 2003 à ActuaBD:

“Il y a une réflexion quasi philosophique par rapport à l’argent, une tentative de détecter les choses invisibles du monde de la finance. (…) Dans IR$, nous essayons de comprendre quelle est la destination de l’argent, qu’est-ce qu’on a l’intention d’en faire, quelle vision du monde sous-tend son utilisation. On essaye de comprendre quelle est la place de l’homme face à des empires économiques sans pardon.”

Une volonté, crise économique et financière oblige, qui reste ô combien d’actualité.

Laureline Karaboudjan

Illustration: Le Lombard

lire le billet

Les dix BD à emmener en vacances

Image 14

Enfin le mois de juillet et les chaleurs qui font fondre toute la journée. J’espère que vous allez tous partir bientôt en vacances, moi je reste sur le pont encore quelques temps. Pour vos loisirs, voilà une liste d’une dizaine de BD (sans ordre de préférence) parues en 2010 et que vous pouvez emmener dans votre valise en toute confiance!

La parenthèse, Durand, Delcourt.

Depuis quelques années, la BD francophone aime l’autobiographie, le moi s’affirme. Parfois, trop de moi tue la vérité. Ce n’est pas le cas de “La Parenthèse“, BD autobiographique particulièrement réussie. L’histoire d’Elodie Durand, à peine 20 ans, qui raconte comment, du jour au lendemain, elle a appris qu’elle avait une tumeur au cerveau. Elle perd la mémoire. De plus en plus souvent. Jusqu’à ne plus se souvenir de rien. Elle raconte les opérations qui s’enchaînent, les longues journées au lit chez soi, le soutien de sa famille, les crises d’épilepsies. Et l’oubli, toujours, contre lequel, il faut lutter. Toujours. Un récit aux dessins simples, épurés, très émouvant, parfois un peu poétique, sans tomber dans le pathos. Dans les dernières plages, j’avais les larmes aux yeux.

A lire dans le train avant de rejoindre quelqu’un que l’on peut serrer fort dans ses bras.

Quai d’Orsay, Blain, Lanzac, Dargaud.

D’ordinaire, je chronique plutôt des thématiques, rarement sur une seule BD. Et pourtant Quai d’Orsay a eu le droit à ce privilège suprême (sic!) en mai dernier. Donc pour une critique approfondie, cliquez sur ce lien. Le plus simple est de courir l’acheter, c’est sans aucun doute l’une des BDs de l’année par la dextérité avec lesquelles Lanzac et Blain ont réussi à faire de De Villepin un héros de fiction. L’histoire est simple: celle d’un jeune thésard qui se retrouve à écrire des discours au Quai d’Orsay pour un homme qui ressemble à deux gouttes d’eau à l’ancien ministre des Affaires Etrangères. Et en album, les deux auteurs donnent des leçons de biopic à l’ensemble de la production artistique française, souvent moins bonne que l’américaine pour ce genre-là.

A lire à la terrasse d’un café, c’est aussi chic que Le Monde.

La Comtesse, Picault, Les Requins Marteaux.

L’érotisme est à la mode et c’est très bien. Chez les Requins Marteaux, dans la collection baptisée sobrement BD Cul, La Comtesse est un bijou Ancien Régime. Petit format, sans dialogue, la vie de tous les jours d’une noble nous est racontée à hauteur d’un dessin par page. Le vieux mari qui dégoute au départ, les valets, les amants, les bains, la fellation, la sodomie. Simple et sans fausse pudeur, c’est une réussite. Et puisqu’on est dans l’érotisme, à relire également Le Parfum de l’invisible de Manara, album culte, qui vient d’être réédité en couleur.

A lire sur la plage ou autour de la piscine, entouré de personnes qui ne se doutent pas que vous feuilletez une BD pleine de cochonneries.

Les Russes sur la Lune !, Duval, Pécaud, Buchet, Delcourt.

Je vous en parlais très récemment, moi qui suis assez férue d’uchronie. Pour l’instant, la série “Jour J” qui se propose, dans des albums indépendants, de revisiter l’Histoire du XXème siècle, est réussie. Le premier opus est mon préféré. Les Américains y sont battus dans la conquête spatiale par les Soviétiques qui posent les premiers le pied sur la Lune. L’Oncle Sam suit tout de même de peu. En pleine guerre froide, chaque camp se construit une base sur le satellite de la Terre, des bases qui vont devenir de plus en plus indépendantes des affaires terrestres, au point de fraterniser entre spationautes et cosmonautes. Jusqu’à ce qu’un commissaire politique russe un peu borné débarque… Le dessin est classique mais maîtrisé et le scénario très efficace.

