Baroudeur mode d’emploi

Alexandre Vinokourov (Astana) devant le peloton, entre Aigurande et Super-Besse. REUTERS/Stefano Rellandini

Messieurs les coureurs, Jacky Durand, roi des baroudeurs, nous explique comment sortir et blouser vos compagnons d’échappée.

Quand?

Il n’y a pas d’étape idéale pour partir, il n’y a rien d’écrit. Ca se fait en fonction des circonstances de course et de la forme.

Avant le départ on vérifie le profil de l’étape, on regarde où se situe le 40e kilomètre qui est souvent un lieu stratégique: souvent une échappée se crée soit dès le départ (comme depuis le début de ce Tour), soit au bout d’une heure de course, quand tout le monde en a un peu marre.

Ca ne sert à rien d’aller dans toutes les tentatives d’échappées car on se disperse et c’est la meilleure chance de ne pas réussir. En fait, c’est quand soi-même on commence à sentir qu’on en a un peu marre ou que ca roule trop vite qu’il faut y aller, puisqu’il faut se dire que tout le monde pense pareil. C’est le moment où le peloton aimerait bien boire, aller chercher les bidons, calmer le jeu.

Le relief peut jouer aussi. Si au bout de 25 kilomètres il y a un long faux plat et que ça roulait fort avant, il y a de bonnes chances que ça parte en haut de ce long faux plat

Avec qui ?

Il y a toujours des coureurs à qui on pense et qui sont de bons équipiers d’échappée. Les coureurs qui sont plus forts que soi, on préfère les laisser partir car on ne s’échappe pas pour s’échapper mais pour aller chercher la victoire. Sortir avec un mec beaucoup plus fort sur une étape compliquée, à quoi bon ! Pareil sur une étape plate, si un sprinteur attaque on n’y va pas non plus.

L’idéal, c’est le novice : quand j’ai gagné mon étape de Paris-Nice en 1999 j’avais découvert un jeune coureur, Laurent Lefèvre (retraité depuis cette année), qui était courageux et vaillant. Mais surtout je savais que j’avais de bonnes chances de le battre à l’arrivée et qu’en même temps il allait bien rouler sans arrière pensée.

A combien ?

En première semaine du Tour il faut être au moins cinq ou six pour réussir. On sait que si on est que deux ou trois, les équipes de sprinteurs vont revenir. D’ailleurs en début de tour la première ou la deuxième tentative d’échappée est la bonne car tout le monde sait que derrière les équipes vont rouler. Et sur le Tour, beaucoup ont la peur du lendemain donc ne vont pas vouloir sortir en première semaine.

Comment empêcher le retour du peloton ?

Au moment où on part, on va rouler quasiment à fond pour prendre du temps au peloton. A partir du moment où le peloton se relève, les hommes de tête commencent à se relever tout en roulant un peu plus vite que le peloton. Il faut rouler à 60, 70%. de ses possibilités. C’est un jeu avec le peloton. On est toujours à l’écoute de quelle équipe roule ou ne roule pas et dans la dernière heure de course on se livre davantage.

Comment on gagne ?

En général le coureur qui roule le moins dans une échappée ne sera pas celui qui va gagner parce qu’il y aura une coalition entre les coureurs qui se donnent plus. Il y en a qui donnent moins parce qu’on sent qu’ils sont moins forts, dans ce cas là on en fait peu de cas mais si c’est un coureur un peu connu, roublard, on se méfiera de lui. Sans même se parler on sait qu’il ne gagnera pas l’étape parce qu’aucun de ceux qui ont vraiment roulé ne voudra le laisser partir.

Je n’ai pas toujours donné le plus mais je faisais ma part de travail… sans en faire de trop non plus.

Souvent, (mon directeur sportif) Cyrille Guimard me disait d’en faire autant que celui qui en fait le moins !

Lorsqu’il y a un coureur réputé bon sprinteur, tous les adversaires vont essayer de l’attaquer dans le final pour lui laisser faire le travail. À partir du moment un bon sprinteur est dans un groupe de plus de cinq coureurs, si les autres coureurs ont de l’expérience il n’arrivera pas à gagner. A moins, évidemment, qu’il soit très fort.

Si on est échappé, il vaut mieux connaître le peloton, savoir si un tel va vite au sprint ou pas. Il ne faut pas se désintéresser de l’adversaire et faire sa course.

Dans une échappée, ça reste souvent un vieux briscard qui s’impose. Quand tu es jeune dans le Tour de France, tu en fais peut-être un peu trop, avec les caméras qui sont là, ta famille qui te regarde et parfois c’est une erreur.

Ton successeur ?

Le meilleur baroureur du peloton aujourd’hui, ça reste Thomas Voeckler, il se loupe quand même pas trop, il sent bien la course. Son avantage par rapport à un coureur comme moi, c’est qu’il peut y aller sur tous les terrains. Chez les plus jeunes il y a Jérémy Roy, un coureur qui sent bien la course et qui est capable de gagner sans être le plus fort, comme quand il a gagné son étape de Paris-Nice en 2009.

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Une étape du Tour

Mickael Delage de la FDJ et Jose Gutierrez de Movistar, le 4 juillet 2011 en Olonne-sur-Mer et Redon. REUTERS/Denis Balibouse

Olonne-sur-Mer – Redon, c’était une étape du Tour comme il y en a eu, comme il y en a et comme il y en aura. On a traversé Beaufou, Saint-Philbert-de-Bouaine et Arthon-en-Retz. Au bout, à Redon, ville qui nous a offert Régis Laspalès, Tyler Farrar a assuré au sprint une victoire signée d’un W, pour Wouter Weylandt, son ami disparu en course sur le dernier Tour d’Italie. C’était l’histoire du jour et elle sera oubliée dans une semaine.

