Et maintenant, 300 bornes dans les Alpes

REUTERS/Denis Balibouse

On est bientôt sur les Champs. Samedi soir, Qatar Airways ramène tout ce beau monde à Paris, nuit en boîte et avion le lundi pour de nouvelles courses, avec forcément moins de pression.

D’ici là, il y a une course à gagner. Et si les Pyrénées nous avaient donnés l’impression qu’elle n’intéressait pas grand monde, la petite montée du col de Manse mardi, sur une pente de moins de 6% peu propices aux attaques, a subitement éclairé la course d’attente de Luz Ardiden et du plateau de Beille : les frères Schleck étaient conscients de leurs limites, Evans n’avait aucun intérêt à bouger et Contador se remettait d’une blessure au genou droit.

Il n’y avait donc que l’Espagnol pour tirer le Tour de ce mauvais pas de sénateur et visiblement, ça lui chatouille les jambes, puisqu’il a attaqué sur des pentes faiblardes, dont il dit souvent, à juste titre, qu’elles ne lui permettent pas de faire parler son explosivité. On ne dira jamais assez que Contador est un vrai coursier, comme on dit, et ce indépendament de ses problèmes de carnivore. Contador est présent toute l’année, n’a pas de point faible, et a la réputation d’être un grand professionnel.

Avec Contador de retour à son niveau – reste à voir si c’est le très bon Contador du Tour 2010 ou Giro 2011 ou le Contador exceptionnel du Tour 2009 -, la course a commencé. Contador étant triple vainqueur – en sursis -, invaincu sur ses six derniers Grands Tours, elle est forcément calquée sur lui. Et si Cadel Evans a toujours été le mieux placé pour remporter le Tour, depuis la toute première étape, c’est bien Contador que les Schleck ont toujours observé durant les ascensions.

Trois questions se posent avant la traversée des Alpes :

  • Voeckler peut-il tenir au même rythme ?

Thomas Voeckler a développé dans les Pyrénées une puissance étalon autour de 400 watts, ce qui semble dans ses possibilités depuis l’an dernier. Mais il n’a jamais eu à répéter ce genre de performances durant plusieurs jours d’affilée. De plus, les cols des Alpes, plus pentus que dans les Pyrénées, correspondent moins en théorie à son style de grimpette.

Il porte le maillot jaune depuis dix jours, ce qui implique qu’il a forcément moins bien récupéré que les autres premiers du classement général. Après chaque étape, le maillot jaune passe au contrôle antidopage et enchaîne mondanités, interviews et conférence de presse obligatoires. Il arrive forcément plus tard au massage, et le retard de récupération s’accumule. Son erreur dans la descente vers Pinerolo, lui qui est un bon descendeur, est un premier signe de sa fatigue.

Enfin, Voeckler semble vouloir se convaincre qu’il ne peut pas gagner le Tour, là où son attitude en course semble le situer au niveau des autres dans les cols. Mardi à Gap, c’est presque soulagé qu’il expliquait avoir « affiché ses limites ». On ne gagne pas une course en étant persuadé qu’on a rien à faire là. Mais le garçon est malin et connaît parfaitement son corps. Un podium reste largement posssible, la victoire à Paris ne peut être exclue.

  • Quelle tactique pour Contador ?

Contador a deux minutes de retard sur Cadel Evans. Il doit reprendre au moins une minute d’ici le contre-la-montre. Vu le profil de l’étape de l’Alpe d’Huez, il est probable qu’elle s’apparente à une course de côte sur 14 km, en bas de l’Alpe. Contador doit donc passer à l’attaque dès jeudi, sur un terrain qui lui convient bien.

Il doit faire douter Evans, lui montrer qu’il est à nouveau Contador et qu’il n’y aura rien à faire contre lui. Ca tombe bien, Evans est un coureur réputé fragile. Il sait grimper au train et revenir sur l’Espagnol après une accélération franche, mais combien de fois ?

Si Contador commence à creuser un écart, Evans va gamberger. Il est déjà tellement passé à côté ! Une défaillance en 2002 alors qu’il était leader du Tour d’Italie, deux fois deuxième du Tour (2007-2008) alors que la victoire était accessible, une blessure l’an dernier alors qu’il portait le maillot jaune : Evans n’a jamais répondu présent quand il le devait et c’est là où personne ne l’attendait, lors du championnat du monde 2009, qu’il a obtenu sa plus belle victoire.

La meilleure manière de faire douter Evans sera de le priver d’équipier dès le col d’Agnel, peut-être le plus dur de ce Tour, placé au milieu de l’étape de jeudi. Tout est plus facile quand on a un équipier avec soi. Il permet de se focaliser uniquement sur la course et sa présence rassure. Dans le col d’Izoard, Contador aura plusieurs kilomètres à 10% de pente moyenne ou presque sur lesquels son démarrage peut faire des ravages. Restera ensuite le Galibier, un col long qui convient mieux à Evans.

  • Quel rôle pour les Schleck ?

Le moins possible, non ? Andy et Frank Schleck, comme Ivan Basso, se distinguent de Contador, Sanchez et Evans en ce qu’on les voit trop rarement le reste de la saison. Six ans après ses débuts professionnels, le palmarès du cadet, hors championnat du Luxembourg, tient sur un timbre-poste: six victoires individuelles, dont Liège-Bastogne-Liège et deux étapes du Tour.

Le cyclisme des Schleck est tout ce qui fait le malheur du cyclisme moderne: froid, stéréotypé et monomaniaque. Avant le Tour, Andy, sûr de lui, dessine son plan sur la carte du Tour et s’y conforme vaille que vaille. L’an dernier, il n’a pas écouté l’an dernier les conseils de Bjarne Riis, un des plus grands stratèges du peloton.

Tant pis pour lui, il a perdu le Tour. Mardi à Gap, c’est Frank qui confessait ne pas s’attendre à une attaque de Contador: mal placé, il a perdu du temps. La descente a été fatale à Andy, qui a déboursé une minute. C’est pô juste, a-t-il dit, jugeant en substance que le Tour ne devrait pas se jouer dans les descentes. Le problème, c’est que les Schleck voudraient que le Tour ne se joue pas non plus dans les contre-la-montre, les chutes ou les bordures. En résumé: une course de côtes et on règle ça entre nous. Contador n’est pas de cet avis et leur a fait savoir une fois de plus à Pinerolo.

Une fois écrites ces quelques remarques qui me brûlaient les doigts, il faut admettre que les Schleck auront probablement un grand rôle dans les Alpes, où Andy attaquera sans aucun doute. Mais ils se retrouveront probablement dans la position de faiseurs de roi. A eux de voir s’ils préfèrent voir Contador ou Evans en jaune à Paris. Ils peuvent aussi décider de favoriser Contador et faire craquer Evans pour briguer la deuxième place, qui pourrait valoir une victoire une semaine plus tard.

Il est aussi très possible qu’on ne voit aucun Schleck sur le podium à Paris. Lundi, journée de repos, Andy a eu cette lapalissade: “On ne peut pas gagner tous les deux.” Et perdre ensemble, c’est possible ?

 

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