God Save Our Data

Le nombre d’accidents de la route en Irlande du Nord en 2008, les chiffres de l’avortement, l’absentéisme scolaire au Pays de Galles, l’activité agricole… Voilà quelques exemples des statistiques que le Royaume-Uni vient de mettre en ligne jeudi, par le biais de son tout nouveau site, Data.gov.uk. Piloté par Tim Berners-Lee (l’inventeur du World Wide Web, rien de moins), le projet comptabilise déjà la bagatelle de 2879 «datasets», soit autant d’échantillons chiffrés de la vie publique britannique. Dans un agenda mondial très branché sur la libération des données, nos voisins d’outre-Manche rejoignent le club encore fermé — et très anglo-saxon — des démocraties open source, prenant place entre les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et une portion congrue du Canada (Vancouver et Toronto). C’est bien joli, me direz-vous, mais à quoi ça sert?

Dans un entretien vidéo avec le Guardian, Berners-Lee raconte comment, lors d’un dîner en compagnie de Gordon Brown au printemps 2009, le Premier ministre britannique lui a demandé quelle initiative pouvait prendre le Royaume-Uni pour faire meilleur usage de l’Internet. Instinctivement, Berners-Lee a suggéré l’ouverture des vannes statistiques. On pourrait considérer la recommandation anodine si ses enjeux n’avaient pas été âprement débattus. Depuis mars 2006, le service high-tech du Guardian (franchement juge et partie dans l’affaire) se battait pour la publication des données, avec un blog, Free Our Data, et ce mot d’ordre : «Rendez-nous nos joyaux de la couronne».

Pour comprendre cette requête, il faut se rappeler que certains chiffres étaient payants, au moins jusqu’à hier. A titre d’exemple, il fallait débourser pas moins de 4.000 livres sterling pour obtenir la licence des codes postaux britanniques. Le premier intérêt du data.gov serait donc de renforcer les interactions entre l’Etat et ses administrés. C’est aussi l’avis de Nigel Shadbolt, professeur de sciences informatiques à l’Université de Southampton, et missionné par le gouvernement auprès de Berners-Lee pour plancher sur le site. «Si vous me demandez quelles sont les prérogatives des pouvoirs publics, j’aurais tendance à répondre qu’ils doivent publier plutôt que de garder les informations dans un coffre», déclare-t-il, toujours au Guardian, avant d’invoquer la “responsabilité” de la classe politique (ce fameux concept d’accountability cher aux Anglo-saxons).

Boris Johnson, le maire de Londres, croit dans le business des données

Soit. Mais si Gordon Brown a donné son feu vert à la réalisation du projet, c’est aussi parce qu’il pourrait être la promesse d’une véritable économie numérique. Selon Berners-Lee, en bonifiant «des données qu’il possède déjà», le Royaume-Uni accroît sa compétitivité, en créant «de nouveaux services». Et Boris Johnson, le truculent maire de Londres, d’acquiescer. Au début du mois, il a présenté à la presse la déclinaison londonienne du «Datastore». A ses yeux, les données présentent un «intérêt extrême pour des entrepreneurs de tous les horizons», et il va jusqu’à imaginer «une application iPhone qui vous dirait à quel endroit vous êtes susceptibles de vous faire voler votre vélo».

En France, Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Economie numérique, ne veut pas laisser passer sa chance. Après avoir évoqué à de nombreuses reprises une version hexagonale du «data.gov», elle a fixé une échéance. Selon le site de l’Agence du patrimoine immatériel de l’Etat (APIE), le portail devrait être lancé à la fin de l’année 2010.

Olivier Tesquet

(Photo : CC @Ito Labs)

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