Dans les Alpes, Schleck et Contador ont touché leurs limites

Alberto Contador et Andy Schleck. REUTERS/Denis Balibouse

Avec Frédéric Portoleau

La traversée des Pyrénées avait été marquée par des performances en baisse par rapport aux dernières années. On attendait une confirmation dans les Alpes, tant la course avait semblé tactique à Luz-Ardiden et au Plateau de Beille. Ce fut tout l’inverse dans les étapes du Galibier et de l’Alpe d’Huez, menées tambour battant, et où les favoris ne pouvaient pas, de toute évidence, aller plus vite.

Les calculs de l’ingénieur Frédéric Portoleau, dont il a déjà expliqué la méthode sur ce blog, montrent des performances légèrement supérieures dans l’ensemble. Frédéric Portoleau juge que la régularité d’Evans et ses performances passées en font le vainqueur du Tour le plus crédible depuis le début de l’ère Indurain, si l’on excepte Oscar Pereiro en 2006.

Les deux étapes des Alpes sont parties très vite avec les attaques d’Andy Schleck dans l’Izoard jeudi puis d’Alberto Contador dans le Télégraphe vendredi. Dans ces deux cols, des performances très élevées ont été réalisées, comparables avec celles des dernières années. Mais tout le peloton l’a payé par la suite, dans le Galibier jeudi et dans l’Alpe d’Huez vendredi.

La performance la plus notable est celle de Contador et Andy Schleck qui ont développé 443 watts en puissance étalon lors de leur montée du Télégraphe, au début de la courte étape de l’Alpe d’Huez. Derrière eux, dans ce col, Thomas Voeckler a dépassé son record historique et l’a payé dans la suite de l’étape.

Note: toutes les puissances évoquées ci-dessus sont des puissances théoriques, calculées pour un poids du coureur + équipement de 78 kilos. Il ne s’agit pas de la puissance réelle développée par les coureurs. Celle-ci dépend entre autre de la masse à élever pour vaincre la pente, or le poids des coureurs n’est pas toujours connu avec précision le jour de la mesure. Ils peuvent se déshydrater en cours d’étape et perdre quelques kilogrammes. Le nombre de bidons portés est variable. Cette valeur étalon est utilisée pour faire nos comparaisons. (1)

  • L’échappée d’Andy Schleck

Le col d’Agnel a été gravi à une vitesse modérée. Peu après Brunissard dans la montée de l’Izoard, Andy Schleck se dresse sur les pédales et démarre. Il grimpe le col d’Izoard (14,7km) depuis le bas du col en 40min40s. Depuis l’église d’Arvieux, à 1543m, il a pédalé 31min02s et, depuis La Chalp, 25min20s.

Depuis Arvieux, Andy Schleck a été plus rapide que Lance Armstrong qui avait gravi l’Izoard en 32min17s depuis Arvieux en 2000. Mieux aussi que Di Luca au Giro 2007, en 32 minutes. Depuis La Chalp, il a aussi été plus rapide que Miguel Indurain (25min30s) lorsqu’il avait remporté l’étape de Briançon du Dauphiné en 1996.

Le Luxembourgeois développe 400 watts de moyenne en puissance étalon sur la dernière portion du col (6,95km à 7,2 % effectué en 19min10s). Au sommet du col, les autres favoris ont 2min15s de retard. Ils ont développé 50 watts de moins.
La performance est d’un haut calibre car, comme tout le monde, les athlètes de haut niveau souffrent d’hypoxie au dessus de 1600m en moyenne. Au dessus de 1600m, on perd 3% de consommation maximale d’oxygène tout les 300 mètres (cf ce livre de Véronique Billat, chercheuse spécialisée dans la physiologie de l’effort). Tous les coureurs ne réagissent pas de la même manière à l’altitude.
Avec toutes les précautions requises, on peut dire que l’équivalent de cette puissance pour un col en-dessous de 1600m serait de 420 watts sur moins de 20 minutes (on ajoute 5% à la puissance réelle, l’altitude moyenne de la fin de l’Izoard étant de 2100m).

Vient ensuite le col du Galibier, où Schleck va payer ses efforts. En raison du vent fort souvent défavorable, je ne peux que calculer une limite inférieure de puissance sur l’ensemble du col. La puissance étalon minimum d’Andy Schleck sur les 8,7 km a été de 360 watts durant 25min03s. Il faut ensuite tenir compte de l’altitude (2300m de moyenne depuis le Lautaret): pour l’équivalent d’un col en-dessous de 1600m, Andy Schleck aurait développé 387 watts. On constate donc qu’Andy Schleck a payé le prix de ses efforts de l’Izoard, de la vallée puis du Lautaret, et perdu une trentaine de watts dans le Galibier.

Derrière lui, les autres favoris du Tour, qui avaient fourni moins d’efforts, ont été quatre à dépasser les 410 watts (valeurs corrigées) : Frank Schleck, Evans, Basso et Voeckler.

Frank Schleck (387 watts, 416 watts corrigés) a établi à l’occasion un nouveau record d’ascension pour le versant sud du Galibier. Un record attendu puisqu’il y avait pour la première fois une arrivée au sommet. Il s’agit pour tous ces coureurs de performances comparables à celles observés à Luz-Ardiden et au Plateau de Beille, sur des durées qui étaient un peu plus longues. Mais rappelons qu’il s’agit de puissances minimales compte tenu du vent de face qui soufflait sur la montée.

Sur le haut du Galibier, à partir de 2346 mètres après un virage à gauche, la mesure est plus exacte car le vent souffle de côté. Sur cette portion de 4,4 km, Cadel Evans, qui a semblé être le coureur le plus à l’aise en altitude, a fait une grande performance en tirant des favoris, comme le lendemain sur l’autre versant du Galibier. Il a fini le Galibier sud en moins de 12 minutes, à 423 watts en puissance étalon corrigée de l’altitude – 2500m de moyenne – (387 watts sans tenir compte de l’altitude).

  • Festival Contador dans le Télégraphe (2)

Sur une pente de 12 km à 7,09%, Contador attaque en bas du col et dynamite le peloton après sa défaillance de la veille, en haut du Galibier. Seul Andy Schleck peut le suivre jusqu’en haut du Télégraphe. Ensemble, ils vont établir un nouveau record en 30min26s. Ils développent 444 watts en puissance étalon. Cela constitue la plus grande performance de ce Tour en chiffres bruts. Les deux hommes ont ici approché leurs records sur le Tour de France pour une demie-heure d’ascension, mais notons qu’il s’agit du début d’une étape courte (109 km).

Le précédent record du Télégraphe avait été établi par Evans, Christophe Moreau et Leonardo Piepoli sur le Critérium du Dauphiné en 2007, en 31min13s. Thomas Voeckler fait mieux aussi en 31 minutes tout rond. Avec 433 watts en puissance étalon, il retrouve son meilleur niveau atteint lors du dernier Critérium du Dauphiné, dans le Collet d’Allevard.

