Reprendre du plaisir

Thomas Voeckler à l'arrivée de la 18e étape. REUTERS/Stefano Rellandini

Je me suis longtemps creusé la tête pour savoir ce que je retiendrai de ce Tour 2011. Après 24 heures de réflexion, je crois que j’ai trouvé: ce Tour m’a plu, et cela suffit à le différencier des précédents. A vrai dire, depuis que j’ai appris comme tout le monde ce qui se passait dans le peloton, je regardais le Tour d’un oeil amusé. Enthousiaste pour les barouds victorieux, désabusé par les démonstrations de puissance en montagne.

Je n’ai jamais accroché aux années Armstrong. Pas de suspense, pas crédible. Vinrent les duettistes Landis et Pereiro en 2006, un grand cru pour moi, et peu importe que l’Américain ait été gaulé à la testostérone après le Tour: l’Espagnol qui se glisse dans l’échappée de Montélimar et refait sa demie-heure de retard, la défaillance de l’Américain dans la Toussuire et son épopée du lendemain vers Morzine… Seules les escapades surhumaines de Michael Rasmussen gâchaient un peu le plaisir.
Le Tour 2007 fut pollué par le dopage et les affaires de dopage – l’un peut aller sans l’autre -. Je garderai longtemps l’image de Contador et Rasmussen arrivant frais comme des gardons au sommet du Plateau de Beille. J’étais là-haut et beaucoup de suiveurs avaient la chair de poule. Ni l’un, ni l’autre n’auraient dû être au départ. Le Tour 2008 était celui des étoiles filantes laissant des traînées de Cera, les Ricco, Kohl ou Schumacher. J’ai suivi le Tour 2009 de loin. En 2010, ni Contador ni Andy Schleck n’ont vraiment emballé la course et les Français ont régalé en baroudeurs, faisant oublier leur faiblesse en montagne.

Général ouvert, sprints fermés

Cette année, le retard pris par Contador, les chutes de plusieurs favoris -pas les plus recommandables – et la prise de pouvoir de Voeckler à Saint-Flour ont posé les fondations d’un Tour ouvert. Ouvert pour la victoire, ouvert aussi à des coureurs inattendus, ce qui est toujours rafraîchissant quoi que l’on pense d’eux (Voeckler, Rolland, Cunego, Péraud, Danielson, Uran et Jeannesson dans les Pyrénées).

Moi qui ne regardait que d’un oeil la lutte pour le classement général depuis plusieurs années, elle m’a cette fois passionnée. A contrario, j’ai peu vibré pour les étapes dites “plates”. Cavendish a gagné cinq des sept sprints massifs. Ceci dit, on ne peut pas enlever au Britannique d’être le coureur le plus barré du peloton et d’en être le plus digne représentant sur Twitter. Quand on a un artiste du 54*11 (ou 53 ?) comme lui, on ne laisse aucun espoir aux échappés et c’est ce qui s’est passé: les baroudeurs se sont tous cassés les dents sur l’équipe HTC. Pas de sentiments sur le Tour de France.

Il a fallu attendre la montagne pour voir des échappés se jouer la victoire: Rui Costa et Luis Leon Sanchez dans le Massif Central, Thor Hushovd dans les Pyrénées, Hushovd encore et son compatriote Edvald Boasson Hagen dans les Alpes. Heureusement, le parcours de la première semaine a offert tous les types de terrain et donc une grande diversité de vainqueurs: une équipe (Garmin-Cervélo), des sprinteurs (Farrar et Cavendish), des puncheurs (Gilbert et Boasson Hagen) et un leader (Evans).

Comme toujours, on s’est parfois bien ennuyé jusqu’aux Pyrénées – cette étape entre Blaye-les-Mines et Lavaur, avec arrivée sous l’averse… – mais on a parfois eu droit à cinq dernières minutes de tension, à Mûr-de-Bretagne (Evans), Cap-Fréhel (Cavendish) ou Superbesse (Rui Costa).

Deux étapes se détachent dans cette première moitié de Tour, celles du Mont des Alouettes et de Saint-Flour. La première a lancé la course idéalement, en compliquant la tâche d’Alberto Contador – retardé par une chute – et en faisant connaître au public profane le meilleur coureur du moment, Philippe Gilbert. La seconde a offert deux images fortes de ce Tour, l’abandon et la retraite de Vinokourov remontant d’un fossé claudiquant et soutenu par deux équipiers, et des échappés projetés dans un champ par une voiture.

