Le déchirement familial chez les Uderzo a fait deux victimes: Astérix et les lecteurs.
L’album d’Astérix Le Grand Fossé met en scène un petit village gaulois coupé en deux, avec de chaque côté un chef intransigeant qui réclame la souveraineté sur l’autre moitié du village. Évidemment, cet affrontement est ridicule: dans le fond les deux partis sont bonnet blanc et blanc bonnet et il faudra l’ingéniosité d’Astérix, Obelix et Panoramix ainsi qu’un amour fou entre deux jeunes tourtereaux, pour résoudre la situation.
Si dans la BD, cela finit bien, dans la vraie vie, c’est souvent un plus compliqué. La famille Uderzo aurait ainsi bien besoin d’un peu d’amour et de nos compères gaulois pour ramener la paix dans la chaumière. Dans une enquête très intéressante parue cette semaine, Le Nouvel Obs décrit la manière dont Uderzo se déchire avec sa fille depuis de nombreuses années. L’affaire était connue. Avec l’article de l’hebdomadaire, on comprend à quel point la situation est « pathétix ».
Le scénario ressemble d’ailleurs étrangement à l’affaire Bettencourt. D’un côté, Albert Uderzo, un vieux monsieur de 84 ans qui ne compte pas se laisser dicter sa conduite depuis qu’il a repris la série à son compte à la mort de Goscinny (son premier album solo fut d’ailleurs Le Grand Fossé). De l’autre sa fille, Sylvie Uderzo, qui estime qu’il est manipulé par des proches et qui placerait bien papa sous tutelle.
«Le 15 février dernier, Sylvie, sa fille unique, a porté plainte contre X pour abus de faiblesse auprès du parquet de Nanterre», comme le raconte le Nouvel Obs. L’hebdomadaire poursuit: «Les accusations de Sylvie Uderzo sont graves : elle affirme que des proches de ses parents les manipulent et organisent « une stratégie d’éloignement et de rupture » entre elle et son père. Elle désigne nommément l’ancien avocat et le notaire de son père, l’expert-comptable de la maison d’édition qu’il a fondée à la mort de René Goscinny – les Editions Albert René (EAR) -, son directeur général et un entrepreneur qui « après un long travail de sape (…) semble être en voie [de les] isoler définitivement»».
Et la fille, Sylvie Uderzo, d’expliquer qu’elle assume cette plainte, qu’elle ne veut pas que son père dilapide l’héritage, qu’elle trouve qu’il dépense à tout va, etc. On comprend vite derrière que se dissimule toute une vie de ressentiment. Dans l’article elle lui reproche ainsi de l’avoir pris pour une «conne», de l’avoir empêché de faire des études, et d’avoir dû consacrer sa vie à l’oeuvre de son père au lieu de pouvoir se consacrer à elle-même (elle a ainsi attendu de fêter ses 40 ans avant de s’inscrire à l’Ecole du Louvre).
Quand Uderzo licencie sa fille
Du côté du père, la musique est évidemment tout autre (au passage on apprend grâce à l’article qu’il vit dans une immense maison avec salle de banquet gauloise et reproduction d’un Mirage 3 E comme dans Tanguy et Laverdure). Uderzo estime que sa fille est dirigée par un « gourou, son mari » qui en 1995, notamment, a emprunté de l’argent à la famille, 1 500 000 francs, et a tout dilapidé.
Pendant les dix années suivantes – c’est un peu compliqué mais je vous résume – l’argent coule à flot grâce à Astérix, mais surtout dans les poches du gendre, surnommé « Iznogoud » par une partie de l’entourage, d’après Albert Uderzo. « En 2007, Albert Uderzo en a assez : il licencie sa fille (« Je ne souhaite ça à personne », dit-il. « J’avais un vide sidéral sous mes pieds », dit-elle) et met fin au contrat de son gendre, déclenchant une ahurissante litanie de procès, aux prud’hommes, au tribunal de commerce», raconte Le Nouvel Obs.
Uderzo, lassé, vend alors ses parts de l’édition Albert-René à Hachette, tout comme Anne Goscinny. Sylvie Uderzo est furax de perdre le contrôle, elle n’est plus qu’actionnaire minoritaire. Toutefois, malgré son dépôt de plainte, elle a finalement elle aussi accepté de vendre ses parts, en mars dernier, pour la petite somme de 13,6 millions d’euros. Un déchirement familial sur fond d’actions et de rachats de parts qui fait furieusement penser à la série des Maîtres de l’Orge.
Et le lecteur dans tout ça ?
Mais à part éventuellement nous distraire comme une bonne BD, qu’en avons-nous à faire de cette histoire de riches? Au contraire des Bettencourt, cette triste affaire a peut-être une incidence sur nous. Dans mes chroniques, j’ai souvent défendu Astérix mais je n’ai jamais hésité non plus à souligner la gabegie des derniers albums (surtout Le ciel lui tombe sur la tête).
Le contexte familial agité qu’on connaît maintenant depuis quelques mois n’est sûrement pas étranger à cette baisse de qualité. Si certains artistes ont besoin du chaos pour créer, pour d’autres c’est la sérénité. C’est sans doute le cas d’Uderzo, qui a toujours vanté son entente sans un nuage avec Goscinny. A deux, ils ont produit des albums formidables. Mais Uderzo a aussi été capable de sortir seul de très bons albums. Je pense notamment à Astérix chez Rahàzade, qui n’a rien à envier en terme de rythme et d’humour aux histoires scénarisées par Goscinny.