Vient ensuite le Galibier, sur le versant nord. Depuis Plan Lachat (6,8lm à 8,37%), Evans est enregistré à 388 watts (417 watts corrigés) durant 21min32s, lorsqu’il tente de revenir sur le groupe Contador/Schleck. Evans développe 14 watts de moins qu’en 2007 sur le même col.
Contador et Schleck faiblissent après leur très rapide montée du Télégraphe. En 22min48s, ils réalisent 364 watts (391 watts corrigés) en puissance étalon. Pour l”Espagnol, c’est près de 50 watts de moins que sa montée de 2007, qui était réalisée en fin d’étape et dans laquelle il avait attaqué.

Sur l’enchaînement Télégraphe-Galibier, jusqu’au tunnel du Galibier, Andy Schleck et Contador ont grimpé en 1h22min08s. Il s’agit d’une performance légèrement supérieure à celle du Colombien Juan Mauricio Soler, en 2007, réalisée presque intégralement en solitaire.

Sur le seul Galibier, depuis Valloire (16,7 km), les deux hommes ont grimpé un peu moins vite que Marco Pantani en 1998 et Soler en 2007.

  • Un peloton fatigué à l’Alpe d’Huez

Après ce début d’étape très rapide, les meilleurs ont logiquement faibli en fin d’étape, sur l’Alpe d’Huez, où Pierre Rolland s’est imposé. Le meilleur temps a été réalisé par Samuel Sanchez en 41min27s. C’est quatre minutes et demie de plus que le record établi par Pantani en 1995 (36min50s), et près de deux minutes de plus que Gianni Bugno, Miguel Indurain et Luc Leblanc en 1991. Le groupe Schleck/Evans a escaladé l’Alpe d’Huez dans un temps similaire à celui du Suisse Beat Breu en…1982.
L’ascension a pourtant été menée tambour battant dès le pied, avec une attaque de Contador. Après le Télégraphe à 443 watts, Contador a développé 424 watts en puissance étalon durant 23 minutes, jusqu’au lacet baptisé « virage des Hollandais ». L’Espagnol a fléchi sur la fin.

Seul Sanchez et Contador ont dépassé les 400 watts sur l’Alpe d’Huez (respectivement 405 et 403 watts). Le vainqueur, Pierre Rolland, a réalisé 398 watts.

  • Cadel Evans, un coureur constant depuis 2005

Pour des longs cols en fin d’étape, j’ai enregistré pour Evans les performances suivantes:

2005: moyenne 390 watts, maximum à Courchevel avec 407 watts
2006: moyenne 405 watts, maximum à l’Alpe d’Huez 420 watts
2007: moyenne 410 watts, maximum au col de Peyresourde avec 421 watts
2008: moyenne 407 watts, maximum au col d’Aspin 414 watts
2009: une seule performance à Verbier avec 452 watts (sur 22 minutes seulement)
2010: une seule performance à Avoriaz avec 415 watts
2011: moyenne 407 watts, maximum au Galibier 421 watts

Evans n’a jamais dépassé les 6 watts/kg pour des longues ascensions en fin d’étape. Au niveau des performances et de son parcours, il apparaît comme un vainqueur un peu plus crédible que ses prédécesseurs. (Contador, Sastre, Armstrong, Pantani, Ullrich, Riis et Indurain)

Cependant, la puissance moyenne sur les derniers cols des étapes est moins représentative du niveau cette année. En effet, dans les Alpes, la course a été très intense en début d’étape avec les attaques de Schleck à l’Izoard et de Contador au Télégraphe. Les coureurs ont dépensé de l’énergie avant le dernier col. Avec des débuts d’étape plus calmes, la moyenne de Cadel Evans aurait pu facilement dépasser les 410 watts sur le dernier col. Evans est donc sûrement un peu meilleur aujourd’hui qu’en 2007 ou 2008, quand il avait terminé 2ème du Tour.

(1) Comment faire pour développer 400 watts ?

Alignez des sacs de ciment de 40 kg au pied d’un mur de 1 m de haut.
Le but du jeu est de soulever un sac par seconde et de le poser sur le mur.
Si vous arrivez à enchaîner 10 sacs, vous aurez développé 400 watts pendant 10 secondes.

Petite explication:
Pour soulever le sac, vous devez exercer une force de 40X10 (9,81 exactement)=400 Newtons
La puissance est le produit de la force par la vitesse. La puissance sera égale à 400X1 (1m/s)= 400 watts.

Comparaison avec un cheval…
La puissance moyenne des chevaux de trait a été évaluée à 736 watts par James Watts. Ses chevaux étaient capables de soulever des charges de 75 kg à une vitesse de 1m/s. Mais je pense qu’ils étaient capables de le faire pendant plusieurs heures.
Je connais pas la puissance d’un cheval de course, mais elle doit être bien supérieure à celle des chevaux de trait mais pour une durée d’effort plus courte.

… et un scooter

Un scooter par exemple peut développer 3 ch soit environ 2200 watts.

La différence entre une machine et l’homme, c’est que l’être humain se fatigue beaucoup plus vite!

(2) : Validation de la méthode avec la puissance réelle de Jérémy Roy sur cette étape, grâce à son capteur de puissance SRM:

Télégraphe : 408 watts réels, 413 watts estimés

Haut du Galibier: 340 watts réels, 335 watts estimés

Alpe d’Huez: 350 watts réels, 349 estimés

 

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Puissances en berne

Détail du vélo de Samuel Sanchez, le 17 juillet 2011. REUTERS/Stefano Rellandini avec Frédéric Portoleau

Les deux grandes étapes des Pyrénées ont fait parler. Les fesses sur le canapé ou sur une chaise de salle de presse, on fronce les sourcils. Comment Thomas Voeckler, tout maillot jaune qu’il est, peut-il donner le change à Andy Schleck à l’issue d’une grande étape de montagne? Pourquoi Contador grimace-t-il dans un col? Pourquoi le carré Schleck(s)-Evans-Contador n’arrive-t-il pas à distancer des coureurs comme Pierre Rolland, Jean-Christophe Péraud ou Jelle Vanendert? Pour résumer: beaucoup se demandent ce qui se passe cette année dans le peloton du Tour de France.

Les travaux de Frédéric Portoleau, dont il a déjà expliqué la méthode sur ce blog, donnent de premiers éléments d’explication. Ils ne suffisent pas à tirer des conclusions sur la santé du peloton. Les ascensions finales ont été moins rapides, soit. Mais on s’est beaucoup observé entre leaders, à Luz-Ardiden comme au plateau de Beille. Parce que personne ne s’en sent capable ou parce que ce n’était pas le moment?

