Une étape du Tour

Mickael Delage de la FDJ et Jose Gutierrez de Movistar, le 4 juillet 2011 en Olonne-sur-Mer et Redon. REUTERS/Denis Balibouse

Olonne-sur-Mer – Redon, c’était une étape du Tour comme il y en a eu, comme il y en a et comme il y en aura. On a traversé Beaufou, Saint-Philbert-de-Bouaine et Arthon-en-Retz. Au bout, à Redon, ville qui nous a offert Régis Laspalès, Tyler Farrar a assuré au sprint une victoire signée d’un W, pour Wouter Weylandt, son ami disparu en course sur le dernier Tour d’Italie. C’était l’histoire du jour et elle sera oubliée dans une semaine.

Moi, j’étais avec l’équipe FDJ (1). Histoire de savoir ce qui se passe dans le peloton du Tour une journée comme celle-là, où l’imprévu ne se présente pas. Thierry Bricaud et Franck Pineau, les directeurs sportifs de la FDJ, m’avaient raconté l’étape avant le départ: Mickaël Delage devait partir dès le baisser de drapeau, emmener trois ou quatre compagnons de galère, «des bons bourrins» en l’occurrence, et remporter un sprint pour des pois au passage du pont de Saint-Nazaire. Après, il se ferait reprendre par le peloton et personne n’en doutait. «La ligne d’arrivée, elle est en haut du pont», disait Bricaud. Ce fut fait et bien fait.

Delage, un type souriant et chambreur, était le héros du jour. Mais c’eût pu être un autre. Tous les coureurs pouvaient prendre une échappée, sauf Jérémy Roy, déjà devant samedi et toujours volontaire pour jouer les éclaireurs. «La route est plus longue que large, on veut pas le ramasser à la serpillère dans une semaine», soulignait Pineau. Ah oui, il faut que je vous dise: dès que les micros sont éteints, les cyclistes sont de merveilleux clients. Michel Audiard a dû passer quelques semaines dans le peloton. Exemple, lorsqu’un directeur sportif hèle Bricaud :

– Hé, Rouston, il a déjà cartonné ?
– Ouais, il a refait le cul d’HTC.

Comprendre :
– Didier Rous (directeur sportif de Cofidis) a déjà eu un accident de voiture ?
– Oui, il est rentré dans le pare-chocs arrière de la voiture de l’équipe HTC.

La circulation des véhicules à l’arrière d’une course est un spectacle à elle seule. Entre les voitures des équipes et des invités et les motos de commissaires, de journalistes, de cameramen et de photographes, c’est un barnum qui ridiculise la porte d’Orléans à 19 heures. Pourtant, le système «à toi d’y aller, moi je me range» est si bien intégré par tous que les accidents sont rares. Même si Rouston…

Ce genre d’étapes offre au téléspectateur autant d’émotions qu’un mauvais Derrick. Du coup, j’ai regardé par la fenêtre et vu défiler la France. En Vendée, à l’heure du digestif, il y avait beaucoup de monde. En Bretagne, à l’heure de la sieste, il y avait énormément de monde. Il y avait à peine la place pour pisser – on reviendra dans une prochaine note sur ce problème majeur de la vie du cycliste.

Le directeur sportif Thierry Bricaud et son coureur Arthur Vichot (FDJ)

J’ai regardé les champs en me demandant de quelles maisons avaient pu sortir tous ces gens. On a vu de tout, même un maillot du FC Nantes. Tous les âges, tous les bobs, toutes les longueurs de short et toutes les tailles de ventre.

A chaque traversée de village, la Sainte Trinité de la France rurale: la pancarte, l’église, le bar des sports. Et partout, des sourires, des cris et des applaudissements. La France du Tour n’a pas l’air malheureuse. Le meilleur remède à la chute du moral des ménages serait d’organiser le Tour tous les mois. Bien sûr, il faudrait demander leur avis aux coureurs. Car dans le confort des voitures de directeurs sportifs, on a souvent de la peine pour eux – même sur une étape de plaine comme aujourd’hui.

Ça sue, ça frotte, ça chambre, ça craque. Prenez Sandy Casar. Le matin déjà, il savait qu’il n’avait pas de bonnes jambes. Ceux qui le connaissent bien relèvent qu’il peut dire ça un matin et gagner une étape du Tour l’après-midi – il l’a fait trois fois ces quatre dernières années. Mais ce lundi, il n’avait pas menti. Casar était en queue de peloton en bas du pont de Saint-Nazaire, que les organisateurs, respectueux du bel ouvrage, avaient classé en côte de quatrième catégorie.

Jouer des coudes pour rester au chaud dans le peloton, très peu pour lui. Le peloton a mené grand train, avec un fort vent de côté, et Sandy a lâché. Attardé dans un petit groupe, cet homme du Tour serrait les dents comme moi en Vélib dans la côte de Ménilmontant. Casar a fini par rentrer mais n’y voyez aucune clémence du peloton.

Dans la première voiture de la FDJ, conduite par Thierry Bricaud, on a fait causette et géré le tout venant. Transmettre les bidons – entre quatre et neuf par personne, suivant le gaillard qui les remonte aux copains – sans oublier de donner un peu d’élan en même temps, ça fait partie du jeu. «Nono», le mécano, a fait le métier en changeant une roue arrière en dix secondes après une crevaison. Une chute, un coureur qui annonce qu’il a crevé, et Nono saute de la voiture avec deux roues dans les mains, court sur les lieux du crime et fait sa petite affaire.

Ce mardi, Thierry et Nono remettent ça entre Lorient et Mûr-de-Bretagne. Ils n’ont aucun doute sur la victoire de Philippe Gilbert, comme l’ensemble du peloton. Autant dire que Gilbert a déjà gagné.

(1): C’est ici que l’on signale que l’équipe FDJ m’a nourri, logé et transporté.

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