Voecklermania, bis

Saint-Flour a vu Thomas Voeckler se parer de jaune à nouveau, sept ans plus tard. Aussi énervants puissent être Voeckler et la mousse faite autour de sa bonne bouille, aussi étonnantes soient ses performances en haute montagne, c’est un coureur malin qui fait -jusqu’à preuve du contraire – du bien au cyclisme français. L’effet Voeckler a fait grimper les audiences de France Télévisions et fera bondir le nombre de licenciés. Pour certains observateurs qui vénéraient son art de l’attaque, il a peut-être perdu sa crédibilité. Probablement qu’il s’en fout, comme du regard du peloton, où il s’était déjà fait de solides inimitiés avant ses exploits juillettistes.

Sous le contrôle de l’équipe Europcar, le Tour a connu un gros temps mort entre les deux journées de repos, en deuxième semaine. On s’est endormi jusqu’au deuxième jour de repos. Dans les Pyrénées, il fallait être chauvin comme Thierry Adam un 14 juillet pour se régaler. Les deux Schleck obnubilés par Contador, Evans par la roue de devant, les autres n’ayant pour seul objectif de rester dans la course. De course il n’y a pas eu. Mais, déjà, tout le monde semblait à la rupture.

Sur la route de Gap, Alberto Contador a sorti le Tour d’une semaine de léthargie en attaquant contre toute attente. On a compris qu’on vivrait une troisième semaine exceptionnelle et on l’a eu. Le Tour 2012 est en grande partie déjà tracé mais si les organisateurs peuvent y glisser quelques arrivées en descente – comme à Gap et Pinerolo – et des étapes de montagne très courtes – comme à l’Alpe d’Huez -, le spectacle leur en sera reconnaissant.

Des Alpes à l’ancienne

Le Tour 2011 a culminé avec trois étapes formidables. On a vu les favoris proposer des barouds à l’ancienne et en payer le prix, Contador s’est comporté comme le champion qu’il est, un Français a gagné à l’Alpe d’Huez (!) et le maillot jaune a changé dans le dernier contre-la-montre, pour la première fois depuis 1990 (si l’on oublie Landis en 2006).

Si je me suis régalé devant ces étapes, c’est parce que je commence à croire un peu à ce qu’on me raconte. Je ne crois pas une seconde que le dopage sanguin ait disparu – et je ne parle même pas des corticoïdes ou hormones de croissance – mais j’ai vu des choses un peu plus logiques et des courses beaucoup moins mécaniques. La tactique a eu un rôle majeur dans ces trois semaines (d’où la défaite des Schleck) et les leaders ont dû prendre eux-mêmes leurs responsabilités (Evans notamment) sans s’appuyer sur des équipes surpuissantes.

Aucune équipe n’a pu lessiver le peloton en montagne comme jadis la Festina, l’US Postal ou la CSC et toutes les équipes étaient représentées dans le gruppetto. Certains gros gabarits se sont parfois improvisés grimpeurs, comme Jens Voigt ou Thor Hushovd. Mais Hincapie et Cancellara sont retournés à leur place en montagne et quand le peloton était réduit à 30 coureurs, il n’y avait plus de surprise. Dans les 20 premiers du classement final, Voeckler et Vanendert sont les seuls à détonner. Les autres ont déjà figuré à ce niveau ou étaient annoncés comme de bons grimpeurs depuis leurs débuts professionnels (Danielson, Taaramae, Velits, les Français). Les leaders se sont livrés une lutte féroce durant deux jours dans les Alpes et, selon les calculs de Frédéric Portoleau exposés sur le blog, les performances extraordinaires ont été très rares.

On se gardera bien de parler de Tour du renouveau. La dernière fois que la presse l’a fait, c’était en 1999 et en 2006. On sait ce qu’il est advenu de leurs deux vainqueurs, Lance Armstrong et Floyd Landis. Il n’y a pas de renouveau, peut-être une baisse ou une modification des pratiques dopantes. Le passeport biologique mis en place par l’UCI ne débusque pas beaucoup de tricheurs mais il les met sous surveillance et les contraint. Pour échapper aux contrôles, on est passé à l’EPO en microdoses, ce qui réduit son efficacité.

On dit aussi que les corticoïdes, dont l’usage a été libéralisé par le code mondial antidopage en 2009, ont fait leur retour en force. C’est aussi du dopage légal, dangereux pour les tendons mais qu’importe. Tous les sports les adorent. Ailleurs que dans le vélo, on appelle ça “jouer sous infiltration”.