Les Schleck, Evans, Basso et Contador ont-ils grimpé à leur seuil, c’est-à-dire à la limite acceptable par leurs jambes, ou en ont-ils gardé sous la pédale par peur d’un contre adverse? La baisse de puissance étalon des meilleurs est en tout cas éloquente, et aucun des premiers du classement général n’a approché sur ce Tour ses records de puissance. Aucun, sauf le maillot jaune Thomas Voeckler.

Note: toutes les puissances évoquées ci-dessus sont des puissances théoriques, calculées pour un poids du coureur + équipement de 78 kilos. Il ne s’agit pas de la puissance réelle développée par les coureurs. Celle-ci dépend entre autre de la masse à élever pour vaincre la pente, or le poids des coureurs n’est pas toujours connu avec précision le jour de la mesure. Ils peuvent se déshydrater en cours d’étape et perdre quelques kilogrammes. Le nombre de bidons portés est variable. Cette valeur étalon est utilisée pour faire nos comparaisons. (1)

Le Tourmalet grimpé comme en 2008

Dans le Tourmalet , la mesure est faite à partir de Gripp, après les premiers contreforts du col et dans les premiers pourcentages supérieurs à 6%. Cette partie du col fait 12,6 km à 8,75% de pente moyenne. Le Tourmalet intervenait après l’ascension de la Hourquette d’Ancizan, col de première catégorie, et avant l’ascension de Luz Ardiden.
Laurens Ten Dam (Rabobank) a été le plus rapide sur cette partie, en
40min34s soit 400 watts en puissance étalon. Le Néerlandais a gravi le Tourmalet 44 secondes moins vite que Marco Pantani en 1994, alors lancé à la poursuite de Richard Virenque.
Le col du Tourmalet a été gravi sur un rythme soutenu par les leaders (40min45s) qui sont passés au sommet quelques secondes après Ten Dam.
Le record est toujours détenu par Jan Ullrich et Lance Armstrong en 38min43s, lors du Tour 2003. Ullrich avait alors attaqué dans cette montée, lors d’une étape également conclue à Luz-Ardiden.

Plus près de nous, en 2008, le peloton avait grimpé le Tourmalet dans le temps de Ten Dam, à une seconde près. Emmenés la plupart du temps par Jens Voigt, ils étaient encore 14 dans le peloton au sommet.

Cette année, ils étaient une petite trentaine, encore emmenés par Voigt. Philippe Gilbert, qui avait annoncé qu’il voulait lors de cette première étape voir jusqu’où sa forme pouvait l’emmener en montagne, s’est découvert bon grimpeur puisqu’il a gravi le Tourmalet en 41min06s (393 watts).

Frank Schleck, plus rapide à Luz Ardiden, moins fort qu’avant

C’est lors des dernières ascensions d’une étape que les leaders donnent, en théorie, la pleine mesure de leur force.

Frank Schleck a réalisé la meilleure montée de Luz Ardiden, puisque Samuel Sanchez et Jelle Vanendert, respectivement premier et deuxième au sommet, étaient sortis dans la descente du Tourmalet.

Schleck a gravi cette montée hors-catégorie en 37min26s, soit 417 watts en puissance étalon. C’est deux minutes de plus que le record de Lance Armstrong, qui date de 2003 (35min33s). Par comparaison, Greg Lemond avait escaladé Luz Ardiden en 1990 en 39min50s, Miguel Indurain en 37min40s en 1994, à chaque fois à l’issue de longues étapes de haute montagne comme jeudi dernier.

Les autres favoris ne sont pas loin: 413 watts pour le groupe Evans, 410 pour Contador, 408 pour Voeckler et 402 pour Arnold Jeannesson, grimpeur de la FDJ qui prend le maillot blanc de meilleur jeune ce jour-là.

La quasi-intégralité de l’ascension a été très tactique. Frank Schleck a attaqué à un peu moins de trois kilomètres de l’arrivée et produit un effort intense. Il a réalisé la meilleure performance de la traversée des Pyrénées durant cette attaque avec dix minutes à 433 watts en puissance étalon.
Comparons cette performance avec ses références dans le Tour, en puissance étalon:

  • En 2006, Frank Schleck remporte l’étape Gap-Alpe d’Huez après avoir passé la journée en tête, dans une échappée, par delà l’Izoard et le Lautaret. Dans l’Alpe, il part seul avec Cunego et s’impose après 40 minutes d’effort à 415 watts.
  • En 2008, il franchit la ligne en troisième position à Hautacam derrière deux fusées de l’équipe Saunier Duval (Leonardo Piepoli, vainqueur, sera disqualifié après un contrôle positif à l’EPO-Cera). Il produit alors 432 watts durant 38 minutes environ.
  • En 2009, il remporte l’étape du Grand-Bornand après s’être envolé avec son frère, Contador et Klöden dans l’avant-dernière ascension, le col de Romme. Dans Romme puis le col de la Colombière, il développe respectivement 440 watts sur 27 minutes puis 430 watts sur 23 minutes.

Ces trois performances clés de Frank Schleck sont supérieures à celles qu’il a accomplies dans Luz-Ardiden. Nul ne sait s’il aurait pas pu poursuivre son effort plus longtemps mais il a semblé coincer au moment de rejoindre Sanchez et Vanendert dans le dernier kilomètre. Notons également que Frank Schleck a réalisé sur le Critérium international, fin mars, une montée impressionnante avec 445 watts pendant 33min30s.

Vanendert à trois minutes de Pantani

Samedi, les favoris étaient attendus pour une première grande explication au plateau de Beille, dont le vainqueur a toujours fini en jaune à Paris. Cet affrontement entre leaders n’a pas eu lieu et la montée a été la plus lente de la jeune histoire de ce col ariégeois, escaladé depuis 1998.

Le Belge Vanendert a été le plus rapide en 46min26s. Les leaders ont grimpé en 47min15s. Le record de Pantani est de 43min30s, établi en 1998 sur un parcours moins long de 50 mètres. Contador est lui grimpé trois minutes moins vite que lors de sa victoire en 2007.
La puissance a été évaluée dans la zone abritée du vent (forêt et route en lacets) entre le pied de la montée et l’altitude de 1420m, soit sur 10,6 km à 8,4% de pente moyenne.

En effet, sur le haut du col, la route devient rectiligne et plus exposée au vent en raison de l’absence de végétation. La mesure risque alors d’être plus imprécise.

Sur ces deux premiers tiers du col, les leaders ont grimpé à 405 watts durant 32min45s. Il y a à ce niveau 12 coureurs: Vanendert (qui venait d’attaquer), les frères Schleck, Sanchez, Contador, Evans, Basso, Cunego, Rolland, Voeckler, Péraud et Uran. Le rythme a baissé sur la fin du col.