Parfait pour lire dans un hamac, la tête dans les étoiles.

Incognito, Brubaker, Philips, Delcourt.

L’histoire d’un ex super-héros criminel qui s’est rangé dans un programme de protection gouvernementale pour changer de vie. Mais il s’emmerde, ses anciens amis et nouveaux ennemis ne l’ont pas oublié, le monde va mal, le gouvernement a besoin de lui et sa collègue de bureau est une perverse méprisante. Ed Brubaker, c’est du lourd, un scénariste qui a participé à de nombreux Batman, Daredevil, Vertigo, X-men. Disons qu’il maitrise le sujet des super-héros. Incognito, plutôt sombre, ne révolutionne pas le genre mais procure un redoutable plaisir de lecture. Et il faut bien sauver les Etats-Unis de temps en temps. Même s’ils ne le méritent pas toujours.

A lire aux States.

Smoke City tome 2, Mariolle, Carré, Delcourt.

J’avais acheté le premier tome de Smoke City, pour les qualités stylistiques de Benjamin Carré, et j’avais été un peu déçue. Pas par les dessins, réussis et traduisant parfaitement l’imaginaire de leur auteur, mais pas un scénario un peu attendu, tissant sur le thème bien connu du gang de malfrats qui se reforme pour un dernier casse. Mais bon, le tome 1 se terminait sur un rebondissement de fin d’épisode façon Lost et la curiosité l’a emporté sur la déception pour me faire acquérir le tome 2. Grand bien m’en a pris: outre l’illustration, le scénario est devenu plus vivant et plus (sur)prenant.

A lire la nuit ou un jour de pluie pour apprécier les sombres paysages urbains de la BD.

Hélas !, Bourthis, Spiessert, Aire Libre.

En 1910, Paris se retrouvait sous les eaux pour la crue la plus importante de son histoire récente. Profitant de ce centenaire, Bourthis et Spiessert imaginent un Paris début 20ème où ce sont les animaux qui ont le pouvoir et qui sont civilisés et où les humains ont quasiment disparu. Étant des bêtes traquées, vivant comme des hommes de Cro-magnon, beaucoup d’animaux ne croient plus à leur existence. Jusqu’au jour où la capture de deux enfants par des braconniers suscite la convoitise de tous. Et dans un Paris littéralement sous Seine vont s’enchainer meurtres et courses poursuites, jusqu’à ce rendre compte que n’est pas forcément barbare celui qu’on croit.

A lire sur une péniche.

Panique en Atlantique, Parme, Trondheim, Dupuis.

Je sais que je suis incorrigible, mais je ne me lasse pas des one shot de Spirou. Après les deux albums qui exploraient la Seconde guerre mondiale, on revient à une aventure plus classique de Spirou, quoiqu’assez particulière. D’ailleurs, Panique en Atlantique n’a pas plu à tout le monde. Pour ma part, je trouve la patine sixties des dessins de Fabrice Parme très réussie et le scénario de Lewis Trondheim assez rocambolesque pour en faire un bon Spirou. Au final, on ne s’ennuie pas une seconde en lisant cet album qui, s’il ne restera pas forcément une référence, est un excellent divertissement.

Se déguste en croisière sur un paquebot, évidemment.

Pour l’Empire, tome 1 L’honneur, Merwan, Vivès, Poisson Pilote.

A priori, en BD, sur la Rome Antique, on a à peu près tout lu. Du péplum, de l’érotique, de l’enquête… Et bien oubliez Alix et consorts, avec Pour l’Empire. Merwan et Vivès repoussent les limites du genre pour entamer une œuvre singulière, à la fois épique et poétique, entre le comic et la BD d’introspection. Dans les légions romaines, des individus se distinguent par leurs qualités physiques. On les réunit pour former une équipe de super-légionnaires. Pillages, viols, meurtres… la routine quoi. Jusqu’à ce qu’on les envoie aux confins de l’Empire… C’est très beau (mention spéciale pour les couleurs) et ça se dévore tout seul.

A lire dans les ruines romaines que vous trouverez à proximité de votre lieu de vacances.  

La Zone, Eric Stalner, Glénat.

Nous sommes en Angleterre, en 2067. Le pays est en friche. 48 ans auparavant, une conjonction de catastrophes écologiques a décimé 95% de sa population et depuis, plus rien n’est comme avant. La plupart des gens vivent en petites communautés et se sont réfugiés dans la religion en dénigrant tout le “faux savoir” d’avant-déluge. Lawrence est un cas à part: il a conservé des tonnes de bouquins et une carte de l’Angleterre. Un précieux trésor avec lequel s’enfuit sa jeune disciple Keira après qui il se met en chasse. Le bon moyen d’explorer le pays pour Lawrence… et le lecteur. Le premier album de cette série post-apo promet beaucoup, tant par son esthétique que sa bonne construction.

