Cet article est une analyse de la performance d’Audrey Tautou dans le dernier film de Claude Miller, Thérèse Desqueyroux, adapté du roman de François Mauriac. Par conséquent, ce que vous allez lire contient des révélations sur l’histoire.
Par E.C
Le teint est pâle ; le visage, dur ; l’œil, noir. Elle regarde droit devant elle, inexpressive, figée comme une statue. Seul indice d’humanité, cette larme qui coule de son œil gauche. Une larme noire, qui coule droit et vient fissurer son visage de marbre. Jamais une affiche de cinéma n’avait aussi bien rendu compte de la teneur d’un film. Car la Thérèse Desqueyroux de Claude Miller est aussi implacable et fragile que le visage de l’affiche. Elle peut, telle la Vénus d’Ille, imposer sa loi terrible et vengeresse ; mais faites la tomber au sol, et elle se fracasse, comme une poupée de porcelaine.
Cette Thérèse Desqueyroux, à la fois monstre et victime, aurait pu être un cadeau empoisonné : jouer constamment entre la froideur et l’émotion la plus profonde sans surjouer ou aliéner le spectateur est un sacré défi. Fort heureusement, le très regretté Claude Miller (qui signe ici son plus beau film) ne s’est pas trompé en choisissant Audrey Tautou pour incarner son héroïne.
Mariage de convenance avec M. Bernard Desqueyroux, grand bonhomme antisémite ne montrant d’enthousiasme que pour la chasse et la nourriture ; vie recluse en province où les femmes doivent s’occuper de leur mari et de leurs enfants … Thérèse – dont le sens pratique semblait pourtant prévaloir – se laisse happer par des idées noires lorsque la sœur de Bernard (et son amie d’enfance), Anne, vit une passion interdite avec un voisin juif. Commence alors le double jeu de Thérèse, qui prétend aider son amie, tout en détruisant toute possibilité de retrouvailles pour les deux amants. Car Thérèse est jalouse. Cette passion que vit Anne, Thérèse l’a vécue encore et encore à travers de nombreux romans lus pendant son enfance, mais sait pertinemment qu’elle ne la vivra jamais dans la vie réelle. Cette flamme entrevue, approchée, Thérèse s’empresse vite de l’éteindre. Mais ce feu allumé va continuer de l’obséder. Thérèse fantasme sur les divers moyens de s’en sortir : par la mort, par le crime… Jusqu’au jour où se présente l’occasion de passer à l’acte.
C’est avec la délicatesse qu’on lui connaît qu’Audrey Tautou interprète Thérèse. Et par les temps qui courent, où l’on demande aux acteurs une expressivité outrancière, la prestation tout en intériorité d’Audrey Tautou est un cadeau bien rare. Au lieu de donner vie à son personnage, elle la lui retire à petit feu. Peu à peu, l’œil vif s’éteint, et semble même noircir. Et cette noirceur l’envahit tout entière : elle devient raide et glaciale. Son corps n’est plus qu’une machine destinée à accomplir un seul geste : celui d’empoisonner son mari. Puis, dans la seconde partie de l’histoire, où Thérèse passe du statut de criminel à celui de victime, Tautou joue de son corps de manière exceptionnelle. La femme implacable qu’elle était se décompose, se recroqueville. Elle n’est plus qu’un petit oiseau fragile, cible idéale pour les chasseurs qui l’entourent : de Bernard, le bourreau, à Anne (remarquable Anaïs Demoustier) aussi machiavélique qu’elle était ingénue. Le tour de force de l’actrice culmine lors d’une scène digne d’un film d’horreur où Thérèse se maquille pour cacher sa santé déclinante. Elle apparaît, cadavre ambulant, comme pour entrer au tombeau.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, Thérèse Desqueyroux est une victime avant tout. Car ce qui la pousse à commettre son crime, c’est la mort qu’on lui inflige à petit feu. Cette vie imposée aux femmes, qui n’ont le droit de vivre qu’aux crochets et selon le bon plaisir de leur mari. L’esprit de Thérèse se dissocie constamment de son corps, pour tenter de se protéger contre des agressions journalières : les nuits passées avec son mari, la grossesse… Emprisonnée dans un corps qu’on ne laisse pas vivre, Thérèse décide d’imposer son sort aux autres : à Anne d’abord, puis à Bernard. La voie n’est pas la bonne, bien sûr, et Thérèse elle-même le sait sans pouvoir s’arrêter. Elle s’évanouit, comme si son corps lui montrait que tuer l’autre ne rendait pas la vie. Le pardon, affirme Claude Miller, est la seule issue possible.
Sortie le 21 Novembre.
Viddy Well !
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