Contador au niveau de son Tour d’Italie 2008

Certes Luz Ardiden et le Plateau de Beille ont été gravis à des vitesses éloignées des records des ascensions. Cependant, il faut attendre les Alpes pour se prononcer sur une baisse éventuelle des performances, tant les deux montées ont eu des allures de rounds d’observation.

Les meilleurs de ce Tour de France à Luz Ardiden et au plateau de Beille sont les frères Schleck, Basso, Evans, Vanendert et Sanchez. Il atteignent environ 410 watts de moyenne.
Contador et Cunego arrivent juste derrière. Contador, qui se remet d’une blessure à un genou et a disputé un Tour d’Italie très difficile, apparaît environ 5% moins fort qu’en 2010 et qu’au Giro de cette année. Il semble à peu près au même niveau que lors de sa première victoire au Tour d’Italie 2008.

La surprise du lot, jamais vu à ce niveau de puissance en haute montagne, est le Belge Vanendert.

Les performances de Pierre Rolland et Jean-Christophe Péraud les placent à un niveau jamais vu dans le Tour mais ne sont pas inédites pour eux.

A 22 ans, sur Paris-Nice 2008, course sur laquelle il s’est révélée, Rolland grimpait déjà le Mont Serein à 405 watts de moyenne.  Sur le Tour de France, sa meilleure référence est l’ascension de Verbier en 2009. Pour terminer 29e de l’étape, il avait dû développer une puissance similaire sur une vingtaine de minutes. A chaque fois, il s’agissait cependant d’étapes moins difficiles.

Péraud, vice-champion olympique de VTT en 2008, ne pratique le cyclisme sur route professionnel que depuis un an et demi. Il figure sur les deux premières étapes de montagne à 390 watts de moyenne. Dans l’étape du Collet d’Allevard sur le Dauphiné Libéré, il avait atteint 439 watts durant une grosse demie-heure, après ses 423 watts du Critérium international (montée de l’Ospedale) et 405 watts de Paris-Nice (col de la Mure), là encore à l’issue d’étapes moins difficiles.

Voeckler, trois minutes de mieux qu’en 2004

En revanche, avant cette année, Thomas Voeckler n’avait jamais dépassé les 400 watts sur un long col. Sur les derniers Tour de France, sa seule performance notable fut sa montée du Port de Balès en 2010, qui lui a permis de remporter l’étape à Bagnères-de-Luchon avec 37 minutes à 390 watts après une longue échappée. Il s’agissait déjà d’une performance élevée.

Plus tôt dans la saison, la meilleure de sa carrière, il a déjà laissé entrevoir ses progrès en montagne au Dauphiné en ayant développé 426 watts au cours de la montée du Collet d’Allevard. Hormis dans les échappées, Voeckler n’a jamais été en position de donner sa pleine mesure dans les cols du Tour. A la seule exception de ses journées en jaune en 2004, alors qu’il n’avait que 25 ans.

Voeckler avait justement sauvé son maillot jaune au plateau de Beille, escaladé en 50min22s, soit 3minutes07s de plus que cette année. Il a progressé de 30 watts en puissance étalon (7,5%) pour accomplir son ascension 2011. Thomas Voeckler indiquait au printemps dans Vélo magazine qu’il faisait six kilos de plus que sur le Tour 2004, avec un taux de masse grasse passé de 10% à 6%.

Sa façon de courir a également été différente : il a répondu à de nombreuses accélérations de ses adversaires, alors qu’il avait escaladé le plateau de Beille à un rythme beaucoup plus régulier en 2004, bien que Voeckler aime grimper par à-coups.

Les calculs comparés au capteur de Jérémy Roy

Pour valider les calculs, j’ai comparé les courbes du capteur de puissance de Jérémy Roy avec mes calculs indirects.
Cela permet de calibrer au mieux les calculs avec la puissance étalon 78 kg avec vélo.

69 kg plus 9 kg (vélo plus équipement), scx (coefficient de pénétration dans l’air) 0.36,
Hourquette d’Ancizan: 365 watts estimés, 369 watts srm
Tourmalet: 364 watts estimés, 366 watts srm
Luz Ardiden: 304 watts estimés, 306 watts srm

Aubisque depuis les Eaux Bonnes: 381 watts estimés, 374 watts srm
Plateau de Beille: 296 watts estimés, 298 watts srm

Ces écarts inférieurs à 1% montrent que les conditions de course étaient bonnes pour évaluer les puissances dans les Pyrénées.
Jérémy Roy a escaladé les cols sur un rythme assez régulier au contraire des coureurs luttant pour le classement général. Cet aspect ne peux pas être pris en compte dans le calcul indirect.

Au passage, relevons que Roy a accompli sur le col d’Aubisque sa meilleure performance personnelle sur ce Tour de France avec sur l’ensemble du col 5,5 watts/kg pendant 47min45s. Cela ne lui a pas suffi pour remporter l’étape arrivant à Lourdes (3e).

(1) Comment faire pour développer 400 watts ?

Alignez des sacs de ciment de 40 kg au pied d’un mur de 1 m de haut.
Le but du jeu est de soulever un sac par seconde et de le poser sur le mur.
Si vous arrivez à enchaîner 10 sacs, vous aurez développé 400 watts pendant 10 secondes.

Petite explication:
Pour soulever le sac, vous devez exercer une force de 40X10 (9,81 exactement)=400 Newtons
La puissance est le produit de la force par la vitesse. La puissance sera égale à 400X1 (1m/s)= 400 watts.

Comparaison avec un cheval…
La puissance moyenne des chevaux de trait a été évaluée à 736 watts par James Watts. Ses chevaux étaient capables de soulever des charges de 75 kg à une vitesse de 1m/s. Mais je pense qu’ils étaient capables de le faire pendant plusieurs heures.
Je connais pas la puissance d’un cheval de course, mais elle doit être bien supérieure à celle des chevaux de trait mais pour une durée d’effort plus courte.

… et un scooter

Un scooter par exemple peut développer 3 ch soit environ 2200 watts.

La différence entre une machine et l’homme, c’est que l’être humain se fatigue beaucoup plus vite!

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Dopage : à la recherche de la nouvelle star

Test tubes and other recipients in chemistry lab / Horia Varlan via FlickrCC License by

Le pot belge est démodé. Le Cera est détectable. L‘EPO a toujours du succès, mais par microdoses, et là où il y a de la gène… Les hormones de croissance, corticoïdes et autotransfusions sont éternelles, mais nous sommes là dans la banalité la plus totale. Ce qu’on aime, ce sont les termes barbares, ces molécules qui feront un jour leur entrée dans le Larousse, celles qui font fantasmer certains champions mais qui ne sont pas encore mises sur le marché.

