Do you speak le Tour?

Entre Dinan et Lisieux, le 7 juillet 2011. REUTERS/Stefano Rellandini Le pays du jour, c’est la Norvège. Thor Hushovd porte bien le jaune et finit troisième de l’étape –même si c’est plus qu’agréable de voir le maillot de champion du monde dans le peloton –et Edvald Boasson Hagen, un prodige rapide et précoce, remporte sa première étape dans le Tour –sûrement pas la dernière, puisque dans son équipe Sky, on l’appelle Eddie.

Mais la langue de la semaine, c’est l’anglais. Certes, Philippe Gilbert a remporté la première étape. Un Belge d’une équipe belge, ça sent bon le vélo à l’ancienne et ça ne peut pas leur faire de mal en ce moment.

Mais depuis? Garmin-Cervélo remporte le contre-la-montre par équipes, Tyler Farrer (Garmin) gagne au sprint à Redon, Cadel Evans (BMC) à Mûr-de-Bretagne, Mark Cavendish (HTC-Highroad) lève les bras au Cap Fréhel et Boasson Hagen, de l’équipe anglaise Sky, se montre le plus fort à Lisieux – devant deux coureurs d’équipes américaines.

Parmi les équipes anglophones, seule la Radioshack broie du noir: après l’abandon de Janez Brajkovic mercredi, c’est Levi Leipheimer, son deuxième leader, qui a perdu une minute sur chute jeudi. Mais l’avantage d’avoir quatre leaders, c’est qu’il en reste deux indemnes dans l’ancienne équipe de Lance Armstrong: Chris Horner et Andreas Klöden.

Au classement général, même tendance : dix des 15 premiers appartiennent à une équipe anglophone.

Le parcours de ce début de Tour, avec un contre-la-montre par équipes et des étapes pour sprinteurs et puncheurs, explique en partie cette hégémonie. On devrait voir davantage la vieille Europe dans quelques jours. Mais ces chiffres illustrent une tendance lourde, celle de l’internationalisation du cyclisme et de l’arrivée de sponsors puissants du monde anglo-saxon.

«Avant on était entre Français, Belges, Espagnols, Italiens, maintenant c’est mondial, c’est l’évolution normale et ce n’est pas une surprise», commente le Français Alain Gallopin, directeur sportif de la Radioshack.

Jonathan Vaughters, le manager de Garmin-Cervélo qui a fait d’un groupe amateur américain l’une des plus fortes équipes du monde, pense que «cela n’a rien à voir avec la langue».

«Je crois que les équipes qui marchent sont les plus professionnelles et les plus mondialisées. Il faut être innovants, essayer de travailler les détails, pousser tout le monde à travailler pour le collectif.»

Puis un petit tacle à la vieille école. «On ne peut pas dire ‘on faisait comme ça il y a 20 ans donc il faut faire comme ça’, car le cyclisme change et il faut s’adapter à ces changements. Ils (les Européens) s’adaptent aussi, on a juste un peu d’avance.»

Chez Garmin, HTC, Radioshack et BMC, le sponsor est américain, la langue est l’anglais, les leaders sont américains, anglais ou australiens et les nationalités sont multiples. Mais la direction sportive est souvent européenne. Les deux directeurs sportifs de Garmin sont le Français Lionel Marie et l’Espagnol Bingen Fernandez. Le manager sportif de BMC-Racing est le Belge John Lelangue, son homologue chez HTC-Highroad est l’Allemand Rolf Aldag. Chez Radioshack, le Belge Johan Bruyneel est le grand manitou, ses seconds sont Gallopin et le Belge Dirk Demol.

L’équipe Sky, dont l’objectif est qu’un Britannique remporte enfin le Tour, est un cas à part. L’Espagnol Juan Antonio Flecha, formé au pays, a évolué en Italie (Fassa Bortolo) et aux Pays-Bas (Rabobank) avant d’arriver chez Sky. Il affirme que la formation britannique est différente de celles qu’il a connues: «Je ne crois pas que ce soit une question de nationalité. C’est plutôt la philosophie de chaque équipe. Tout le monde a sa façon de comprendre le cyclisme, il y a différentes cultures mais ce n’est pas une question de passeport. Je ne sais pas comment mesurer la valeur d’une équipe, sûrement pas au nombre de victoires, moi je peux juste vous dire que je suis plus heureux ici, que je n’ai jamais été aussi bien dans une équipe.»

Quand l’équipe anglaise est arrivée dans le peloton, l’an passé, ça jasait. Sky roulait des mécaniques et se déplaçait en Jaguar. Le bus grand confort avec les Who à plein tube, ce n’est pas vraiment dans l’esprit de «la course de clochers», comme on appelle les courses de villages en France. Et quand les British ont expliqué à la presse avoir les meilleures méthodes dans tous les domaines, ça n’a pas plu à leurs adversaires. Il n’y avait pas grand monde pour pleurer quand ils se sont plantés sur le Tour l’an dernier.

Dave Brailsford, son manager, admet devant un confrère de L’Equipe y être allé un peu fort. «On aurait dû arriver en faisant beaucoup moins de bruit. Je ne suis pas fier de ça », lui dit-il. «Cette année on est beaucoup plus accepté dans le peloton. On peut pas revenir en arrière mais il faut respecter tout le monde, je pense que de temps en temps on a fait des choses… (silence) J’espère que dans l’avenir tout le monde va voir qu’on est des gens corrects.»

Devant la presse anglaise, le discours change légèrement: «Je suis ambitieux, je l’ai toujours été, j’ai été critiqué pour ça. J’ai dit que nous venions pour des étapes et le général, et c’est ce que je pense, sinon je ne l’aurais pas dit. Les gens pensent parfois que je parle trop mais on a confiance en nos coureurs et en ce qu’on fait et le temps montrera qu’on a raison. On a des entraîneurs formidables, des directeurs sportifs formidables, des sponsors fantastiques. Si on ne vise pas très haut on n’obtient rien.»

Vendredi après-midi, à Châteauroux, on pourrait bien parler anglais à nouveau. C’est là que Mark Cavendish a remporté sa première victoire dans le Tour de France, en 2008. Et vu que le Manx Express est lancé depuis Cap Fréhel, on cherche plutôt le nom du deuxième sur la ligne.

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