Moi, j’étais avec l’équipe FDJ (1). Histoire de savoir ce qui se passe dans le peloton du Tour une journée comme celle-là, où l’imprévu ne se présente pas. Thierry Bricaud et Franck Pineau, les directeurs sportifs de la FDJ, m’avaient raconté l’étape avant le départ: Mickaël Delage devait partir dès le baisser de drapeau, emmener trois ou quatre compagnons de galère, «des bons bourrins» en l’occurrence, et remporter un sprint pour des pois au passage du pont de Saint-Nazaire. Après, il se ferait reprendre par le peloton et personne n’en doutait. «La ligne d’arrivée, elle est en haut du pont», disait Bricaud. Ce fut fait et bien fait.

Delage, un type souriant et chambreur, était le héros du jour. Mais c’eût pu être un autre. Tous les coureurs pouvaient prendre une échappée, sauf Jérémy Roy, déjà devant samedi et toujours volontaire pour jouer les éclaireurs. «La route est plus longue que large, on veut pas le ramasser à la serpillère dans une semaine», soulignait Pineau. Ah oui, il faut que je vous dise: dès que les micros sont éteints, les cyclistes sont de merveilleux clients. Michel Audiard a dû passer quelques semaines dans le peloton. Exemple, lorsqu’un directeur sportif hèle Bricaud :

– Hé, Rouston, il a déjà cartonné ?
– Ouais, il a refait le cul d’HTC.

Comprendre :
– Didier Rous (directeur sportif de Cofidis) a déjà eu un accident de voiture ?
– Oui, il est rentré dans le pare-chocs arrière de la voiture de l’équipe HTC.

La circulation des véhicules à l’arrière d’une course est un spectacle à elle seule. Entre les voitures des équipes et des invités et les motos de commissaires, de journalistes, de cameramen et de photographes, c’est un barnum qui ridiculise la porte d’Orléans à 19 heures. Pourtant, le système «à toi d’y aller, moi je me range» est si bien intégré par tous que les accidents sont rares. Même si Rouston…

Ce genre d’étapes offre au téléspectateur autant d’émotions qu’un mauvais Derrick. Du coup, j’ai regardé par la fenêtre et vu défiler la France. En Vendée, à l’heure du digestif, il y avait beaucoup de monde. En Bretagne, à l’heure de la sieste, il y avait énormément de monde. Il y avait à peine la place pour pisser – on reviendra dans une prochaine note sur ce problème majeur de la vie du cycliste.

Le directeur sportif Thierry Bricaud et son coureur Arthur Vichot (FDJ)

J’ai regardé les champs en me demandant de quelles maisons avaient pu sortir tous ces gens. On a vu de tout, même un maillot du FC Nantes. Tous les âges, tous les bobs, toutes les longueurs de short et toutes les tailles de ventre.

A chaque traversée de village, la Sainte Trinité de la France rurale: la pancarte, l’église, le bar des sports. Et partout, des sourires, des cris et des applaudissements. La France du Tour n’a pas l’air malheureuse. Le meilleur remède à la chute du moral des ménages serait d’organiser le Tour tous les mois. Bien sûr, il faudrait demander leur avis aux coureurs. Car dans le confort des voitures de directeurs sportifs, on a souvent de la peine pour eux – même sur une étape de plaine comme aujourd’hui.

Ça sue, ça frotte, ça chambre, ça craque. Prenez Sandy Casar. Le matin déjà, il savait qu’il n’avait pas de bonnes jambes. Ceux qui le connaissent bien relèvent qu’il peut dire ça un matin et gagner une étape du Tour l’après-midi – il l’a fait trois fois ces quatre dernières années. Mais ce lundi, il n’avait pas menti. Casar était en queue de peloton en bas du pont de Saint-Nazaire, que les organisateurs, respectueux du bel ouvrage, avaient classé en côte de quatrième catégorie.

Jouer des coudes pour rester au chaud dans le peloton, très peu pour lui. Le peloton a mené grand train, avec un fort vent de côté, et Sandy a lâché. Attardé dans un petit groupe, cet homme du Tour serrait les dents comme moi en Vélib dans la côte de Ménilmontant. Casar a fini par rentrer mais n’y voyez aucune clémence du peloton.

Dans la première voiture de la FDJ, conduite par Thierry Bricaud, on a fait causette et géré le tout venant. Transmettre les bidons – entre quatre et neuf par personne, suivant le gaillard qui les remonte aux copains – sans oublier de donner un peu d’élan en même temps, ça fait partie du jeu. «Nono», le mécano, a fait le métier en changeant une roue arrière en dix secondes après une crevaison. Une chute, un coureur qui annonce qu’il a crevé, et Nono saute de la voiture avec deux roues dans les mains, court sur les lieux du crime et fait sa petite affaire.

Ce mardi, Thierry et Nono remettent ça entre Lorient et Mûr-de-Bretagne. Ils n’ont aucun doute sur la victoire de Philippe Gilbert, comme l’ensemble du peloton. Autant dire que Gilbert a déjà gagné.

(1): C’est ici que l’on signale que l’équipe FDJ m’a nourri, logé et transporté.

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