Le professeur Michel Rieu, conseiller scientifique auprès de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), connaît ces nouvelles molécules. Il s’agit d’un dopage d’élite, qui ne peut être utilisé, compte tenu de son prix, que par les très gros poissons. On soupçonne l’utilisation de ces molécules depuis au moins trois ans. Avec elles, on se rapproche du dopage génétique, qui demeure un fantasme. On est là, explique le professeur Rieu, dans le détournement de la pharmacologie intelligente. Il s’agit de de modifier l’expression de gènes par l’injection de molécules. Revue de détail.

“Le GW1516 a d’ores et déjà été utilisé ou essayé”, dit Michel Rieu.

“Il est utilisé dans le traitement du diabète. Ce produit était très cher mais il est en train de se démocratiser.

Cette molécule va activer indirectement les PPAR-s, une famille de gênes qui vont modifier le métabolisme de la cellule musculaire en l’orientant vers l’oxydation des lipides, de la matière grasse. C’est bon pour les sports d’endurance parce que ça utilise les graisses et ça économise d’autant les glucides.

Il y a deux fournisseurs d’énergie au niveau de la cellule musculaire, les lipides et les glucides. Un peu de glucides stockés sous forme de glycogène, et une grosse quantité de lipides. Le GW1516 permet d’utiliser les lipides et d’économiser le glycogène. Quand on fait son marathon, on va plus facilement métaboliser les lipides qu’on ne le fait d’ordinaire.”

Le professeur Rieu embraye sur l’Aicar, indissociable de son copain GW1516.

“C’est un simulateur de la protéine kinase qui va mettre en jeu les PPAR-s, surtout si ceux là sont activés en même temps par le GW1516. Là, ça va quasiment vous permettre d’orienter le métabolisme de la cellule de la même manière, mais sans exercice. C’est pour cela qu’on dit de ce produit qu’il permet de s’entraîner dans son lit.”

Depuis 2009 circule également l’Hématide, une molécule intelligente qui n’est autre qu’une nouvelle forme d’EPO. Sa structure est différente des autres formes d’EPO, mais l’objectif est le même: stimuler la production de globules rouges

“Elle va agir comme l’EPO, sur le même récepteur, pour permettre la production d’érythropoïétine.”

Le S107 est un redoutable antifatigue. Les souris sur lesquelles il a été testé n’en finissaient plus de courir, sans jamais avoir mal aux pattes. Le professeur Rieu explique pourquoi.

“A l’intérieur de la fibre musculaire, il y a un réservoir à calcium et un mécanisme d’engrenage qui permet à la fibre de se contracter. L’activation de la fibre musculaire est liée au va et vient du calcium. Quand la fibre musculaire est excitée, cela déclenche ce va et vient mais avec la fatigue, le récepteur qui permet la sortie du calcium se déstabilise. Le S107 permet de stabiliser ce récepteur. C’est donc un antifatigue, extrêmement puissant semble-t-il.

On sait que ce produit est déjà utilisé depuis environ deux ans. Certains laboratoires le commercialisent sur internet alors qu’il n’y a même pas d’Autorisation de mise sur le marché.”

Ces quatre produits miracles sont autant de mauvaises nouvelles pour le sport. Mais la bonne nouvelle, c’est que les autorités antidopage pensent pouvoir les détecter facilement.

“La recherche de la détection de l’hématide a commencé il y a seulement quelques mois. Elle n’est pas encore opérationnelle. En ce qui concerne le GW1516 et le S107, le laboratoire de Cologne a déjà mis au point les méthodes mais elles ne sont pas encore validées.

L’hématide peut à la limite être détectée par le passeport biologique si elle provoque une forte variation des paramètres sanguins.

Heureusement ce sont des molécules exogènes, c’est leur faiblesse. La difficulté de l’EPO, qui ne sera pas celle de l’hématide, c’est qu’il y a de l’EPO naturelle, comme l’hormone de croissance, et que donc il faut distinguer ce qui est naturel et ce qui vient de l’extérieur. Par contre une molécule qui n’existe pas dans le corps humain, quand on la trouve, pas de problème, c’est forcément qu’elle a été volontairement mise là.”

Pour affirmer qu’un sportif a triché, il faut en être sûr à 100%. C’est là que le décalage se crée entre les tricheurs et les chercheurs, explique Michel Rieu.

“Il y a toute une série de processus qui doivent être menés avant la validation d’un test. On est toujours piégé dans la mesure où on est face à des gens qui n’obéissent à aucune règle. Le décalage est là, pas dans le domaine de la connaissance. Ils sont toujours en arrière de la connaissance, puisqu’ils ils utilisent des systèmes que les chercheurs ont déjà mis en évidence, destinés à la recherche thérapeutique.

Eux détournent. Nous, on doit déjà savoir ce qui a été détourné et après on est empêtré dans des règles, et c’est normal, qui font qu’on met plus de temps pour pouvoir avec certitude démontrer leur utilisation.

C’est le problème du passeport biologique. C’est pour ça qu’il y a et qu’il y aura si peu de condamnations sur la base du passeport, parce qu’on est obligé de prendre de telles précautions qu’il faut vraiment que ce soit caricatural pour qu’on puisse prouver les manipulations. C’est pour cela qu’à mon avis il y en aura de moins en moins, car maintenant ils lissent leur manipulations avec toute une série de méthodologie, notamment les microdoses.”

Sans surprise, Michel Rieu affirme qu’il a connaissance de l’utilisation de ces produits dans deux sports, l’athlétisme et le cyclisme. Mais pour une raison bien précise.

“Ce sont les sports dans lesquels on a le plus d’informateurs. Mais il y a des fédérations sur lesquelles nous n’avons jamais aucune information. Le foot par exemple, là, c’est l’omerta totale, absolue et complète. Je ne vois pas pourquoi il n’y aurait pas de dopage dans ce sport. La technique, et c’est vrai pour tous les sports techniques, ne vaut qu’en fonction de la condition physique.”

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En montagne, chaque watt compte

9e étape du Tour 2011. Stefano Rellandini / Reuters

9e étape du Tour 2011. Stefano Rellandini / Reuters

Le dopage avance, recule ou fait-il du surplace? Les contrôles positifs, comme celui (pas le plus inattendu) du Russe Alexandre Kolobnev, ne permettent pas de le dire. Ils sont trop isolés, les contempteurs du cyclisme y voient le signe que ce sport n’est qu’une farce et ses défenseurs le signe que les tricheurs finiront tous par tomber.

Il y a les observations que font les autorités sportives ou de la lutte antidopage sur la base des prélèvements sanguins effectués toute l’année, et qui montrent une nette tendance à la baisse des paramètres anormaux chez les coureurs.

Une autre méthode, du domaine des sciences physiques, consiste à calculer les puissances développées aux différents échelons du peloton, et à les comparer d’une année sur l’autre. C’est ce que fait l’ingénieur Frédéric Portoleau. Ses calculs, qu’il explique ci-dessous, ne permettent pas de pointer du doigt des coureurs dont les performances seraient hors-normes, d’autant plus qu’ils n’expriment pas la puissance réelle mais la puissance théorique. Ils offrent toutefois une vue d’ensemble de la force des leaders.

