Le cauchemar de Bruyneel

Le Tour de France a décidé qu’il en avait assez de Johan Bruyneel. Son équipe Radioshack est décimée et jeudi, première étape des Pyrénées, le coup de grâce: un contrôle d’alcoolémie en pleine course. Sûrement la gendarmerie s’est-elle dite que Bruyneel avait de bonnes raisons de boire en ce mois de juillet pourri.

Bruyneel: un Belge qui courait dans les années 1990 chez la Once de Manolo Saiz, Espagnol magicien pour les uns, alchimiste pour les autres. Un jour, Bruyneel a rencontré Lance Armstrong et ils ont décidé de faire leur vie ensemble. Avec l’US Postal puis la Discovery Channel, ils ont gagné sept Tours de France.

Quand Lance a pris sa retraite une première fois, en 2005, Bruyneel a sorti un joker de sa manche. Alberto Contador lui a fait gagner deux Tours de plus. C’est l’an dernier que la machine s’est grippée, lorsque le Texan et le Flamand ont voulu refaire un casse tous les deux, sous la bannière Radioshack, avec leurs vieux complices Klöden, Popovych et Leipheimer. Sur le Tour 2010, Armstrong, dans les tourments d’une enquête américaine le visant après des accusations de dopage, ne tenait plus sur son vélo. Râpé de partout, il a laissé filer son rêve dès la première étape de montagne. Le Portugais Sergio Paulinho a bien gagné une étape mais pour Bruyneel, c’était presque accessoire.

Cette année, c’est pire. Bruyneel disait tenir un carré prometteur: le Slovène Janez Brajkovic, un aspirant champion de 27 ans, et trois vétérans de presque 40 ans, Horner, Klöden et Leipheimer. Quatre leaders, donc. Trois de trop, se disait-on. En réalité, il en aurait fallu huit ou dix car tous sont tombés en une semaine. A l’arrivée à Lourdes, vendredi soir, Leipheimer était le dernier encore debout, 17e du classement général. Cinq coureurs de la Radioshack –sur neuf – restaient en course.

« UN TRUC QUI NOUS TOMBE DU CIEL »

Quand l’équipe de Bruyneel était soudée autour d’Armstrong ou Contador, elle n’avait jamais un souci, pas une chute. Alors on s’interroge: de la malchance, seulement, où une équipe mal conçue?

Bruyneel garde un sourire figé et refuse de faire dans l’autocritique :

«On ne pouvait pas s’y attendre. Ca ne nous est jamais arrivé à ce point-là. Il est sûr que quand on a un leader unique, on roule plus en système, avec une équipe autour d’un leader et là c’est un peu plus difficile. Mais bon, là ça fait beaucoup. Quand on en a quatre et qu’on en perd deux, il en reste deux. Mais perdre les quatre, c’est beaucoup quand même. Je pense qu’on ne peut pas miser tout sur un coureur quand on en a trois autres qui ont des possibilités. »

Alain Gallopin, le directeur sportif français, blâme aussi la malchance :

«Au début, on a joué un peu en venant avec plus de grimpeurs que de rouleurs. Mais la malchance de Klöden, c’est inexplicable. C’est un truc qui nous tombe du ciel, on sait pas pourquoi. Il a toujours couru devant, il a toujours été protégé. C’est comme ça.»

Bruyneel traînant sa misère sur le Tour, ça ne tire pas de larmes à grand monde. Pendant dix ans, il a tenu le peloton. Rien ne se faisait sans l’accord de son équipe. Qu’est-ce que cela fait de ne plus pouvoir peser sur la course, de ne plus être au centre de l’attention médiatique?

«Non mais ça c’est bien ! Après tant d’années de stress et de chaos autour de l’autobus, c’est bienvenu d’être un peu tranquille. Depuis que Lance est parti, on est à nouveau une équipe normale.»

Armstrong revient lundi soir en France, pour des actions de promotion. Il va grimper le mont Ventoux, un bon souvenir, et s’il met un pied sur la course, ce sera uniquement pour consoler Bruyneel. Parce que tout sourire qu’il est, le Belge ne respire pas le bonheur.

«Sauvons ce que nous pouvons sauver. Il ne reste plus que la possibilité d’une éventuelle victoire d’étape, tout le reste c’est fini. A partir d’aujourd’hui on va penser à ça, espérons qu’on ait moins de malchance.»

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Chute à l’arrière

 

Yaroslav Popovych, de Radioshack, le 6 juillet 2011. REUTERS/Denis Balibouse

Bim, bam, boum, crac, ouille. Un carnage, cette cinquième étape du Tour de France entre Carhaix-Plouguer et le Cap Fréhel. Les victimes du jour n’étaient pas les premiers venus. Janez Brajkovic, le Slovène de RadioShack, vainqueur du Critérium du Dauphiné l’an passé? Traumatisme crânien, fracture de la clavicule droite, abandon. Tom Boonen, le Belge ancien champion du monde? Déchiré à l’épaule droite, perdu dans la pampa, arrivée dans les délais pour une poignée de minutes. Parmi les autres coureurs pris dans les chutes, beaucoup de leaders: Alberto Contador, Robert Gesink, Sylvain Chavanel, Bradley Wiggins notamment. Ils sont arrivés dans le peloton mais les blessures nuisent à la récupération et tout finit par se payer dans le Tour.

Pourquoi toutes ces chutes aujourd’hui? Hormis la fameuse gamelle du premier jour, celle qui a coûté plus d’une minute à Contador, ce Tour 2011 n’avait pas eu droit à sa journée de chutes à répétition. Bizarrement, aucun des coureurs (et anciens coureurs) interrogés n’a la même explication.

