Avec Frédéric Portoleau
La traversée des Pyrénées avait été marquée par des performances en baisse par rapport aux dernières années. On attendait une confirmation dans les Alpes, tant la course avait semblé tactique à Luz-Ardiden et au Plateau de Beille. Ce fut tout l’inverse dans les étapes du Galibier et de l’Alpe d’Huez, menées tambour battant, et où les favoris ne pouvaient pas, de toute évidence, aller plus vite.
Les calculs de l’ingénieur Frédéric Portoleau, dont il a déjà expliqué la méthode sur ce blog, montrent des performances légèrement supérieures dans l’ensemble. Frédéric Portoleau juge que la régularité d’Evans et ses performances passées en font le vainqueur du Tour le plus crédible depuis le début de l’ère Indurain, si l’on excepte Oscar Pereiro en 2006.
Les deux étapes des Alpes sont parties très vite avec les attaques d’Andy Schleck dans l’Izoard jeudi puis d’Alberto Contador dans le Télégraphe vendredi. Dans ces deux cols, des performances très élevées ont été réalisées, comparables avec celles des dernières années. Mais tout le peloton l’a payé par la suite, dans le Galibier jeudi et dans l’Alpe d’Huez vendredi.
La performance la plus notable est celle de Contador et Andy Schleck qui ont développé 443 watts en puissance étalon lors de leur montée du Télégraphe, au début de la courte étape de l’Alpe d’Huez. Derrière eux, dans ce col, Thomas Voeckler a dépassé son record historique et l’a payé dans la suite de l’étape.
Note: toutes les puissances évoquées ci-dessus sont des puissances théoriques, calculées pour un poids du coureur + équipement de 78 kilos. Il ne s’agit pas de la puissance réelle développée par les coureurs. Celle-ci dépend entre autre de la masse à élever pour vaincre la pente, or le poids des coureurs n’est pas toujours connu avec précision le jour de la mesure. Ils peuvent se déshydrater en cours d’étape et perdre quelques kilogrammes. Le nombre de bidons portés est variable. Cette valeur étalon est utilisée pour faire nos comparaisons. (1)
Le col d’Agnel a été gravi à une vitesse modérée. Peu après Brunissard dans la montée de l’Izoard, Andy Schleck se dresse sur les pédales et démarre. Il grimpe le col d’Izoard (14,7km) depuis le bas du col en 40min40s. Depuis l’église d’Arvieux, à 1543m, il a pédalé 31min02s et, depuis La Chalp, 25min20s.
Depuis Arvieux, Andy Schleck a été plus rapide que Lance Armstrong qui avait gravi l’Izoard en 32min17s depuis Arvieux en 2000. Mieux aussi que Di Luca au Giro 2007, en 32 minutes. Depuis La Chalp, il a aussi été plus rapide que Miguel Indurain (25min30s) lorsqu’il avait remporté l’étape de Briançon du Dauphiné en 1996.
Le Luxembourgeois développe 400 watts de moyenne en puissance étalon sur la dernière portion du col (6,95km à 7,2 % effectué en 19min10s). Au sommet du col, les autres favoris ont 2min15s de retard. Ils ont développé 50 watts de moins.
La performance est d’un haut calibre car, comme tout le monde, les athlètes de haut niveau souffrent d’hypoxie au dessus de 1600m en moyenne. Au dessus de 1600m, on perd 3% de consommation maximale d’oxygène tout les 300 mètres (cf ce livre de Véronique Billat, chercheuse spécialisée dans la physiologie de l’effort). Tous les coureurs ne réagissent pas de la même manière à l’altitude.
Avec toutes les précautions requises, on peut dire que l’équivalent de cette puissance pour un col en-dessous de 1600m serait de 420 watts sur moins de 20 minutes (on ajoute 5% à la puissance réelle, l’altitude moyenne de la fin de l’Izoard étant de 2100m).