Ses chiffres sont critiqués parce qu’ils sont faits devant la télévision mais lorsqu’il les compare avec ceux des capteurs de puissance mis en ligne par le fabricant SRM, la marge d’erreur n’est pas supérieure à celle des instituts de sondage.

Frédéric Portoleau a écrit avec Antoine Vayer, l’ancien entraîneur de l’équipe Festina, le livre «Pouvez-vous gagner le Tour?». Sur la base de ses calculs, Antoine Vayer tient une chronique dans Le Monde durant ce Tour de France. Frédéric Portoleau publiera sur ce blog ses calculs après les Pyrénées et les Alpes, comme il le faisait ces dernières années sur le site Cyclismag. Je lui laisse la parole.

«La notion de puissance est assez simple à comprendre. Pour un système mécanique en rotation comme un pédalier, la puissance est égale au produit du couple moteur, lié à la force appliquée sur les pédales, par la fréquence de rotation (vitesse). Un coureur en très grande forme qui dispose d’un fort potentiel physique va mettre un grand braquet et tourner vite les jambes: sa puissance sera élevée. A l’opposé, un coureur fatigué ou relativement limité physiquement va, sur le même terrain, diminuer sa fréquence de pédalage ou mettre le petit plateau, sa puissance sera plus basse.

On peut évaluer la puissance de deux façons: soit en mesurant avec des capteurs au niveau du pédalier ou de la roue arrière le couple et la fréquence de pédalage, soit en la calculant de manière indirecte par simulation. La mesure directe par capteur est disponible sous des conditions météo variées (avec ou sans vent) et pour toutes les durées d’effort, instantanée sur quelques secondes à plusieurs heures.

Limites et zones de précision

Le calcul indirect par simulation présente plus de limites que la mesure directe par capteur.

La principale difficulté provient de l’estimation des frottements aérodynamiques et de l’absence de donnée précise sur la vitesse du vent. Il faut donc des conditions de course où les frottements de l’air apparaissent relativement faible par rapport aux autres forces que doit vaincre le cycliste, en particulier la pesanteur. Par conséquent, seule la puissance sur des efforts relativement longs en montagne, sur des pentes fortes et à l’abri du vent, peut être estimée avec assez de précision. L’idéal est une pente supérieure à 6%, une vitesse inférieure à 25 km/h, une force de vent sur l’échelle de Beaufort terrestre de 1 ou 2, un cycliste qui roule seul et ne profite pas de l’aspiration, une route forestière et en lacets (nombreux changements de direction) pour diminuer l’impact du vent.

L’image ci-dessous présente un exemple du choix de la bonne zone de mesure pour la puissance sur le col d’Izoard. Cette zone se situe entre les points 3 et 4 de Brunissard à la Casse déserte, surligné en vert.

Dans le cyclisme d’aujourd’hui, les équipes des leaders contrôlent la course en cours d’étape et ce n’est que dans la dernière ascension que les meilleurs donnent leur pleine mesure. Sur ce Tour de France, c’est donc dans les montées de Luz Ardiden, du plateau de Beille et de l’Alpe d’Huez que nous aurons les calculs les plus précis de la puissance développée par les premiers du classement général.

Le principe du «coureur étalon»

En plus de l’erreur de mesure due à l’évaluation des forces de frottement, la masse des coureurs n’est pas connue avec assez de précision. Ils peuvent se déshydrater en cours d’étape et perdre quelques kilogrammes. Le nombre de bidons portés est variable.

Pour toutes ces raisons, nous préférons calculer la puissance d’un «coureur étalon» de 70 kg avec un équipement de 8 kg. Cette valeur est utilisée pour faire nos comparaisons.

Le «coureur étalon», de 78 kg avec son vélo, est le témoin de l’évolution des performances. C’est comme si on plaçait un coureur fictif dans le peloton en regardant la puissance qu’il doit développer pour suivre les meilleurs coureurs du Tour de France. Cela donne une échelle de performance en watts. Si un coureur pèse en réalité moins lourd (comme les plus grands favoris du Tour), sa puissance réelle développée pour grimper sera inférieure. S’il est plus lourd (comme l’Allemand Tony Martin), elle sera supérieure.

Un bon coureur de 70kg peut développer 1.200 watts pendant 15 secondes, 450 watts pendant 6 minutes, 400 watts pendant 30 minutes. Sur le triathlon d’Hawaii, la puissance sur la portion de vélo a déjà été évaluée pour le vainqueur à 300 watts pendant cinq heures. Plus la durée d’effort est longue, moins la puissance moyenne est élevée.

Cette grandeur permet de mettre en évidence les grands exploits ou les défaillances des coureurs du tour de France. En 1996, le quintuple vainqueur Miguel Indurain ne développa que 325 watts sur les derniers kilomètres de la montée des Arcs au moment d’une défaillance mémorable alors qu’un an plus tôt, lors de sa cinquième victoire, il se situait à plus de 500 watts au cours de la montée de La Plagne.

Contador, Frank Schleck et Rodriguez, les rapides du printemps

Le suivi des performances du vainqueur du Tour (puissance théorique avec un coureur étalon) montre que les niveaux les plus élevés ont été atteints au milieu des années 1990, lorsque l’usage de l’EPO était répandu dans le peloton. Après 1998, le niveau a subitement baissé, avant de remonter et de se stabiliser depuis l’an 2000 à un niveau légèrement inférieur aux années EPO.

Mes calculs sur la première partie de la saison 2011 montrent des chiffres de puissance élevés avant même le Tour de France, en vue duquel les coureurs sont censés progresser. Tous les chiffres suivants sont donnés pour un coureur étalon, 78 kg avec vélo, témoin des performances.

Lors du Critérium International, une course par étapes sur un week-end disputée fin mars en Corse, Frank Schleck a développé une puissance théorique de 445 watts pendant une grosse demie heure sur une seule ascension. S’il parvient à ce niveau dans les Pyrénées, il ne devrait pas être loin des meilleurs.

Sur le Tour d’Italie, au printemps, Alberto Contador s’est baladé face à une concurrence qui n’a pas développé des puissances extraordinaires. L’Espagnol, qui a devancé de plus de six minutes les Italiens Vincenzo Nibali et Michele Scarponi (absents sur le Tour), a réalisé ses meilleures performances athlétiques en montagne sur la montée vers le Grossglockner (429 watts) et lors du contre-la-montre en côte de Nevagal (433 watts). Lors de sa montée victorieuse de l’Etna, la force du vent ne nous permet pas de fournir une puissance assez précise. Lors de la montée de la Gardeccia, à l’issue d’une des étapes de montagne les plus longues et difficiles de ces dernières années, il a logiquement baissé de niveau mais développé malgré tout 404 watts en moyenne, ce qui lui a suffi à lâcher tous ses adversaires.