Quant à la vente des parts à Hachette, ce n’est pas qu’une affaire de gros sous. L’oeuvre va aussi s’en ressentir puisqu’en rachetant la maison d’édition Albert-René, Hachette a obtenu la poursuite des aventures d’Astérix après la mort d’Uderzo.
J’ai récemment évoqué cet éternel débat sur la paternité des héros lors de mon précédent billet sur Gastoon. Je ne reviens pas sur les pour et les contre, mais il est en tous cas certain que tout album post-Uderzo fera polémique. C’est d’autant plus vrai qu’Astérix tient une place à part dans le patrimoine de la BD française et que toute entorse faite à son image est abondamment commentée. Souvenez-vous des pubs pour Mc Donalds…
Dans toute cette affaire, nous, lecteurs et lectrices, nous en avons été directement victimes depuis quelques années avec des albums qui ne tiennent plus leurs promesses. A tel point que cela me titille de porter plainte pour « dégradation d’une oeuvre d’art appartenant au domaine public ». Peut-être qu’on pourrait récupérer des parts d’Hachette en dommages et intérêts…
Laureline Karaboudjan
Illustration : Une des fameuses bagarres de village d’Astérix, Uderzo, DR.
J’ai comme tout le monde été choqué par la mauvaise qualité des derniers albums, mais en effet Uderzo en a fait des plutôt bons seul. Que pensez-vous de l’hypothèse selon laquelle il aurait pour ceux-là utilisé des notes qu’aurait laissées Goscinny ?
Une fois les idées de celui-ci épuisées, il se serait alors obstiné à continuer sans scénariste, avec le résultat que l’on sait.
Qu’Uderzo soit aujourd’hui manipulé ou pas, c’est son talent, associé à celui de Goscinny, qui a permis à cette BD de nous faire sourire depuis 50 ans.
Dans le meilleur des cas, sa fille n’est qu’un héritière.
Elle devrait être suffisamment heureuse de pouvoir vivre très confortablement, aux crochets du talent de son père, et se comporter avec un minimum de pudeur, tant morale que filiale.
D’accord avec Dwalin, il me semble bien que les deux “premiers ” Asterix sans Goscinny ont été fait à partir de notes du scénariste, pour la suite, toutes les séries de Goscinny qui ont ensuite été reprises n’ont pas été à la hauteur de/des original/naux.
Et c’est normal.
C’est comme d’ècouter Mick jagger ou Keith Richards en solo, il manque un truc, l’alchimie n’y est pas et justement c’est ce qui rend leur union magique parce qu’elle est unique..
Je ne pense pas. Le petit Nicolas, c’est tout aussi génial et Uderzo n’y est pour rien si je ne m’abuse. Uderzo est un bon dessinateur, c’est tout (ce n’est que mon avis :p)
C’est une légende Urbaine.
Goscinny n’a laissé aucun synopsis inédit d’astérix, il n’a pas eu le temps. La dégringolade du niveau des albums date des années 93/94. Uderzo en plein procès Dargaud, épuisé et dégouté, annonce qu’il arrête Asterix (le point 1137). Depuis il n’a plus d’inspiration et continue que pour l’argent et la pression de son éditeur qui veut de la nouveauté.
L’age aidant et ayant un entourage qui ne contrôle plus les synopsis de peur de fâcher l’auteur depuis des années, on a assisté à une inquiétante chute jusqu’au pénible “le ciel lui tombe sur la tête”. Depuis Albert UDERZO est à la retraite et supervise sa succession artistique et financière.
Ha ha ha, Astérix continuera après la mort d’Uderzo.
Déjà, que ça continue de son vivant, c’est lamentable (vu le niveau des derniers albums).
Je sens qu’après sa mort, on va avoir le droit à de très beaux albums, dessinés par un petit tâcheron qui dessine exactement bien comme Uderzo (un de ses assistants ?) avec de petits scénarios bien rigolos bien consensuels sans rien qui dépasse pour ne fâcher personne. Des albums au goût d’aspartame, comme souvent avec les reprises.
C’est vrai que cette histoire qui devrait nous passionner car on parle d’Astérix ne nous passionne pas. Pourquoi? Parce que ça sent la manipulation, les réseaux avec le groupe Hachette à la manoeuvre qui joue la montre et attend à l’évidence la mort d’Uderzo pour faire comme ils veulent. Et ÇA ÇA devrait nous interpeller. Car, comme dans tout film policier, il faut se poser la question “à qui profite le crime?” Aussi, la fille a-t-elle les armes pour résister à tout ça? Je pense que son père, 84 ans, a renoncé dès le début de l’affaire. Et c’est ça qui est bien triste, non? Et si on se réveillait?
moi je trouve que quelqu’un qui s’appelle karaboudjan et qui fait des critique sur des BD c’est magnifique, surtout si c’est pas un pseudo.
http://www.marine-marchande.net/BD/Tintin/Karaboudjan.jpg
Avec le prénom de la copine de Valérian… ça doit être un pseudo !
[…] Et pendant ce temps, Asterix est pris entre deux tenailles… […]