A lire sous un arbre.

Et vous, qu’allez-vous emporter en vacances?

Laureline Karaboudjan (qui ne part pas en vacances encore)

Illustration principale tirée de Panique en Atlantique.


lire le billet

Et si le rideau de fer avait traversé Paris ?

Parissoviets

Et si Paris avait été séparé en deux pendant la Guerre froide? Dernier exemple en date d’uchronie, un genre qui fait florès en bande dessinée.

Paris, 1951. La capitale est coupée en deux. Rive gauche, la France “libre”, où l’on paye en billets verts imprimés aux Etats-Unis. Rive droite, le secteur soviétique, où les portraits de Staline et de Maurice Thorez flottent sur un Arc de Triomphe à moitié démoli.

Voici le cadre de “Paris secteur soviétique”, la deuxième bande dessinée de la série “Jour J”, lancée il y a deux mois par Delcourt, et qui se propose d’offrir des one shots dans des univers uchroniques. Uchro-quoi? Du grec “chronos” auquel on ajoute le privatif “u”, l’uchronie définit ce genre particulier qui consiste à imaginer ce qu’aurait pu être l’Histoire si… En l’occurrence, si le débarquement de 1944 en Normandie avait été un échec, si les Alliés n’avaient progressé que depuis le sud de la France, si ils n’avaient pas rejoint les Russes au milieu de l’Allemagne mais aux portes de Paris.

Avec des “si”, on coupe du bois ou on crée des univers particuliers, propices à de nouvelles aventures. Ici, donc, le Berlin de 1961 devient Paris en 1951, et sert de cadre à une histoire policière et d’espionnage. A la faveur d’un sommet pour la paix à venir, le ca­pi­taine Saint-​Elme, ancien agent de la brigade des moeurs dans le secteur allié, est autorisé à traverser la Seine pour une enquête sur un tueur en série qui assassine pros­ti­tuée sur prostituée, du côté rouge. L’affaire commence à faire grand bruit dans la République populaire de France, et il ne s’agirait pas qu’elle parasite les pourparlers entre les deux blocs. Évidemment, le capitaine Saint-Elme est en fait un agent secret français piloté par les services anglais et américains dans un Paris devenu nid d’espions.

En 56 pages, on peut trouver que c’est un peu court pour appréhender complètement un nouvel univers ou alors considérer que ce qu’on entrevoit suffit à nourrir l’imagination. En tous cas, c’est bien la dimension démiurge de cette série de bande dessinées qui est la plus importante, même si les histoires en elles-mêmes sont bien ficelées. Dans la première, que je trouve meilleure de ce point de vue, les soviétiques sont arrivés (encore une fois, à croire qu’il y a des nostalgiques de l’URSS chez Delcourt) les premiers, mais cette fois-ci sur la Lune. Les Américains suivent de peu, et chacun se construit sa base, qui vit de plus en plus en autarcie vis à vis des affaires terrestres. Et alors que la tension monte sur la planète bleue, on apprend à se connaître (au sens biblique) et on fraternise sur son satellite.

L’uchronie, ce n’est pas nouveau

Delcourt n’innove pas vraiment en lançant cette série, toute réussie qu’elle soit pour le moment. Car l’uchronie n’est pas un genre nouveau à tel point que des chercheurs très sérieux planchent parfois depuis plusieurs années sur des scénarios alternatifs, comme cette équipe française qui vient de publier “1940 – Et si la France avait continué la guerre…“, chez Tallandier.

Les lettres de noblesses de l’uchronie ont été écrites en BD mais aussi en littérature. L’un de ses représentants les plus célèbres est l’écrivain Ray Bradbury. Dans sa nouvelle “Un coup de tonnerre”, l’auteur de science-fiction s’interroge sur l’Histoire et sur la façon dont une petite altération dans le passé peut considérablement changer le cours d’événements futurs. En 2055, on a appris à voyager dans le temps. Du coup, un groupe de chasseurs décident d’aller se faire un Tyrannosaurus Rex plusieurs millions d’années en arrière. Bien-sûr, ils font très attention à ne tuer qu’une bête qui aurait de toutes façons dû mourir quelques minutes après, afin de ne pas modifier quoique ce soit dans le futur, et ils restent tout le long de leur partie de chasse sur une plate-forme antigravité pour ne pas même poser pied à terre. Mais ça ne se passe pas comme prévu et un des personnage est contraint de poser un pied au sol. Quand il repart dans le futur, tout semble avoir légèrement changé. Il se rend alors compte qu’il a un papillon écrasé sous ses semelles (le fameux effet papillon). Le candidat démocrate qui l’avait emporté aux élections avant son départ est à présent battu par son rival fascisant…