Sur l’ensemble du Tour d’Italie, Contador est apparu au même niveau qu’au Tour de France 2010 et à un niveau moindre que sur le Tour 2009. Avec des adversaires plus coriaces, il aurait certainement amélioré sa moyenne.

Les concurrents de Contador, souvent des poids plumes, n’ont pas dépassé les 410 watts de moyenne en puissance étalon sur les quatre cols étudiés. Rujano et Scarponi ont développé 408 watts tandis que Gadret et Nibali se sont contentés de 400 watts.

Dans le Critérium du Dauphiné, en juin, la meilleure performance en montagne a été réalisée par l’Espagnol Joaquim Rodriguez (Katusha), qui ne dispute pas le Tour et avait donc atteint son pic de forme. Dans le collet d’Allevard, avec ses 11,7 km à 8.22% de pente moyenne, ce pur grimpeur a développé 457 watts de moyenne pendant 32min05s, en puissance étalon. Pour une course en ligne, je n’ai jamais mesuré un tel niveau de performance sur un Dauphiné, même à l’époque de Lance Armstrong.

Kern et Voeckler à leur plus haut niveau

Vainqueur du Dauphiné, Wiggins avait retrouvé son niveau de 2009 qui lui avait permis de finir quatrième du Tour. Mais il a abandonné le Tour de France sur chute lors de l’étape s’achevant à Chateauroux.

Wiggins a développé 442 watts sur le collet d’Allevard. Avec respectivement 445 watts et 426 watts, les coureurs d’Europcar Christophe Kern et Thomas Voeckler, l’actuel maillot jaune, n’ont jamais été aussi forts en montagne.

Avec 439 watts, Jean-Christophe Péraud, co-leader d’AG2R sur ce Tour, continue de progresser par rapport au Critérium International (423 watts sur la montée de l’Ospédale) et à Paris-Nice (405 watts au col de la Mure). David Moncoutié et Jérome Coppel ont aussi fait de belles ascensions mais sont plus proches de leurs potentiel habituel.

Ces performances dans le collet d’Allevard ont aussi été permises par la vitesse modérée de l’ascension précédente, le col du Grand Cucheron, à 350 watts de moyenne seulement. Les coureurs ont abordé le dernier col avec une certaine fraîcheur. De plus, l’ascension a été lancée sur une allure très soutenue avec un relais d’Edvald Boasson Hagen, le puncheur norvégien vainqueur à Lisieux: l’équipier de Wiggins a lessivé le peloton avec une puissance étalon de 490 watts pendant 10 minutes.

Le lendemain, l’ultime ascension du Dauphiné, vers la Toussuire a été gravie moins vite. Sur la portion basse du col, le Néerlandais Robert Gesink, maillot blanc du Tour, a développé 420 watts avant de se faire reprendre par le groupe des favoris.

Le Tour de Suisse était la dernière course par étapes de préparation au Tour de France et a marqué le retour en forme de Damiano Cunego, le grimpeur italien vainqueur du Giro en 2004. L’Italien a développé lors de l’ascension de la Grosse Scheidegg 390 watts de moyenne pendant 48 minutes et 33 secondes sur l’ensemble du col. Ce n’est pas extraordinaire mais son accélération sur le haut du col (5,5 km à 9,2% de pente moyenne) l’est davantage: 421 watts pendant 17min33s. Il a ainsi pris du temps à tous ses adversaires mais a fini par perdre le Tour de Suisse face à Levi Leipheimer, dans le dernier contre-la-montre.

Pour ce qui est des autres favoris, nous manquons de repères. Andy Schleck n’était pas à son meilleur niveau lors du Tour de Suisse et n’a jamais semblé donner sa pleine puissance. Ivan Basso a dit sur le site Cyclingnews avoir développé 440 watts au seuil (puissance réelle) lors d’un test physique avant le départ du Tour. La puissance au seuil est celle que peut développer un coureur sur un effort prolongé car il est juste en-dessous de la zone rouge, celle qui va faire exploser ses jambes et son cœur.

Les chiffres de la première partie de l’année montrent que le niveau athlétique devrait être plus élevé cette année qu’en 2010. Il pourrait y avoir des coureurs à 450 watts en puissance étalon sur les ascensions clés du Tour de France : Luz-Ardiden, plateau de Beille et l’Alpe d’Huez. »

Frédéric Portoleau

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Et ça continue encore et encore

Cérémonie d'ouverture au Puy du Fou, le 30 juin. REUTERS/Pascal Rossignol Les jours précédant le Tour de France suivent un rituel immuable: entre mardi et jeudi, les coureurs et journalistes arrivent au Grand départ, se rencontrent lors de conférences de presse — artisanales ou à grand spectacle selon l’équipe —, les favoris promettent que ce sera une sacrée bagarre et les newbies ouvrent des yeux écarquillés. Mais surtout, chaque semaine pré-Tour de France a son affaire de dopage.

Des scoops plus ou moins valables et retentissants que des journaux gardent, disent les mauvaises langues, pour les sortir quelques jours avant le Tour. Ça fait le buzz et, au pire, ça anime les deux ou trois premiers jours de course. L’an passé, c’étaient les nouvelles accusations de Floyd Landis contre Lance Armstrong, parues dans le Wall Street Journal la veille du départ. Aussi inattendues qu’un contrôle positif de Riccardo Ricco.

En 2009, la presse prenait ses quartiers à Monaco lorsqu’est tombée la décision du Tribunal arbitral du sport (TAS) de laisser Tom Boonen prendre le départ du Tour contre l’avis des organisateurs, après un contrôle positif à la cocaïne hors compétition. En 2006, la veille du départ, l’affaire Puerto a offert à la salle de presse du départ du Tour ses heures les plus folles, avec l’éviction des principaux favoris, tous clients présumés du docteur Fuentes, et le départ de l’équipe Astana-Würth, qui avait tellement de coureurs cités dans l’affaire qu’elle n’en avait plus assez pour prendre le départ.

Cette année, on fait dans le bas de gamme mais pas forcément dans l’anodin. Ça, on le saura dans de longs mois. Mercredi, la presse flamande a révélé que les douanes belges avaient saisi il y a deux semaines dans un aéroport flamand un colis contenant des doses de TB-500, des hormones peptidiques en provenance d’Australie.

Leur destinataire, Wim Vansevenant, trois fois lanterne rouge de la Grande boucle – ce qui est, sans rire, une vraie performance — a confirmé qu’il avait bien commandé ce produit destiné aux chevaux. Parce qu’il «se sentait vieux» et «voyait son corps dégénérer». Un coureur retraité depuis trois ans a donc commandé en Australie un produit pour les chevaux (ce qui semble assez clair sur ce site), parce qu’il perdait ses muscles à force de regarder la VRT. Pourquoi pas. Les culturistes semblent en être friands eux aussi.

