L’œuvre de Karl Marx et Friedrich Engels sort en manga, préfacé par Olivier Besancenot.
«La ligue à Léon, j’ai lu Le Capital, la ligue à Léon, j’ai lu Le Capital, en bande-dessinées la ligue, la ligue…». C’est au cours de mes jeunes années étudiantes que j’ai découvert La ligue à Léon, cette chanson qui moque la LCR sur l’air de la digue du Cul. Les trostkistes y étaient censés militer à Nanterre et vivre à Neuilly, ou bien lire l’oeuvre théorique fondatrice du marxisme en BD. Figurez-vous qu’à partir de mercredi, ce sera possible, puisque Le Capital sort en France sous la forme d’un manga édité par Soleil.
Le Capital adapté en BD, il y a de quoi faire lever plus d’un sourcil. Le texte de Marx, terminé par Engels, traîne une réputation (assez juste) de texte aride et long comme un jour sans pain, malgré sa dimension fondamentale. De plus, c’est un texte théorique, un essai dépourvu de scénario et de personnages comme le serait une fiction. Bref, a priori il n’y a pas pas plus de chances que Le Capital fasse une bonne bande-dessinée que les Fondements de la Métaphysique des Moeurs soient un jour adapté en dessins-animés. Comme le note le leader du NPA Olivier Besancenot dans la préface, «Si Le Manifeste du parti communiste(1848), autre grand texte de l’auteur, est largement lu, Le Capital, au contraire, traîne dans le sillage de son succès la réputation d’être inaccessible.»
Pourtant, le manga tiré de l’oeuvre de Marx est plutôt agréable à lire. Les auteurs (qui ne signent pas, laissant le seul nom du philosophe allemand sur la couverture) ont imaginé une histoire pour mettre en scène les idées communistes du Capital. On suit donc le parcours de Robin, fils d’un fromager, qui rencontre un investisseur qui lui propose de faire passer sa modeste fromagerie au stade de l’usine capitaliste. Malgré les réserves de son père, Robin se lance dans l’aventure avec le but assumé de devenir riche (il est traumatisé par le souvenir de sa mère, morte faute d’argent pour la soigner) et de séduire la fille de banquier dont il est amoureux. Mais plus ça va, plus il va raisonner en termes de marges bénéficiaires plutôt que de lait caillé. Et devoir affronter la colère d’ouvriers qu’il presse de plus en plus.
Ca c’est pour le premier tome. Le tome 2 se veut plus théorique, et son personnage principal est Engels lui-même, qui se fait fort de traduire en concepts l’histoire qui a été présentée dans le tome 1. Le tout créé un ensemble à la fois didactique et distrayant. Ce n’est pas surprenant: le genre du manga manie à la perfection les histoires pédagogiques. On peut tout apprendre avec les mangas, de l’oenologie à la cuisine des sushis en passant par l’histoire de l’Egypte antique. Notons que l’éditeur japonais original du Capital en manga s’est fait une spécialité d’adapter des grands classiques: on lui doit aussi Crime et Châtiment de Dostoievski, Ulysse de Joyce ou… Mein Kampf !
S’il est peu probable de voir un jour l’oeuvre d’Hitler éditée en BD en France, le Capital n’est apparement qu’un début pour l’adaptations d’oeuvres communistes. Car au-delà de la grande tradition de la bande-dessinée rouge (Pif Gadget, Vaillant, etc.), des formes plus récentes de BD s’attachent à propager l’idéologie communiste. En manga pour le Capital donc, en comics pour le manifeste du Parti communiste. Une BD tirée de l’autre grand succès de Marx vient en effet de sortir outre-Atlantique, et doit être disponible en France dès cette année. A voir la bande-annonce, il y l’air d’y avoir du sport :
Toucher un jeune public
Si Das Kapital est publié en manga, c’est pour toucher et convaincre le jeune public, peu susceptible de se plonger dans des longs textes théoriques (et même souvent plus fans de mangas que de bandes dessinées). Après, il n’est pas certain que la manière de raconter permette de s’identifier aux ouvriers martyrisés. Si ce n’est pas précisé, l’action se passe clairement au XIXème siècle, dans une fabrique de fromage de surcroît, peu susceptible d’être le boulot des jeunes d’aujourd’hui. Sauf peut-être à Roquefort-sur-Soulzon. Il aurait été intéressant de situer l’histoire au XXIème siècle, dans un call-center par exemple, ou un supermarché, nos usines modernes. Olivier Besancenot, dans la préface, vante pourtant la pertinence de cet ouvrage, estimant qu’il est un «bon GPS sur le chemin de l’émancipation»:
“Le Capital a été échafaudé à partir de l’observation du monde – qui n’a pas fondamentalement changé depuis –, et dont les crises à répétition désagrègent toujours la société plus de 140 ans après sa parution. Il se dit même que certains capitalistes lisent Marx en douce pour tenter de comprendre ce qui leur arrive. Garde donc précieusement les deux volumes de ce manga, ton employeur pourrait bien avoir envie de te les voler. C’est un bon GPS sur le chemin de l’émancipation.”
Au contraire, l’éditeur Soleil, qui publie le texte et avec qui j’avais discuté de cette prochaine parution au dernier festival Quai des Bulles à Saint-Malo, n’a pas dit au revoir au capitalisme avec cet ouvrage. La maison d’édition estime juste que c’est un texte très important, et qu’en cette période de crise, il y a une demande pour le redécouvrir . Sans vouloir chercher une explication sous chaque bouse de Pétaure, on sait toutefois que le fondateur de Soleil et propriétaire du Racing Club de Toulon, Mourad Boudjellal, ancien gamin d’un des quartiers pauvres de la ville, se sent l’âme à gauche, s‘étant même brièvement engagé auprès du PS en 1995.
«La ligue à Léon, j’ai lu le Capital,
La ligue à Léon, j’ai lu le Capital
En bandes dessinées, la Ligue, la Ligue
En bandes dessinées, la Ligue à Léon Trotsky !»
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait de la couverture du Capital, tome 2, DR.
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Laureline K. Laureline K a dit: Le Capital sort en manga, avec une préface de Besancenot http://bit.ly/i2zAcp […]
Concernant le dernier point évoqué dans cet article, je reste dubitatif. Monsieur Boudjelal n’a jamais caché ne faire du manga que parce que cela fonctionne, mais ne pas s’impliquer personnellement dans ce secteur du moment que sa filiale Soleil Manga génère des bénéfices. Non, je vois cela comme le choix des seuls responsables de leur département manga, et cela s’inscrit dans une volonté de publier plusieurs classiques en manga – provenant du même éditeur nippon, ce qui exclue d’avoir enfin “Les Enfants Terribles” revu par la géniale Moto Hagio – avec prochainement une adaptation du chef d’œuvre de Stendhal.
Sinon, le nom de l’auteur, ça peut toujours être intéressant. Soit-dit en passant.
Comment peut-on passer à côté d’une telle information ?!
@Rei_II,
“Les auteurs (qui ne signent pas, laissant le seul nom du philosophe allemand sur la couverture) ont imaginé une histoire pour mettre en scène les idées communistes du Capital.”
Sinon, des lecteurs qui lisent l’article de manière attentive avant de commenter, ça peut toujours être intéressant. Soit-dit en passant.
Laureline
[…] viaDes Bulles Carrées » Le Capital, un manga comme les autres?. […]
Salut Laureline,
juste un petit mot pour signaler que la fameuse chanson “la ligue à Léon” est une chanson passablement réactionnaire qui a été écrite dans les années 1968 pour moquer l’engagement de la jeunesse intellectuelle à gauche du PCF encore largement stalinisé.