Autre immense écrivain de science-fiction, Philip K. Dick s’est aussi essayé au genre avec une de ses oeuvres maîtresses, “Le maître du Haut Château”. L’auteur imagine que l’Axe a gagné la Seconde Guerre Mondiale et que les Etats-Unis sont occupés à moitié par les Allemands et à moitié par les Japonais. Dans une belle mise en abyme, Dick met en scène un écrivain qui essaye d’imaginer le futur si les Alliés l’avaient emporté. Évoquons aussi le cycle de Johan Heliot “La Lune seule le sait”, “La Lune n’est pas pour nous” et “La Lune vous salue bien”, qui détaille presqu’un siècle d’histoire remixée, depuis Napoléon III jusqu’à l’après-Seconde guerre mondiale, avec pour héros Jules Verne, Léo Malet et Boris Vian. J’aime beaucoup cette série, bien écrite et particulièrement futée dans sa manière de revoir le passé.

On pourrait multiplier les exemples d’uchronies littéraires, pour beaucoup l’oeuvre d’écrivains qui sévissent habituellement dans les genre de la science fiction ou de l’heroïc fantasy. Du coup, l’uchronie est forcément un peu catégorisée “genre de geeks” puisque ce sont eux qui sont réputés pour aimer le plus refaire l’histoire et se réfugier dans un mode modifié à souhait. D’ailleurs, elle est évidemment représentée dans deux loisirs apparentés “geeks”, le jeu de rôle et le jeu vidéo. Pour le premier, citons par exemple “RétroFutur”, un jeu édité par la défunte maison d’édition Multisim, et qui plongeait les joueurs dans des années 1950 revisitées après que des extra-terrestres soient rentrés en contact avec l’humanité à la fin du XIXème siècle. Dans le monde du jeu vidéo, il y a le célèbre “Command and Conquer : Alerte Rouge”, où tout le scénario part du postulat qu’Albert Einstein a conçu une machine à remonter le temps et s’en va gaiement assassiner Adolf Hitler:

On aime refaire l’histoire en BD

Et l’uchronie a bien entendu essaimé en bande-dessinée, il suffit de voir la liste dressée par Uchronie.com pour s’en convaincre. Puisqu’on parlait URSS en début de chronique, comment ne pas mentionner “Superman Red Son”, un comic scénarisé par Mark Millar et sorti chez DC en 2003. S’il ne s’agit pas de détourner l’histoire réelle, le comic imagine ce qu’aurait pu devenir Superman s’il était tombé de la planète Krypton en Union soviétique plutôt qu’aux Etats-Unis. Où comment le superhéros aurait pris la succession de Staline, répandu l’URSS de façon pacifique dans la quasi totalité du monde. Des opposants s’organisent toutefois, menés par un anarchiste déguisé en chauve-souris

La deuxième guerre mondiale et la Guerre Froide ont les faveurs des auteurs. Ce n’est pas vraiment une surprise: il est plus facile de refaire le monde en partant d’une date plus ou moins récente, et cela fait plus travailler l’imagination des gens qu’en partant de l’hypothèse que le Bal des Ardents n’aurait pas eu lieu.

On retrouve ainsi Bob Morane, dans les albums “La Guerre du Pacifique n’aura pas lieu” T1 et T2 notamment, qui est expédié par la Patrouille du Temps à Nankin en 1937, pour empecher l’affrontement. Bon, ce n’est pas le meilleur album d’une série, qui, depuis plusieurs années déjà, a quitté les rivages traditionnels de l’aventure pour se plonger dans la science fiction, parfois de manière un peu maladroite.

La série qui met sans doute le plus à mal notre relation au temps et à l’histoire est sans aucun doute “Vortex“, de Stan et Vince. Lors d’une expérience dans un laboratoire américain en 1937, des plans permettant de voyager dans le temps sont dérobés et les agents américains Tess Wood et Campbell sont chargés de les récupérer, jusqu’en 3020. Et sur dix tomes, tout ce beau monde se baladera dans le futur, dans l’Allemagne nazie, dans la Préhistoire, l’Egypte, au XIXème siècle… Je dois avouer que parfois j’étais un peu perdue.

C’est aussi les charmes de l’uchronie. Ajouter un “si” à un autre “si” puis encore un “si” et un zeste de “et puis” pour se retrouver avec un fort mal de tête mais la sensation jouissive d’avoir créé un nouveau monde.

(Vortex)

Laureline Karaboudjan

lire le billet