L’affaire tombe mal en tout cas pour l’équipe Omega Pharma-Lotto, où évoluent Philippe Gilbert, le meilleur coureur de l’année, et Jürgen Van den Broeck, cinquième du Tour l’an dernier. Car Vansevenant, s’il n’était pas le plus talentueux, n’était pas le plus discret des coureurs: durant ses six années chez Lotto (2002-2008), il a fait de très nombreux kilomètres en tête du peloton au service de ses leaders. En guise de remerciement, l’équipe l’avait engagé pour assurer ses relations publiques – ce qu’il devait faire pendant le Tour.

Ce matin, les deux mêmes journaux flamands — Het Nieuwsblad et De Standaard — ont sorti une autre affaire.  Les autorités belges ont arrêté lundi un soigneur, destinataire présumé de 195 doses d’EPO interceptées… il y a plus d’un an et demi. Sven, de son prénom, est arrêté à cinq jours du départ du Tour et aurait avoué avoir passé cette commande. Pourquoi ? Pour relancer sa carrière de cycliste. Louable intention, mais était-il nécessaire de commander presque l’équivalent de ce que trimbalait Willy Voet lorsqu’il a été intercepté par les douanes en 1998 ?

La vie est mal faite pour la BMC, l’équipe de Cadel Evans, qui lui avait offert quelques piges la saison dernière et cette saison. Il avait encore accompagné l’équipe il y a deux semaines en Italie.

Pas suffisant pour être connu du manager de l’équipe, Jim Ochowicz, l’un des premiers entraîneurs de Lance Armstrong : «Un soigneur occasionnel pour nous ? Son nom ne me dit rien», a-t-il réagi.

Epilogue (pour l’instant): les deux hommes ont perdu leur colis, leur travail, et la BMC et la Lotto quelques heures de tranquillité précieuse avant le départ du Tour.

Promis, dans les prochains jours, on essaiera de parler de vélo.

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Prends ton bob et ta crème solaire

Entre Morzine et Saint-Jean-De-Maurienne, le 13 juillet 2010. REUTERS/Francois Lenoir

Entre Morzine et Saint-Jean-De-Maurienne, le 13 juillet 2010. REUTERS/Francois Lenoir

Cette semaine s’arrête vendredi. En juillet, le premier samedi du mois, c’est plus seulement un film pour Pascal Feindouno, c’est le début d’un nouveau calendrier. Samedi, c’est Tour de France. Plus de dimanche mais des jours de repos – cette année les lundi, des étapes de transition – « je suis libre jusqu’à 16 heures » – ou étapes de montagne «busy de midi à 17h30».

Sur ce blog, on vivra donc à ce rythme, tantôt devant l’écran, tantôt sur la course. On donnera la parole aux acteurs et aux techniciens, ceux qui savent pourquoi un tel n’a pas roulé avec tel autre (le cyclisme est un sport d’équipe), pourquoi le peloton a ralenti à tel moment (le cyclisme est un sport tactique) ou comment on peut être largué un jour et brillant trois semaines plus tard (le cyclisme est parfois déroutant).

On ne va pas tenter de vous vendre le duel entre Alberto Contador et Andy Schleck. Les deux bretteurs sont trop polis pour enlever la mouche, qui permet, dit Wikipedia, « les assauts courtois ». Contador et Schleck s’excusent de s’attaquer et respectent la priorité au sommet du Tourmalet.

On ne va pas non plus se convaincre que cette année, c’est sûr, regardez sa cadence, ses grimaces, le vainqueur du Tour est propre. Le cyclisme est depuis 13 ans dans l’ère du soupçon et n’en sortira plus, ce qui gâche un peu le plaisir.

Parenthèse: c’est un peu de sa faute. Quand on cherche du dopage, on en trouve. Quand on trouve, on en parle. Et quand on ne trouve pas, on en parle aussi. Tout le monde est négatif ? Ce serait la preuve que les tricheurs passent entre les mailles du filet; pas qu’ils sont moins nombreux.

Jeudi dernier, l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) présentait son rapport d’activité. Aux côtés des dirigeants de l’AFLD ont pris place le conseiller scientifique et le responsable de la communication de l’Union cycliste internationale (UCI), mais pas Michel Platini. Ça n’a pas surpris grand monde. Cyclisme et dopage se sont mariés dans les années 90 et il n’y aura pas de divorce par consentement mutuel.

Citons pourtant le président de l’AFLD, Bruno Genevois:

« Le chef de l’Oclaesp, le colonel Thierry Bourret, a dit urbi et orbi qu’aucune discipline n’était à l’abri du dopage. L’Agence mondiale antidopage (AMA) dit que le dopage a davantage cours dans les sports d’endurance et qu’il concerne davantage les hommes que les femmes. On sait enfin que, là où les intérêts économiques et financiers sont importants, c’est quand même une incitation au dopage. Ce sont les trois critères. »

«Mais alors, c’est dans le football qu’il devrait y avoir le plus de dopage!», relançait un collègue. Et le tennis, murmurais-je. Elémentaire. Et pourtant, le soupçon nous effleure rarement lorsque l’on voit jouer Nadal ou Messi. L’inégalité de traitement a eu de quoi indigner le docteur Eufemiano Fuentes (1). Ce tranquille gynécologue espagnol faisait des miracles auprès des cyclistes, on l’a su grâce à l’affaire Puerto. Mais il s’est offusqué qu’on oublie sa contribution au tennis, au football et à l’athlétisme.

Pas d’illusions au sujet des tous meilleurs, donc, mais pas non plus question d’oublier que des mois d’EPO, de clenbutérol et de transfusions autologues ne me feraient pas tenir dix kilomètres dans un peloton. Un docteur plus un fainéant ne feront jamais un champion. Le cyclisme est un sport de masos et les coureurs du Tour de France en bavent. Particulièrement à l’entraînement, lorsqu’il faut se lever à l’aube pour aller rouler avant l’arrivée des fortes chaleurs, ou lorsqu’il faut s’entraîner seul sous la pluie. Perso, quand il pleut fort, je prends le métro.

On peut lire le classement général avec un sourire en coin mais se passionner pour les multiples enjeux du Tour. Lutte pour le maillot jaune, pour les victoires d’étapes – la seule accessible aux coureurs français, pour arriver dans les délais après trois cols hors-catégorie , lutte pour passer à la télé ou pour décrocher un nouveau contrat.

Voilà ce qui rend passionnant le Tour de France, pour ceux qui s’y intéressent. Pour les autres, il reste toujours le plus sûr moyen de faire la sieste en été.

Clément Guillou

(1) : Le magazine Pédale, réalisé par l’équipe de So Foot, tire un portrait très documenté de l’animal. Cinq euros, c’est une pinte de moins mais du bonheur en plus.

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