Vient ensuite le col du Galibier, où Schleck va payer ses efforts. En raison du vent fort souvent défavorable, je ne peux que calculer une limite inférieure de puissance sur l’ensemble du col. La puissance étalon minimum d’Andy Schleck sur les 8,7 km a été de 360 watts durant 25min03s. Il faut ensuite tenir compte de l’altitude (2300m de moyenne depuis le Lautaret): pour l’équivalent d’un col en-dessous de 1600m, Andy Schleck aurait développé 387 watts. On constate donc qu’Andy Schleck a payé le prix de ses efforts de l’Izoard, de la vallée puis du Lautaret, et perdu une trentaine de watts dans le Galibier.
Derrière lui, les autres favoris du Tour, qui avaient fourni moins d’efforts, ont été quatre à dépasser les 410 watts (valeurs corrigées) : Frank Schleck, Evans, Basso et Voeckler.
Frank Schleck (387 watts, 416 watts corrigés) a établi à l’occasion un nouveau record d’ascension pour le versant sud du Galibier. Un record attendu puisqu’il y avait pour la première fois une arrivée au sommet. Il s’agit pour tous ces coureurs de performances comparables à celles observés à Luz-Ardiden et au Plateau de Beille, sur des durées qui étaient un peu plus longues. Mais rappelons qu’il s’agit de puissances minimales compte tenu du vent de face qui soufflait sur la montée.
Sur le haut du Galibier, à partir de 2346 mètres après un virage à gauche, la mesure est plus exacte car le vent souffle de côté. Sur cette portion de 4,4 km, Cadel Evans, qui a semblé être le coureur le plus à l’aise en altitude, a fait une grande performance en tirant des favoris, comme le lendemain sur l’autre versant du Galibier. Il a fini le Galibier sud en moins de 12 minutes, à 423 watts en puissance étalon corrigée de l’altitude – 2500m de moyenne – (387 watts sans tenir compte de l’altitude).
Sur une pente de 12 km à 7,09%, Contador attaque en bas du col et dynamite le peloton après sa défaillance de la veille, en haut du Galibier. Seul Andy Schleck peut le suivre jusqu’en haut du Télégraphe. Ensemble, ils vont établir un nouveau record en 30min26s. Ils développent 444 watts en puissance étalon. Cela constitue la plus grande performance de ce Tour en chiffres bruts. Les deux hommes ont ici approché leurs records sur le Tour de France pour une demie-heure d’ascension, mais notons qu’il s’agit du début d’une étape courte (109 km).
Le précédent record du Télégraphe avait été établi par Evans, Christophe Moreau et Leonardo Piepoli sur le Critérium du Dauphiné en 2007, en 31min13s. Thomas Voeckler fait mieux aussi en 31 minutes tout rond. Avec 433 watts en puissance étalon, il retrouve son meilleur niveau atteint lors du dernier Critérium du Dauphiné, dans le Collet d’Allevard.
Vient ensuite le Galibier, sur le versant nord. Depuis Plan Lachat (6,8lm à 8,37%), Evans est enregistré à 388 watts (417 watts corrigés) durant 21min32s, lorsqu’il tente de revenir sur le groupe Contador/Schleck. Evans développe 14 watts de moins qu’en 2007 sur le même col.
Contador et Schleck faiblissent après leur très rapide montée du Télégraphe. En 22min48s, ils réalisent 364 watts (391 watts corrigés) en puissance étalon. Pour l”Espagnol, c’est près de 50 watts de moins que sa montée de 2007, qui était réalisée en fin d’étape et dans laquelle il avait attaqué.
Sur l’enchaînement Télégraphe-Galibier, jusqu’au tunnel du Galibier, Andy Schleck et Contador ont grimpé en 1h22min08s. Il s’agit d’une performance légèrement supérieure à celle du Colombien Juan Mauricio Soler, en 2007, réalisée presque intégralement en solitaire.
Sur le seul Galibier, depuis Valloire (16,7 km), les deux hommes ont grimpé un peu moins vite que Marco Pantani en 1998 et Soler en 2007.
