3615 Elysée

«Un président du XXIe siècle doit être sans arrêt à la télévision». C’est en ces termes très précis que Franck Louvrier, le conseiller en communication de Nicolas Sarkozy, s’est exprimé dimanche dans les colonnes de La Croix, à la veille de la grand-messe célébrée sur TF1 lundi soir en prime time. Si on s’en tient aux seuls chiffres, l’opération sonne comme un tube cathodique, c’est vrai. Avec 8,8 millions de téléspectateurs (selon Médiamétrie), l’Elysée s’est réveillé mardi avec la satisfaction du travail bien ouvragé. Mais je me demande s’ils ont surveillé ce qu’il se passait sur le web pendant l’exercice. Le temps d’un live-tweet acharné, la balise #p2f s’est hissée sans mal en tête des trending topics français. Et c’était plutôt croustillant à l’extérieur, acide à l’intérieur. Vivant, engagé, et à l’opposé total de la présence présidentielle sur le Net.

Le chef de l’Etat n’a jamais été friand du web, mais la «rénovation de la gouvernance» était pourtant l’un des objectifs du plan France numérique 2012 (ce n’est pas moi qui le dit). La stratégie présidentielle devait se déployer progressivement depuis 2008, mais si on excepte le semi-couac du compte Twitter @ElyseeCop15 pendant le sommet de Copenhague (je vous mettrais bien un lien s’il n’avait pas été supprimé… au nom du droit à l’oubli?) et la polémique du «Mur de Berlin» sur Facebook, il semble bien qu’elle ne soit pas complètement au point… Dans ce climat aride, la cellule Internet de la présidence reste une curiosité drapée d’incertitudes. J’ai bien essayé de solliciter Nicolas Princen, son responsable, pour une interview la semaine dernière. En vain. Ce tout jeune normalien que l’on a peu entendu, encore moins vu, semble réduit à patienter et nourrir les 200.000 fans de son patron sur Facebook. Il y avait pourtant matière à discuter et comprendre pourquoi, en plein drame haïtien, le «dinosauresque» site de l’Elysée — une nouvelle version serait dans les tuyaux — ne pipait mot de la catastrophe quand les modernes sites d’Obama et Brown relayaient à tour de liens les actions des locataires des lieux.

L’Elysée ne connaît pas Haïti

Pour mesurer les carences du gouvernement français sur le Net, il y a un révélateur plus efficace, plus tragique aussi, qu’un zeste de citron sur l’encre sympathique de Frédéric Lefebvre. Il y a donc Haïti. Dominique Paillé, le porte-parole adjoint de l’UMP, l’annonçait lors d’un point presse le 18 janvier, la majorité “a décidé d’un certain nombre de choses importantes” pour venir en aide à l’île. Est-ce parce qu’il était concentré sur le brainstorming que le parti présidentiel a omis de mentionner le séisme sur son — tout nouveau — site “communautaire”? Du côté de l’Elysée, il a fallu plus d’une semaine pour voir apparaître… un lien, renvoyant vers le site du Quai d’Orsay. Appelons ça la magie de l’hypertexte.

A l’autre extrémité du réseau, sur le site de la Maison Blanche, les équipes de Barack Obama proposent un modus operandi précis aux Américains qui voudraient venir en aide aux sinistrés, en même temps qu’elles relaient les sentiments des militaires en mission sur le blog de la présidence. Pas en reste, le gouvernement britannique a publié plusieurs vidéos de Gordon Brown sur sa chaîne Youtube.

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Il y a dix jours, Barack Obama a publié une tribune enflammée dans Newsweek, dans laquelle il explique “pourquoi Haïti compte”, et pourquoi les Etats-Unis sont concernés. C’est une intention louable, autant qu’elle était attendue. Mais le président américain se devait de montrer qu’il était entré de plain-pied dans l’ère du tout-numérique. Il fallait prendre son Blackberry à deux mains. Alors, le 18 janvier, dans un grand moment de storytelling 2.0, il a tweeté. Pour de vrai, cette fois-ci. Sur 140 signes, il a squatté le compte de la Croix-Rouge américaine. Pour raconter qu’il était en train de visiter le QG des secours avec sa Première dame. Si l’information en elle-même n’est pas révolutionnaire, l’initiative a produit son petit effet, en étant très largement relayée à travers le monde. Après l’élection d’Obama, Time écrivait que “[sa campagne] a appris comment faire d’un candidat une marque exactement comme Nike ou Apple”. Dans sa keynote de lundi, dans le flou numérique de ses troupes, Nicolas Sarkozy se rapproche plus de la Vedette, tendance Mère Denis.

Diplomatie 2.0

Depuis la campagne présidentielle américaine de 2008, justement, les Etats-Unis ont fait connaissance avec la “diplomatie Facebook“, cette migration du “soft power” des bureaux (ovales) vers les réseaux sociaux et le web dans son immensité. Dans ce cas, rien d’étonnant à voir les organismes américains les plus officiels occuper massivement ce nouvel espace public. Dans le cas d’Haïti, le Département de la Défense et l’US Army, notamment, viennent grossir la balise #USAID sur Twitter. Et tandis que les levées de fonds battent leur plein, la FEMA (l’Agence fédérale des situations d’urgence) a tenu a remercier Ushahidi, la précieuse plateforme de crowdsourcing qui recueille des données utiles aux secours depuis presque une semaine. J’imagine que cette omnipotence — même virtuelle — ne hérisse pas trop Alain Joyandet, notre Secrétaire d’Etat chargé de la Coopération, lui qui martelait récemment qu’il “ne s’agit pas d’occuper Haïti”. Et l’Internet?

Au-delà de la réflexion nécessaire sur l’aide que peuvent apporter les pays les plus riches à une nation insulaire meurtrie, l’exemple d’Haïti pourrait donner de nouvelles prérogatives à nos gouvernements. En mai 2009, le Government Accountability Office (GAO), l’organisme fédéral américain chargé de contrôler les finances publiques, tentait déjà de tracer les contours d’une nouvelle diplomatie (PDF, lire la page 30). “Si nous ne parvenons pas à nous adapter à ce nouvel environnement dynamique, un échec pourrait augmenter le risque que les efforts diplomatiques américains deviennent inutiles, notamment chez les audiences les plus jeunes, acteurs-clés de notre stratégie de communication”, pouvait-on lire.

Nicolas Princen, si vous me lisez, je suis toujours partant pour un entretien.

Olivier Tesquet

(Photos : CC@nicolasnova et capture d’écran du site de l’Elysée)

Un commentaire pour “3615 Elysée”

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par Nicolas Voisin, Xavier Moisant, alphoenix, Olivier Tesquet, Olivier Tesquet et des autres. Olivier Tesquet a dit: [Slate] Et il est où, Nicolas Princen? http://bit.ly/aL3cLK #p2f […]

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