Jens Voigt (Leopard-Trek),14e Tour de France:

«Trop de coureurs sur une trop petite route. Voilà, c’est très simple. Les petites routes comme ça, tu peux les choisir dans la dernière semaine. En première semaine, les coureurs sont encore frais, il y a de la tension, tu essayes de protéger le sprinteur, le leader, et là, la route est trop petite. Il y a beaucoup de trucs sur les routes en France (des îlots directionnels partout, notamment) mais malheureusement c’est comme ça. »

Plus tôt, sur RMC, le professeur Cyrille Guimard (sept Tours de France remportés en tant que directeur sportif) disait une toute autre chose:

«Les chutes ont eu lieu sur des routes larges et de longues lignes droites. Les étapes comme aujourd’hui, sans grand enjeu, on parle plus dans le peloton, il y a un relâchement général. Hier, la consigne était de faire attention, il pleuvait, ça glissait donc il fallait rester concentré et il y a eu moins de chute. »

Le fait qu’il n’y ait pas eu de chute dans le sprint, malgré un parcours tortueux, tend à accréditer la thèse de Guimard.

Mais Jérémy Galland (Saur-Sojasun), qui dispute son premier Tour de France, n’a pas vu les choses comme ça au sein du peloton:

«C’était très nerveux, une route très sinueuse. Il y a eu du vent dès le départ, tout le monde voulait rester placé et voilà. Il y avait toujours autant de concentration dans le peloton mais tout le monde a peur du vent. Les équipes ne veulent pas se faire piéger comme le premier jour. Beaucoup de leaders ont perdu du temps donc tout le monde est vigilant, tout le monde veut frotter et ça provoque des chutes. »

Frotter ? Placer son leader ? Pierre-Henri Menthéour, ancien équipier de Laurent Fignon et vainqueur d’étape sur le Tour 1984, explique:

«Dès qu’il y a du vent, c’est une lutte de tous les instants pour protéger son leader. Il y a 22 équipes, donc 22 fois quatre coureurs qui jouent des coudes pour remonter dans le peloton. Un équipier qui veut remonter avec son coureur, il joue des coudes, il lâche le guidon pour pousser un type et ouvrir la voie. »

Je vous rappelle que tout cela se fait entre 45 et 65 km/h.

Pourquoi remonter ? Dans la deuxième moitié du peloton, un leader peut être piégé si le peloton se scinde en plusieurs parties et perdre du temps. Il a aussi plus de chances d’être retardé par une chute, comme le sait Contador. Le travail des équipiers est d’aller le chercher, parfois par la peau du cul car le leader n’aime pas toujours frotter, et de le replacer devant. C’est d’autant plus vrai par jour de grand vent, comme aujourd’hui sur la côte bretonne.

La parole à Menthéour, régional de l’étape:

«Le vent a une grosse importance car tout le monde veut s’abriter. Quand on est dans les 30 premiers, c’est très organisé, le leader est protégé par ses équipiers. Derrière, il n’y a plus de bordure, on est dans la caillasse.»

«Dès que t’es obligé de freiner, tu perds 30 places que t’avais gagnées en frottant grave», poursuit Pierrot:

«Au moindre trou que tu vois, tu sprintes pour t’y engouffrer. Au bout d’un moment, tu ne freines plus parce que tu veux pas reculer. Et quand plus personne ne veut freiner et aller au même endroit, ça tombe ou ça fait un écart. Et le moindre écart pour ne pas tomber, mettons de 30 cm, est multiplié par deux pour le mec derrière toi. Le cinquième, il va faire un mètre cinquante de côté et tomber.»

Evidemment, il y a des coureurs qui ne connaissent pas ces ennuis. Philippe Gilbert, deuxième sur la ligne, à nouveau maillot vert, parle comme le numéro un mondial qu’il est : «Vous savez, les chutes, ça se passe à l’arrière donc ça me concerne pas trop.»

Brajkovic et Contador? «Ils n’étaient pas bien placés au moment où (l’équipe) Garmin a accéléré et voilà, on connaît le résultat.» Prenez ça les grimpeurs.

PS : Au fait, Cavendish a gagné et a dédié la victoire à son chien, piqué il y a deux jours.

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Il s’est passé quelque chose

Comment ça on s’ennuie la première semaine sur le Tour ? Première étape et paf, plus d’une minute de retard pour Alberto Contador. Le triple vainqueur du Tour, qui n’avait déjà pas envie de venir, s’est fait siffler par le public jeudi et a été pris dans une chute massive lors de cette première étape près de l’arrivée. Il commencera demain une course à handicap sur Andy Schleck. Contador doit se demander dans quelle galère l’a mis son manager, Bjarne Riis. Quant à ce dernier, pointilleux comme il est, il doit enrager de voir son leader pris dans une cassure dans les dix derniers kilomètres.

L’avantage pour l’Espagnol, c’est qu’il ne prendra pas de sitôt le maillot jaune. Il s’évitera ainsi les conférences de presse obligatoires et les affrontements stériles avec une partie des journalistes

Pour la victoire d’étape, Philippe Gilbert a fait, comme on s’y attendait, une démonstration. Le peloton étant une machine à soupçons, il ne doit pas être facile pour lui d’être tellement au-dessus du lot. On est aussi un peu perplexe de voir un coureur si dominateur se teindre les cheveux couleur argent, comme, jadis, Dario Frigo et Richard Virenque, deux symboles du dopage sur le Tour de France. Son conseiller en communication n’a pas dû être consulté.

 

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