On ne saura jamais précisément ce qui s’est passé dans le peloton dans les semaines précédant le Tour de France. Le résultat est là: en montagne, la course a changé, et pour la première fois depuis1998, je me dis qu’un coureur propre a pu finir dans les dix premiers du Tour sans bénéficier de circonstances de course.

6 commentaires pour “Reprendre du plaisir”

  1. J’ai beaucoup aimé votre blog, merci.
    Que va-t-il devenir maintenant que le tour est fini ? 🙁

    Qui est le coureur propre terminant dans les 10 premiers ?

  2. Je suis d’accord avec cette analyse. Je demeure cependant persuadé qu’Evans aurait encore terminé 2è du Tour si Contador n’avait pas participé au Giro, mais globalement, c’est vrai que le dopage est à la baisse…au moins en quantité d’absorption.

    Comme le dit l’article, on ne voit plus d’équipes rouleaux-compresseurs, on voit beaucoup moins de “gros” dans les cols ( le Tony Martin du Ventoux 2009, indice 7 de suspicion, il est passé ou, en montagne ??), les vitesses d’escalade ont globalement baissé…et depuis l’introduction du passeport biologique, j’ai l’impression qu’on revoit davantage de grimpeurs “naturels”.

    Déjà, sur le Giro, c’était flagrant: Anton, Rujano, Rodriguez, Dupont, Nieve. Bientôt, on devrait revoir les colombiens, notamment Quintana.

    Si le dopage diminue ( au moins les dosages ), vous allez voir qu’on reverra les purs grimpeurs faire des étincelles en montagne et souffrir dans les chronos, et inversement, les rouleurs domineront nettement les chronos et seront à la rue en montagne ( TMartin, Cancellara ).

    Si chaque style de coureur reste à peu prés à sa place et brille dans son domaine de compétence, le cyclisme ne s’en portera que mieux.

  3. Tout à fait d’accord aussi. Ça fait bien longtemps que le tour ne s’était pas terminé sans un arrière goût de déception, que ce soit au niveau du spectacle ou à celui de la robotisation galopante du peloton. En vous lisant je me rends même compte que la semaine alpestre a effacé de ma mémoire l’ennui des pyrénées. On a peut être eu de la chance avec les meilleurs qui ont été de niveaux très proches mais les bonnes innovations des organisateurs sont aussi certainement pour quelque chose dans cette réussite. Et au niveau du suspense, il faut vraiment retenir l’unique CLM individuel en fin de Tour: tous les favoris sont obligés de prendre un maximum de temps avant cette inconnue et aucun d’entre eux n’a pu assomer les autres d’entrée de jeu. Et sans ça la dernière semaine ne nous aurait pas tant tenu en haleine.

    Concernant Contador et l’enquête en cours, une dose infime de Clembuterol semble bien peu devant le reste de la “préparation” que doivent recevoir les têtes d’affiche, lui compris, et je trouve un peu injuste qu’il soit le seul sanctionné. Mais finalement on a l’impression à l’issue de ce Tour que même sans éradiquer le dopage l’avancée de la lutte permet au moins de lui imposer des limites. C’est bon pour le public et aussi surtout pour les coureurs qui essaient de faire leur carrière le plus sainement possible. Alors tant pis si des têtes tombent un peu au hasard, c’est un mal pour un bien.

    Et sinon, vous n’avez plus qu’à renommer ce blog pour le poursuivre, c’est une belle réussite aussi ! J’ai pris un grand plaisir à vous lire entre deux étapes.

  4. Antoine Vayer parle dans Le Monde, a propos de JC Perraud, du “coureur étalon, zéro dopage” (il a été son entraineur jusqu’en 2044).

    Tu penses à lui ?

  5. @ Jean-Daniel @ Seb : Je ne pense à personne en particulier (Péraud a effectivement été entraîné par Vayer donc on aurait tendance à lui faire confiance mais lui seul sait ce qu’il fait), les performances donnent juste le sentiment que c’était possible !

    Le Tour de France étant terminé, ce blog est terminé, je vais reprendre mon travail ailleurs 😉 Je suis content que ça vous ait plu, c’était une expérience nouvelle pour moi et c’était pas désagréable. Merci pour tous vos commentaires qui sont allés crescendo en quantité et en qualité.

  6. De mon côté, en cherchant ce coureur du top 10 qui aurait disputé le Tour à l’eau claire, je ne voyais que 2 possibilités: Péraud et Rolland…Je viens à peine de me rendre compte que Rolland avait terminé 11è !!

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