Après ce début d’étape très rapide, les meilleurs ont logiquement faibli en fin d’étape, sur l’Alpe d’Huez, où Pierre Rolland s’est imposé. Le meilleur temps a été réalisé par Samuel Sanchez en 41min27s. C’est quatre minutes et demie de plus que le record établi par Pantani en 1995 (36min50s), et près de deux minutes de plus que Gianni Bugno, Miguel Indurain et Luc Leblanc en 1991. Le groupe Schleck/Evans a escaladé l’Alpe d’Huez dans un temps similaire à celui du Suisse Beat Breu en…1982.
L’ascension a pourtant été menée tambour battant dès le pied, avec une attaque de Contador. Après le Télégraphe à 443 watts, Contador a développé 424 watts en puissance étalon durant 23 minutes, jusqu’au lacet baptisé « virage des Hollandais ». L’Espagnol a fléchi sur la fin.
Seul Sanchez et Contador ont dépassé les 400 watts sur l’Alpe d’Huez (respectivement 405 et 403 watts). Le vainqueur, Pierre Rolland, a réalisé 398 watts.
Pour des longs cols en fin d’étape, j’ai enregistré pour Evans les performances suivantes:
2005: moyenne 390 watts, maximum à Courchevel avec 407 watts
2006: moyenne 405 watts, maximum à l’Alpe d’Huez 420 watts
2007: moyenne 410 watts, maximum au col de Peyresourde avec 421 watts
2008: moyenne 407 watts, maximum au col d’Aspin 414 watts
2009: une seule performance à Verbier avec 452 watts (sur 22 minutes seulement)
2010: une seule performance à Avoriaz avec 415 watts
2011: moyenne 407 watts, maximum au Galibier 421 watts
Evans n’a jamais dépassé les 6 watts/kg pour des longues ascensions en fin d’étape. Au niveau des performances et de son parcours, il apparaît comme un vainqueur un peu plus crédible que ses prédécesseurs. (Contador, Sastre, Armstrong, Pantani, Ullrich, Riis et Indurain)
Cependant, la puissance moyenne sur les derniers cols des étapes est moins représentative du niveau cette année. En effet, dans les Alpes, la course a été très intense en début d’étape avec les attaques de Schleck à l’Izoard et de Contador au Télégraphe. Les coureurs ont dépensé de l’énergie avant le dernier col. Avec des débuts d’étape plus calmes, la moyenne de Cadel Evans aurait pu facilement dépasser les 410 watts sur le dernier col. Evans est donc sûrement un peu meilleur aujourd’hui qu’en 2007 ou 2008, quand il avait terminé 2ème du Tour.
(1) Comment faire pour développer 400 watts ?
Alignez des sacs de ciment de 40 kg au pied d’un mur de 1 m de haut.
Le but du jeu est de soulever un sac par seconde et de le poser sur le mur.
Si vous arrivez à enchaîner 10 sacs, vous aurez développé 400 watts pendant 10 secondes.
Petite explication:
Pour soulever le sac, vous devez exercer une force de 40X10 (9,81 exactement)=400 Newtons
La puissance est le produit de la force par la vitesse. La puissance sera égale à 400X1 (1m/s)= 400 watts.
Comparaison avec un cheval…
La puissance moyenne des chevaux de trait a été évaluée à 736 watts par James Watts. Ses chevaux étaient capables de soulever des charges de 75 kg à une vitesse de 1m/s. Mais je pense qu’ils étaient capables de le faire pendant plusieurs heures.
Je connais pas la puissance d’un cheval de course, mais elle doit être bien supérieure à celle des chevaux de trait mais pour une durée d’effort plus courte.
… et un scooter
Un scooter par exemple peut développer 3 ch soit environ 2200 watts.
La différence entre une machine et l’homme, c’est que l’être humain se fatigue beaucoup plus vite!
(2) : Validation de la méthode avec la puissance réelle de Jérémy Roy sur cette étape, grâce à son capteur de puissance SRM:
Télégraphe : 408 watts réels, 413 watts estimés
Haut du Galibier: 340 watts réels, 335 watts estimés
Alpe d’Huez: 350 watts réels, 349 estimés
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